Abdelhamid Mehri : Pour une plateforme de changement urgent en Algérie

Abdelhamid Mehri

Ancien secrétaire général du FLN, 17 février 2011

Au frère Abdelaziz Bouteflika Président de la République

Abdelhamid Mehri

Je m’adresse à vous par cette lettre dans un contexte particulièrement délicat et dangereux en étant conscient que seuls les liens de fraternité et les principes qui nous ont rassemblés durant la période de la lutte pour la liberté de notre pays et son indépendance me donnent cet honneur ; c’est aussi ma conviction que ces liens demeurent le dénominateur sur lequel peuvent se rencontrer les bonnes volontés au service de notre pays et du bonheur de notre peuple.

J’ai privilégié cette voie ouverte pour m’adresser à vous car vous occupez une position principale et prioritaire. Néanmoins, vous n’êtes par le seul concerné par le contenu de la lettre, ni la seule partie appelée à traiter des questions qu’elle soulève. J’ai tenu dans cette lettre à faire preuve de la franchise qui prévalait dans les délibérations des instances dirigeantes de la Révolution algérienne et qui était, même si elle dépassait parfois les limites du raisonnable, certainement préférable au silence complice ou à l’assentiment dénué de conviction.

Monsieur le président

Vous êtes aujourd’hui au sommet d’un régime politique dont la mise en place n’est pas de votre seule responsabilité. C’est un régime à l’édification duquel a participé quiconque a assumé une part de responsabilité publique depuis l’indépendance, que ce soit par son opinion, son travail ou son silence. Mais aujourd’hui, de part votre position, vous assumez, et avec vous tous ceux qui participent à la prise de décision, une grande responsabilité dans la prolongation de la vie de ce régime qui, depuis des années, est bien plus marqué par ses aspects négatifs que positifs. Il en devenu, en outre, inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l’avenir qui sont encore plus ardus et plus graves.

Le système de gouvernement installé à l’indépendance s’est fondé, à mon avis, sur une analyse erronée des exigences de la phase de la construction de l’Etat national. Certains dirigeants de la révolution avaient opté, dans le contexte de la crise que le pays a connue en 1962, pour une conception politique d’exclusion pour faire face à la phase de la construction plutôt qu’une stratégie de rassemblement énoncée par la déclaration du 1er novembre 1954. Pourtant cette stratégie avait prévalu, en dépit des divergences et des difficultés, dans la conduite des affaires de la révolution jusqu’à l’indépendance.

L’exclusion est devenue, à la suite de ce choix, le trait dominant de la gestion politique et de la manière de traiter les divergences d’opinion. Les cercles et groupes politiques qui étaient choisis au début du mois étaient susceptibles d’exclusion et de marginalisation à la fin du même mois. Ces pratiques, qui ont contaminé même certains partis d’opposition, ont eu pour effet de pousser des milliers de militants à renoncer à l’action politique, de réduire la base sociale du régime et de réduire le cercle de décision à son sommet.

Outre le fait qu’il est fondé sur l’exclusion, le régime a hérité de méthodes et de pratiques secrétées par les conditions difficiles de la lutte de la libération et les a adoptées dans la conduite des affaires publiques après l’indépendance.

Il s’est nourri également d’emprunts et d’adaptations qui n’ont pas été façonnées par le libre débat, ni affinées, durant leurs évolutions, par une évaluation objective qui a été le grand absent dans l’expérience du pouvoir en Algérie.

Plutôt qu’une évaluation critique objective du régime politique, on a préféré les campagnes de glorification et de dénonciation taillées sur mesure pour des personnes et par l’attribution de couleurs à des décennies, de sorte à masquer la nature du régime, ses pratiques et sa vraie couleur qui ne change pas malgré le changement d’hommes.

Les voix qui revendiquent le changement de ce régime et qui sont soucieuses qu’il advienne dans un climat de paix et de libre débat, sont nombreuses. Les signes qui alertent sur le caractère impératif d’un tel changement sont visibles depuis des années. Ils se sont encore accumulés ces derniers mois d’une manière telle qu’il est impossible de les ignorer ou de reporter la réponse.

Les évènements qui surviennent continuellement chez nous et qui adviennent autour de nous depuis des mois évoquent ceux que le pays a vécus en octobre 1988 et des faits graves qui en ont découlé, de crise et de drames dont le peuple continue encore à avaler certaines des plus amères potions.

Les choses sont aggravées chez nous par le fait que le discours officiel, à des niveaux responsables, fait une lecture erronée – sciemment ou non – des réalités. Il en minimise l’importance et en nie les grandes significations politiques au prétexte que les manifestants, chez nous, n’ont formulé aucune evendication politique. L‘aspect le plus incongru de cette lecture et de cette analyse est qu’ils renvoient à l’image d’un médecin qui attendrait de ses malades la prescription d’un remède !

Cette lecture erronée de la part de plusieurs parties – avec des intentions sournoises de la part de certaines autres parties – ont empêché, fort regrettablement, que les véritables enseignements soient tirés des évènements d’octobre 1988. Elles ont permis aux adversaires du changement, à cette époque, d’œuvrer méthodiquement au blocage des voies menant à la solution juste qui consiste à assurer le passage vers un système politique réellement démocratique. Cela a fait perdre au pays, à mon avis, une opportunité précieuse de renouveler et de consolider sa marche vers le progrès et le développement.

Cette interprétation erronée s’étend également aux évènements qui se déroulent dans des pays proches, comme la Tunisie et l’Egypte. Cette lecture insiste sur les différences afin de rejeter les enseignements qui en découlent. Pourtant, ce qui est commun entre l’Algérie et ces pays ne se limite pas à la vague tragique de recours aux suicides par le feu, il est encore plus profond et plus grave. Ce qui est commun est la nature même des régimes !

Les systèmes de pouvoir en Egypte, en Tunisie et en Algérie, se prévalent tous d’une façade démocratique clinquante et empêchent, en pratique et par de multiples moyens, de très larges catégories de citoyens de participer effectivement à la gestion des affaires du pays. Cette marginalisation et cette exclusion nourrissent en permanence les ressentiments et la colère. Elles alimentent la conviction que tout ce qui est lié au régime ou émane de lui leur est étranger ou hostile. Quand s’ajoute à ce terreau de la colère le poids des difficultés économiques, qu’elles soient durables ou conjoncturelles, les conditions de l’explosion sont réunies.

A ces facteurs communs s’ajoute le fait que la majorité des algériens considère que le régime politique chez nous n’est pas fidèle aux principes de la révolution algérienne et à ses orientations et ne répond pas à la soif d’intégrité, de liberté, de démocratie et de justice sociale pour laquelle le peuple algérien a sacrifié des centaines de milliers de ses enfants.

De ce qui précède, il apparait que la question centrale qui exige un effort national global et organisé est celle de la mise en place d’un régime réellement démocratique, capable de résoudre les problèmes du pays et de le préparer à relever les défis de l’avenir. Un régime démocratique qui libère les larges catégories sociales du cercle de l’exclusion et de la marginalisation pour les faire entrer dans une citoyenneté responsable et active. Il en découle également que le changement ne viendra pas d’une décision du sommet isolée du mouvement de la société et de ses interactions. Il est, au contraire, nécessaire de faire murir le processus de changement et de le consolider par les initiatives multiplies provenant, en toute liberté, des différentes catégories de la société.

Le peuple algérien qui a pris en charge, de manière consciente et loyale, la révolution quand elle a été jetée dans ses bras, et en a assumé la responsabilité avec abnégation et patience, est apte, du fait de sa profonde expérience, à prendre en charge l’exigence du changement démocratique pacifique du régime et à l’accompagner vers les rivages de la stabilité et de la sécurité.

Ce changement souhaité nécessite, selon moi, de commencer simultanément par les actions suivantes :
Un – Accélérer la suppression et la levée des obstacles et des entraves qui inhibent la liberté d’expression ou la restreignent. Réunir les conditions nécessaires permettant aux organisations et aux initiatives sociales des jeunes de la nation, ses étudiants, ses cadres et ses élites des différents secteurs et disciplines, d’exercer leur droit naturel et constitutionnel à exprimer par tous les voies et moyens légaux, leurs critiques, leurs aspirations, leurs opinions et leurs propositions.

Deux – Appeler à la multiplication des initiatives populaires émanant de la société et soutenant la demande de changement pacifique autour des axes et des modalités suivants :
1 – Des séminaires de dialogue rassemblant à différents niveaux et dans la diversité des courants intellectuels et politiques, des citoyens engagés qui rejettent la violence et l’exclusion politique et qui œuvrent à identifier les similarités et les préoccupations communes permettant la jonction des volontés et des efforts pour la réussite du changement pacifique souhaité.

2 – Des groupes d’évaluation regroupant à des niveaux différents les représentants de divers courants intellectuels et politiques, des spécialistes intéressés par un secteur spécifique de l’activité nationale. Ils auront la charge de procéder à une évaluation objective de ce qui a été accompli depuis l’indépendance, d’en identifier les forces et les faiblesses et de tracer des perspectives pour son développement.

3 – Des amicales de solidarité contre la corruption qui auront pour mission d’édifier un barrage contre la généralisation de la corruption en sensibilisant les larges catégories sociales susceptibles d’être les victimes des corrompus. Il s’agit de les amener à une position ferme contre la corruption en adoptant le slogan « nous ne payerons rien en dehors de ce que prévoit la loi ». Cette mobilisation sociale interviendra en appui à des mesures administratives et légales contre la corruption.

Les centaines d’initiatives qui peuvent éclore de cet appel et se multiplier, sans être dictées par le haut, seront comme des bougies qui éclairent la voie du véritable changement pacifique et traduisent les orientations du peuple et ses aspirations.

Trois – Etablir des ponts pour le dialogue et la concertation les plus larges avec les forces politiques pour préparer un Congrès national général qui aura pour mission :

1 – D’établir l’évaluation critique et globale du système de gouvernance et de ses pratiques durant ses différentes étapes depuis l’indépendance et de déterminer les tâches, les moyens et les étapes pour jeter les bases d’un système démocratique et de l’Etat de droit.

2 – Prendre les mesures nécessaires pour sortir le pays, définitivement, de la spirale de violence qu’il connait depuis vingt ans. La crise, dont les effets continuent à marquer la scène politique, est la somme d’erreurs commises aussi bien par des mouvements islamiques que par les autorités de l’Etat dans leur traitement. Il est impossible de résoudre la crise en traitant la moitié de celle-ci et en occultant l’autre moitié.

3 – Etablir une plateforme nationale sur les perspectives du développement national global et sur la préparation du pays à faire face aux évolutions imposées par les changements mondiaux.

4 – Etablir une plateforme nationale sur les fondements de la politique étrangère nationale et ses lignes générales et en premier lieu identifier les mesures permettant la réalisation de l’union entre les pays du Maghreb.
Frère président

L’Algérie doit célébrer bientôt le cinquantième anniversaire de son indépendance. Le temps qui nous sépare de cette grandiose occasion est suffisant, selon moi, pour parvenir à un accord entre algériens pour le changement pacifique souhaité. Le meilleur des présents à faire à nos glorieux martyrs est que l’on célèbre l’anniversaire de l’indépendance avec un peuple algérien fier de son passé et rassuré sur son avenir.

Avec ma considération et mes salutations fraternelles

Abdelhamid Mehri

Observations Omar Mazri : Il faut lire cette lettre comme la seule digne d’intérêt depuis longtemps dans le paysage algérien. Elle est subtile car elle s’adresse à l’ensemble de la classe politique algérienne en faisant référence à ce qui peut et doit unir les Algériens : le premier novembre 54. Elle est intelligente car elle appelle à un véritable débat pour mettre fin à l’exclusive et à l’éradication. Elle est pragmatique car elle propose l’élaboration de plateformes d’entente nationale tant sur le plan intérieur qu’extérieur pour une transition démocratique et pacifique initiée par les Algériens et non imposée par les forces étrangères et leurs vassaux. Elle répond en partie à ma vision : reconstruire l’opposition sur la plateforme de Rome de 95 au lieu d’affronter le régime en rangs dispersés ou désunis idéologiquement et politiquement. J’ai l’intime conviction, hélas, que les élites algériennes trop impliqués dans les compromissions, la paresse, l’inertie ou la passion qui rend aveugle vont une fois de plus rater l’occasion de construire un front national de transition nationale démocratique ou un front de libération nationale contre le despotisme.

Je suis également certain que ceux qui crient au loup et qui demandent le changement avec le plus de bruit et de véhémence seront ceux (et celles) qui vont dénigrer le compte tenu de cette lettre et son auteur sous prétexte qu’il a servi le régime algérien et le FLN. Le nihilisme, l’anarchisme et l’anathème sont aussi nocifs pour l’Algérie et les Algériens que le despotisme politique, la tutelle de l’armée et la l’emprise de la DRS sur les consciences, les libertés et les richesses.
La vertu islamique nous commande de ne pas accuser les gens sans connaitre leur passé, leurs engagements et leur prise de position contre les Janviéristes de 92. Le discernement est une vertu du Musulman et de tout militant qui défend une cause juste. Quand j’entends les échos à cette lettre je reste frapé de stupeur devant l’ignorance des enjeux réels et la lâcheté de ceux qui poussent les algériens à faire la révolution dans la rue à leur place alors qu’ils ont une conception de la liberté, de la démocratie et de l’Algérie confinée à leur seule perspective encore imprégnée de pensée unique, de monopole et d’éradication de l’autre. A contrario des Tunisiens et des Egyptiens l’Algérien lui manque encore la consistance politique et l’identité nationale avec cependant un patriotisme plus exacerbé, plus maladif.
Dans l’article « La Révolution – DZ ou la programmation d’une contre révolution » j’ai interpellé les acteurs de la vie politique algérienne de s’exprimer pour apporter des clarifications au peuple algérien, se démarquer des arrangements d’appareils et se préserver des manipulations s’il y a une volonté de sortir de l’impasse en surmontant les clivages idéologiques et en se fédérant sur un dénominateur commun (plateforme) politique et social. Cela ne veut pas dire que la lettre de Abdelahamid Mehir, mes analyses ou les postures de quelques partis politiques dans l’opposition algérienne vont changer à la logique historique dont on voit les premisses révolutionnaires s’installer durablement pour aboutir au renversement des dictatures. Le peuple algérien ne peut faire l’exception à cette loi divine :
{Certes Allah ne change point en l’état d’un peuple tant que celui ci ne change pas ce qui est en lui}
Les despotes algériens ne peuvent faire exception à cette loi divine :
{Tels sont les jours (époques) nous les alternons entre les hommes}

Du rapport sur la Syrie et de sa traduction

Au Nom d’Allah le Miséricordeur, le Miséricordieux

{Il est une communauté : ils guident par la Vérité, et grâce à elle ils sont justes.}
{O David, Nous Avons Fait de toi un successeur sur terre, juge donc entre les Hommes en toute Vérité et ne suis pas la passion, autrement elle te fourvoiera de la Cause d’Allah. Ceux qui se fourvoient de la cause d’Allah auront un sévère châtiment, en raison de ce qu’ils oublièrent le Jour du Jugement.} (Coran)
Je dois dire que moi et Ahmed Manai, qui avons traduit le rapport, nous ne sommes pas syriens. Nous avons pris l’engagement individuel et non concerté de traduire ce rapport dans son intégralité, de veiller à la traduction la plus fidèle et d’y aller jusqu’au bout sans a priori et surtout de ne pas faire marche arrière quelque soit la conclusion finale de ce rapport en répondant à l’appel de notre conscience.
Farouche opposant à la guerre contre la Libye et apportant la détraction religieuse à Qaradhawi et aux mouvements islamiques, j’avais l’appréhension légitime de me trouver avec des conclusions qui pouvaient aller contre mon refus de l’ingérence étrangère. J’avais pris l’engagement de traduire sans lire la conclusion finale et de respecter ma promesse de finir la traduction du texte et de la remettre à Ahmed Manai. J’ai manqué à une partie de ma parole lorsque j’ai pris connaissance de la teneur, du sérieux et de la probité de la Mission car nous étions habitué au mensonge et à la lacheté : je me suis permis de publier et de diffuser la partie qui m’a été echu sans attendre la suite des conclusions dont je n’avais pas connaissance car je n’avais qu’une partie du texte arabe.

L’opportunité s’est offerte à nous par la disponibilité du rapport en arabe qui semble en voie de liquidation pour revenir au schéma libyen c’est à dire confier notre vérité, notre devenir, notre initiative et nos problèmes à d’autres qui sont eux même le problème et non la solution à l’ensemble de nos problèmes si nous faisons abstraction de notre colonisabilité qui réapparait après la perte de nos repères idéologiques, politiques et culturels.

Nous l’avons fait, commandés par notre conscience arabe, notre devoir d’intellectuel, notre regard lucide sur le monde arabe, sans esprit partisan ni prise de position doctrinale derrière un homme de religion, un parti politique ou un gouvernement. Nous avons agi en toute liberté.

En ce qui me concerne, Musulman affichant son islamité, je n’avais en vue ni à plaire ni à déplaire ni à prendre position sur le plan intérieur syrien ni sur le plan géopolique mais de témoigner pour Allah de la vérité qui était en ma posséssion. Mes « collègues » sont connus pour leur probité morale et intellectuelle. Je les remercie de leur confiance. Je rends hommage à leur engagement pour la vérité. Ce travail honore notre arabité et notre islamité et rappelle notre humanité que les pecheurs en eau troubles veulent escamoter car eux ils l’ont perdu dans les arrangements d’appareils, dans la vassalisation ou dans l’aliénation doctrinale.

Nous avons respecté notre engagement et nous rendons hommage au général Dabi qui a fait preuve de courage, de sincérité, de probité.

Nous apprenons que le Qatar aurait acheté la conscience des Palestiniens pour prendre la tête de la ligue arabe et dissimuler ce rapport. Le destin a voulu que nous soyons, malgré nous, devenus des témoins d’un document qui ne peut plus être caché et qui doit être diffusé largement. La conscience mondiale doit se manifester en faveur de la paix et de la non ingérence dans les affaires intérieures sauf pour réconcilier les hommes, tous les hommes sans distinction de race, de religion, de conviction politique.

Nous sommes scandalisés par le traitement médiatique français qui pratique de la désinformation, prenant en otage le peuple français et se comportant avec lui comme s’il était immature, ignorant et illétré. S’appuyant sur le courage de dévoiler les manquements et d’étaler les défaillences en vue de les corriger, la presse française jubile comme si elle venait d’atteindre le nirvana de la médiocrité. A titre d’illustration nous lisons en ce début de février sur le site de FRANCE 24 :
 » L’intégralité du rapport de mission des observateurs de la Ligue arabe en Syrie a été dévoilée par le magazine américain Foreign Policy. Le document pointe du doigt les manquements des observateurs sur le terrain. Édifiant… Ce bilan frise le grotesque et pointe l’amateurisme de la Ligue arabe, qui n’a pas préparé cette mission comme il fallait », confie sous couvert d’anonymat un diplomate arabe en poste à Paris, contacté par FRANCE 24. »

Le destin a voulu que nous soyons, malgré nous, devenus des témoins d’un document qui ne peut plus être caché et qui doit être diffusé largement. La conscience mondiale doit se manifester en faveur de la paix et de la non ingérence dans les affaires intérieures sauf pour réconcilier les hommes, tous les hommes sans distinction de race, de religion, de conviction politique.

 

Les Arabes jouent l’indignation et la récimination, mais force est de constater que pour les rares fois où des Arabes se mobilisent mus par leur conscience humaine et par leur arabité, les Arabes indignés et dénonciateurs ne semblent pas donner grand intérêt à ce rapport pour le lire, le difuser et le commenter puis se rappeler la tragédie libyenne qui aurait pu être évitée si chacun avait exercé sa responsabilité. Par contre des sites progressifs ou alternatifs francophones se sont fait l’écho de ce rapport traduit en le publiant et en le commentant allant jusqu’à dénoncer leurs gouvernants de duplicité, de mensonge, de colonialisme.

Bien entendu les médias, les officines, les chancelleries et les états majors de l’Empire et de ses vassaux montent graduellement en puissance pour imposer leur solution : la dislocation de nos mentalités collectives, de nos territoires, de notre histoire commune, de nos économies, et de nos valeurs déjà fragilisées par la décadence musulmane, la colonisation et la rancune accumulée entre les peuples et les gouvernants. Sur le plan de la logique impériale nous pouvons considérer que cette volonté de dislocation est de bonne guerre surtout qu’elle vise des buts stratégiques : liquider l’axe de résistance contre le sionisme et l’hégémonie américaine.

Ce qui met le musulman dans le désarroi est l’attitude des mouvements « islamiques » et des savants musulmans qui s’alignent sans discernement et renient non seulement le travail honnête et compétent du général Dabi malgré les insuffisances qu’il a lui-même notées, mais la parole d’Allah immuable. Ici le reniement devient transgression :

وَإِنْ طَائِفَتَانِ مِنَ الْمُؤْمِنِينَ اقْتَتَلُوا فَأَصْلِحُوا بَيْنَهُمَا فَإِنْ بَغَتْ إِحْدَاهُمَا عَلَى الْأُخْرَىٰ فَقَاتِلُوا الَّتِي تَبْغِي حَتَّىٰ تَفِيءَ إِلَىٰ أَمْرِ اللَّهِ فَإِنْ فَاءَتْ فَأَصْلِحُوا بَيْنَهُمَا بِالْعَدْلِ وَأَقْسِطُوا إِنَّ اللَّهَ يُحِبُّ الْمُقْسِطِينَ إِنَّمَا الْمُؤْمِنُونَ إِخْوَةٌ فَأَصْلِحُوا بَيْنَ أَخَوَيْكُمْ وَاتَّقُوا اللَّهَ لَعَلَّكُمْ تُرْحَمُونَ

{Et si deux groupes de croyants se combattent, réconciliez-les. Si alors l’un des deux groupes tyrannise l’autre, combattez celui qui tyrannise jusqu’à ce qu’il revienne à l’Ordre d’Allah. S’il revient, réconciliez-les avec justice et soyez équitables. Certes, Allah Aime les équitables. Les croyants ne sont que des frères, établissez la concorde entre vos frères. Et prenez garde à Allah, afin qu’Il  vous Fasse  miséricorde.} Al Hujurate 10

L’affaire reste une affaire intérieure et ne peut être une ingérence étrangère. A ce jour les partenaires de l’internationalisation du conflit et du réglement des crises arabes par le recours à l’agression supervisée par l’OTAN n’ont aligné aucun argument religieux, géopolitique ou moral qui autorise l’Empire d’agresser et de disloquer un pays musulman. Le pire, ils n’ont tiré aucune leçon sur le cas libyen ni répondu à la question essentiellement religieuse : qui doit payer, dans ce monde et dans l’autre la rançon du sang pour les milliers de morts, de blessés, de disparus et de réfugiés?

Mise à jour du vendredi 3 février 2012

Je dois avouer aussi bien mon amertume personnelle que ma crainte de voir le monde musulman sombrer dans le chaos non seulement de la guerre mais de la bétise, de la haine et de la vilenie. La guerre peut cesser faute de combattants ou après un arrangement, mais les causes de la guerre peuvent demeurer tant que les imbéciles ont la parole plus forte et plus convaincante que celle des sages, des pieux et des probes.

