Le changement et l’universel pour l’Algérie

إن الله لا يغير ما بقوم حتى يغيروا ما بأنفسهم، وإذا أراد الله بقوم سوءا فلا مرد له وما لهم من دونه من وال  – الرعد 11.

Dieu ne change rien à la situation d’un peuple tant que les Hommes ne changent pas ce qui est en eux-mêmes. Quand Dieu décide un mal pour un peuple, rien ne peut le repousser et il n’existe en dehors de Lui aucun protecteur.

ذلك بأن الله لم يك مغيرا نعمة أنعمها على قوم حتى يغيروا ما بأنفسهم وأن الله سميع عليم  – الأنفال 53

Dieu ne change rien au bienfait dont Il a gratifié un peuple tant que ces gens ne changent pas ce qui est en eux-mêmes. Dieu, certes, entend tout, Il sait tout. Tel fut le sort des gens de Pharaon et de ceux qui les ont précédés. Ils ont nié les signes de leur Dieu, alors Nous les avons fait périr à cause de leurs péchés et Nous avons englouti les gens de Pharaon : tous étaient iniques.

Il est difficile de trouver le terme exacte pour rendre  plus significative l’Irada al Ilahiha ( الإراضة الإلاهية). Il ne s’agit pas d’élan volontaire, mais de parole actée, de sentence qui sanctionne, de lois qui s’exécutent, de justice qui s’exécute… Acceptons  le verbe décider en attendant meilleure inspiration. Ce n’est pas de la rhétorique (Ilm al Kalam), mais de la rigueur, la même que s’impose un professeur de mathématiques ou de philosophie dans son argumentaire. Ce n’est pas du bavardage, mais de la communication pour dire que nous sommes partisans du changement et de la rupture et que chaque mot devra être analysé avec justesse et que le débat ne puisse être contenu dans une chapelle idéologique aussi éclairée soit-elle. Il s’agit du devenir d’un peuple, celui dont nous sommes issus et celui que nous voulons servir.

Il faut changer ce qui est en l’état d’un peuple pour que Dieu change la situation d’un peuple. Il faut non seulement conserver intact la gratitude envers les bienfaits de Dieu, mais l’entretenir et la cultiver en partageant ses bienfaits avec l’ensemble de Ses créatures, en devenant responsables, refusant la corruption et l’injustice et en produisant de la pensée positive et de l’action efficace.

Comme les gens paresseux aiment des recettes toutes faites et faciles, ils attendent que le changement leur tombe du ciel ou qu’il sorte des urnes. Le changement est d’abord un changement de paradigme, c’est à dire un changement dans la représentation du monde, une manière de voir les choses différemment, un modèle de comportement différent. Il ne s’agit pas d’une formule magique, mais de la capacité de penser, de débattre. Il ne s’agit pas de débattre en politicien ou confiné au politique, mais de débattre sur tout sans tabou, sans exclusion en acceptant de quitter sa zone de confort intellectuel et social.

Le changement dont parle le Coran n’est pas le changement de Zaïm politique ou de marabout idéologique. Il n’est pas dans l’adoption d’une morale islamique confinée à des sociocodes et à des géocodes importés du monde des bédouins pour uniformiser la manière de se vêtir, de manger, d’échanger de petites politesses, de prier sans spiritualité, et de commercer sans transparence et sans payer ses impôts. Cheikh Al Qaradhaoui, prisonnier du paradigme des anciens et de l’idéologie frériste soutient que nous avons besoin de morale islamique comme le pensaient Ibn Thaymiya et tous les anciens traumatisés par la chute de l’Empire Abbasside dont ils n’ont jamais cherché à comprendre le processus sociologique, politique et économique de son anéantissement historique.

Le problème n’est pas de l’ordre de la morale religieuse, mais de l’Éthique comprise comme réflexion (philosophie) qui analyse les principes régulateurs de l’action et du comportement dans une société et dans une époque pour comprendre les motivations et les possibilités du changement ou de la régression. C’est aussi une science sociologique et politique qui étudie la réalité sociale et les conditions économiques et techniques de l’activité humaine pour en dégager les valeurs normatives et les référentiels culturels et idéologiques de la tribu, de la société, de l’État constitué… Il faut noter que le principe relève du sacré transcendant alors que la valeur est l’appropriation subjective et sociale de ce principe à un moment singulier de l’histoire. Le principe est structurant, fédérateur et fondateur alors que la valeur est un paradigme changeant. Le changement exige donc de voir l’essence des choses et leur interprétation à travers l’usage et l’appropriation. Lorsqu’on parle d’Islam, on doit distinguer le principe universel des valeurs historiques, culturelles et sociales. Il en est de même en matière de berbérité, d’arabité, d’algérianité, de liberté, d’humanité, de droit, de justice. Le principe est en quelque sorte l’archétype et la valeur l’interprétation de ce principe dans un territoire, une période, une mentalité, une praxis sociale… Se placer sur le terrain des valeurs c’est se placer sur le conjoncturel historique ou géographique et par conséquent se placer sur les paradigmes du dominant qui dispose de l’avantage médiatique et du rapport des forces. Se placer sur l’éthique, c’est se placer sur les principes universels sans frontières, sans restriction, sans tutelle, sans exclusive ni exclusivité. L’universel réside dans la diversité, la pluralité et la différence au service de la liberté et de la justice.