En effet au moment où nous célébrons le Mawlid an Nabawi pour nous rappeler que Mohamed et l’Islam sont la miséricorde, le bon comportement, la justice, la vérité, la solidarité, le principe de sens, le sens du beau, la dignité de l’humain, la compassion, la sagesse, l’intelligence nous entendons dans les mosquées, sur l’Internet, les chaines de télévision et les Youtube, les voix des arabes et des Musulmans appeler à se déchirer, à ouvrir un front sunnite contre les chiites, à livrer bataille sous l’étendard banni par le Prophète, l’étendard de la confusion et de l’ignorance, l’étendard du nouvel ordre mondail qui vise à détruire le dernier axe de résistance et livrer le monde au sionisme.

Ces va-t-en guerre, sans justification religieuse, géopolitique, politique veulent réitérer le coup de Tripoli pour la gloire du Vatican, du sionisme et de l’impérialisme et de quelques excités qui croient que la haine, la revanche, la contestation autorisent tous les excès et tous les combats pourvu qu’on l’assaisonne d’Allah Akbar blasphématoire par l’intention, l’improvisation et l’égarement de celui qui le prononce non pour glorifier Allah mais pour salir l’Islam et porter atteinte à la vie et aux biens d’autrui.

Ces va-t-en guerre profanent l’Islam,  transgressent le Coran, se font injustice à eux mêmes et sèment la corruption sur terre. Comment qualifier ceux qui raillent le général soudanais Al Daby en l’humiliant par des propos indignes d’un homme sensé ? Comment qualifier ces diables habillés en Musulmans qui portent atteinte à un musulman qui a agit en conformité avec le Coran : porter la responsabilité, confier et réconcilier les frères ennemis. Comment les qualifier de Musulmans quand les versets qui exigent la réconciliation des Musulmans et la lutte contre ceux qui refusent l’arbitrage non seulement sont considérés comme nuls et non avenus mais toute l’éthique qui apporte l’accalmie, la dignité, le cadre du dialogue et le respect d’autrui sont effacés de la mémoire, laissant libre cours à la passion humaine qui se met au dessus de la parole d’Allah :

{O vous qui êtes devenus croyants, qu’un groupe (d’hommes) ne raille pas un groupe : il se peut qu’ils soient meilleurs qu’eux. Ni que des femmes (ne raillent pas) des femmes : il se peut qu’elles soient meilleures qu’elles. Et ne vous entre-calomniez pas, et ne vous donnez pas de sobriquets. Le piètre des noms est la perversité, après avoir eu foi. Et quiconque ne se repent pas : ceux-là sont les injustes. O vous qui êtes devenus croyants, évitez beaucoup de conjectures : certaines conjectures sont des péchés. N’espionnez pas et ne médisez pas les uns des autres. Est-ce que l’un d’entre vous aimerait manger la chair de son frère mort ? Cela, vous l’avez haï. Et prenez garde à Allah. Certes, Allah Est Rémissif , Miséricordieux.} Al Hujurate 11

Non seulement le général arabe qui a fait honorablement son travail est insulté mais les sacs de haine et les agents du sionisme osent profiter de l’emotionnel des peuples arabes pour leur inculquer en plein sermon de ce vendredi la haine des iraniens et des chiites oubliant le sionisme et l’impérialisme qui préparent les armées arabes à servir en première ligne contre l’Iran dès que la Syrie sera disloquée, mise dans le chaos. Même si la géopolitique leur échappe, ils ne peuvent ignorer que tous nous avons la même Qibla, le même Prophète et le même Coran que les sectaires et les infantiles ont profané en sortant du cadre qu’Allah a fixé :

{O vous qui êtes devenus croyants, inclinez-vous, prosternez-vous, adorez votre Seigneur et faites le bien, afin que vous cultiviez. Et efforcez-vous pour Allah comme il se doit de s’efforcer pour Lui. Il vous a élus et ne vous imposa nulle gêne en religion, la confession de votre père Abraham. C’est Lui qui vous a déjà nommés musulmans, auparavant, et dans ceci [le Coran] : afin que le Messager soit témoin auprès de vous et que vous soyez témoins auprès des Hommes.} Al Hajj 77

Pour l’instant le monde arabo musulman s’efforce à se fragmenter, à disparaitre et à donner une image de l’Islam et des Musulmans comme veulent les spécialistes de l’Islamophobie. Il s’efforce à cultiver le sectarisme et les shismes. Il paiera lourdement la facture. La monnaie ne sera ni le dinar en or ni en argent ni en pétrodollars mais en humiliation, en colonisation, en lamentations, en guerres civiles, en deversoirs de haine ou de regret…. Après la Syrie ce sera le Liban, Gaza, l’Iran, le Pakistan, la Chine, le Vénézuela, la Bolivie. Si la Syrie abdique ou tombe comme la Libye c’est le coupon d’envoi de la mise au pas des armées arabes qui seront les légionnaires de la grandeur de l’Occident et la malédiction de Dieu contre les Arabes.

فَلَمَّا أَخَذَتْهُمُ الرَّجْفَةُ قَالَ رَبِّ لَوْ شِئْتَ أَهْلَكْتَهُمْ مِنْ قَبْلُ وَإِيَّايَ أَتُهْلِكُنَا بِمَا فَعَلَ السُّفَهَاءُ مِنَّا إِنْ هِيَ إِلَّا فِتْنَتُكَ تُضِلُّ بِهَا مَنْ تَشَاءُ وَتَهْدِي مَنْ تَشَاءُ أَنْتَ وَلِيُّنَا فَاغْفِرْ لَنَا وَارْحَمْنَا وَأَنْتَ خَيْرُ الْغَافِرِينَ وَاكْتُبْ لَنَا فِي هَٰذِهِ الدُّنْيَا حَسَنَةً وَفِي الْآخِرَةِ إِنَّا هُدْنَا إِلَيْكَ

{Et quand ils furent pris de tremblement, il dit :  » Mon Seigneur, si Tu l’Avais Voulu, Tu les Aurais Fait périr auparavant, et moi aussi ! Nous Ferais-Tu périr en raison de ce que les insensés d’entre nous ont fait ? Ce n’est qu’une épreuve de Ta Part, Tu Fourvoies par elle qui Tu Veux et Tu Guides qui Tu Veux. Tu Es notre Protecteur, Pardonne-nous et Fais-nous Miséricorde, car Tu Es le Meilleur des Pardonneurs, et prescris-nous un Bien en ce monde et dans la vie Future, nous nous sommes guidés vers Toi ».} Al A’âraf 157

Omar Mazri

 

Le rapport de la Mission d’observation de la Ligue arabe en Syrie

Au Nom d’Allah, le Miséricordeur, le Miséricordieux
{Certes, Nous avons proposé la responsabilité aux Cieux, à la terre, et  aux montagnes : ils ont refusé de l’assumer, et l’ont redoutée, alors que l’Homme l’assuma, car lui, il se permet de persister dans l’injustice et de persister dans l’ignorance.}

Rapport du chef de la Mission des observateurs de la Ligue Arabe en Syrie de la période du 24/12/2011 au 18/01/2012 :

Premièrement : Considérations juridiques.

1 –  Le conseil de la Ligue arabe a adopté la résolution numéro 7436 en date du 02/11/2011 l’inscrivant comme plan de travail arabe annexé à la résolution, et il a salué l’approbation du Gouvernement syrien de ce plan. Il a également souligné la nécessité de s’engager à la mise en œuvre immédiate et complète du contenu de ce plan et de l’ensemble de ses parties.
2 –   Le conseil de la Ligue arabe a adopté la résolution numéro 7439 en date du 16/11/2011 approuvant le projet de protocole sur le statut juridique et les fonctions de la Mission d’observation de la Ligue arabe en Syrie chargée de vérifier l’application des termes du plan arabe pour résoudre la crise en Syrie et de fournir une protection pour les civils syriens. Il a demandé au Secrétaire général de la Ligue des États arabes à prendre les mesures appropriées pour désigner le président de la Mission d’observation de la Ligue arabe et à prendre les contacts nécessaires avec le gouvernement syrien afin de signer le Protocole d’accord.
3 – Le conseil de la Ligue arabe a adopté la résolution numéro 7441 en date du 24/11/2011 qui demandait au Secrétaire général d’envoyer une mission d’observateurs de la Ligue arabe auprès de la République arabe syrienne qui doit s’acquitter de ses missions en conformité et dans les plus brefs délais avec les dispositions du Protocole dès sa signature.
4 – La République arabe syrienne et le Secrétariat général de la Ligue des États arabes ont signé, le 19/12/2011, le Protocole sur la constitution de la Mission composée d’experts militaires et civils des États arabes et des candidats d’organisations non gouvernementales concernés par les droits de l’homme devant se rendre sur le territoire de la République arabe syrienne. Il est à noter que l’article V mentionne que la Mission d’observation envoie des rapports périodiques sur ses conclusions au Secrétaire général de la Ligue des États arabes et au Gouvernement syrien en vue de soumettre son rapport – pour examen et prise des mesures adéquates – au Conseil des ministres par le biais du Comité ministériel désigné pour le suivi de la situation en Syrie.
5 –  Le Conseil arabe de la Ligue a approuvé en date du  20/12/2011 à la nomination du général Mohammad Mustafa Ahmed al-Dabi de la République du Soudan en qualité de Président de la Mission d’observation de la Ligue arabe.

Deuxièmement : Constitution de la Mission

6 – Le Secrétariat général a demandé aux États membres et aux organisations non gouvernementales arabes de notifier les noms des candidats devant rejoindre la Mission d’observation en Syrie. Et à la lumière de cette procédure, la Mission d’observation des observateurs de la Ligue arabe est constituée – à ce jour –  par 166 membres en provenance de 13 pays arabes et de six organisations non gouvernementales arabes concernées.

Troisièmement : Visite en  Syrie d’une délégation du Secrétariat général.

7 – Dans le cadre de la préparation de la mission, une délégation préliminaire du Secrétariat général s’est rendue auprès de la République Arabe Syrienne le 22/12/2011 pour discuter de tous les préparatifs logistiques nécessaires à la Mission.
8 – En application des dispositions du Protocole, le Gouvernement syrien a confirmé sa disponibilité à fournir toutes les facilités, à livrer l’équipement technique nécessaire au travail de la mission, à garantir la liberté de circulation pour tous les membres de la mission sur l’ensemble du territoire syrien, à assurer la sécurité de ses membres et à ne pas entraver ou empêcher sur le plan sécuritaire et administratif la réalisation des objectifs de la Mission. Il a également insisté sur son engagement à respecter la liberté de la Mission d’organiser les rencontrer et les réunions nécessaires et de fournir à cet effet une protection complète à ses membres tout en mettant en relief la responsabilité des membres de la mission en cas de leur insistance à visiter les zones sur lesquelles les services de sécurité auraient mis en garde contre leur visite. Il a également confirmé son engagement de permettre l’entrée au territoire syrien des journalistes et des médias des pays arabes et internationaux en conformité avec les listes nominatives et avec les règlements en vigueur en Syrie.

Quatrièmement. L’arrivée du chef de la Mission en Syrie et ses visites à caractère  exploratoire.

9 – Le général Mohammed Ahmed Mustafa al-Dabi, chef de la Mission d’observation auprès de la République arabe syrienne, est arrivé le samedi soir 24/12/2011. Il a tenu une série de réunions avec M. Walid Mouallem, ministre des Affaires étrangères, et avec des fonctionnaires du gouvernement syrien qui ont confirmé leur volonté de coopérer pleinement avec la Mission et sont désireux de sa réussite de sa mission et leur disposition à faciliter la visite pour surmonter tous les obstacles rencontrés comme cela a été déjà convenu sur les engagements en matière de logistique et de sécurité garantie pour la Mission.
10 – La partie syrienne a averti qu’il ya certaines zones qui ne seront pas en mesure d’être garanties par les forces de sécurité qui ne peuvent assurer la protection des accès tant pour eux que pour les observateurs craignant leur exposition à la colère des citoyens. Le Chef de la Mission considère que cette situation est par contre favorable à un contact direct avec la population et avec l’opposition sans la surveillance du gouvernement. Il s’agit ainsi de lever la barrière de la peur et mettre les citoyens à l’abri d’éventuelles poursuites ou conséquences qu’ils pourraient redouter des autorités syriennes.
11 – Le chef de Mission a terminé les préparatifs de la mission sur le terrain tant sur le plan technique que sur la fourniture des  moyens de transport et des dispositifs de communication nécessaires pour le démarrage de la mission. Il a également rencontré les membres de la délégation qui venaient d’arriver en Syrie et il les a informés sur les obligations de leur mission et des termes de référence pour effectuer le travail selon les dispositions du protocole. Ensuite, les membres de la Mission ont prêté le serment de réaliser leur mission sur la base du texte que le chef de la Mission a préparé à cet effet.
12 – Le 27/12/2011, le chef de la Mission, accompagné par 10 observateurs, a effectué une visite à caractère exploratoire à la ville de Homs considérée comme l’une des zones les plus sensibles, celle qui a vu des actes de violence et d’affrontements armés entre les militaires et l’opposition syrienne et où il y a encore quelques barrières de sécurité qui séparent les quartiers.
13 –  Après son arrivée à Homs, le chef de mission a immédiatement rencontré le Gouverneur de la ville qui a expliqué qu’elle souffre de la propagation de la violence du fait des groupes armés, des cas d’enlèvements, des actes de sabotage des installations étatiques et civiles, du grand manque de nourriture en raison du siège imposé par les groupes armés dont le nombre est estimé à 3.000 membres. Le Gouverneur de la ville a souligné l’échec de toutes les tentatives pour arriver à une accalmie malgré l’effort des hommes du clergé et des dignitaires de la ville qui ont demandé le recours aux  moyens adéquats pour régler le problème des   soldats et des équipements pris en otage à l’intérieur du quartier de Bab Amrou.
14 – La mission a visité certains quartiers résidentiels (Bab Amrou, Karam as Zeytoun, Khalidiya, Ghouta) sans gardes de protection. Elle y a rencontré un certain nombre de citoyens, les opposants qui ont manifesté contre l’état de terreur, l’état de siège et la violence dont ils souffrent de la part des forces gouvernementales. Elle a vu les effets de la dévastation et la destruction des quartiers le long des périphériques. Cette visite a eu lieu alors que s’effectuaient de tirs nourris entre les antagonistes. La mission a constaté un échange de tirs nourris dans Bab Amrou entre l’armée et l’opposition. Elle a également vu quatre véhicules militaires dans certaines zones incitant le véhicule de la Mission à quitter les lieux. De retour au chef-lieu de la province, il a été convenu avec le gouverneur de maintenir sur place cinq membres de la Mission à Homs pour le lendemain afin de continuer à faire l’évaluation de la situation sur le terrain et de rencontrer le plus grand nombre possible de citoyens.
15 – Immédiatement après le retour de Homs, le chef de la Mission a tenu une réunion avec la partie gouvernementale et lui a demandé de faire retirer les véhicules militaires de la ville, d’arrêter la violence, de protéger les civils, de procéder à la levée du siège et d’assurer la fourniture de nourriture en plus d’échanger les cadavres entre les deux parties.
16 –  La partie syrienne a confirmé, lors de la réunion, l’évacuation de la ville et des quartiers de toutes les formes de conflits armés, sauf le maintien de trois véhicules militaires en panne et encerclés. Il a été demandé l’assistance de la Mission pour la récupération d’un véhicule militaire aux mains des groupes armés contre la libération de quatre membres des groupes et l’échange de cadavres tués (5 de chaque partie). Il a été convenu la permission de l’acheminement des denrées alimentaires de base vers la population de la ville ainsi que l’envoi du véhicule de nettoyage pour enlever les déchets. Il a été convenu, à la fin de la réunion, sur une autre visite de la mission à Homs, le lendemain, accompagné par le major général Hassan Sharif coordinateur de la sécurité de la partie gouvernementale.
17 – Cette visite a été l’occasion de faire connaissance avec une des figures de proue de l’opposition agissant en qualité de responsable de l’information dans l’Assemblée nationale et avec qui s’engagea un long débat sur l’offre faite par le gouvernement syrien ainsi que sur le meilleur moyen de mettre en œuvre cet accord. Ainsi s’est réalisé le retrait et la récupération de tous les véhicules militaires, l’échange des corps des morts, l’entrée des camions chargés de la nourriture et la libération de trois prisonniers et deux femmes de leurs familles en présence de la Mission. Ceci a conduit à calmer la situation dans la ville.
18 – Cinq jours après le déploiement des observateurs de la Mission dans cinq secteurs, la commission ministérielle arabe a demandé au chef de la Mission de présenter aux autres membres du Comité un rapport  sur sa mission. Il s’est donc dirigé vers Le Caire et le 01/08/2012 il a donné un exposé oral devant le comité. Il a été décidé de poursuivre la Mission et de présenter un rapport final comme prévu à la fin de la période déclarée dans le Protocole en l’occurrence le 19/1/2012. Le chef de la mission est revenu à Damas pour poursuivre ses fonctions et faire face à certaines difficultés survenues de la part des parties  pro-gouvernementales et des parties de l’opposition, surtout après les déclarations qui ont suivi la réunion du Comité et communiquées aux médias, mais cela n’a pas d’incidence sur le travail de la mission et son déploiement étendu et progressif dans des zones multiples.
19 – Durant la période écoulée, depuis l’arrivée de la Mission et à ce jour, la Mission a reçu de nombreuses correspondances émanant du Comité syrien chargé de la coordination avec la Mission qui indiquent les pertes humaines et matérielles subies par les institutions et les offices du gouvernement syrien à la suite à des actes de sabotage – selon leurs propos – qui ont affecté – comme ils le mentionnent – tous les secteurs vitaux et les services publics dans l’État syrien.

Cinquièmement : Le déploiement de la Mission des observateurs de la Ligue des États arabes en Syrie.

20 – La mission a déployé ses membres sur 15 secteurs couvrant 20  villes et régions dans l’ensemble de la Syrie, selon les dates indiquées ci-dessous. La raison de la différence de ces dates est la faiblesse de la préparation administrative, technique, y compris l’arrivée de véhicules et des personnes, en tenant compte du fait que la distribution a été équilibrée où chaque secteur a été doté de 10 membres, presque de toutes les diverses nationalités arabes. Ces détachements de la Mission se sont déployés dans les secteurs, les provinces et les villes de Syrie comme suit :

– le 29/12/2011 la Mission a fait  démarrer les 6 secteurs de Damas, Homs, le Rif de Homs, Idlib, Doura Hama.

– le 01/04/2012 a été lancé le secteur d’Alep.

– Le 01/09/2012 ont été  lancés les deux secteurs de Lattaquié et de Deir Al-Zour. Cependant  le 01/10/2012, ils sont retournés à Damas après une exposition à des attaques ayant provoqué des blessures  sur deux  observateurs à Lattaquié ainsi que des pertes matérielles sur les véhicules.

– Le 01/10/2012 s’est déployé un  secteur à Qamishli et Hassaka.

– Le 01/12/2012 s’est déployé un  secteur à Damas.

– le 13/01/2012 4 secteurs ont démarré couvrant  Souida, Abu Kamal Abu, Deir Zor, Palmyre, Sokhna, Banias et Tartous.

– Le 15/1/2012 ont été  lancés les deux secteurs couvrant  Raqqa, Lattaquié et Thora.

 

Annexe 1: répartition détaillée indiquant le nombre d’observateurs,  de leurs nationalités et des lieux de leur déploiement

21 – La répartition des membres des groupes de la Mission s’est effectuée en mettant à leur disposition ce qui  suit :

– Carte topographique de la région.

– Code de conduite de l’observateur.

– Les fonctions du chef de secteur.

– Les fonctions de l’auditeur.

– Du matériel et de l’équipement technique nécessaire (ordinateurs – Caméras – matériel de communication … etc.)

22 – Il a été ouvert également une salle d’opération au siège du bureau de la Ligue arabe à Damas. Cette salle exploitée 24 heures par jour est directement liée à la salle des opérations de la Ligue arabe au Caire et aux différents groupes déployés sur le terrain en Syrie. La salle d’opération recevait les rapports quotidiens des équipes de terrain et tenait à jour l’information et les directives pour assurer de part et d’autre le suivi et l’observation. Le nombre important de tâches a obligé la Mission à ouvrir une salle d’opération annexe au sein de la résidence de la Mission à Damas. Sa vocation était de coordonner la répartition du personnel de la Mission, les comités de suivi, le comité des détenus, le comité des médias, les ressources financières. Elle assure la liaison coordonnée avec la salle d’opération du bureau de la Ligue.

23 – La Mission a rencontré à Lattaquié et à Deir Al-Zour des difficultés en provenance des citoyens loyaux envers le gouvernement et tout particulièrement à Lattaquié  où des milliers de personnes se sont rassemblés autour des voitures de la Mission, scandant des slogans en faveur du président et des slogans hostiles à la mission. La situation est devenue hors contrôle allant jusqu’ l’agression contre les observateurs occasionnant des blessures mineures à deux d’entre eux et la destruction intégrale du véhicule blindé chargé du transport des membres de la mission. La situation est revenue à la normale après que la question a été abordée par le chef de la Mission qui a pris contact avec la commission suprême syrienne chargée de la coordination avec la Mission.  Malgré cela, le chef de la Mission ordonna aux chefs des  secteurs de retourner immédiatement à Damas. Ensuite, il a rencontré Monsieur le ministre des Affaires étrangères à qui il a présenté une protestation officielle très ferme ; de  son côté, la partie syrienne a dénoncé avec vigueur cet incident et a présenté des excuses officielles, tout en expliquant que l’incident n’était nullement. Pour confirmer ses bonnes intentions Monsieur  le vice-ministre des Affaires étrangères a rencontré des membres de la mission de Lattaquié et il leur a expliqué que le gouvernement syrien va travailler à corriger le déséquilibre immédiatement pour assurer la sûreté et la sécurité du personnel des missions, où qu’ils soient, et s’est excusé pour les événements qu’il considérait comme regrettables et involontaires. Enfin, les membres des deux secteurs ont été redéployés vers de nouveaux secteurs après leur avoir accordé un repos de 4 jours.