Le changement est donc un changement de valeur, un changement de paradigme, une refonte de l’Être pensant et agissant.  Changer la manière, la finalité et les méthodes de Croire, Savoir, Désirer, Pouvoir, Vouloir, Devoir et Agir. C’est ainsi que nous pouvons opérer une rupture avec nos limites, nos peurs et nos faiblesses et libérer une dynamique de rupture avec les valeurs acquises et périmées ou viciées. Seule la déconstruction de ces valeurs et de leurs édifices sociologiques, culturels, institutionnels, juridiques et économiques peut faire émerger de nouveau le principe universel commun à tous les hommes, toutes les croyances, toutes les religions, toutes les ethnies. L’acte libérateur et civilisateur en même temps est un témoignage présentiel au monde c’est-à-dire une présence authentique et communicative dans la pensée et l’activité humaine. Cette présence est un témoignage de gratitude c’est-à-dire une anagogie spirituelle et une empathie universelle (harmonie et bienveillance dans le monde). C’est avec cette disposition éthique que les hommes de bien construisent une dynamique de vertu qui terrasse les forces maléfiques.

Notre combat n’est pas pour disposer de quelques strapontins, de quelques miettes ou de quelques mesurettes, mais pour insuffler l’élan libérateur et civilisateur qui est la nature primordiale de l’Homme honoré par Dieu et qu’on appelle la Fitra et que les bigots ont confiné à la religiosité (religion primordiale) faute de se hisser à l’universel. Lorsque le Coran dit qu’Allah est Al-Fater (الفاطر) et qu’il a « initié » (فطر) les Cieux et la Terre, nous devons comprendre aisément qu’Il a doté chaque créature inerte ou vivante avec une nature singulière, diverse et obéissant à des lois objectives d’existence, de mouvement, d’évolution et de finitude. Croire ou ne pas croire ne modifie en rien l’état de la nature, par contre s’en inspirer donne un contenu non seulement spirituel, mais scientifique à notre regard sur le monde pour être plus humble et plus cohérent avec ce qui nous est donné à contempler, ce qui est nous est octroyé comme ressources pour vivre et partager. La nature de toute chose créée est à l’image de la balance : l’équité, la justice, l’équilibre sinon c’est l’entropie. La nature humaine ontologique et sociale n’échappe pas aux lois qui régissent l’universel du Rab Al 3Alamine (رب العالمين).

L’éthique est du domaine de l’intelligence en symbiose avec la spiritualité et en cohérence avec l’action. La morale est le formalisme discursif de l’inertie. L’énoncé coranique sur le changement ne s’adresse pas à des inerties ontologiques ou sociales, mais à des forces en mouvement en quête de progrès, de vérité, de justice et de beauté. A titre d’exemples, toutes les morales, religieuses, athées, ou agnostique, condamnent le mensonge, le vol, la corruption, le faux témoignage, l’abus de confiance, le viol, l’usurpation, la falsification. Ce sont des sermons de circonstances, des routines verbales qui ne s’impriment ni dans les consciences ni dans les pratiques sociales. L’éthique en tant qu’ingénierie sociale, juridique et économique va aller au-delà de la notion de bien ou de mal et de celle de Haram ou Halal pour étudier les circonstances du crime ou de la faute, comprendre les mécanismes psychologiques du criminel ou du délinquant, dérouler les mécanismes socio-économiques qui produisent et alimentent les crimes et délits non seulement pour les réprimer, mais pour les empêcher en promouvant d’autres pratiques ou en exigeant plus de transparence. Bien entendu la meilleure garantie est l’éducation qui donne le sens du beau et du laid, du bien et du mal, du juste et du faux. Il ne s’agit pas de remplir la tête des enfants de hadiths hors de leur contexte ou d’instruction civiques glorifiant le chauvinisme national et religieux. Quand on parle d’éducation, on parle d’ingénierie pédagogique et didactique. Il est illusoire d’amener l’enfant ou l’adolescent à bien s’éduquer avec des programmes surchargés et des livres mal faits qui fatiguent visuellement le regard et distraient l’attention. On devrait éduquer l’enfant comme un être libre et reconnaitre son droit à la différence, comme un être responsable à qui nous offrons au sens étymologique de la pédagogie un terrain à chaque fois plus fertile et plus grand pour son développent et son épanouissement. Nous pouvons dire la même chose sur la religion, la culture, les arts, l’urbanisme, la politique.