Sixièmement : La mise en œuvre de la mission, en conformité avec les dispositions du Protocole

24 –  Le chef de la Mission tient à souligner que cette observation qui concerne les 24 termes du Protocole est une synthèse de l’évaluation des secteurs, elle est rédigée à partir des indications fournies par les chefs de secteurs au cours de leur rencontre avec le chef de la Mission le 17/1/2012.
A- La surveillance et le suivi de l’application intégrale de la cessation de toutes les formes et de toutes les sources de violence dans les villes et les quartiers.La violence et sa source dans les villes et les quartiers :
25 –  Lorsque les observateurs ont été déployés dans les différents secteurs, ils ont repéré au début de leur mission des actes de violence commis par les forces gouvernementales et des échanges de tirs avec des éléments armés à Homs et Hama. En  raison de l’insistance de la mission de faire arrêter tous les actes de violence et de provoquer le retrait des véhicules et du matériel, alors a commencé le processus inverse : enregistrer un retour au calme progressif. Les derniers rapports de la récente mission enregistrent un calme remarquable et une réelle retenue de la part des sources et des canaux de la violence.
26 –  La Mission a observé dans les deux secteurs de Homs et Hama des actes de violence du fait des groupes armés contre les forces gouvernementales, qui ont fait des tués et des blessés parmi les troupes gouvernementales. Dans certaines situations, les forces gouvernementales ont recours à la violence comme  réaction aux attaques perpétrées contre ses membres. Les observateurs de la mission ont noté que les groupes armés ont recours aux   bombes thermiques et aux missiles anti-blindage.
27 – La Mission a été témoin dans les secteurs de Homs, Idlib et Hama des actes de violence contre les troupes gouvernementales et contre les citoyens entraînant de nombreux décès et blessures. C’est le cas de l’explosion de l’autobus civil, tuant huit personnes et blessant plusieurs autres, dont des femmes et des enfants ; celui du sabotage à l’explosif d’un train chargé du transport du diesel ainsi que d’autres événements à Homs, dont la destruction de l’autobus de la police tuant deux d’entre eux, l’attaque à l’explosif du pipeline de carburant, et autres attentats de moindre importance.
28 – La mission a noté l’émission de faux rapports émanant de plusieurs parties faisant état de plusieurs attentats à la bombe et de violence dans certaines régions. Lorsque les observateurs se sont dirigés vers ces zones pour enquêter, les données recueillies montrent que ces rapports ne sont pas crédibles.
29 – La mission a noté également, se basant sur les documents et les rapports émanant des équipes sur le terrain, qu’il ya des exagérations médiatiques sur la nature et l’ampleur des accidents et des  personnes tuées ou blessées à la suite des événements et des manifestations qui ont eu  lieu dans certaines villes.
B – La vérification que les manifestations pacifiques étaient à l’abri tant des attaques  des  services de sécurité syriens que  des opérations de sape  menées par  des groupes organisés
30 –  L’observation des rapports récents reçus par les chefs d’équipes sur le terrain en conjugaison avec la réunion tenue directement avec le chef de la Mission du  17/01/2012 pour la préparation de ce rapport montrent qu’il y a des manifestations pacifiques dans certaines régions. Les partisans comme les adversaires de l’autorité n’ont été soumis à aucune répression. Il est à noter que les frictions observées étaient dirigées contre la Mission ou entre les partisans et les opposants du régime sans qu’il y ait à signaler des pertes, et ce depuis le dernier exposé qui a eu lieu avec le comité ministériel sur la Syrie lors de sa réunion du 01/08/2012
31 – Les rapports sur le terrain et les déclarations des chefs de secteurs mettent en évidence que les opposants parmi les citoyens syriens informent la mission de ses rassemblements et en profitent pour faire du déploiement de la Mission un bouclier faisant obstruction à l’intervention des forces de sécurité. Ce phénomène a commencé à s’estomper progressivement.

32 – La mission a reçu également de l’opposition à Homs et Doura des réclamations demandant le maintien de la présence des organes de la Mission exprimant peut-être leur crainte de subir des agressions après le départ de la Mission.

 

C- L’Assurance de la libération des détenus du fait des événements actuels.

33 –  La Mission a reçu des communiqués en provenance de l’extérieur de la Syrie faisant état du nombre de détenus syriens s’élevant à 16237. Elle a reçu des communiqués en provenance de l’opposition à l’intérieur de la Syrie faisant état du nombre de détenus syriens s’élevant à 12005. Les équipes de terrain de la Mission se sont attelées à vérifier la validité de ces chiffres découvrant ainsi l’existence de déclarations contradictoires, des informations incomplètes, inexactes, et la présence de noms dupliqués. La Mission poursuit son investigation avec les agences gouvernementales concernées pour parvenir à la véracité des chiffres.
34 –  La Mission a remis au Gouvernement syrien toutes les listes reçues tant par l’opposition de l’intérieur que par des parties tout en exigeant la libération de ces détenus conformément à la mise en œuvre du Protocole.
35 – En date du 15/1/2012, le Président Bachar al-Assad a promulgué un décret dont les termes et le contenu sont l’octroi d’une amnistie générale pour les crimes commis dans le contexte des événements qui sont survenus depuis le 15/03/2011 jusqu’à la date de publication du présent décret. L’application de ce décret incombe aux autorités gouvernementales compétentes afin de libérer des détenus dans les différentes régions par vagues successives à l’exclusion des personnes poursuivies pour d’autres affaires judiciaires. La Mission avait pour rôle de superviser la libération des détenus et de suivre l’actualité du problème avec le gouvernement, en assurant la pleine coordination avec le gouvernement et en interpellant le gouvernement qui est tenu d’apporter des réponses.
36 – Le gouvernement syrien a rapporté le 19/1/2012 que 3569 détenus ont été libérés par les juridictions militaires et civiles. La mission a vérifié, jusqu’à ce jour,  la libération effective de 1669 détenus.  Et la Mission continue de poursuivre la mise en application de ce décret tant avec le gouvernement qu’avec l’opposition jusqu’à la confirmation définitive de la libération de tous les détenus, et ce en présence des Observateurs de la Mission ou par l’authentification des documents relatifs à cette procédure.
37 – La Mission a constaté, à ce jour, que le nombre total de détenus  libérés par  le gouvernement syrien est  comme suit :
– Avant le décret d’amnistie: 4035 détenus.
– Après le décret d’amnistie: 3569 détenus.
Soit un total de 7604 prisonniers  libérés comme  rapporté par le gouvernement.
38 – La mission a enquêté sur la validité du nombre de détenus qui ont été libérés et elle est parvenue, à ce jour, à mettre en évidence les éléments suivants:
– Avant le décret d’amnistie 3483 détenus libérés.
– Après le décret d’amnistie 1669 détenus libérés.
Portant le total des détenus libérés que confirme la Mission à 5152 détenus. La Mission poursuit son travail de vérification sur le terrain et continue d’effectuer le suivi auprès du gouvernement syrien afin de libérer les autres détenus.
D – L’assurance du retrait et de l’évacuation de toutes les formes d’expression  armée des villes et des quartiers qui ont vécu ou peuvent vivre  des manifestations et des mouvements de protestation.
39 – La Mission a confirmé à travers les rapports des chefs d’équipes sur le terrain et sur la base de la rencontre directe effectuée entre tous les chefs de secteurs de la Mission du 17/1/2012, que tous les véhicules militaires, les véhicules blindés et l’armement lourd ont été retirés de l’intérieur des villes et des quartiers même s’il persiste toujours une présence sécuritaire qui se reflète par les monticules de terre, et par certaines barricades dans les principaux édifices et places publiques, mais ces barricades sont hors d’atteinte des  citoyens. À ce titre, il faut noter ici que lors de la rencontre du chef de la Mission avec le ministre syrien de la Défense le 1.5.2012, ce dernier l’a assuré de sa disponibilité à l’accompagner dans tous les sites et villes désignés par le chef de la Mission, où la Mission pourrait y soupçonner la présence de forces armées et d’armement non retirés afin que sur place les ordres de retrait et d’évacuation émanant du ministre de la Défense viennent combler sur-le-champ et immédiatement les manquements ou les violations observées sur le terrain.
40 –  La présence de véhicules blindés (transporteurs, de troupes) sur certains postes de contrôle, l’un à Homs, et certains dans Madaya et Zabadani proche de Damas, a été signalée. Et de fait, ils ont été immédiatement retirés de Homs. Il a été permis de s’assurer également que les habitants de Zabadani et Madaya avaient conclu un accord bilatéral avec le gouvernement qui a abouti au retrait immédiat des barrières et des véhicules militaires.
E – Vérification des agréments accordés par le gouvernement syrien aux médias arabes et internationaux, et enquête sur les possibilités offertes à ces médias de se déplacer librement dans toutes les régions de la Syrie
41 – Le gouvernement syrien, par la voix de son ministre de l’information, a confirmé avoir accordé l’agrément à 147 divers médias arabes et étrangers depuis le début de décembre 2011 et jusqu’au 15/01/2012. 112 divers médias étrangers nouveaux ont visité le territoire syrien en plus des  90 médias déjà présents sur le territoire syrien qui disposent de correspondants permanents.
42 –  La Mission a suivi cette question et a observé la présence de 36  médias arabes et étrangers et un certain nombre de journalistes dans un certain nombre de villes syriennes. Elle a reçu quelques plaintes qui indiquent que le gouvernement syrien a accordé des autorisations pour certains médias d’opérer en Syrie pour une durée n’excédant pas 4 jours considérés comme durée insuffisante de leur point de vue, en plus de ne pas permettre leur déplacement à l’intérieur du  pays à moins d’indiquer au préalable leur destination et de demander une autre certification pour se rendre à certaines zones sensibles. Le gouvernement syrien se dit prêt à accorder aux médias des mandats de 10 jours renouvelables.
43 – Des rapports et des déclarations de certains secteurs de la Mission montrent l’existence de restrictions gouvernementales sur le déplacement des médias dans les lieux de l’opposition, incitant ces journalistes à se déplacer, dans de nombreux cas, derrière le déplacement de la mission, pour exercer leurs fonctions.
44 –  La ville de Homs a été le témoin de l’assassinat d’un journaliste français travaillant pour France 2, et de la blessure d’un journaliste de nationalité belge. Sur ces deux cas, le gouvernement et l’opposition ont échangé les accusations sur la responsabilité de chacun des  incidents et ils ont publié, chacun, des déclarations condamnant la partie adverse. Le gouvernement syrien a constitué une commission gouvernementale d’enquête sur l’incident pour déterminer ses causes. Il faudrait noter que les rapports de la Mission de la Ligue arabe à Homs indiquent que le journaliste français a été tué à la suite des tirs de mortier par l’opposition.
Annexe 2 : Identification des médias qui ont été observés sur place par la Mission et des médias qui sont entrés en Syrie (selon les déclarations officielles)

Septièmement : Les obstacles rencontrés par la mission.

A- les observateurs
45 – Il n’a pas été tenu compte, dans certains cas, de la nomination d’experts dans le domaine de l’observation capables d’assumer leurs responsabilités et disposant d’une expérience préalable dans le domaine.
46 –  Certains observateurs n’ont pas évalué le poids réel de leurs responsabilités ni l’importance de faire prévaloir les intérêts arabes sur les intérêts personnels.
47 – Durant le travail de terrain a été constaté le manque flagrant de compétence de certains observateurs à affronter la complexité et à faire face aux situations difficiles qui sont pourtant au cœur de leurs prérogatives, sachant que la spécificité de ces fonctions nécessite des qualifications singulières et des spécialités adéquates avec la mission d’observateur.
48 – Un certain nombre d’observateurs participant à la Mission présentent un âge trop avancé alors que d’autres présentent un état de santé déficient les rendant ainsi inaptes à exercer les fonctions pour lesquelles ils ont été proposés.

 

49 –  Vingt deux (22) observateurs se sont excusés de ne pouvoir continuer d’accomplir  leur mission pour des raisons personnelles, certains ont avancé d’autres arguments factices que le chef de mission a jugés inacceptables, alors que d’autres se sont avérés agissant  pour leur propre agenda.

 

Annexe 3 : dévoilement de la liste des  observateurs de la mission d’observation de la  Ligue des États arabes qui n’ont pas poursuivi leur mission.

50 – Le manque d’engagement de certains observateurs, la violation de leurs obligations et du serment prêté le jour de leur engagement, l’entrée en contact avec des responsables de leurs pays d’origine et la communication avec transfert des informations sur les activités de la Mission d’une manière exagérant la situation réelle. Tout ceci a    conduit certains fonctionnaires à une  compréhension erronée de la  situation réelle présentée à tort comme sinistre, et à évaluer les résultats probants acquis sur le terrain d’une manière malsaine.
51 – Certains observateurs des secteurs ont exigé un hébergement similaire à celui de leurs homologues résidents à Damas sinon à une rétribution correspondant à la différence des standings d’hôtels, de lieux d’hébergement ou de séjour à Damas, ou bien encore à vouloir demeurer sur place à Damas et ne pas se rendre sur le terrain. Cette situation se passe de tout commentaire.

52 – Les situations à risque dans certains endroits,  la peur de certains observateurs d’accomplir leurs devoirs dans cette atmosphère de risque, et le manque de véhicules blindés dans chaque poste d’observation et des gilets pare-balles ont fini par avoir un impact négatif sur la performance des fonctions et l’exercice des obligations de certains membres de la Mission.

 

Commentaire  du Chef de la Mission sur les observateurs de la Mission arabe :

53 – Certains observateurs, malheureusement, voyaient leur présence en Syrie comme un voyage d’agrément et de loisir, mais ils ont été surpris par la réalité du terrain, par le déploiement à travers les secteurs, et par le maintien dans des postes d’observation en dehors de la capitale, se trouvant ainsi confrontés à des difficultés auxquelles ils ne s’attendaient pas et n’y étaient pas préparés.
54 –  Le déficit de sensibilisation des observateurs au terrain et de connaissance de la région et de sa géographie ainsi que le manque de véhicules blindés et de gilets pare-balles ont eu un effet désastreux sur l’esprit de certains observateurs.
55 – La confrontation de certains observateurs aux provocations des partisans tant de l’opposition que du gouvernement a eu également un impact négatif sur leur moral.

56. Malgré toutes les remarques qui ont été émises, on dira que le rendu de beaucoup d’observateurs a été remarquable, et mérite compliments et considération. Les quelques maladresses enregistrées vont être corrigées avec la pratique et les instructions qu’il faut.

B. Les contraintes sécuritaires :

57. Malgré l’accueil favorable réservé par le Gouvernement aux membres la Mission et son chef et son assurance de ne pas vouloir imposer des restrictions sécuritaires de nature à entraver l’activité de la mission, il n’en demeure pas moins que le Gouvernement a essayé, par le biais d’une stratégie bien ficelée, d’empêcher que la mission n’arrive au fin fond des régions et il s’est employé à la distraire par des questions relevant de son seul intérêt. Mais la mission a fini par juguler ces manœuvres pour poursuivre son entreprise et a dépassé les obstacles érigés devant elle.

C. Moyens de communication :

58. La mission des observateurs se met en contact avec différents groupes en passant par le réseau national syrien, plus précisément les téléphones portables et les télécopies. Etant donné que ces moyens de communication sont indisponibles par moments, cela rend impossible la prise de contact.

59. Le nombre de téléphones satellitaires Thuraya mis à la disposition de la Mission sont au nombre de 10. Mais en raison de difficultés de liaisons par satellite, leur utilisation s’est trouvée compromise à l’intérieur des bâtiments. Les téléphones cellulaires et les télécopies les ont remplacés pour l’envoi des rapports quotidien, mais ce sont deux moyens de communication non sécurisés.

60. Quant aux moyens de communication dont devaient disposer les observateurs Qataris, ils ont été saisis sur les frontières jordaniennes nonobstant leur réclamation par le chef de la Mission. Mais quand bien même les autorités syriennes consentiraient à les autoriser, ils seraient insuffisants pour couvrir tous les sites et toutes stations.

61. Comme la Mission ne disposait pas de quoi établir et maintenir la communication au sein d’un même groupe, l’ambassade chinoise a mis à la disposition de la Mission 10 talkie walkie. Ceux-ci n’ont été utilisés que dans trois secteurs.

62. Le réseau internet est indisponible dans certaines régions, et irrégulier, dans certaines autres régions dont la capitale.

63. Il n’existe pas de caméras à bord des voitures, qui auraient facilité la mission des observateurs dans les zones dangereuses.

C. Moyens de transport :

64. Le total des voitures utilisées par la Mission est au nombre de 38 (23 voitures blindées et 15 non blindées) dont 28 sont des 4×4 et les 10 autres de simples berlines, sachant que la nature de la mission des observateurs aurait impliqué que toutes les voitures soient des 4×4 blindées. Ainsi le nombre actuellement disponible est insuffisant dans la mesure où il ne permet pas de se déplacer dans toutes les zones chaudes.

65. La Mission a procédé à la location de voitures sur le marché local pour les utiliser dans le cadre de son travail. Mais devant les troubles déclenchés par l’arrivée des groupes d’observateurs sur le terrain, les sociétés de location ont résilié les contrats, soucieuses qu’elles étaient de la sécurité de leurs chauffeurs et de leurs voitures.

66. La Mission a rencontré des problèmes pour trouver des chauffeurs en raison du refus de membres de l’opposition à ce que des chauffeurs liés à des organismes de sécurité gouvernementale accèdent à leurs régions. Ce qui a finalement obligé les observateurs à conduire eux-mêmes les voitures.

67. Certains observateurs ont demandé à utiliser les voitures que leurs pays respectifs ont envoyées, ce à quoi s’est opposé le Président de la Mission qui a procédé à la distribution des voitures suivant les besoins de chaque secteur.

D. Les médias :

68. La Mission a fait l’objet d’une propagande médiatique féroce depuis le commencement de ses travaux et qui se poursuit aujourd’hui. Certains médias ont même publié des déclarations infondées en les imputant au Président de la Mission. Ils se sont également employés à exagérer certains faits de sorte que la réalité s’en est trouvée altérée.

69. Ce traitement médiatique faussé a contribué à augmenter la frustration des syriens et a nui au travail des observateurs. Il a également utilisé certains observateurs aux fins de nuire à la réputation de la Mission et son Président et faire échouer la mission.

Point huit : Les besoins essentiels de la Mission en cas de prorogation:

Ajouter cent nouveaux jeunes observateurs, avec une préférence pour les militaires.

30 nouvelles voitures blindées.

Des gilets pare-balles légers.

Des appareils photos transportables dans les voitures

Des moyens de communication élaborés.

Des lunettes de vision nocturne

Neuvième point : la réforme :

70. L’objectif visé par le protocole est la protection des citoyens syriens en engageant le gouvernement syrien à arrêter les violences, à libérer les détenus et à retirer l’armée des villes et zones habitables comme première étape visant à aboutir à un dialogue entre les différentes parties syriennes qui se concrétiserait politiquement. Le cas échéant, l’opération des observateurs s’enliserait sans réaliser sur le terrain les résultats escomptés.

71. La Mission a constaté l’existence d’un élément armé non visé par le Protocole et dont l’apparition (antérieure à son arrivée) a été la conséquence de l’utilisation excessif de la violence de la part des forces de sécurité à l’occasion des manifestations qui ont appelé à la chute du régime. Cet élément armé agresse dans certains secteurs les forces de sécurité syriennes et les citoyens syriens, ce qui provoque une réaction de la part du Gouvernement. Les citoyens innocents qui se trouvent en étau, en paient un lourd tribu en morts et blessés.

72 Dans toute la Syrie, la Mission a été favorablement reçue par l’opposition. La présence de la Mission a inspiré un sentiment de confiance chez les citoyens qui les a incité a lui présenter leurs doléances, et ce malgré la crainte éprouvée par l’opposition devant autant de franc-parler, car pesait encore sur elle la crainte des arrestations dont elle avait souffert avant l’arrivée de la Mission en Syrie, si l’on exclut la période qui a suivi la parution du dernier communiqué du comité interministériel, qui a vu l’intensité de la violence se réduire progressivement.

73. La Mission a également constaté la bonne disposition du Gouvernement à réussir sa mission et l’aider à dépasser toutes sortes d’obstacles. Le Gouvernement a également facilité la tenue de toutes sortes de rencontres sans exception et n’a pas cherché à imposer des restrictions quant aux déplacements des observateurs et les rencontres qu’ils effectuèrent avec les citoyens syriens, qu’ils soient au nombre des pro-gouvernementaux ou des opposants.

74 La Mission a relevé un état de grave frustration dû à l’injustice et l’oppression éprouvées par les Syriens. Ceux-ci sont néanmoins convaincus de la nécessité d’une résolution pacifique et arabe la crise syrienne, sans l’internationaliser, pour qu’ils puissent vivre en paix et sécurité, et pour que se réalisent les réformes et les changements escomptés. La mission a pris également connaissance du fait qu’une partie de l’opposition a pris les armes, notamment à Deraa Homs Hama et Edleb, en réaction à la grande souffrance du peuple syrien, à son oppression par le régime politique et à la corruption qui a touché tous les secteurs de la société, sans compter la pratique de la torture et les atteintes aux droits de l’homme.

75. L’occurrence de certains évènements est une évolution pouvant creuser davantage le fossé entre les diverses parties et accroître leur amertume. Les conséquences de ces évènements sont graves : pertes en vies humaines et divers dommages matériels. Il s’agit plus précisément des explosions qui ont pris pour cible les bâtiments, les trains et les véhicules de ravitaillement en carburant, les forces de police, les institutions médiatiques et le transport par pipeline.

Certaines de ces opérations ont été revendiquées par l’Armée Libre, d’autres par des parties armées liées à l’opposition.

76. La Mission a procédé à l’exécution de sa tâche de la manière la plus conforme à ce qui a été stipulé dans le Protocole, à travers une présence quotidienne sur le terrain, en observant une neutralité et une indépendance garantissant une perception fidèle et transparente de la réalité. Et ce malgré les difficultés rencontrées et le comportement de certains éléments indisciplinés.

77. La durée d’un mois fixée par le Protocole pour le travail de la Mission ne suffit pas à l’accomplissement des préparatifs administratifs, elle est a fortiori insuffisante pour l’accomplissement du travail lui-même, dont la durée effective n’a été que de 23 jours. C’est une durée insuffisante eu égard au grand nombre de stipulations du Protocole dont il faudrait s’acquitter et à la nécessité de côtoyer les syriens pendant une assez longtemps s’étendait sur quelques mois et parfois de nombreuses années.

78. La crédibilité de la Mission a été mise en doute auprès des téléspectateurs et auditeurs arabes et étrangers qui suivent certains médias usant de techniques d’information visant à déformer les réalités. Il demeure difficile de juguler cette difficulté sauf à faire bénéficier la Mission d’un soutien politique et médiatique. Et quand bien même ressurgiraient alors certaines lacunes, cela n’en demeure pas moins normal dans ce genre de missions et d’activités.

79. La Mission est arrivée en Syrie après que des sanctions aient été imposées à ce pays pour l’amener à accepter le Protocole. Malgré cela, la Mission a été bien reçue tant par les militants progouvernementaux que par les opposants ou même le Gouvernement lui-même. Mais demeure la question quant à la façon par laquelle la Mission poursuivra son travail. Il est à relever dans ce sens que la tâche assignée à la Mission, telle que fixée par le Protocole, a subi quelques changements au vu des évolutions du terrain et des violentes réactions qui ont parfois suivi de la part de parties non citées par le Protocole. Autant d’évènements rendant nécessaire un changement et une évolution dans la nature de la tâche dévolue à la Mission. Il est alors nécessaire de rappeler que le point de départ demeure l’arrêt de toute violence pour que la Mission puisse accomplir sa tâche dans un climat susceptible de déblayer la route, in fine, vers l’accord politique.

80. Si accord il y a, quant à la fixation de la durée de travail de la Mission, il faudra que celle-ci dispose des équipements et des moyens de communication et de transport nécessaires à l’accomplissement de sa mission sur le terrain.

81. D’un autre côté, mettre un terme au travail de la Mission après une si courte durée aura raison des résultats positifs – même incomplets – réalisées jusque là. Cela aboutirait également sur le terrain à un état de chaos, étant donné que les parties concernées ne sont ni prêtes ni disposées à présent à entamer le processus politique devant résoudre la crise syrienne.

82. Les intentions des uns et des autres à l’égard la Mission, depuis sa constitution, n’ont pas été sincères et pour ainsi dire pas sérieuses. Avant même que la Mission entame son travail et avant même l’arrivée des observateurs, une campagne féroce a pris pour cible la Ligue arabe et le Président de la Mission. L’intensité de cette campagne s’est renforcée pendant la mission. La Mission souffre encore d’un manque de soutien politique et médiatique l’empêchant de mener à bien sa tâche. Si la durée de cette mission devait se prolonger, les objectifs du Protocole ne pourraient se réaliser que moyennant l’apport d’un tel soutien qui renforcerait la Mission et permettrait de faire aboutir la Solution Arabe à la crise.

Dixième point : les recommandations :

83. A la lumière de ce qui a été énoncé, et considérant ce qui a été réalisé en termes de résultats conformément aux dispositions du Protocole que le Gouvernement syrien s’est engagé à exécuter, je suggère:

La nécessité d’apporter toutes sortes de soutien administratif et logistique que requiert la Mission en vue de bien s’acquitter de sa tâche.

D’apporter un soutien médiatique et politique en vue de créer un climat propice à l’accomplissement convenable de la mission.

D’insister sur la nécessité d’accélérer le processus politique et lancer le dialogue national en parallèle avec le travail de la Mission en vue de favoriser un climat de confiance permettant la réussite de la Mission et évitant un vain maintien en Syrie.

Que Dieu nous aide.

Le Président de la Mission

Général Mohamed Ahmad Moustapha El Dabi

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Traduit de l’arabe par Omar Mazri et Ahmed Manai

Coopérative : Définition

Fondements des principes coopératifs
Par Michel Lafleur,
directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement pour les coopératives de l’Université de Sherbrooke (
IRECUS)

«Il existe depuis plus d’un siècle une autre façon que celle proposée par les écoles d’administration de concevoir la gestion des organisations et le développement: les coopératives. Une vision basée sur les besoins des gens, où le capital sert de moyen et où les excédents (ou profit dans le langage capitaliste) ne sont pas redistribués selon le capital investi.

La coopérative est «une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement». 1 Ce type d’entreprenariat est né suite aux critiques faites par certains penseurs sur les lacunes du capitalisme naissant. La première coopérative à connaître le succès, la Société des équitables pionniers de Rochdale, en Angleterre, est le résultat d’une synthèse de certains penseurs de l’époque (Fourrier, King, Owen, Saint-Simon, Buchez, Plockboy, Proudhon, etc. ). Les pionniers de Rochdale ont ainsi réussi à appliquer concrètement des principes de développement dans une dynamique entrepreneuriale.

Ces critiques des lacunes du capitalisme naissant et leur transposition sous forme de principes découlent d’une vision novatrice du développement. Une vision qui s’incarne dans les valeurs fondamentales des coopératives; la prise en charge et la responsabilité personnelle et mutuelle, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité. Fidèles à l’esprit des fondateurs, les membres des coopératives ont adhéré à une éthique basée sur l’honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme. Ces valeurs fondamentales se sont ensuite transformées en principes, qui ont évolué avec le temps, pour former aujourd’hui les sept principes coopératifs qui constituent les lignes directrices devant permettre aux coopératives de mettre leur vision du développement en pratique.

De façon générale, ces critiques tournaient autour de deux grands thèmes. Le premier touche le rôle du capital. Les auteurs reprochent au système capitaliste naissant d’accorder aux seuls détenteurs de capitaux tous les bénéfices de l’entreprise grâce uniquement à leurs investissements financiers sans que ces derniers participent réellement à la création de cette richesse. Pour ces penseurs, ce n’est pas dans le capital (investissement) que se situe la vraie richesse d’une nation, mais dans le travail (les coopératives de travail, point de vue de l’école française) ou dans la consommation (les coopératives de consommation, point de vue de l’école anglaise). La célèbre parabole de Saint-Simon sur les industriels (ou détenteurs de capitaux) résume bien cette pensée 2. Ces auteurs dénoncent ainsi les revenus sans travail (coopérative de travail) ou le fait que les intermédiaires facturent une surcharge aux prix des produits sans que ceux-ci n’ajoutent une réelle valeur au produit (coopérative de consommateurs).

En résumé, est critiqué le fait que les détenteurs de capitaux obtiennent tout le bénéfice de l’entreprise pour eux seuls. Les auteurs proposent que le capital ne soit pas l’unique moteur, décideur et bénéficiaire du développement. Ainsi naissent les principes coopératifs suivants: • Les décideurs seront ceux qui participent à l’objet de la coopérative, soit les travailleurs (coopérative de travail), les consommateurs (coopérative de consommation) ou les producteurs (coopérative de producteurs). Ces personnes éliront des représentants qui seront responsables devant elles. Seule la qualité de membre donne accès à ce droit de vote qui n’est donc pas proportionnel à l’argent investi. Conséquemment, ce n’est pas l’argent qui sera la finalité des décisions mais les besoins des membres. C’est le principe coopératif du pouvoir démocratique exercé par les membres (un membre = un vote).
• L’argent nécessaire au démarrage et au développement de la coopérative doit provenir de ses membres. Comme ce capital n’est pas la raison d’être de la coopérative, chacun recevra une rémunération limitée décidée par les membres. De plus, les surplus de fin d’année seront redistribués en proportion de l’usage que font les membres de la coopérative et non de l’argent investi; les membres créeront une réserve impartageable qui rendra une partie de la coopérative inaliénable et patrimoine de la communauté et, finalement, une partie des surplus de fin d’année pourra être affectée à différentes activités de la communauté. C’est le principe coopératif de la participation économique des membres.
• La coopérative, dans toutes ses activités et tous ses partenariats éventuels avec l’État ou avec d’autres organisations doit préserver le pouvoir démocratique des membres et assurer l’indépendance de la coopérative face à ces organisations. En aucun temps, ses partenariats doivent compromettre la capacité de la coopérative de prendre ses décisions en fonction de son objet. C’est le principe coopératif de l’autonomie et de l’indépendance.
Les critiques portent en deuxième lieu sur l’organisation de ce changement. On réfléchit sur la meilleure forme possible d’organisation pour amener les changements nécessaires à la solution des problèmes de développement. On peut regrouper les différentes solutions proposées autour de trois écoles. Une première porte sur la défense des droits des travailleurs par le moyen de l’organisation syndicale. La deuxième prône des changements politiques majeurs de la société par une organisation politique de type socialiste ou communiste. Une troisième école, celle du coopératisme, propose une solution entrepreneuriale, soit l’organisation coopérative.
• Les auteurs de l’école entrepreneuriale décriaient la situation de pauvreté dans laquelle vivaient les classes laborieuses malgré la richesse des industriels et de la classe bourgeoise; ils dénonçaient l’exploitation de l’homme par l’homme. Selon eux, seule une révolution par cette classe laborieuse pouvait renverser la situation; on ne pouvait se fier aux gouvernements en place ou aux détenteurs de capitaux. Ces exploités devaient prendre eux-mêmes leur propre développement en main, être solidaires et permettre à tous, dans une dynamique démocratique, de participer à ce développement. Il fallait donc créer une organisation entrepreneuriale qui reposerait sur ces bases. D’où les autres principes coopératifs suivants:
• L’idée de base de la coopérative est de regrouper librement des gens qui ont un besoin commun, soit obtenir un produit ou un service (coopérative de consommateurs), vendre une production (coopérative de producteurs) ou se trouver un emploi (coopérative de travailleurs). Ce faisant, ces personnes regroupées en coopératives veulent bâtir un projet selon les valeurs du coopératisme et solutionner un problème que le marché traditionnel ne solutionne pas à leur pleine satisfaction (salaire trop faible, mauvais approvisionnement, prix trop élevé, faible retour sur la production, etc.). Mais, il ne faut pas qu’un groupe de personnes au sein d’une coopérative en viennent à garder uniquement pour eux un avantage au détriment d’autres personnes qui voudraient contribuer positivement au projet de la coopérative. L’entrée à la coopérative doit être toujours ouverte et libre. Également, aucune discrimination ne peut servir d’excuse pour refuser l’entrée d’une personne au sein d’une coopérative. C’est le principe coopératif de l’adhésion volontaire et ouverte à tous.
• Comme la coopérative est une forme d’organisation avec des valeurs et des principes particuliers, elle doit s’assurer que ses membres, dirigeants, gestionnaires et employés comprennent bien sa nature et sa dynamique afin d’obtenir un apport optimum de chacun. La coopérative doit aussi s’assurer d’informer le grand public sur la nature du projet coopératif. C’est le principe coopératif de l’éducation, la formation et l’information.
• La coopérative ne doit pas évoluer en vase clos, au contraire, elle doit se regrouper sous forme de fédération et de confédération dans le but de mieux servir ses membres et de renforcer le mouvement coopératif. C’est le principe de la coopération entre coopératives.
• Avec l’émergence des problématiques liées à l’environnement, les coopératives doivent contribuer, à leur façon, au développement durable de leur communauté. C’est le principe coopératif, datant de 1995, de l’engagement envers le milieu.
Voilà en résumé le projet coopératif: sept principes qui résument la vision du développement et qui guident la gestion de ce type d’entreprise.»


Notes
1. Alliance coopérative internationale, Déclaration sur l’identité coopérative, 1995
2.Voir sur le site de l’Université Lumière de Lyon

Source: MICHEL LAFLEUR, « Gestion et développement: les coopératives au cœur du développement durable« , L’Agora, vol 10 no 2, automne 2003

Coopération et coopératives

Jacques Dufresne

Cette étude est une contribution de l’Agora à l’année internationale des coopératives

10 septembre 2012

De la main invisible à la main tangible

Dans un récent numéro de la revue Le Coopérateur, organe de la Coop fédérée, monsieur Antoni Bérard, pionnier de la coopération au Québec, né en 1919, fondateur de la coopérative Agrivert, terminait ainsi son témoignage : «Dans ce temps-là, les coopératives étaient vues comme un outil indispensable d’émancipation des Canadiens français.» Elles sont toujours un outil d’émancipation pour les groupes les plus vulnérables de la planète.

 Mais peut-on considérer l’émancipation comme achevée, même dans les régions les plus favorisées, lorsque les spéculateurs de quelques grandes places financières jouent à perte les biens produits par des milliards de travailleurs et lorsqu’une poignée de multinationales décident de tout en matière d’exploitation des ressources naturelles, pendant que d’autres achètent des terres par milliers d’hectares dans des pays qui n’ont pas encore eu l’occasion de se les approprier vraiment?

 C’est pour toutes ces raisons que les Nations Unies ont fait de 2012 l’année internationale des coopératives. En raison de la crise financière qui l’a marquée, l’année 2008 fut pour le néo-libéralisme, sinon l’équivalent de 1989 pour le communisme, du moins un humiliant avertissement. Comme le libéralisme classique dont il est l’exacerbation, le néo-libéralisme repose sur l’idée qu’une main invisible fait concourir au bien commun les comportements égoïstes de chacun. En 2008, on constata que la main invisible, magique, mécanique, devient de plus en plus voleuse à mesure qu’elle se laisse emporter par l’abstraction et la vitesse.

 Comme le néo-libéralisme était devenu l’idéologie unique, le communisme à l’autre pôle s’étant discrédité, la panique s’empara des esprits les plus lucides. Un retour à l’histoire de l’économie leur permit de découvrir que le remède se trouvait du côté de la main tangible, celle que l’on voit, que l’on touche, que l’on serre et qui, pour cette raison, symbolise parfaitement cette réalité incarnée appelée coopération.

 La journée internationale des coopératives, célébrée chaque année le premier samedi de juillet, existe depuis 1992. Celle de 2009 fut pour le Secrétaire général des Nations Unies l’occasion d’une déclaration dont la portée historique deviendra de plus en plus manifeste avec le temps.

 «Le thème de la Journée internationale des coopératives pour cette année (« Stimuler le relèvement économique à l’aide des coopératives ») met l’accent sur la valeur de l’entreprise coopérative. Les coopératives peuvent accroître la capacité de résistance des groupes vulnérables. Elles peuvent aider à créer des marchés plus équilibrés pour les petits exploitants et donner aux petites entreprises l’accès à des services financiers. Elles peuvent créer des emplois et améliorer les conditions de travail. Le modèle économique des coopératives ne repose pas sur la philanthropie mais sur l’auto-assistance et la réciprocité. Dans les pays frappés par la crise financière, tandis que d’autres institutions financières ont dû réduire l’offre de crédit, le secteur des banques coopératives et des coopératives d’épargne et de crédit l’a élargie, atténuant ainsi les conséquences du gel du crédit pour les plus vulnérables. Cela montre combien des modèles d’organisation parallèle solide et la diversité des entreprises importent au regard d’un système financier endurant. Les coopératives méritent un appui plus large. J’exhorte les gouvernements à prendre des mesures qui favorisent la création et l’expansion des coopératives.»i L’argumentaire relatif à 2012, année internationale des coopératives sera le même.

 Lors d’une conférence qu’il prononça le 12 avril 2012 devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), monsieur Claude Lafleur, Chef de la direction de la Coop fédérée, justifia la conclusion du Secrétaire général des Nations Unies en soulignant diverses caractéristiques des coopératives :

 «Les raisons de la résilience des coops sont nombreuses. D’abord, elles ne sont presque pas délocalisables. […] Elles sont réfractaires à abolir l’emploi pour gagner 1 % ou 2 % de profit en déplaçant leur production en Asie. Ensuite, elles préféreront, en temps de crise, réduire […] cadences et salaires plutôt que de mettre la clé sous la porte. Plus fondamentalement, puisqu’il ne s’agit pas d’entreprises soumises à la dictature de la Bourse, leur valeur ne s’effondre pas lorsque les actions chutent et leurs investisseurs ne les abandonnent pas au moindre soubresaut venu.»ii

 Dans le cas du néo-libéralisme, l’extrême concentration des activités les plus lucratives dans quelques grandes places financières va de pair avec le haut degré d’abstraction, la vitesse et le caractère mécanique des opérations. La coopération c’est la personne avant le profit, l’enracinement local plutôt que la délocalisation, l’incarnation plutôt que l’abstraction. En arrière-plan, le réalisme économique : les coopératives ne sont pas des organismes de philanthropie. Ce que confirment, entre autres exemples, les succès récents de la Fédérée au Canada : meilleurs résultats à vie en 2012 ainsi que des banques populaires Raiffeisen en Suisse : « Selon la RTS du 28.06.2010, Raiffeisen profite de la perte de confiance du public dans les grandes banques et annonce un afflux d’argent frais de 4 milliards de francs au premier semestre, soit un bond de 30% sur un an. Le 3e groupe bancaire de Suisse a aussi attiré 60 000 nouveaux sociétaires entre janvier et juin, contre une progression de 30 000 à la même période de l’an passé.»iii

 

Les coopératives dans le mondeiv

750 000 coopératives dans plus de 100 pays

775 millions de membres

100 millions d’emplois

3 milliards de bénéficiaires

3300 coopératives au Québec seulement, dans divers domaines : agriculture, forêt, arts, logement, crédit, épargne, éducation, télécommunications, santé, taxi, domaine funéraire.

  Le nouveau mur de fer

Nous sommes encore ici dans la perspective de la croissance illimitée. La coopération apparaît de plus en plus comme une condition de cette croissance. Elle pourrait toutefois tomber en discrédit si les idées qui triomphent en ce moment dans la droite américaine gagnaient l’ensemble des États-Unis pour se propager ensuite dans le reste du monde

 Tout au long de la guerre froide, les Américains, quelles qu’aient été les différences entre leurs deux grands partis politiques, sont demeurés unis contre l’ennemi communiste. En l’absence de cet ennemi, ils sont aujourd’hui divisés contre eux-mêmes, partagés entre la haine froide des parasites du côté républicain, et la coopération que préconisent les démocrates. Le mur de fer désormais est celui qui, à Washington, sépare la chambre des représentants, républicains, du Sénat démocrate.

La haine froide des parasites est une allusion à l’évangile selon Ayn Rand, auteur de l’œuvre la plus influente aux États-Unis après la Bible. Tout récemment encore, Paul Ryan, candidat à la vice-présidence, exigeait de ses proches collaborateurs qu’ils lisent Ayn Rand. Le principal ouvrage de cette femme, aussi médiocre en tant que romancière qu’en tant que philosophe, est un roman aux prétentions planétaires intitulé Atlas Shrugged. Paru en 1957, il se vend depuis à plus de 75 000 exemplaires par année. Il vient de paraître en français sous le titre de La Grève. Les ventes ont commencé à augmenter à partir de 2000 pour atteindre 300 000 exemplaires en 2009. En 2011, le livre est passé à la tête des ouvrages les plus vendus sur Amazon.com.

Atlas c’est l’entrepreneur divinisé. Il est fatigué de soutenir seul la planète entière, alors que pullulent autour de lui les parasites. Il suffit qu’il se mette en grève avec l’ensemble de ses homologues pour que tout s’effondre autour de lui. La liberté absolue pour l’entrepreneur, la mort pour tous ceux qui vivent grâce à lui sans se soumettre à sa loi. On exagère à peine quand on résume ainsi l’œuvre de Ayn Rand.

Elle est encore inconnue dans le monde francophone, mais grâce à Haine froide, un livre de Nicole Morgan qui vient de paraître au Seuil, aucun lecteur de langue de française ne pourra plaider l’ignorance le jour où on lui reprocherade ne pas avoir condamné ce monstre théoriquev avant qu’il ne donne lieu à trop de monstruosités pratiques.

 Voici quelques passages du livre de Nicole Morgan:

«La force d’Ayn Rand vient de ce qu’elle a, sans relâche, montré du doigt ces ennemis de la force de la nation. Elle a répété sans fin les mots «parasites», «pilleurs», «mendiants à la petite semaine» «poux», «imitations d’humains», «lie» «vermine» ou« zombies» pour décrire tous ceux qui ne produisent pas la richesse mais en vivent.»

On ne peut attaquer Ayn Rand, qui prêche la vertu soit dit en passant, sans s’exposer aux insultes de la secte qui l’entoure. Whittaker Chambers est l’un de ceux qui a osé dire la vérité crue sur Atlas Shrugged. «Dans presque chaque page de Atlas Shrugged, écrivait-il en 1957, on entend cette voix criant :  »À la chambre à gaz – Go! »»vi

Vous vous étonniez de ce que les adversaires de Obama Care fasse si peu de cas de la vie d’autrui. Si vous étiez disciple d’Ayn Rand cela vous paraîtrait normal. Vous vous étonnez de ce que tant d’Américains, tant de concitoyens d’Al Gore soient indifférents au réchauffement climatique. C’est que vous n’avez pas lu Ayn Rand. « DansContre l’environnementalisme, elle considère que l’écologie est un retour du religieux et de l’irrationnel, alors que seul le progrès technique peut améliorer la condition humaine.»vii

Pour s’élever jusqu’à celle du Führer, il ne manque qu’une chose à la haine d’Ayn Rand : le racisme. Mais si le racisme est absent de la doctrine officielle — un entrepreneur noir a autant de mérite qu’un entrepreneur blanc — les membres du Tea Party, admirateurs d’Ayn Rand pour la plupart, parviennent bien mal à déguiser la haine que leur inspire Barak Obama.

Le jour viendra inévitablement où la haine d’Ayn Rand portera sur les nations de parasites, comme l’est déjà la France au yeux des républicains. Il deviendra alors parfaitement clair que les ressources de la planète appartiendront aux nations abritant le plus grand nombre d’entrepreneurs.

Une conclusion qui était prévisible depuis longtemps.« Le laisser-faire dont nous allons parler, écrit Nicole Morgan, n’est pas celui auquel l’histoire nous a habitués. C’est une révolution documentée dès les années 1970 par Richard Burnet et Ronald Muller. Ceux qui dirigent les multinationales, expliquent-ils, sont les premiers dans l’histoire de l’humanité qui ont le pouvoir technologique, financier et idéologique de gérer les ressources de la planète selon un modèle économique unique. Il demande seulement de transcender les États-nations et ce faisant de transformer tout le processus politique. En l’absence d’un législatif mondial qui structure et équilibre cette prise de pouvoir, on peut dire qu’il s’agit là d’un laisser-faire absolu.»viii

Déjà utile pour amortir les crises et relancer la croissance classique, la coopération devient absolument nécessaire pour gérer l’épuisement des ressources dans le respect du bien commun de l’humanité. Je soutiens cette thèse avec d’autant plus de conviction que je peux m’appuyer pour le faire sur l’histoire des cinquante dernières années, lesquelles, du point de vue qui est le nôtre ici, ont été caractérisées d’une part par une série de mises en garde au sujet de l’épuisement des ressources et d’autre part par une montée en grâce de l’idée et du fait de la coopération, aussi bien en philosophie qu’en biologie et en économie.

 Tout s’est passé comme si voyant la limite, le mur se rapprocher, les hommes avaient éprouvé le besoin de se raccrocher à la coopération comme au seul moyen de composer avec la dure réalité dans une créativité joyeuse plutôt que dans une passivité amère, dans la paix sociale plutôt que dans la violence.

 Limite : les mises en garde

King Hubbert(1903-1989) et le pic pétrolier

«Notre ignorance est moins grande que notre incapacité de faire usage de ce que nous savons.»

Le géophysicien Marion King Hubbert ixest l’exemple parfait du savant dont la principale obligation, compte tenu de son champ de recherche, est de mettre ses semblables devant des faits qui contrarient et contredisent leurs rêves, à première vue les plus légitimes. On l’a enterré deux fois, après l’avoir accusé d’être un prophète de malheur; mais le réalisme étant en de rares et courts moments plus fort que le déni et l’illusion, on l’a aussi ressuscité deux fois! En 1956, il a osé prédire que la production de pétrole aux États-Unis commencerait à diminuer en 1970. Il a eu aussi l’heureuse idée de présenter les résultats de ses savants calculs sous la forme d’une courbe apparentée à celle de Gauss et de donner le nom de pic pétrolier au sommet de cette courbe. En 1956, il fallait être un peu suicidaire chez l’oncle Sam pour associer le mot limite au mot américain. Sky was still the limit! D’où le peu de cas que l’on fit dans l’opinion publique de la prédiction de King Hubbert.

En revanche, quand en 1971 on constata que la production de pétrole commençait à diminuer, ce qu’elle n’a cessé de faire depuis, King Hubbert devint un héros national. La première crise pétrolière, qui eut lieu au même moment, confirmait tragiquement la portée de son observation. On enterra de nouveau King Hubbert quand, sous la présidence de Ronald Reagan, les grosses cylindrées reprirent la route. Du pétrole il y en avait de moins en moins aux États-Unis, mais de plus en plus dans le reste du monde, semblait-on présumer. On enterra donc King Hubbert une seconde fois, pour le ressusciter au début du second millénaire, moment où il avait situé le pic mondial. Même s’il n’y a pas unanimité parmi les experts sur la date du pic mondial, deux choses sont certaines : on s’en approche, si on ne l’a pas dépassé, et les coûts énergétiques et environnementaux de chaque nouveau baril de pétrole sont de plus en plus élevés.

Ce pétrole, on se le disputera de plus en plus âprement car on en consommera chaque année davantage pour pouvoir satisfaire la demande de métaux. On a en effet appliqué la méthode de Hubbert à tous les métaux. Selon L. David Roperxce point de rencontre se situe vers 2045 pour le fer, 2018 pour le cuivre, 2089 pour le plomb, 2025 pour le chrome. (Comme il entre 11% de chrome dans l’acier inoxydable, on peut présumer que ce type d’acier, qui a l’avantage d’être durable, coûtera de plus en plus cher à partir de 2025). Et le point de rencontre pour l’or est dépassé depuis 1997!