Les termes قيّم اخلاق (moralité, valeurs morales et morale) sont absents de la terminologie coranique du changement pour signifier que le changement n’est pas d’ordre bigot, mais un processus global, complexe qui demande une expertise, une ingénierie et une réalisation exigeant l’effort de tous, dans les registres ontologiques et dans tous les domaines d’activité. On ne peut pas être de bonne moralité dans la Mosquée et un tyran pour sa femme, ses enfants ou ses administrés. On ne peut pas être un dévot la nuit et un commerçant escroc ou un fonctionnaire véreux le jour. La société plurielle a ses escrocs, ses tyrans et ses névrosés, mais l’Éthique sociale et politique les empêche de nuire ou de demeurer impunis.  L’imam qui lit ses prêches ne fait que discourir sur des réalités d’une époque révolue et il n’a aucune influence sur la mentalité collective. Il les occupe un moment et leur vend des fantasmes à valeur de monnaie de singe, car il n’a ni connaissance ni prise sur la réalité du monde. Le changement est une affaire d’abord sociale (prise de conscience de la laideur et de l’oppression) et intellectuelle (pédagogie politique et philosophique) puis politique et institutionnelle (État) pour donner forme et consistance au désir collectif de changement.

En se focalisant sur la morale religieuse, sur la morale révolutionnaire et sur la morale libérale, la majorité des intellectuels n’ont pas vu comment le sionisme et le satanisme se sont appropriés les mots, les ont galvaudés puis les ont investis d’une mission de subversion idéologique et militaire contre les peuples. C’est ainsi que les notions de démocratie, de droits de l’homme, de peuple, de liberté, de progrès, d’humanitaire et d’égalité sont devenus des instruments de domination politique, de perversion morale et de manipulation médiatique. Le mot peuple est devenu une abstraction qui occulte l’humanité dans chaque individu, qui nie sa différence et en fait une entité à la fois indifférenciée par les tutelles et indifférente à ce qui l’opprime.  Derrière chaque mot, chaque idée, chaque projet et chaque concept nous devons trouver le contenu véhiculé et la finalité visée. L’universel est confiné à l’idéal sioniste raciste ou à l’idéal du bourgeois occidental décadent, immoral et avide.

Partout c’est le règne de la médiocrité et de la méchanceté qui se réclament des valeurs universelles c’est-à-dire de leurs représentations de la réalité ajustée à leurs appétits et à leur nuisance. En Algérie, les partis déliquescents et non représentatifs du peuple se mobilisent pour soutenir un sénile moribond en affichant les règles de leur partis fantoches : « القيم التي أنشا لأجلها ». Ils ont grandi dans une culture de narcissisme pervers qui leur masque la réalité et la vérité et les autorise impunément à mépriser l’intelligence et à humilier l’humain. La perversion narcissique va les conduire à l’effondrement après avoir commis d’autres crimes et d’autres monstruosités.

Nous aurons l’occasion de revenir, dans de prochains articles, sur les formes de l’oppression sociale, culturelle, idéologique, économique, car la question de la liberté et de la justice comme celle du changement ne peuvent se résumer au seul domaine politique. Nous reviendrons sur les formes post modernes à donner à l’État, à la démocratie et à la République.