 Garret Hardin et la tragédie des communs

En parcourant l’histoire on est souvent étonné de l’ampleur des conséquences que peuvent avoir des événements mineurs dont le principal mérite est de correspondre à l’esprit du temps. L’article « The Tragedy of the Commons » xique Garrett Hardin publia dans la revue Science en 1968 est l’un de ces petits événements aux grandes conséquences. Soit un pré commun entourant un village de bergers dont on présume qu’ils sont guidés par le seul calcul rationnel dans la poursuite de leurs intérêts personnels. Chaque berger estima donc que s’il ne prenait pas plus que sa juste part de la ressource, la plupart des autres le feraient de telle sorte qu’à la fin il serait perdant. Conséquence: le pré retourna à la boue primordiale.

Il ne fut pas nécessaire d’expliciter le sens de cette métaphore. Tous comprirent que le pré commun symbolisait les ressources de la planète et que le calcul égoïste prêté aux bergers était celui des chefs d’entreprise capitalistes. Ce pessimisme paru toutefois injustifié à plusieurs et l’on vit se multiplier, dans le même esprit, celui de la théorie des jeux, des simulations aboutissant à des conclusions différentes. Nous verrons plus loin comment le biologiste Martin Nowak et Peter Senge aboutirent à des résultats montrant que la coopération pourrait permettre d’assurer la pérennité du pré commun.

Le rapport Meadows : halte à la croissance!

Les prises de conscience que suscitèrent les travaux de King Hubbert et Garret Hardin ont préparé les esprits à ce que l’on peut considérer comme l’un des grands événements politico-intellectuels du XXe siècle, le rapport Meadows, Limits to Growth, publié en 1972 par le Club de Rome, un organisme international fondé par un industriel italien,Aurelio Peccei, et un scientifique écossais, Alexander King. (Le Canada y était représenté par un économiste visionnaire, le sénateur Maurice Lamontagne). «Ses membres considèrent que nous vivons une époque charnière. La Terre est un espace fini qui ne peut être exploité au-delà de certaines possibilités. Or, nos modes de production, de consommation et de distribution fonctionnent sans se soucier de certaines lois fondamentales de l’éco-système Terre. En général, les problèmes sont toujours considérés à court terme par les hommes, en raison de leurs préoccupations quotidiennes. Le Club de Rome lui, se place résolument sur l’échelle des générations futures et ce, à l’échelle planétaire. La croissance exponentielle des activités humaines n’est pas compatible avec un monde fini comme notre planète Terre. Ils proposent d’ouvrir la réflexion en travaillant autour d’une approche en terme de complexité. Ils l’appelleront « Problématique mondiale ». Selon eux, les hommes doivent effectuer une révolution dans leurs modes de pensée aussi profonde que la révolution copernicienne dans le domaine de l’astronomie.»xii Le rapport Meadows parut en français en 1974 sous le titre de Halte à la croissance. Il fut traduit en 37 langues et distribué à 12 millions d’exemplaires.

L’humanité était ainsi mise en garde : si rien ne change en profondeur, l’effondrement, inévitable se produira au XXIe siècle. Les prédictions qu’on y trouve sur l’épuisement des ressources naturelles s’avèrent aujourd’hui d’une précision qui donne le frisson.

 

Dans l’hypothèse du maintien des tendances actuelles, les ressources alimentaires, la production industrielle et la population continueront de croître pendant un certain temps; mais la diminution des ressources naturelles freinera bientôt le développement industriel, cependant que la population et la pollution continueront leur croissance à cause du temps de réponse relativement long de ces facteurs. Puis, ce sera l’effondrement: la croissance démographique sera brutalement arrêtée par une recrudescence de la mortalité provoquée par la carence des ressources alimentaires et la détérioration des conditions d’hygiène.

On a reproché bien des choses au rapport Meadows, notamment le pessimisme de ses hypothèses relatives à l’agriculture, mais on n’a peut-être pas assez souligné la sagesse de l’idéal qu’il propose, un équilibre durable ayant les caractéristiques suivantes : Les ressources naturelles sont recyclées; la pollution est maîtrisée et les sols reconstitués; la production des services et des denrées alimentaires dépasse la production industrielle; le taux de natalité équivaut au taux de mortalité; l’investissement du capital se fait au même rythme que sa dépréciation.

Les auteurs du rapport sont les premiers à reconnaître qu’il s’agit peut-être là d’une utopie. Ils ont toutefois démontré que la recherche d’un paradis sur terre par le maintien de la croissance est encore plus utopique. C’est l’effondrement qui est la conséquence logique d’un tel entêtement. Seul l’équilibre proposé dans le rapport Meadows permettrait d’échapper au maelström d’une décroissance qui serait l’image inversée de la croissance des cent dernières années. Notons au passage que dans la courbe de Hubbert, qui servit de modèle à plusieurs autres, une telle symétrie existe.

Hans Jonas Le principe responsabilité

Dans l’histoire de la pensée il n’y a pas beaucoup d’exemples de grands ouvrages philosophiques qui ont eu un effet immédiat sur les choix politiques à l’échelle mondiale. Le Principe responsabilité du philosophe allemand Hans Jonas est l’un de ces ouvrages. Ce livre, paru en 1984, est à l’origine du principe de précaution, lequel fut par la suite inscrit dans la constitution de nombreux pays. En cas de doute abstiens toi! Jusqu’à l’adoption du principe de précaution, le doute concernant les effets de leurs actions sur la nature ne préoccupait guère les humains, tout simplement parce qu’ils ne se reconnaissaient pas d’obligation à l’écart de la nature. Hans Jonas soutient que le pouvoir que nous avons désormais sur la nature entraîne des obligations à son endroit que n’avaient pas nos ancêtres : «qu’il doive y avoir… dans l’avenir entier un monde approprié à l’habitation humaine — et qu’il doive à jamais être habité par une humanité digne de ce nom, on en conviendra volontiers comme d’un axiome général… aussi convaincant et aussi indémontrable que la proposition que l’existence d’un monde, absolument parlant, est préférable à l’existence d’aucun.» xiii

Nous avions des obligations à l’égard de nos semblables contemporains, nous en avons désormais à l’égard de la nature et des générations à venir. Nous étions les enfants… irresponsables de la nature, nous en sommes maintenant les parents…responsables. 

 Jacques Grand’Maison ou la démesure originelle

Parmi les nombreux échos que l’ouvrage de Hans Jonas eut dans le monde, soulignons, au Québec, les mises en garde de Jacques Grand’Maison.

«En 1950, Collin Clark prédisait une croissance économique illimitée. La décennie 1960 est celle du mythe d’un État providence sans limite. Quant aux années 1970, elles nous promettaient une libéralisation des mœurs, elle aussi sans limite. Au tournant des années 1980, ces trois mythes se sont craquelés, mais pas les aspirations démesurées. […]

Prenons-nous vraiment la mesure de ces multiples démesures? On s’en inquiète bien peu. La plupart des gens refusent d’envisager fût-ce seulement l’éventualité d’un énorme fardeau financier dont ils laisseront la facture sur la table des prochaines générations. […]

Seule une pratique de responsabilité amène au respect des limites, à une logique du possible, à une autocritique qui font tant défaut présentement. »xiv

 

L’empreinte écologique

Les courbes de Hardin, de King Hubbert et du rapport Meadows n’étaient pas très pédagogiques, il faut le reconnaître. D’où l’intérêt que la notion d’empreinte écologique allait susciter jusque dans les écoles. Cette initiative commença en 1996 par la publication de Our Ecological Footprint, xv un livre de Mathis Wackernagel et William Rees. On trouva bientôt sur Internet des formulaires permettant à chacun de faire le calcul de son empreinte personnelle, laquelle consiste en un nombre d’hectares correspondant aux ressources que l’on fait converger vers soi pour maintenir son mode de vie. C’est ainsi qu’il devint clair pour tous qu’il faudrait trois planètes comme la terre pour satisfaire les besoins de 8 milliards d’êtres humains aspirant au mode de vie américain.

On a fait bien entendu le même calcul pour chaque pays et pour la planète entière, et la méthode ne cessant de s’affiner on a pu calculer le Global Overshoot Day, le jour du dépassement annuel, d’où cet article du journal Le Monde le 22 août 2012 : «Mauvaise nouvelle pour la planète. Cette année, il n’aura fallu que 234 jours à l’humanité pour consommer toutes les ressources naturelles que la Terre peut produire en un an. Nous avons atteint, mercredi 22 août, le « Global Overshoot Day« , le « jour du dépassement ». En d’autres termes, nous vivrons à crédit jusqu’à la fin de l’année. »

Rappelant que les risques de pollution (chimique, radioactive, etc.) qui ne sont pas comptabilisés dans cette étude, le président de GFN prévient : «La dégradation des milieux naturels se traduit inévitablement par une baisse des surfaces productives et notre dette, qui s’alourdit, condamne aux dépens les générations futures. »

L’article se termine par ces bilans sur d’autres aspects de la question : «Selon le WWF, entre 1970 et 2008, la biodiversité a chuté de 30 % à l’échelle du globe, et les chercheurs estiment qu’au moins 0,01 % des espèces vivantes disparaissent chaque année. Le chiffre correspond aux dernières estimations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).  » Il existerait sur Terre entre 15 et 20 millions d’espèces animales et végétales. Parmi elles, 19 817 sont en train de disparaître », témoigne Florian Kirchner, chargé de programme sur l’extinction des espèces.

Pour M. Wackernagel, ni l’austérité ni la croissance n’éviteront la faillite du système, le défaut de régénération de la Terre sera le facteur limitant de notre économie. « Car la tendance finira par se renverser, que ce soit à dessein ou par désastre. »»xvi

Le retour de la coopération

En août 2012, à Stowe au Vermont, dans l’auberge de la famille von Trapp, avait lieu un événement ayant un rapport direct avec notre propos. Une cinquantaine de personnes représentant l’élite mondiale du monde des affaires, de la politique et de l’économie, y compris l’économie sociale, se sont réunies là autour de deux consultants prestigieux, (des sages dans ce cas plutôt que des gourous!) Peter Sengexvii et C. Otto .Scharmerxviii pour discuter du rapport Meadows et plus précisément de l’abîme qui, dans ce cas, sépare la prise de conscience du passage à l’action : «Nous connaissons la situation, nous en comprenons la gravité, nous aurions dû passer à l’action depuis longtemps, comment se fait-il que nous misions toujours sur la croissance des années d’euphorique illusion?» Telle est la question à laquelle on était invité à répondre. Un tel événement dans une conjoncture dominée par une crise financière qui se prolonge de façon inquiétante, dans un contexte intellectuel où la décroissance a cessé d’être un tabou, est un signe des temps et un encouragement pour tous ceux qui osent s’élever au-dessus du déni général. J’évoquerai plus loin les appels à la coopération fournis par les animateurs dans leurs récents ouvrages et repris dans le cadre du séminaire.

Il nous faut d’abord saisir toute la portée du retour à la coopération dont nous sommes témoins et pour cela remonter jusqu’à Hobbes et bien avant lui jusqu’à Aristote. L’observation attentive de la vie dans les cités grecques a convaincu ce philosophe que l’homme est un animal sociable, un zoon politikon, un être vivant doté par la nature des qualités nécessaires pour vivre en société. Entendons par là que si on ne le dénature pas par des procédés violents, comme ceux qu’ont utilisés Hitler et Staline, l’homme tend à coopérer avec ses semblables plutôt qu’à les combattre, à pratiquer la philia plutôt que la méfiance réciproque.

Aristote a-t-il été marqué démesurément par les mœurs plutôt douces de la Grèce de son époque? Dix siècles plus tard, Thomas Hobbes, un autre philosophe moins grand que lui, mais qui devait avoir une influence profonde dans le monde anglo-saxon, soutiendra qu’à l’état de nature, « l’homme est un loup pour l’homme » et que par suite il ne peut se comporter de façon décente que sous la contrainte des lois et de la police d’une cité. Ce n’est plus, comme le pensait Aristote, la sociabilité naturelle de l’homme qui fait la cité, c’est la cité, création de la raison humaine, qui rend l’homme sociable.

S’ensuivra une vue de l’esprit, qui sera longtemps considérée comme une vérité historique selon laquelle les débuts de l’humanité furent marqués par une féroce compétition entre les individus aussi bien qu’entre les groupes humains. Darwin n’aura qu’à s’abandonner à ce courant de pensée, très fort en Angleterre à son époque, pour exclure la coopération de son explication de l’évolution.

Darwin complété par Kropotkine

L’explication hobbienne de l’évolution était heureusement appelée à se transformer radicalement en moins d’un siècle, notamment sous l’influence d’une nouvelle génération de biologistes mathématiciens. Martin A. Nowak est l’un d’entre eux. Il enseigne à Harvard. Son livre paru récemment s’intitule Supercooperatorsxix. Qui sont selon lui ces demi-dieux de la solidarité ? Les êtres humains tels que l’évolution les a faits, de sorte que la coopération lui apparaît comme « la troisième loi de l’évolution ». Et, joie inattendue, il réhabilite Kropotkine (1842-1921) le considérant, comme le font les nouveaux théoriciens, sinon comme l’égal de Darwin (1809-1882), du moins comme l’un des savants qui, à l’instar de Mendel, ont apporté à l’explication darwinienne des correctifs absolument nécessaires. Stephen Jay Gould avait lui aussi redécouvert Kropotkine.xx

Si bien qu’après avoir donné l’origine des espèces à lire dans les écoles, il faut désormais mettre au programme L’entraide de Kropotkine, sans quoi les jeunes ne pourront avoir qu’une image tronquée de l’évolution. Kropotkine, prince anarchiste, il faut le rappeler, fut l’un des grands esprits de son temps. Il avait lu Darwin et l’admirait. Mais s’il admettait l’évolution comme fait, il estimait que même si Darwin savait que le survival of the fittest n’expliquait pas tout, il subissait l’influence de la théorie de la compétition défendue antérieurement par Hobbes puis à son époque par Spencer. Dans les faits, c’est Kropotkine qui fut le premier à reconnaître l’importance de la coopération dans la chaîne de l’évolution.

Dans l’espoir de convaincre les darwinistes de cette importance, Kropotkine publia en 1906, un ouvrage magistral intitulé L’entraide. Voici un long passage de l’introduction qui résume bien l’ensemble de l’œuvre. Pour comprendre ce passage il faut savoir qu’il découle d’observations que Kropotkine fit en Sibérie, où sa carrière militaire l’avait conduit :

«La rareté de la vie, la dépopulation — non la sur-population — étant le trait distinctif de cette immense partie du globe que nous appelons Asie septentrionale, je conçus dès lors des doutes sérieux (et mes études postérieures n’ont fait que les confirmer) touchant la réalité de cette terrible compétition pour la nourriture et pour la vie au sein de chaque espèce, article de foi pour la plupart des darwinistes. J’en arrivai ainsi à douter du rôle dominant que l’on prête à cette sorte de compétition dans l’évolution des nouvelles espèces.

D’un autre côté, partout où je trouvai la vie animale en abondance, comme, par exemple, sur les lacs, où des vingtaines d’espèces et des millions d’individus se réunissent pour élever leur progéniture; dans les colonies de rongeurs; dans les migrations d’oiseaux qui avaient lieu à cette époque le long de l’Oussouri dans les proportions vraiment « américaines » ; et particulièrement dans une migration de chevreuils dont je fus témoin, et où je vis des vingtaines de mille de ces animaux intelligents, venant d’un territoire immense où ils vivaient disséminés, fuir les grosses tourmentes de neige et se réunir pour traverser le fleuve Amour à l’endroit le plus étroit — dans toutes ces scènes de la vie animale qui se déroulaient sous mes yeux, je vis l’entraide et l’appui mutuel pratiqués dans des proportions qui me donnèrent à penser que c’était là un trait de la plus haute importance pour le maintien de la vie, pour la conservation de chaque espèce, et pour son évolution ultérieure.

Enfin, je vis parmi les chevaux et les bestiaux à demi sauvages de la Transbaïkalie, parmi tous les ruminants sauvages, parmi les écureuils, etc., que, lorsque les animaux ont à lutter contre la rareté des vivres, à la suite d’une des causes que je viens de mentionner, tous les individus de l’espèce qui ont subi cette calamité sortent de l’épreuve tellement amoindris en vigueur et en santé qu’aucune évolution progressive de l’espèce ne saurait être fondée sur ces périodes d’âpre compétition.» xxi

Il faut souligner ici à double trait le fait que le milieu de vie où il fit ses premières observations permit à Kropotkine de mettre en relief le fait que la coopération est d’autant plus déterminante pour la survie d’une espèce que le milieu où elle vit a un climat plus dur. C’est une chose dont l’humanité aura à se souvenir quand elle fera face aux conséquences de ses démesures et l’une des raisons pour lesquelles les Nations Unies ont institué une « Année internationale des coopératives ».

Après avoir bien établi l’importance de la coopération dans le monde animal, Kropotkine s’attaque aux idées reçues, depuis Hobbes surtout, selon lesquelles dans l’enfance de son espèce l’homme n’avait pu être qu’un loup pour l’homme. Nous pouvons établir la preuve aujourd’hui que si les humains avaient toujours été en guerre avec leurs voisins, leur espèce aurait disparu depuis longtemps. Cette évocation des mœurs des Bushmen illustre bien la vision d’ensemble qu’avait Kropotkine :

«Prenons maintenant nos sauvages contemporains, et commençons par les Bushmen, qui en sont à un niveau très bas de développement — si bas qu’ils n’ont pas d’habitations, et dorment dans des trous creusés dans le sol, parfois protégés par un petit abri. On sait que lorsque les Européens s’établirent dans leur territoire et détruisirent les animaux sauvages, les Bushmen se mirent à voler les bestiaux des colons. Alors commença une guerre d’extermination, trop horrible pour être racontée ici. Cinq cents Bushmen furent massacrés en 1774, trois mille en 1808 et 1809 par l’Alliance des Fermiers et ainsi de suite. Ils furent empoisonnés comme des rats, tués par des chasseurs embusqués devant la carcasse de quelque animal, massacrés partout où on les rencontrait. De sorte que nos connaissances touchant les Bushmen, empruntées le plus souvent à ceux-là même qui les ont exterminés, se trouvent forcément limitées. Cependant nous savons que, lorsque les Européens arrivèrent, les Bushmen vivaient en petites tribus (ou clans) et que ces clans formaient quelquefois des confédérations ; qu’ils avaient l’habitude de chasser en commun et se partageaient le butin sans se quereller ; qu’ils n’abandonnaient jamais leurs blessés et faisaient preuve d’une forte affection envers leurs camarades. »

Martin A. Nowak et la coopération vue par un biologiste mathématicien

Voici, tirée de Supercooperators de Martin Nowak, une variante du dilemme du prisonnier, lequel rappelle la tragédie des communs de Hardin et illustre un type de raisonnement à la mode en ce moment chez les mathématiciens et les économistes qui s’intéressent à la coopération.

Imaginez que vous et votre complice vous êtes arrêtés, accusés d’un crime et emprisonnés… et que le procureur de la couronne dans son interrogatoire vous propose un règlement à l’amiable. Si l’un de vous incrimine l’autre et si ce dernier garde le silence, alors le premier, le traître, sera accusé d’un crime moindre et sa peine ne sera que d’un an, tandis que la peine du second, le loyal, sera de quatre ans. Si les deux complices gardent le silence, ils auront la même peine, soit deux ans. Si les deux s’incriminent l’un l’autre, leur peine sera également la même, mais elle sera cette fois de trois ans. Ce qui donne le tableau suivant:

La première conclusion que tire Martin Nowak de cet exercice c’est que les prisonniers ont intérêt à tricher plutôt qu’à être loyaux, comme on le constate par la durée des peines. Celui qui triche systématiquement est avantagé, sa peine maximale étant de trois ans.

En revanche, cette peine ne sera que de deux ans s’ils sont tous les deux loyaux! Preuve que la coopération est le meilleur calcul. On aura compris que dans ce cadre de la théorie des jeux, on présume toujours que les acteurs sont des calculateurs qui calculent toujours bien. Si une passion comme la haine intervient, elle peut perturber les choses au point que l’un des deux choisira la tricherie systématique, dans l’espoir de punir l’autre au maximum, même si lui-même court le risque d’avoir une peine de trois ans plutôt que deux.

 

Matrice des récompenses

Adversaire

Coopère

Triche

Joueur Coopère -2, -2 -4 , -1
Triche -1 , – 4 -3, -3

On comprend que les observateurs de la vie réelle, toujours marquée par des valeurs et des passions, aient des réserves sur les conclusions que l’on peut tirer d’un exercice de ce genre. Il n’empêche que Nowak a mis ainsi en relief des choses simples, mais incontestables, dont l’humanité devra tenir compte si elle veut conserver son bien commun et par là assurer son avenir.

Nowak distingue plusieurs facteurs de coopération dont la réciprocité directe (gratte mon dos, je gratterai le tien) et la réciprocité indirecte (gratte mon dos et quelqu’un d’autre grattera le tien car à ses yeux ton acte t’aura donné une bonne réputation) . Cette réciprocité indirecte mérite une attention particulière parce qu’elle met en relief le fait que l’information sous toutes ses formes, y compris celle du potinage, est une condition importante de la coopération. Si tu m’aides aujourd’hui, si tu as par suite bonne réputation, les chances que quelqu’un d’autre vienne à ton aide demain sont plus grandes que si, ne m’ayant pa s aidé, tu avais une réputation mauvaise ou neutre. D’où l’importance des conversations, des articles, des reportages où l’on fait et l’on refait les réputations, qu’il s’agisse des individus, des entreprises ou des pays. «La réputation, écrit Nowak, est une force que l’on peut maîtriser dans le but d’éviter la tragédie des communs. Le succès dépend de la liberté d’information sans manipulation ni censure. Nous avons besoin d’une information juste sur la façon dont les individus, les entreprises et les pays exploitent les ressources précieuses. Nous avons besoin de connaître le vrai coût environnemental des choses, de la bouilloire à l’auto de façon à ce que ce coût puisse être intégré au prix demandé.»xxii

Elinor Ostrom ou les valeurs et les sentiments avant le calcul

Les règles du jeu universitaires l’exigeant, l’économiste Elinor Ostrom, prix Nobel en 1998, s’est adonnée elle aussi à la théorie des jeux, mais loin de s’y cantonner, elle a fait une large place aux valeurs et aux sentiments qui unissent les hommes ou les séparent dans les situations concrètes.

La tragédie des communs est toujours à l’arrière-plan. Pour ce qui est des CPR (Common Pools Ressources) précise Elinor Ostrom,xxiii la majorité des économistes estiment qu’il n’y a que deux stratégies viables : la privatisation et le contrôle par l’État central. Dans le cas du pré commun, la privatisation consiste à diviser la terre en autant de lopins qu’il y a d’éleveurs, à condition que chaque lopin soit assez grand pour satisfaire les besoins d’une famille. Dans ce contexte, note Elinor Ostrom, l’adversaire de l’éleveur ce n’est pas l’éleveur d’à côté, c’est la terre elle-même. Le seul moyen qu’aura chaque éleveur d’accroître ses revenus sera de surexploiter la terre au moyen de procédés agressifs qui mettront son avenir en péril, en provoquant par exemple une érosion du sol. N’est-ce pas ce qu’on est en droit de reprocher à une certaine agriculture industrielle?

Ainsi limitée quand elle s’applique à la terre, la solution de la privatisation ne s’applique simplement pas dans d’autres domaines, la pêche par exemple. On peut certes donner droit d’accès à une zone de pêche à un groupe de pêcheurs, mais chaque pêcheur n’aura jamais droit à son lopin de mer. De même l’habitant d’une ville n’aura jamais droit à son lopin de nappe phréatique.

La solution étatique comporte aussi une large part d’inconvénients, comme chacun peut facilement l’imaginer : comment l’information circulera-t-elle de haut en bas et de bas en haut? Qu’est-ce qui empêchera un fonctionnaire corrompu de compromettre l’ensemble de l’opération? Le partage des revenus entre les travailleurs de la base et les membres de la hiérarchie sera-t-il juste? N’est-ce pas pour des raisons semblables que les kolkhozes ont été un échec?

Il y a pourtant de nombreux exemples de bonne gestion des biens communs par des communautés qui se sont tenues à bonne distance du marché et de l’État. Le grand mérite d’Elinor Ostrom aura été de susciter dans le monde universitaire un vaste mouvement de coopération, pour repérer les bons exemples, les ranger dans une base de données et en faire l’analyse.

On lui donne raison dans un document récent de « L’Institut des hautes études sur la Justice ».

«Pour Hardin, les communs sont uniquement des ressources disponibles, or le grand mérite d’Elinor Ostrom est d’avoir montré que cette conception des communs reposait sur une conception abstraite ayant peu de choses à voir avec les communs réels gérés collectivement depuis des millénaires (comme les réseaux d’irrigation ou les pêcheries). C’est que les communs sont liés à des communautés, et donc à un sens collectif, où les individus communiquent et négocient dans une perspective qui ne se réduit pas à des intérêts immédiats.

En effet, faisant l’objet d’une gouvernance qui n’est imposée ni par le marché, ni par l’état, le souci des biens communs est toujours de concilier le droit d’usage avec la préservation des ressources. Or, cette conciliation, comme le montre la gestion de biens communs complexes (comme les canaux d’irrigation), est rendue possible grâce aux valeurs partagées par les membres de la communauté. Ces valeurs permettent de surmonter les difficultés de gestion, de véhiculer les connaissances collectives et de « prendre conscience de l’importance de l’adaptabilité et de la flexibilité de l’institution ».xxiv

 Nicolas Baumard : quand la raison du philosophe confirme les calculs du biologiste

Il paraissait vain de chercher les fondements de la morale dans les lois de la vie à l’époque où l’on expliquait l’évolution uniquement par la compétition, mais depuis que la coopération fait partie de l’explication, de nombreux philosophes se laissent séduire par un  »naturalisme » équivalent pour eux à une refondation de la morale par la science . Je me limiterai ici à montrer par un exemple significatif la parenté entre cette philosophie expérimentale et l’approche des biologistes mathématiciens et des économistes, Elinor Ostrom exceptée.

« La disposition morale, écrit Nicolas Baumard, serait en quelque sorte une disposition manipulatrice. Un certain nombre de résultats expérimentaux semblent confirmer cette théorie. Ainsi, Haley et Fessler (2005) ont placé des participants dans une situation où ceux-ci avaient l’opportunité de partager de l’argent avec un autre participant. Dans une condition, des yeux stylisés étaient représentés en fond d’écran sur les ordinateurs dont disposait chaque participant. Ces derniers sont alors plus nombreux que dans la condition classique à donner une somme non négligeable à l’autre participant. Dans une autre condition, au contraire, les participants étaient équipés de casques antibruits : ils étaient alors moins nombreux à donner. Ces données suggèrent que les yeux ou les bruits de conversation sont inconsciemment traités par notre cerveau comme des indices d’une situation sociale où notre réputation est en jeu, et que les participants visent non pas à se comporter moralement, mais à donner la meilleure image d’eux-mêmes.»xxv

La morale traditionnelle, qu’il s’agisse de celle de Platon, de celle d’Aristote ou de celle de Kant, indiquait aux hommes les règles qu’ils devaient suivre et les sources auxquelles ils devaient s’abreuver, pour s’accomplir, pour atteindre la perfection correspondant à leur nature. L’expression « morale naturelle » signifiait morale exigée par la nature humaine à son plus haut degré de perfection.

Dans ce qu’on appelle aujourd’hui morale naturaliste, non seulement cette fin est exclue mais toute finalité est exclue. Puisqu’il n’y a pas de finalité dans l’évolution, mais seulement des mutations, une sélection et une coopération en vue de la survie de l’espèce, et donc de la reproduction, il ne saurait y en avoir davantage dans une morale fondée sur ce que Baumard et ses homologues appellent « le processus évolutionnaire ». La coopération dans cette perspective est une bonne chose, non parce qu’elle permet à l’homme de s’élever jusqu’à la bonté à laquelle sa nature l’appelle, mais parce qu’elle a une valeur de survie, parce qu’elle crée des conditions favorables à la reproduction.

On ne saurait être plus clair à ce propos que Mathieu Depeneau quand il expose cette origine naturelle du sens moral :

 «La théorie de l’évolution de Darwin, malgré de nombreuses interprétations erronées, replace l’homme dans la continuité du vivant. A ce titre, l’entreprise de naturalisation de la moralité met en question cette qualité d’excellence, supposée humaine et rationnelle, donc supérieure en dignité, pour mettre en évidence sa fonction biologique de stratagème évolutif extrêmement complexe et performant œuvrant en tâche de fond pour la survie, la conservation et la reproduction des individus. En affrontant et en dissipant les principaux obstacles à l’hypothèse d’une éthique évolutionniste, nous replacerons l’homme dans la continuité des animaux sociaux, faisant l’hypothèse non d’un saut qualitatif mais d’une gradation en complexité. Après avoir reconnu la complexité du sens moral, à la croisée de la naturalité et de la culture, de la nécessité et des contingences, du déterminisme et de la liberté, nous chercherons à refonder la nécessité, et donc la légitimité, des valeurs morales non pas à partir de leur inscription dans un ordre rationnel supérieur, intemporel et universel, mais à partir de leur ancrage dans le socle de la naturalité, de l’évolution, de la vie et de la dynamique universelle du vivant»xxvi

De Malthus à nos jours

«Les coopératives ont trouvé leur origine dans des périodes de difficultés économiques.» xxviiC’est le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales et Secrétaire général de la Conférence Rio+20 sur le développement durable, Sha Zukang qui a fait cette déclaration à l’occasion du lancement de l’année internationale des coopératives. La ressemblance entre le temps présent et l’époque difficile dont il parle, l’ensemble du XIXe siècle, et la seconde partie en particulier, est frappante. Au XIXe siécle c’est Malthus qui a mis les gens en garde contre la démesure, jouant ainsi le rôle de Marion King Hubbert et du Club de Rome. Même mal : la démesure; même remède : la coopération

Au XVIIIe siècle, Condorcet, le chantre du progrès, n’avait assigné aucune limite à l’amélioration de la condition humaine par le moyen des sciences et des techniques. C’est aussi ce que pensa d’abord Malthus, mais le spectacle de la pauvreté à Londres lui fit bientôt craindre l’avènement d’un point de rupture au-delà duquel la croissance de la population entraînerait une aggravation de la pauvreté et de la misère. Il acquit ainsi la conviction qu’il fallait limiter la croissance de la population tout en favorisant la reproduction des plus forts. La première édition du livre où il traitait de ces questions, L’essai sur le principe de population, eut lieu en 1798. L’influence de Malthus s’étendra jusqu’au delà de Darwin à la fin du XIXe siècle. La révolution industrielle dans sa seconde phase et ensuite la révolution verte invalidèrent ses prédiction

Les coopératives au coeur du développement durable

Michel Lafleur
Directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement pour les coopératives de l’Université de Sherbrooke (IRECUS). Ses recherches et son enseignement portent sur la gestion et le développement durable et plus particulièrement sur la stratégie des coopératives.
L’état du développement
Notre époque est unique: jamais le développement ne nous aura placés devant tant de défis et jamais nos modèles de développement n’auront été si peu adaptés au contexte. On ne compte plus les ouvrages qui attirent notre attention sur les écarts qui se creusent entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres, entre les plus hauts revenus et les plus bas à l’intérieur d’un même pays, etc.

L’écart le plus significatif est celui qui sépare les empreintes écologiques 1 des divers habitants de la planète . Exprimée en hectares, par année et par personne ou nation, l’empreinte écologique 1 est la portion de la surface terrestre nécessaire pour assurer notre subsistance et absorber les déchets que nous produisons. Elle est au Canada de 4,3 hectares par personne, aux États-Unis de 5,1, en Inde de 0,4, et dans le monde de 1,8. Si l’empreinte était en ce moment de 5,1 pour chacun des six milliards d’êtres humains, trois planètes comme la terre suffiraient à peine à subvenir aux besoins de l’humanité. Or la population continue de croître et l’empreinte écologique également, alors que le sol vivant se dégrade, que sa superficie diminue.. .et que l’espace habité s’accroît. C’est de dix planètes que nous aurons bientôt besoin.Impasse! Le type et le rythme de notre développement ne conviennent plus. Nous sommes en déficit de deux planètes. Comment avons-nous pu laisser un tel gouffre se creuser? Une magistrale erreur de gestion a été commise par nos gouvernements et nos entreprises, avec notre complicité; elle a consisté à ne prendre en compte que l’aspect financier des choses. Le déficit actuel de deux planètes résulte du fait que le capital naturel et le capital social ne sont pas entrés dans nos calculs. Comment les y introduire? N’est-il pas déjà trop tard pour le faire?1. Développement durable et gestion des organisations
La réalité de notre développement a poussé des chercheurs à repenser la vision traditionnelle basée uniquement sur des critères économiques et à introduire les critères de respect du social et de l’environnement. C’est dans ce contexte que le concept de développement durable a émergé. Celui-ci se définit comme étant «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.» 2 Ce concept est lié à la convergence de trois dynamiques de développement interdépendantes, soit le développement économique, social et écologique. Selon cette thèse, il n’y a développement que si une activité a un impact positif sur ces trois éléments à la fois.

Cette définition a laissé place à beaucoup d’autres interprétations. On retrouve plus d’une centaine de variantes de la définition de développement durable. Mais, de façon générale, on reconnaît cinq dimensions spécifiques au concept de développement durable 3 .
·Connectivité: les problèmes de développement sont systématiquement interconnectés et interdépendants;
·Inclusivité: le développement doit inclure les trois dimensions du développement durable, soit les variables économique, environnementale et sociale;
·Équité: les activités humaines ne doivent pas transférer les coûts ou s’approprier la propriété des droits des ressources, aujourd’hui ou demain, sans une compensation; de plus, les actions pour un développement durable doivent assurer une distribution équitable des richesses produites;
·Prudence: dans le choix d’actions pour le développement durable, l’on doit s’abstenir d’actions qui pourraient affecter le développement de façon irrémédiable en terme de capacité de régénération et de capacité de support de l’environnement;
Sécurité: l’objectif de tout développement doit être de contribuer à une haute qualité de vie, saine et sécuritaire pour la présente génération et les futures générations.
Nous adopterons comme point de départ de notre réflexion sur la gestion de nos organisations celui du développement durable, de la prise en compte de l’impact du travail des organisations sur les dimensions spécifiques du développement durable.

Traditionnellement, les recherches sur l’entreprise font état de la relation entre les différentes fonctions de l’entreprise et ses résultats financiers (flèche 1 dans la figure 1). Ces recherches ont comme base la transposition du modèle de développement libéral et de sa maxime de la main invisible à la maxime de la maximisation des avoirs des actionnaires comme base traditionnelle de l’analyse managériale. La prémisse étant que si le gestionnaire se concentre sur une maximisation du profit de son entreprise, il en résultera nécessairement, par le marché, une utilisation optimale de nos ressources rares (flèche 2 dans la figure 1).


FIGURE I. Le cadre traditionnel du développement et de la gestion

Selon l’utopie libérale, le modèle de développement des organisations commerciales traditionnelles repose essentiellement sur la recherche de gain maximum sur les investissements. En contre-partie, cette recherche de profit doit produire de la richesse pour la communauté, le plus souvent sous forme de maintien ou de création d’emplois rémunérés. Il existe ainsi un consensus à l’effet qu’un projet d’entreprise est gagnant lorsqu’un investisseur obtient un maximum de gain sur son investissement tout en créant de l’emploi. Lorsque ces gains d’investissement se font au détriment du maintien ou de la création d’emplois, des critiques émergent.

En environnement, le consensus n’est pas aussi clair. Ainsi, on observe dans certains cas, des projets de développement où il est toléré, voire même encouragé que l’obtention d’un gain financier et de maintien/création d’emplois se fasse au détriment de l’environnement. Le défi du protocole de Kyoto illustre bien cette réalité.

Dans la dynamique de la recherche d’un gain par l’investissement, on distingue deux réalités: des investissements qui se font avec un lien de travail et des investissements qui se font sans lien de travail. Dans le premier cas, le détenteur d’actions travaille avec son capital, il est à la fois investisseur et gestionnaire. Il travaille au sein de l’organisation où il a investi, il est en lien constant avec ses travailleurs, ses clients et sa communauté. L’autre type d’investisseur a une réalité différente puisqu’il n’a aucun lien direct avec l’objet de son investissement. Il ne connaît ni les travailleurs, ni les clients, ni la communauté où il a investi. Il recherche un maximum de profit, peu importe le secteur. En conséquence, la profitabilité de ses investissements devient souvent la norme à laquelle tout bon gestionnaire doit se soumettre sous peine de voir les capitaux financiers fuir vers les organisations plus profitables. Dans les deux cas, la création de valeur, le gain entre le coût de production et le prix vendu (le profit) est réparti entre les détenteurs de capitaux.

Les études en gestion portent presque exclusivement sur cette relation: liens entre la gestion du personnel, le marketing, la stratégie et la maximisation des profits de l’entreprise, etc. La majorité des recherches en gestion ne tente d’analyser l’entreprise qu’en fonction de cet objectif unique (Aktouf, 2002) et peut se résumer, selon Gladwin et Kennelly 3 (1997), par les positions ontologiques décrites dans le paradigme du technocentrisme.

En lien avec les défis du développement durable, le paradoxe gestion/développement demeure entier et relativement peu de chercheurs se penchent sur la relation entre gestion des affaires et développement (flèche 2 dans la figure 1). Cependant, certains auteurs en gestion, comme Henry Mintzberg, s’attaquent à ce paradoxe et proposent une modification du rôle fondamental des organisations en rapport avec le développement de type libéral. «Depuis que les économistes et les actionnaires en ont pris le contrôle [des organisations], elles ont changé de mission. L’efficacité et la rentabilité ont fait oublier leur raison d’être: nous les avons créées pour nous servir. Et voilà qu’aujourd’hui nous travaillons pour les enrichir. 4»

Selon Mintzberg (1999), l’étude de la gestion doit retrouver ce principe fondamental du service aux citoyens. Il constate que la logique du secteur privé traditionnel avec son objectif de maximisation des avoirs des actionnaires prend toute la place dans les modèles de gestion et nous conduit à des aberrations inquiétantes.

Toujours en lien avec les effets des entreprises sur le développement, l’auteur Paul Hawken, fait un constat similaire et définit ce qui apparaît être la problématique contemporaine majeure de la gestion. «Les sociétés commerciales, parce qu’elles constituent l’institution dominante sur cette planète, doivent absolument prendre en compte les problèmes sociaux et environnementaux de l’humanité. Actuellement, tout acte dans notre société industrielle n’aboutit qu’à la dégradation de l’environnement, quelle que soit l’intention, il nous faut concevoir un système où l’inverse sera vrai, où faire le bien tombera sous le sens, où les actes quotidiens de la vie et du travail s’accumuleront pour faire un monde meilleur, tout naturellement et non pas grâce à un altruisme conscient. […] La question qui se pose est: peut-on créer des entreprises rentables, qui se développent sans détruire, directement ou indirectement, le monde autour d’elles?5»

1.1 Gestion et environnement
S’inspirant de la critique de Hawken, des acteurs et des chercheurs tentent de dépasser les prémisses du paradigme du technocentrisme pour étudier la question de la relation entre la gestion et l’environnement. Le paradigme du duracentrisme résume les prémisses de ce courant (Marteen, 2001; Gladwin, 2000; Elkington, 1998; Gladwin et Kennelly, 1997; Kennelly, Krause, 1995; Hawken, 1995; Purgec, Park, Montuori, 1995).

Le défi de la gestion de ces entreprises est de prendre en considération la responsabilité environnementale de l’entreprise, trouver des solutions novatrices à celle-ci tout en préservant son niveau de profitabilité. De là découlent de nouvelles façons et de nouveaux principes sur la gestion et le travail des entreprises. Le concept du «pas à pas avec la nature» (natural steps) est au cœur de ce courant. À ce chapitre, voir le numéro de L’Agora «Pas à pas avec la nature» (vol 9, no 2, septembre-octobre 2002) et les articles d’Andrée Mathieu que l’on retrouve sur le site de L’Encyclopédie de L’Agora.

1.2 Gestion et équité sociale
Mais il existe depuis plus d’un siècle une autre façon de concevoir la gestion des organisations et le développement: les coopératives. Une vision basée sur les besoins des gens, où le capital sert de moyen et où les excédents (ou profit dans le langage capitaliste) ne sont pas redistribués selon le capital investi.

La coopérative est «une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement». 6 Ce type d’entreprenariat est né suite aux critiques faites par certains penseurs sur les lacunes du capitalisme naissant. La première coopérative à connaître le succès, la Société des équitables pionniers de Rochdale, en Angleterre, est le résultat d’une synthèse de certains penseurs de l’époque (Fourier, King, Owen, Saint-Simon, Buchez, Plockboy, Proudhon, etc. ). Les pionniers de Rochdale ont ainsi réussi à appliquer concrètement des principes de développement dans une dynamique entrepreneuriale.

Ces critiques des lacunes du capitalisme naissant et leur transposition sous forme de principes découlent d’une vision novatrice du développement. Une vision qui s’incarne dans les valeurs fondamentales des coopératives; la prise en charge et la responsabilité personnelle et mutuelle, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité. Fidèles à l’esprit des fondateurs, les membres des coopératives ont adhéré à une éthique basée sur l’honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme. Ces valeurs fondamentales se sont ensuite transformées en principes, qui ont évolué avec le temps, pour former aujourd’hui les sept principes coopératifs qui constituent les lignes directrices devant permettre aux coopératives de mettre leur vision du développement en pratique.

De façon générale, ces critiques tournaient autour de deux grands thèmes. Le premier touche le rôle du capital. Les auteurs reprochent au système capitaliste naissant d’accorder aux seuls détenteurs de capitaux tous les bénéfices de l’entreprise grâce uniquement à leurs investissements financiers sans que ces derniers participent réellement à la création de cette richesse. Pour ces penseurs, ce n’est pas dans le capital (investissement) que se situe la vraie richesse d’une nation, mais dans le travail (les coopératives de travail, point de vue de l’école française) ou dans la consommation (les coopératives de consommation, point de vue de l’école anglaise). La célèbre parabole de Saint-Simon sur les industriels (ou détenteurs de capitaux) résume bien cette pensée 7. Ces auteurs dénoncent ainsi les revenus sans travail (coopérative de travail) ou le fait que les intermédiaires facturent une surcharge aux prix des produits sans que ceux-ci n’ajoutent une réelle valeur au produit (coopérative de consommateurs).

En résumé, est critiqué le fait que les détenteurs de capitaux obtiennent tout le bénéfice de l’entreprise pour eux seuls. Les auteurs proposent que le capital ne soit pas l’unique moteur, décideur et bénéficiaire du développement. Ainsi naissent les principes coopératifs suivants: • Les décideurs seront ceux qui participent à l’objet de la coopérative, soit les travailleurs (coopérative de travail), les consommateurs (coopérative de consommation) ou les producteurs (coopérative de producteurs). Ces personnes éliront des représentants qui seront responsables devant elles. Seule la qualité de membre donne accès à ce droit de vote qui n’est donc pas proportionnel à l’argent investi. Conséquemment, ce n’est pas l’argent qui sera la finalité des décisions mais les besoins des membres. C’est le principe coopératif du pouvoir démocratique exercé par les membres (un membre = un vote).
• L’argent nécessaire au démarrage et au développement de la coopérative doit provenir de ses membres. Comme ce capital n’est pas la raison d’être de la coopérative, chacun recevra une rémunération limitée décidée par les membres. De plus, les surplus de fin d’année seront redistribués en proportion de l’usage que font les membres de la coopérative et non de l’argent investi; les membres créeront une réserve impartageable qui rendra une partie de la coopérative inaliénable et patrimoine de la communauté et, finalement, une partie des surplus de fin d’année pourra être affectée à différentes activités de la communauté. C’est le principe coopératif de la participation économique des membres.
• La coopérative, dans toutes ses activités et tous ses partenariats éventuels avec l’État ou avec d’autres organisations doit préserver le pouvoir démocratique des membres et assurer l’indépendance de la coopérative face à ces organisations. En aucun temps, ses partenariats doivent compromettre la capacité de la coopérative de prendre ses décisions en fonction de son objet. C’est le principe coopératif de l’autonomie et de l’indépendance.
Les critiques portent en deuxième lieu sur l’organisation de ce changement. On réfléchit sur la meilleure forme possible d’organisation pour amener les changements nécessaires à la solution des problèmes de développement. On peut regrouper les différentes solutions proposées autour de trois écoles. Une première porte sur la défense des droits des travailleurs par le moyen de l’organisation syndicale. La deuxième prône des changements politiques majeurs de la société par une organisation politique de type socialiste ou communiste. Une troisième école, celle du coopératisme, propose une solution entrepreneuriale, soit l’organisation coopérative.
• Les auteurs de l’école entrepreneuriale décriaient la situation de pauvreté dans laquelle vivaient les classes laborieuses malgré la richesse des industriels et de la classe bourgeoise; ils dénonçaient l’exploitation de l’homme par l’homme. Selon eux, seule une révolution par cette classe laborieuse pouvait renverser la situation; on ne pouvait se fier aux gouvernements en place ou aux détenteurs de capitaux. Ces exploités devaient prendre eux-mêmes leur propre développement en main, être solidaires et permettre à tous, dans une dynamique démocratique, de participer à ce développement. Il fallait donc créer une organisation entrepreneuriale qui reposerait sur ces bases. D’où les autres principes coopératifs suivants:
• L’idée de base de la coopérative est de regrouper librement des gens qui ont un besoin commun, soit obtenir un produit ou un service (coopérative de consommateurs), vendre une production (coopérative de producteurs) ou se trouver un emploi (coopérative de travailleurs). Ce faisant, ces personnes regroupées en coopératives veulent bâtir un projet selon les valeurs du coopératisme et solutionner un problème que le marché traditionnel ne solutionne pas à leur pleine satisfaction (salaire trop faible, mauvais approvisionnement, prix trop élevé, faible retour sur la production, etc.). Mais, il ne faut pas qu’un groupe de personnes au sein d’une coopérative en viennent à garder uniquement pour eux un avantage au détriment d’autres personnes qui voudraient contribuer positivement au projet de la coopérative. L’entrée à la coopérative doit être toujours ouverte et libre. Également, aucune discrimination ne peut servir d’excuse pour refuser l’entrée d’une personne au sein d’une coopérative. C’est le principe coopératif de l’adhésion volontaire et ouverte à tous.
• Comme la coopérative est une forme d’organisation avec des valeurs et des principes particuliers, elle doit s’assurer que ses membres, dirigeants, gestionnaires et employés comprennent bien sa nature et sa dynamique afin d’obtenir un apport optimum de chacun. La coopérative doit aussi s’assurer d’informer le grand public sur la nature du projet coopératif. C’est le principe coopératif de l’éducation, la formation et l’information.
• La coopérative ne doit pas évoluer en vase clos, au contraire, elle doit se regrouper sous forme de fédération et de confédération dans le but de mieux servir ses membres et de renforcer le mouvement coopératif. C’est le principe de la coopération entre coopératives.
• Avec l’émergence des problématiques liées à l’environnement, les coopératives doivent contribuer, à leur façon, au développement durable de leur communauté. C’est le principe coopératif, datant de 1995, de l’engagement envers le milieu.
Voilà en résumé le projet coopératif: sept principes qui résument la vision du développement et qui guident la gestion de ce type d’entreprise.

1.2.1 Les coopératives et leurs effets sur le développement
Trois effets résument l’apport des coopératives sur le développement: elles contribuent à une efficacité économique accrue, une école d’entreprenariat et un développeur de capital social.

Efficacité économique. Parce qu’elles sont basées sur un besoin précis et non sur un objectif de maximisation des avoirs des actionnaires, elles contribuent à une meilleure efficacité du marché. Le cas des coopératives funéraires du Québec illustre parfaitement l’effet que peuvent avoir les coopératives sur le développement.

Les coopératives de consommation ont comme mission d’offrir à leurs membres (et à toute la société de par le principe d’adhésion volontaire et d’ouverture à tous) des produits et services au plus bas coût possible. Ainsi, le prix demandé aux membres est toujours près du prix coûtant et tout excédent est soit réinvesti dans la coopérative, soit redonné aux membres ou à la communauté. Il n’y a aucune raison pour la coopérative de consommation de vouloir faire un grand profit puisque, de toute façon, comme le membre est à la fois l’utilisateur et le propriétaire, le profit qui serait réalisé sur le service rendu devrait lui être remis en fin d’année. Grâce à ce type de coopérative, les autres entreprises du même secteur ne peuvent par conséquent se permettre de demander des prix beaucoup plus élevés.

Ainsi, lorsque les coopératives ont démarré dans le domaine des services funéraires, malgré plusieurs entreprises compétitrices, elles ont fait chuter les prix de près de 50 %. Et avec 15 % des parts du marché des funérailles au Québec, elles ont su maintenir depuis le prix des funérailles à 50 % du prix demandé par le marché dit compétitif. Aujourd’hui, c’est l’ensemble des citoyens qui bénéficie de leur présence.

Résultats similaires avec les caisses populaires Desjardins qui comme coopératives, sont accessibles à tous. Si bien qu’au Québec, les gens à faibles revenus se retrouvent presque exclusivement chez Desjardins. Les autres institutions financières canadiennes, fondées sur la notion de maximisation des avoirs des actionnaires, n’ont pas, de façon significative, de clients à faible revenu. Les affaires que ces banques pourraient faire avec cette clientèle ne seraient pas une source de grande profitabilité. Pourtant, nombre de services financiers sont considérés comme essentiels et devraient être accessibles à tous. Le système bancaire: exemple typique où la rentabilité maximum prend le pas sur la raison d’être d’une organisation.

On peut ainsi poser l’hypothèse que sans la présence d’une coopérative financière forte au Québec, une grande partie de la population québécoise serait sans services financiers. Imaginons donc ce que l’État québécois devrait débourser pour pallier ce manque de services essentiels. Présentement, ce sont les membres de Desjardins qui assument cette responsabilité (et non l’État qui tolère cette réalité) alors que les grandes banques sont muettes face à leurs responsabilités. Le marché fondé sur la recherche de profit ne répond pas à tous les besoins. Toute la population du Québec bénéficie de la présence d’une coopérative dans le secteur financier même si, à toute fin pratique, seuls les membres de Desjardins sont solidaires avec l’ensemble de la population.

Phénomène similaire avec les coopératives de travailleurs du secteur ambulancier. Ces coopératives regroupent des ambulanciers qui ont à faire face quotidiennement à des situations de vie ou de mort. Rapidement, ils se rendent compte que des vies pourraient être sauvées s’ils possédaient un défibrillateur cardiaque. Mais cette pièce d’équipement est coûteuse et la coopérative n’a pas, à première vue, les moyens de se la payer, pas plus, supposons-nous, que l’entreprise traditionnelle dans ce secteur qui se bat pour toujours donner de meilleurs services.

Comme les décisions dans ce type de coopérative se prennent par les travailleurs et qu’ils font face quotidiennement à des situations où un défibrillateur cardiaque s’avère essentiel, ils décident d’utiliser une partie de leurs excédents et d’organiser en plus des levées de fonds pour se doter de cet appareil. Ils choisissent donc consciemment de faire moins d’argent pour mieux faire leur travail. Ainsi se sont-ils procuré l’appareil aujourd’hui devenu équipement de base dans toutes les ambulances au Québec. Nombre de vies ont pu être sauvées grâce à la présence de coopérative de travailleurs dans ce secteur.

Dans une autre étude portant sur un projet de coopératives de producteurs dans le secteur du coton au Bénin, la Société de coopération pour le développement international (SOCO-DEVI, 1998) a conclu que ces coopératives bien que ne détenant que 5 % du marché, ont pu discipliner les autres acteurs du secteur en maintenant les prix de vente du coton ainsi que les prix des intrants agricoles à un niveau accessible pour eux.

Tous ces exemples démontrent que l’organisation basée sur le profit et sur l’intérêt financier est loin d’être efficiente et que l’action, par le marché, de l’ensemble de ces organisations ne sait répondre à tous les besoins. La présence de ces coopératives démontre qu’une organisation basée sur les besoins et sur l’action collective est en mesure de répondre aux besoins des personnes dans une vaste gamme de produits et de services et de pallier les abus du système de marché où les organisations capitalistes dominent.

Les coopératives: école d’entrepreneuriat. Elles contribuent également au développement en étant des lieux d’entrepreneuriat collectif. De par leur identité, les coopératives permettent à des regroupements de personnes de prendre leur développement en main.

Les coopératives ont, à maintes reprises, prouvé leur efficacité, en transformant d’une part des besoins non satisfaits par le marché traditionnel en des besoins satisfaits, et en devenant des lieux de développement au service de leur collectivité, en bonne partie parce qu’elles sont branchées sur les besoins de leurs membres. Des coopératives établies aux quatre coins de la province prouvent la solidité de ce type d’entrepreneuriat qui, au Québec, possède le meilleur taux de survie, dépassant de presque du double l’entreprise traditionnelle (ministère de l’Industrie et du Commerce, 1999).

Elles sont un lieu d’amélioration des conditions de vie des gens et des collectivités en dehors de la logique libérale et des interventions de l’État.

Les coopératives: créatrices de capital social. Enfin, elles contribuent au développement de ce que l’on nomme le capital social, dynamique importante du développement durable. Le capital social se définit comme étant une régulation sociale volontaire (Programme des Nations Unies pour le développement 1994 p. 18). Dans un projet, par exemple, dont l’objectif serait de permettre aux gens de se déplacer plus rapidement, il y aurait un besoin de capital physique, soit des routes, ponts, automobiles, etc., de capital humain, soit essentiellement des capacités comme savoir conduire, connaître la mécanique, etc., et finalement de capital social, qui porte sur les relations entre les gens, soit cette régulation sociale qui regroupe le respect des lois régissant le transport, le code de la route, les règles de courtoisie, etc.

Pour le président sortant de l’Alliance Coopérative Internationale, la coopérative est un producteur de capital social. «Le capital social est comme la colle invisible qui maintient la cohésion des sociétés. Cette cohésion repose sur la confiance entre les personnes ainsi que sur le réseau de rapports entre elles et les groupes sociaux qui forment les communautés. La coopérative est après tout une société basée sur la confiance entre les personnes et sur la cohésion sociale et elle est une entreprise qui fait des affaires… À cette fin, nous devons organiser nos coopératives avec rigueur et professionnalisme. Les rendre compétitives et efficaces, comme se doit toute entreprise insérée dans le marché… sans perdre de vue les principes et les valeurs qui rendent les coopératives uniques» (Rodriguez, 1999).
Combinée à l’utilisation des autres leviers traditionnels du développement que sont les capitaux physique, humain et financier, la coopérative touche donc à tous les leviers du développement.

Ainsi, les coopératives, par leur dynamique entrepreneuriale, améliorent les capacités de prise en charge des individus et des communautés. Par leurs différences, elles augmentent le capital social des communautés. Et, par leur mission, elles sont des régulateurs puissants dans la dynamique des marchés. L’action des coopératives sur le développement produit des résultats tels que décrits plus haut lorsqu’elles sont gérées selon les valeurs et principes coopératifs.
De l’économie d’extraction au développement durable

Nous nous flattons de posséder une technologie avancée dans le domaine de la production des biens et des modèles de gestion basés sur un savoir tout aussi avancé. Nous avons la conviction de devoir notre richesse avant tout à cette technologie et à ce savoir. Comme René Dubos nous l’a rappelé en 1973, c’est là une illusion:
La civilisation industrielle a jusqu’ici fondé son économie sur l’extraction. Elle a pillé les richesses en combustibles et en minerai accumulées dans les entrailles de la terre au cours des ères géologiques; elle a pillé la richesse agricole accumulée sous forme d’humus; et voici qu’elle commence à piller les richesses minérales et biologiques des océans, même s’il doit en résulter la contamination des eaux par des nappes de pétrole et la destruction des espèces aquatiques. Pourtant, ce pillage ne dure qu’autant qu’il reste économiquement rentable. Lorsque les ressources s’épuisent ou que le coût de l’extraction devient trop élevé, le site est généralement abandonné. Cités fantômes, et terres incultes sont les tragiques témoins de la civilisation extractive sur une grande partie du globe. Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les XIXe et XXe siècles ont été plus destructeurs que créateurs, parce qu’ils ont utilisé et souvent gaspillé les richesses emmagasinées sous forme de ressources naturelles. Ayant tous tiré profit de cette économie d’extraction, nous avons nourri l’illusion que nous la devions entièrement à la connaissance scientifique et à l’habileté technologique. En réalité, la croissance technologique rapide des deux derniers siècles n’a été possible que parce que l’homme a exploité sans frein les ressources naturelles non renouvelables, aboutissant ainsi à dégrader l’environnement. 8
La même réflexion s’impose face aux résultats sociaux de notre modèle de développement: celui-ci ne produit pas d’équité. L’écart entre le plus riche et le plus pauvre est de plus en plus grand. Dans notre monde d’organisations capitalistes bien gérées, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim toutes les sept secondes. Nous possédons pourtant les connaissances et les technologies pour pouvoir nourrir, vêtir, loger, éduquer l’ensemble des habitants de la planète. Nos modèles de gestion ne sont pas efficients.

L’exemple des coopératives et des organisations du développement durable basées sur les principes du pas à pas avec la nature démontre que le dogme libéral du développement sans règles et de son modèle de gestion basée sur l’intérêt financier à court terme d’une petite partie de la population ne suffit pas à assurer une meilleure qualité de vie. La foi en notre modèle de gestion n’est plus viable. Un nouveau modèle de gestion doit tenir compte des quatre capitaux du développement: social, humain, matériel et écologique.

FIGURE 2.La perennité sous l’angle de la conservation du capitale et des investissements.

Cette proposition de Gladwin 9 est fort simple: le travail des entreprises doit tendre vers le scénario de la durabilité, dans lequel tant les capitaux écologique, matériel, humain que social sont en croissance. Les défis de notre époque nous obligent donc à nous donner des balises et des obligations de résultats: préservation et enrichissement de notre système écologique; préservation et enrichissement de nos communautés. Nous devons revenir à la mission essentielle de nos savoir-faire technologiques et de notre dynamique de gestion des organisations: améliorer la qualité de vie de tous. Et plusieurs organisations le font déjà avec succès. Notes
1. Voir le concept d’empreinte écologique: (www.agir21.org)
2. La commission mondiale sur l’environnement et le développement: Notre avenir à tous. Montréal, Éditions du Fleuve, 1987, p. 37.
3. Gladwin, T. N. et Kennely, J. J., «Sustainable development: a new paradigm for management theory and pratice», dans Bansal, P. et Howard, E., Business and the natural environment, Londres, Butterworth-Heineman, p. 13 à 19.
4. D. Bérard, Mintzberg, «La théorie prend trop de place!», L’Actualité, 1999, juin, p. 15.
5. P. Hawken, L’écologie du marché, 1995, p. 20-21.
6. Alliance coopérative internationale, Déclaration sur l’identité coopérative, 1995
7.Voir sur le site de l’Université Lumière de Lyon
8. René Dubos, Les dieux de l’écologie, Fayard, Paris 1973, page 173.
9. Galdwin, T. N. (2000). Plaidoyer en faveur d’un développement durable.

Source : AGORA
http://agora.qc.ca/documents/cooperative–les_cooperatives_au_coeur_du_developpement_durable_par_michel_lafleur

Le Coopérateur agricole

Josette Lanteigne
Notons d’abord que toutes les informations livrées ici ont été tirées du site Internet de la Coopérative fédérée et particulièrement d’un long texte de l’historien Jacques Saint-Pierre, qui partage avec nous le fruit de longues recherches solitaires aux archives des Hautes Études Commerciales (HEC), où se trouvent les archives de la Fédérée, consistant essentiellement en procès-verbaux des instances décisionnelles. Il a également mené de nombreuses entrevues avec des élus et des employés actuels ou retraités de la Fédérée et des coopératives affiliées. Le résultat de toutes ces démarches se retrouve dans son Histoire de la Coopérative fédérée de Québec,publiée aux éditions de l’Institut québécois de recherche sur la culture.
Après treize années d’éclipse au profit d’une association avec la revue Ensemble!, Le Coopérateur agricole a été relancé en 1972 pour fêter le cinquantenaire de la Fédérée, dont les origines remontent avant les années 20 et se confondent avec celles du mouvement coopératif.
À la suite de l’application de quelques nouvelles lois, dont la Loi des sociétés coopératives agricoles de 1908 est la plus déterminante, malgré ses imperfections, les coopératives agricoles vont se développer, à partir de 1910, accompagnant le mouvement de réussite des caisses populaires qui se produisit à la même époque. Toutefois, la quasi-totalité des quelque 300 coopératives paroissiales ou régionales fondées avant 1920 n’auront qu’une existence éphémère. Du côté des grandes centrales, la situation n’était guère plus encourageante: ainsi, le Comptoir coopératif de Montréal était alors en lutte ouverte avec la Société coopérative agricole des fromagers.
L’idée d’une fusion des trois grandes centrales (la Coopérative des Fromagers de Québec, le Comptoir coopératif de Montréal et la Société coopérative des producteurs de semences de Sainte-Rosalie) avait été lancée dès 1918, mais c’est seulement en décembre 1922 que la Loi de la Coopérative fédérée reçoit la sanction royale, mettant fin à la concurrence entre les coopératives. Jusqu’en 1929, la Coopérative fera plutôt dans le fromage (45% de la production québécoise), le beurre (15%) et les animaux vivants. Mais la crise amène avec elle son lot de difficultés, et la Fédérée doit céder sa laiterie. Elle adhère alors à la Coopérative canadienne des producteurs de bétail, ce qui lui permet de revenir du beau côté de la médaille, puisque la nouvelle organisation rejoint 30% des arrivages totaux. Les ventes progressent également du côté des engrais alimentaires et surtout minéraux, et des semences, en bonne partie grâce aux agronomes du ministère de l’Agriculture, qui logent des commandes à la Fédérée.
Cette proximité avec le gouvernement soulève toutefois la méfiance de certains, dont celle de l’Union des travailleurs agricoles (UCC), fondée en 1924. Qu’à cela ne tienne, un nouveau ministre abandonnera les pouvoirs du gouvernement sur la Fédérée, tout en continuant de la soutenir financièrement. Malgré une refonte de sa charte, la Fédérée se retrouve avec un déficit d’un demi million de dollars en 1930. Entre 1930 et 1937, elle recevra en subventions plus d’un million de dollars. Le gouvernement lui accordera en plus un prêt de 750 000 $ à taux avantageux.
Au début des années 30, la Fédérée n’est pas en situation avantageuse: sa part du marché du fromage, par exemple, est passée de 45% au quart de la production provinciale. De plus, elle est en concurrence avec le Comptoir de l’UCC. Dieu merci, cette lutte fratricide cessera en 1938 avec la fusion des deux organismes, les niveaux de la part du marché de la Fédérée revenant à leurs taux d’avant la crise.
Depuis le congrès de 1928, La Terre de chez nous était l’organe officiel de l’UCC (qui sera remplacée en 1972 par l’UPA, l’Union des producteurs agricoles). La Fédérée aura sa place dans les pages publicitaires du nouveau journal mais avec le temps, elle voudra son propre organe. C’est au début de 1948 que la Fédérée fait paraître le premier numéro du Coopérateur agricole, tout en conservant sa page d’information dans La Terre de chez nous.
Le nouveau mensuel n’avait pas loin de 10 000 abonnés. En plus de faire connaître les politiques générales de la Fédérée et de donner des nouvelles de ses différents services, il livrait à ses lecteurs des éclaircissements sur la doctrine coopérative, des informations d’ordre technique ou sur les conditions du marché des produits agricoles, des réflexions sur certains problèmes d’actualité, etc.
Dans son format actuel, Le Coopérateur agricole existe depuis plus de vingt-cinq ans. Il rejoint 20 000 abonnés, ce qui est encore loin derrière le tirage de La Terre de chez nous. Il est d’autant plus heureux de retrouver sur le site de la Fédérée des archives du magazine qui remontent à… 1999. Il y a certainement beaucoup d’articles plus anciens qui mériteraient d’être numérisés. Car le secteur agroalimentaire est de plus en plus un secteur chaud, ne serait-ce que par ses ramifications qui rejoignent la santé, l’environnement, l’économie, voire la politique.
Justement, si on fait une recherche sur les articles récents du directeur du Coopérateur, pour voir dans quel sens va sa pensée, on tombe sur plusieurs articles où Claude Lafleur prend position par rapport à nos grands voisins, les Américains. Voici un extrait de la rubrique «Tour d’horizon», de janvier 2001:
«…avec une bourse de 5 milliards de dollars, les Américains pourraient se payer l’actif de tous les transformateurs coopératifs et privés présents au Québec. Tous, sans exception. Et encore, il en resterait suffisamment pour acheter une bonne partie de la capacité productive de l’Ontario.
Chez nos voisins Américains, le phénomène de concentration semble sans limite. Les lois anti-monopoles américaines, pourtant très efficaces contre Microsoft et Bill Gates, semblent impuissantes lorsqu’il s’agit de civiliser le secteur agroalimentaire. Filière par filière, les quatre plus gros joueurs contrôlent 82% du bœuf, 75% du porc et 50% du poulet.»
source:
http://www.coopfed.qc.ca/Cooperateur/articles_archives/chroniques/Lafleur/lafleur_avr_01.htm
Quelques mois plus tard, dans la même rubrique (avril 2001):
«Smithfield Foods Inc.: le plus gros producteur de porc au monde. Le plus gros transformateur de viande porcine aussi […] la production annuelle de porc de cette seule entreprise est exactement le double de tout ce qui se fait au Québec! C’est 12% de la production américaine, ce qui n’est pas peu dire. À plein régime, ses usines de transformation et ses fermes porcines emploient près de 37 000 salariés. Pas mal pour une entreprise qui n’en avait que 5000 il y a à peine 10 ans.»
source:
http://www.coopfed.qc.ca/Cooperateur/articles_archives/chroniques/Lafleur/lafleur_jan_01.htm
Comment, dans ces conditions, la petite agriculture québécoise pourrait-elle avoir un avenir? Mais il ne s’agit pas uniquement d’elle… Saviez-vous qu’il y avait (en 2000) deux millions de fermes aux États-Unis, pour la majorité des fermes familiales, avec des revenus inférieurs à 50 000 dollars? Ces gens doivent souvent occuper un emploi à l’extérieur de la ferme pour joindre les deux bouts.
Étrangement, on retrouve la même situation chez nos voisins Ontariens, et si c’est différent au Québec, c’est justement à cause du large mouvement coopératif, de la puissance des organisations collectives au Québec:
«Les producteurs ontariens, en effet, souffrent terriblement de l’absence d’un syndicalisme agricole bien organisé, comme l’UPA, et d’un mouvement coopératif bien implanté comme le nôtre. Au Québec, le réseau coopératif occupe systématiquement le terrain, détenant souvent plus de la moitié des parts de marché. Leur seule présence est rassurante et sécurisante. À l’opposé, la grande fédération ontarienne des coopératives a fermé ses portes il y a dix ans, victime d’investissements douteux, d’une gestion déficiente et surtout de l’indifférence de ses membres. Résultat: les multinationales occupent maintenant toute la place, multipliant ici et là des contrats d’intégration, avec des conséquences désastreuses pour les fermes autonomes et familiales.»
source: http://www.coopfed.qc.ca/cooperateur/articles_archives/archives/juill_aout00/jui_aout00/p66_horizon.htm
Étrangement, c’est aussi cette désaffection, à laquelle le mouvement coopératif voulait mettre fin, dans les débuts de l’histoire de la Fédérée, qui faisait dire à notre historien que les fermiers avaient perdu leurs fermes par leur faute: «Bien qu’il y ait des exceptions, la quasi-totalité des quelque 300 coopératives paroissiales ou régionales fondées avant 1920 ont une existence éphémère. L’apathie des cultivateurs est en définitive la cause profonde de l’échec. Il faudra la crise de 1929 et l’action de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) pour venir à bout de l’individualisme et raviver la solidarité de la classe agricole». Souvent, ce n’est pas le travail qui manque mais l’argent, voire les liquidités car on peut être riche et ne pas avoir d’argent. Le mouvement coopératif a des avantages évidents de ce point de vue.
Mais on doit toujours compter avec les autres, et le mouvement coopératif lui-même doit s’ouvrir dans un monde qui bat à l’heure de la mondialisation. Selon le président actuel de la Fédérée, la mondialisation est là pour rester. Et la Fédérée aussi, avec ses 98 coopératives implantées un peu partout au Québec et tout récemment en Ontario (la Fédérée vient d’acquérir les actifs de AgriEst, une importante coopérative de l’Est ontarien): «La Fédérée demeurera le principal fournisseur de biens et services aux producteurs québécois. Je pense aussi qu’elle valorisera encore davantage les produits agricoles, qu’elle leur donnera une valeur ajoutée importante. Et ce sera une entreprise plus tournée sur les marchés extérieurs. Les ventes à l’étranger connaîtront une croissance significative.»
source : AGORA
http://agora.qc.ca/documents/cooperative–le_cooperateur_agricole_par_josette_lanteigne

Egypte : Fatwa du Sheikh Ahmad Farid autorisant le meurtre des manifestants

La Fatwa salafiste et les dix commandements américains

L’effet domino et le redécoupage du monde musulman par l’Empire et la réponse salafiste par la Fatwa de Cheikh Ahmed Farid d’Alexandrie autorisant l’armée à tuer les manifestants sont la manifestation du huitième des dix commandements américains. Ils annoncent d’autres manifestations des dix commandements américains et tout particulièrement de ce huitième qui consiste à morceler le divisable et à fragmenter le divisé par les Arabes sous l’impulsion du Grand Échiquier de Brezinski.

On ne peut comprendre un phénomène ou agir sur ses paramètres que si on l’observe dans son champ civilisationnel, son harmonie ou ses dissonances avec ce champ, son attirance vers le centre de gravité de ce champ ou son expulsion hors et loin de ce champ.

L’Empire britannique a construit sa domination coloniale sur l’étude géographique (humaine, topographique, ethnologique, ressources physiques et sociologiques) de ses colonies et des futurs pays à coloniser. Il a créé à cet effet l’Académie royale de géographie qui réunit les archives, les experts et les cartes de modélisation du monde et de l’Empire.

L’empire germano Prusse a construit sa grandeur sur les conquêtes et les expansions de territoires par Frédéric le Grand, roi-philosophe, artiste et éclairé. Ce roi a créé la première académie militaire moderne et a institué l’enseignement de l’Histoire. L’histoire devenait le moteur de compréhension du monde et le socle d’émergence des Empires dans une Europe morcelée au 18e siècle bien avant qu’elle ne fonde l’État-nation moderne colonialiste. Les historiens militaires de Frédéric II avaient désigné les Dardanelles comme lieu de focalisation des futures guerres et des futurs en jeux.

En schématisant, on peut dire que l’esprit européen cartésien a fixé la ligne d’affrontement sur un plan civilisationnel entre l’Occident chrétien et l’Asie musulmane. Quand l’Amérique hérite des Empires et des cultures européennes elle hérite ce sens de la géographie et de l’histoire pour assurer leur domination mondiale, morceler les territoires musulmans et remodeler leur histoire et leur géographie.

Le savant musulman s’occupe des ablutions et des menstrues alors que le Coran lui commande d’observer et de méditer sur la géographie et sur l’histoire pour en tirer enseignement :

{Certes, beaucoup d’événements se sont produits antérieurement à vous ; parcourez donc la terre et observez…} Al Imrane – v137

{N’ont-ils donc pas parcouru la terre, de sorte qu’ils aient des cœurs avec lesquels ils raisonnent ou des oreilles avec lesquelles ils entendent ?} Al Hajj – v46

Comme nos savants sont silencieux, je vais citer François Braudel :

“Les événements d’hier expliquent et n’expliquent pas, à eux seuls, l’univers actuel. En fait, à des degrés divers, l’actualité prolonge d’autres expériences beaucoup plus éloignées dans le temps. Elle se nourrit de siècles révolus, même de toute ‘l’évolution historique vécue par l’humanité jusqu’à nos jours’. Que le présent implique pareille dimension du temps vécu ne doit pas nous paraître absurde bien que, tous, nous ayons tendance, spontanément, à considérer le monde qui nous entoure dans la seule durée fort brève de notre propre existence et à voir son histoire comme un film rapide où tout se succède ou se bouscule ; guerres, batailles, entretiens au sommet, crises politiques, journées révolutionnaires, révolutions, désordres économiques, idées, modes intellectuelles, artistiques… Ainsi, un passé proche et un passé plus ou moins lointain se mêlent dans la multiplicité du temps présent : alors qu’une histoire proche court vers nous à pas précipité, une histoire lointaine nous accompagne à pas lents […] Les civilisations sont des espaces […], des sociétés […], des économies […], ‘des mentalités collectives’ — ‘les civilisations sont des continuités’ — l’ensemble de ces éléments et de leurs interactions forme une grammaire”.

La notion de grammaire évoque l’exercice d’une langue et les normes caractérisant diverses manières de parler et d’écrire. Elle évoque la notion d’étude philosophique et logique d’un phénomène dans sa genèse et son devenir. Elle évoque l’étude des mécanismes, des règles et des finalités des processus c’est-à-dire de l’ensemble des intrants, des flux et des extrants qui se déroulent dans la mobilisation et la transformation du sol, du temps et de l’homme vivant dans un territoire. Malek Bennabi donne une configuration plus vive et plus vigilante, car il y introduit l’orientation idéologique qui fixe le but, la direction et le sens de la marche collective ainsi que la culture qui est l’ambiance sociale, éthique, esthétique et religieuse qui détermine les finalités d’une communauté humaine et la distinguant d’une autre dans ses désirs, ses aspirations et la manière d’occuper son temps et son espace.

Toute la dialectique entre une révolution qui se veut islamique et les dix commandements impérialistes est dans le rapport et les capacités de chacun à conjuguer cette grammaire des civilisations. Le Musulman doit conjuguer cette civilisation en reconstruisant et en liant les mentalités collectives, les géographies, les histoires et l’ensemble de possibilités orientées vers un même but commun et bien entendu vers l’avenir en s’appuyant sur les fondamentaux invariants de l’Islam. S’il ne le fait pas avec art et assiduité, l’Empire occupe le terrain et détricote la grammaire en opérant des césures, des cassures, des chocs, des traumatismes dans les mentalités, dans les espaces et dans les faits historiques par le matraquage idéologique, médiatique, psychologique et militaire. La vision de Cheikh al Ibrahimi reste d’actualité même si elle demande un léger effort d’adaptation dans les conditions néocolonialistes :

“En effet, la France coloniale a pilonné l’Algérie avec quatre types de forces d’influences diverses, mais coordonnées dans leur visée finale et étendue dans leur dimension et leur portée. En vérité, un seul objectif est ciblé : la consolidation de la colonisation et la territorialisation du colonialisme. Dans la conjugaison de ces quatre forces de combat, les troupes d’occupation ne sont que l’aspect le plus visible, mais le moins dévastateur et le moins durable sur le plan de l’effet social et historique sur le peuple algérien.

La France est venue en Algérie avec son missionnaire-évangéliste colonisateur pour corrompre l’islamité des Algériens, les pousser à douter de leur foi et de leurs valeurs, et provoquer la sédition et le désordre au sein des musulmans. Elle est venue pour effacer de leur mémoire et de leur langue le Nom d’Allah Al Hadi (Celui qui donne la Guidance) par le nom de leur icône déifié ‘le Rédempteur’ en donnant à ce missionnaire l’appui logistique, le soutien militaire après avoir nié Jésus là-bas et décidé de l’imposer ici.

La France est venue avec l’éducation ‘colonisatrice’ et la science ‘colonialiste’ pour corrompre les esprits des fils des musulmans et semer le trouble dans leurs pensées, pour déposséder leur conscience leur langue et leur littérature au profit de celles de la France, pour falsifier et dénaturer leur histoire et réduire le rôle et l’importance de leurs ancêtres à leurs yeux fascinés par d’autres figures, pour les inciter à renoncer à leur religion. L’enseignement colonial vise à créer une pensée handicapée dont les effets sur la personnalité sont pires que ceux de l’ignorance.

La France est venue avec le médecin colonialiste dont la vocation première est de préserver la santé de la population européenne et de ce fait il ne s’installe que là où s’installe la colonie de peuplement européen ou européanisé. Il n’a pas la préoccupation d’être auprès des campagnes, des tribus et des douars peuplés par les millions de musulmans. Si la médecine colonialiste intervient dans la population musulmane, c’est comme si sa vocation n’est pas de soigner, mais d’inoculer des maux nouveaux à la place d’un mal ancien, d’éradiquer un microbe en cultivant à sa place d’autres microbes, d’expérimenter ses nouveaux savoirs et ses nouveaux remèdes sur une population musulmane devenue cobaye humain. Tous ces désastres ne suffisent pas il faut encore que le médecin français s’enrichissent sur le dos des malheurs des autochtones musulmans que le colonialisme a précarisés sur le plan sanitaire par l’instauration de la pauvreté et de l’ignorance.

Il est certain que le colonialisme institué sur le soldat, le missionnaire, l’enseignement et le médecin est une structure animale prédatrice marchant sur quatre pattes. C’est par ces quatre moteurs que le colonialisme a mis en panne les talents, les possibilités et le génie de millions de musulmans. Il a ainsi pu saper leur effort, figer leur mental, rendre inerte leur cognition, rendre stériles leurs idées. Il a ainsi privé l’humanité de millions de potentialités en énergie créatrice, en cerveau fécond, en mental imaginatif, en idée généreuse qui sont un prodigieux capital dont l’humanité aurait profité et utilisé pour résoudre ses problèmes, mais que le colonialisme a sabotée, détruit, détourné du bien pour laisser les collectifs humains sans ressources capables d’ériger des cités, de promouvoir des civilisations et de se mettre au service de l’humanité. Le colonialisme est la forme la plus pessimiste et la plus cynique dans la destruction de l’humain. »

Si la France est venue avec sa logique colonialiste, la révolution égyptienne est venue son sophisme fallacieux des Salafistes apologues de l’anarchie et de la monarchie pour introduire une césure dans la Révolution et une gangrène dans le corps social comme cela s’est fait en Libye et comme cela est en préparation en Algérie. En réalité, quand un mouvement social, culturel, religieux ou politique vit en marge de la société et hors des rouages politiques et économiques légaux de l’État nonobstant l’illégitimité et la tyrannie du régime, il ne peut être que chaotique, entropique avec une dérive démiurge. La dérive démiurge lui permet de jeter l’anathème sur les autres et de les traiter d’hérétiques alors qu’Allah n’a permis à aucun homme de percer le secret du cœur d’un autre ni admis qu’un homme ou qu’une secte se considère comme la secte du salut et les autres des condamnés à la perdition et à être perdus :

{Ne faites donc pas votre propre éloge. Il Est Plus-Scient de celui qui a été pieux.} (S53, V32)

Allah a scellé les pensées intimes et les secrets des cœurs sinon la vie serait infernale ou dramatique. Les Salafistes bigots, non seulement sont une césure dans les mentalités collectives, dans le corps social, mais ils veulent être une interposition entre le cœur de l’homme et son Créateur, entre sa liberté d’agir et leur conception sectaire et bornée du libre arbitre ou de l’exercice politique sans tutelle théocratique et sans bornage militariste. Ils sont loin de comprendre cette sagesse : ‘Il se peut que Dieu te montre les mystères de Son Royaume céleste (malakût) et qu’Il ne permette pas de voir les secrets des hommes. Quiconque percevrait les secrets des hommes sans que son âme se soit conformée à la Miséricorde divine, cette perception serait pour lui une tentation (fitna) et pourrait lui attirer de graves dommages.’

C’est cette dérive démiurge qui leur permet de juger à la place de Dieu et de se substituer à l’État. C’est dans cet esprit pervers que nous lisons la Fatwa d’Ahmad Farid cheikh d’Alexandrie autorisant l’armée à tirer à balles réelles sur les Manifestants. Moubarak et tous les tyrans du monde n’ont jamais eu la folie de le dire si ouvertement. Autoriser le meurtre de manifestants sous prétexte qu’ils troublent la paix civile ou qu’ils sèment la ‘Fitna’ est une hérésie qui vient s’ajouter à celle de Qaradhawi demandant, en direct d’Al Jazzera, d’assassiner Kadhafi chef d’État. Si ce genre d’inepties se multiplient et se tolèrent, ces révolutions vont devenir pires que la Révolution française avec ses exactions et ses meurtres : elles vont devenir une profanation de l’Islam qui a pourtant sacralisé la vie humaine. Banaliser le meurtre politique est un crime, se taire devant cette banalisation c’est être un Shaytan akhrass — un serpent tapi ou un Satan muet. »

Cette fatwa est une honte pour le monde musulman, un couteau enfoncé dans le dos de la révolution égyptienne, un archaïsme contraire à notre époque et à ses défis. Une atteinte à la décence morale. Un vol politique. Une tutelle de bigots sur les peuples. Une application des dix commandements américains.

C’est aussi une pédagogie : voilà comment un système de vote de parlementaires sans cadre d’orientation idéologique, sans conscience politique ni programme ni vision géopolitique parvient à placer en seconde position des abrutis, des paresseux, des opposants à la révolution en Égypte. Ce résultat est l’empressement des Frères Musulmans à faire des concessions à l’armée égyptienne du début de la révolution à ce jour. C’est le prix de la rançon que le peuple égyptien va payer. Ceux qui n’ont jamais fait de politique et n’ont jamais milité que pour leurs ventres se trouvent élus à la place des jeunes qui ont payé de leur sang et de leurs larmes et de leur sueur le prix du renversement de la dictature et de son système du Taghut ( les sionistes, les impérialistes les forces de sécurité et les appareils de corruption).

Ces Salafistes étaient farouchement opposées à la révolution et dès que la place Tahrir est évacuée ils confisquent à leur profit la révolution. Ces Salafistes ne sont pas encore installés officiellement, mais ils font déjà des concessions à Israël et émettent des Fatwa alors qu’ils ne représentent ni l’institution d’Al Azhar ni la justice ni le ministère de l’Intérieur ni la présidence ni le chef de gouvernement ni une séance parlementaire. Ils travaillent en huis clos et hors-la-loi. L’esprit de secte est incompatible avec l’idée de l’État de droit et il est antinomique avec un projet de civilisation ou de libération. Si l’Égypte reste longtemps aux mains des frères musulmans et des Salafistes ce sera la plus grande catastrophe dans l’ l’histoire égyptienne, car elle se fera au nom de l’Islam.

Les Salafistes égyptiens et les Frères Musulmans ont soutenu le conseil militaire contre les intérêts de leur peuple et les sacrifices de leurs jeunes. L’humanitaire de ‘Amr Khaled avec l’armée ne peut se substituer à un processus économique normal. Je me disais pourvu qu’il aille jusqu’au bout de l’impasse et ainsi la révolution reprendra avec l’émergence d’autres forces islamiques et non islamiques hors systèmes des confréries maraboutiques et salafistes apologues de l’Arabie saoudite et de la niaiserie politique et intellectuelle. Et les voilà en train de se dévoiler nus comme des vers de terre.

Tuer un manifestant est pour eux quelque chose de banal. Ces crétins, spécialistes de la casuistique religieuse contraire à l’esprit de l’Islam, sont ceux là même à qui l’Amérique va tenter de donner le pouvoir en Algérie pour faire entrer l’Algérie dans une guerre de mille ans.

Ghozali et Bouteflika ont favorisé l’émergence en Algérie de ce profil corrompu, simpliste, immoral et impitoyable. Ils dominent les mosquées, les rues, les marchés, l’économie informelle, les indics de police. Il est temps que se manifestent d’autres forces islamiques et non islamiques hors systèmes des confréries maraboutiques et des salafistes apologues de l’Arabie saoudite et de la niaiserie politique et intellectuelle. C’est heureux que les problèmes apparaissent très tôt avant qu’ils n’occupent les lieux et n’investissement les appareils de l’État. Qu’Allah les dévoile et qu’il les humilie.

La Fatwa subversive de Cheikh Ahmad Farid ridiculise l’Islam et le présente comme veulent les Américains “la régression féconde”. Il faut garder à l’esprit que ces gens sont falsificateurs du Coran par leur interprétation erronée des Hadiths et leurs recours exclusifs aux Hadiths confondant l’authentique du douteux et ne connaissant ni le contexte ni la signification du hadith se bornant à son formalisme le plus simpliste, le plus réducteur de la raison et le plus contradictoire avec le Coran. Ils sont pareils aux suivistes du Samariy qui a fait construire le veau d’or au peuple de Moise :

{ Moïse choisit ses gens, soixante-dix hommes, pour Notre temps fixé. Et quand ils furent pris de tremblement, il dit : “Mon Seigneur, si Tu l’Avais Voulu, Tu les Aurais Fait périr auparavant, et moi aussi ! Nous Ferais-Tu périr en raison de ce que les insensés d’entre nous ont fait ? Ce n’est qu’une épreuve de Ta Part, Tu Fourvoies par elle qui Tu Veux et Tu Guides qui Tu Veux. Tu Es notre Protecteur, Pardonne-nous et Fais-nous Miséricorde, car Tu Es le Meilleur des Pardonneurs } (7, 157)

L’autre pédagogie est de retrouver le tricotage de l’Empire britannique qui a créé le Qatar comme continuité arabe vers ses colonies indiennes et égyptiennes par le Golfe Persique et la mer arabe. On le retrouve dans le tricotage vestimentaire et comportemental de l’Arabie ‘islamisée’ qui devient continuité territoriale, religieuse, idéologique, politique des Serviteurs des deux Lieux saints de l’Islam. Dans cette continuité, en réalité, on a introduit plusieurs discontinuités dont les ruptures avec l’esprit coranique, l’unité de la oumma musulmane contre le colonialisme, la Palestine comme troisième lieu saint, le refus de l’asservissement au despotisme, l’ostentation du futile, l’Iran et les chiites, l’Islam politique… Quand les Grecs étaient sous l’influence de Darius leurs philosophes, mathématiciens et hommes politiques portaient le turban et la barbe des Perses. Quand Mohamed (saws) était vivant, lui et Abou Jahl ou Abou Lahab portaient les mêmes vêtements qu’ont tissés les coutumes et la géographie. La plus grande confusion qui crée les discontinuités dans les idées, les mots et la grammaire de la civilisation est de confondre les traditions d’un pays crée par les Britanniques avec l’éthique, l’esthétique, la pudeur et la décence de l’Islam. Ignorants des symboles de notre propre civilisation, ce sont les autres qui créent nos symboles et nous les vendent comme prêt-à-porter, prêt-à-penser, dialecte d’incivilité et de régression.

Nous portons avec fière arrogance ce qui est perçu dans les imaginaires collectifs du monde comme symptômes de la décadence du monde musulman, et le pire c’est que les tissus qui couvrent nos peaux déchirées et nos cœurs divergents nous les importons de Chine ou de Taïwan si ce n’est d’Israël, car nous sommes dans l’incompétence de produire nos vêtements, nos aliments, nos idées et notre dignité.

Si nous laissons les insensés s’emparer du pouvoir en Algérie ce sera pire, car les nôtres seront armés par les insensés Libyens. C’est cette suffisance arrogante qui les rend instrument de l’Arabie saoudite et du sionisme pour déstabiliser un pays au profit des États-Unis. C’est cette dérive qui les rend répulsion agissante contre l’Islam alors que notre Prophète a dit ‘annoncez la bonne nouvelle et ne faites pas fuir les gens, facilitez et ne rendez pas les choses compliquées’.

Armés de Hadiths faibles ou douteux ils sèment la Fitna dans le monde musulman se croyant les apôtres de Jésus ou les Compagnons de Mohamed (saws) alors que Otman et Ali n’ont jamais interdit les manifestations ni jeté l’anathème contre des factions qui ont pourtant pris les armes contre eux. Quelle régression que de voir des sots se substituer aux Muftis.

Jamais la communauté musulmane ne reprendra sa grandeur ni ne s’émancipera de ce Wahn tant qu’elle n’a pas construit un État de droit avec une justice indépendante la seule qui a compétence à émettre des Fatwas. Aucun savant aussi prestigieux, érudit ou médiatique ne peut travailler et émettre une Fatwa en dehors du cadre judiciaire ou législatif. Sinon ce n’est pas un État citoyen, mais un État théocratique. Si par malheur ce sont ces Salafistes apologues de l’anarchie et de la monarchie qui s’emparent du pouvoir ce ne sera plus un État théocratique, mais une dictature d’ingrats et de haineux.

On va me dire que je participe à la Fitna et que je fais le jeu des ennemis en poussant les ‘modérés’ contre les ‘extrémistes’. Se taire devant l’absurde c’est en être complice. Il faut se libérer de la hantise des autres et se trouver les prétextes de notre stupidité et de notre dissimulation maladive ‘ne pas faire le jeu des sionistes’. Sobhane Allah ! Comme si les sionistes et leurs agents n’avaient pas leurs fiches tenues à jour sur chacun de nous ou comme s’ils ne connaissaient pas les pathologies qui fabriquent notre Wahn, notre insenséisme, notre inconséquence.

Ils agissent comme agents destructeurs des matériaux et des règles de conjugaison et de grammaire de la civilisation. Ils agissent en important, sous habillage islamique infantile, les germes qui contaminent les mentalités collectives pour qu’elles ne soient plus cimentées et qui relient par l’habit et les coutumes les espaces géographiques aux monarchies du golfe annexes du sionisme et de l’impérialisme américain.

C’est aux imams, aux intellectuels, aux politiques d’expliquer au peuple et aux apprentis intellectuels la grammaire d’une révolution réussie, la grammaire de la civilisation arabo musulmane à reconstruire dans sa propre aire profanée par le colonialisme et ses deux mâchoires qui sont le despotisme de ses vassaux et la corruption non seulement morale et économique, mais surtout idéologique.

Sans être un spécialiste de la grammaire des civilisations, on comprend aisément que le but du colonialisme est de laisser au sens propre et figuré les peuples arabes ignorants et analphabètes. Non seulement il veut leur laisser une élite qui cultive l’inculture politique, mais il va provoquer des césures ou des cassures dans ce qui fait la continuité d’une civilisation. Il va agir sur ses mentalités collectives en lui inoculant des virus étrangers à son corps social, mais reconnus comme tels pour ne pas être rejetés comme des greffons. Ils seront donc  » min jildatina et min alsinatina « . Il va provoquer des césures historiques en nous faisant rattacher à son aire de civilisation sur le plan des idées. Il va enfin opérer une discontinuité territoriale en créant une guerre menée par lui ou fomentée par lui à l’intérieur de la contigüité spatiale. Et c’est ce qu’il a fait en Libye pour couper l’Égypte et la Tunisie comme il a déjà morcelé le Soudan. Il ne va s’arrêter, car son projet est de morceler la Syrie en 3 ou 5 entités et plus tard l’Algérie….

L’Égyptien Mohamed Al Ghazali a répondu dans les années cinquante à la nature du colonialisme qui n’a pas changé : « Français, Anglais, Américains ne cessent de contrecarrer toute sorte de possibilités au développement en Orient, et ne le permettent que dans la mesure où ils récoltent la grande moisson, mettant en place des gouvernements qui servent leurs avidités et combattent les jeunes générations qui aspirent à la liberté, à la lumière. »

Je ne sais pas s’il faut livrer bataille contre le néocolonialisme pour opérer le véritable clivage et placer le curseur sur la lecture de la grammaire civilisationnelle pour édifier une Nahda authentique ou s’il faut d’abord épurer les rangs de l’intérieur et se mettre d’accord sur la langue, sa sémantique, son lexique, sa syntaxe et sa grammaire et puis décider de nommer les choses convenablement. Je ne sais pas, mais ce que je sais c’est qu’il y a urgence pour ne pas mourir de faim et de soif comme l’âne de Buridan.

Omar MAZRI

Vidéo de la Fatwa du Sheikh Ahmad Farid autorisant le meurtre des manifestants (en arabe)

Un frère Musulman, Wajdi Ghanem, répond :

Un salafiste, Hani Essouba’iy, répond :