Le changement comme la civilisation se réalise par la conjugaison des conditions subjectives et objectives. Le principal levier subjectif est l’âme d’un peuple. Un peuple vivant n’est pas une catégorie abstraite et inerte, mais un désir collectif, c’est-à-dire une volonté consciente, un imaginaire et un mouvement vers ce qu’il aime et ce dont il a besoin. Tout homme est originellement épris de sa liberté, de sa dignité et naturellement porté par sa quête de reconnaissance, de légitimité, de progrès, de responsabilité, de perfection. Les conditions objectives relèvent des circonstances historiques, du savoir, de l’ingénierie (c’est-à-dire de la technologie intellectuelle et organisationnelle) pour s’adapter et évoluer. C’est l’ingénierie qui rassemble les hommes compétents et mobilise les outils les plus efficaces. Sur ce terrain nul ne put faire l’économie de l’homme local ou se contenter d’importer des solutions du passé ou des voisins. L’État et l’homme d’État doivent justement apporter les garanties et les mécanismes tant politico-économiques que juridico-institutionnel pour que les conditions morales (subjectives) et matérielles (objectives) de la rupture avec ce qui s’oppose à la promotion de l’Homme puissent être réunies, respectées et améliorées avec efficacité et durabilité. Quelle que soit la manière de poser le problème ou de choisir la solution nous n’avons qu’une seule méthode et une seule voie : produire de la pensée avec la finalité de libération de l’homme de toute forme d’oppression y compris de l’oppression religieuse.

Les Algériens devraient choisir avec conscience le candidat qui peut provoquer la rupture. Ce candidat seul et isolé du peuple ne peut rien faire pour se hisser à son destin historique ni faire face à l’Étranger menaçant. La Syrie, hier, et le Venezuela, aujourd’hui, montrent qu’il faut redouter le pire et s’y préparer. Voilà pourquoi ces élections sont capitales pour nous.

Ceux qui veulent maintenir le statuquo et ceux qui ne s’engagent en faveur du changement vont porter la responsabilité de l’effondrement qui obéît à une loi universelle imparable et immuable :

{وإن من قرية، إلا نحن مهلكوها قبل يوم القيامة و مذبوها عذابا شديدا، كان ذلك في الكتاب مسطورا}. الإسراء 58.

Il n’est pas de Qaria que Nous ne détruirons avant le Jour de la Résurrection ou que Nous ne châtierons d’un châtiment sévère. C’est là un arrêt consigné dans le Livre.

{وكأين من قرية أمليت لها وهي ظالمة ثم أخذتها وإلي المصير}. الحج 48.

Combien de Qaria n’avons-Nous pas octroyé de l’abondance, mais elles étaient iniques (tyranniques). Nous les avons anéantis : elles sont maintenant désertes et ruinées. Que de puits sont abandonnés et de palais écroulés ! Ne parcourent-ils pas la terre ? N’ont-ils pas des intelligences avec lesquels comprendre et des oreilles avec lesquelles entendre ? Mais, en vérité, ce ne sont pas les yeux qui sont aveugles ; ce sont les entendements, sis dans les cranes, qui sont aveugles.

إِذَا أَرَدْنَا أَن نُّهْلِكَ قَرْيَةً أَمَرْنَا مُتْرَفِيهَا فَفَسَقُوا فِيهَا فَحَقَّ عَلَيْهَا الْقَوْلُ فَدَمَّرْنَاهَا تَدْمِيرًا –   الإسراء (16)

Nous n’avons jamais châtié un peuple avant de lui avoir préalablement envoyé un Messager (Avertisseur). Et quand Nous décidons d’anéantir une Qaria, Nous laissons les tenants de l’ordre inique se multiplier puis systématiser l’outrance. Alors la Parole prononcée contre elle se réalise, et Nous la détruisons totalement.

Nous avons l’habitude de présenter la recherche lexicale, sémantique et contextuelle par laquelle nous faisons la traduction et l’interprétation souvent en rupture avec l’orientalisme, l’islamologie officielle et le tafsir traditionnel des Anciens. Nous allons nous contenter de souligner quelques mots : Al-Kitab (لكتاب) « Qarya (قرية), Ammara (أمّر) et Moutrafoun (مثرفون), Dine Allah (دين الله), Qawm (قوم), Mouminines (الْمُؤْمِنِينَ) et Kafirine (الْكَافِرِينَ), Jahad (جهد), Al Hobb, l’Amour (الحب) Fassaqou (فَفَسَقُوا), Al-Kitab (لكتاب) difficiles à traduire sauf d’utiliser des périphrases. Derrière l’interprétation erronée des mots, il y a souvent des non-sens et des paradoxes inconciliables entre l’appel à la foi et l’appel au progrès et à la séparation de l’État et de la religion (nous reviendrons une autre fois sur la place du religieux dans l’édification de l’État de droit).

Ce sont des concepts qui expliquent des phénomènes complexes et qui invitent à méditer la dimension historique d’un événement et les lois sociologiques qui le gouvernement. Hors de la métaphysique ou de l’eschatologie, nous pouvons tous, croyants ou agnostiques, nous pencher sur le processus d’effondrement d’une civilisation et d’une nation ou de la disparition d’un peuple de la surface de la Terre.

Al-Kitab (لكتاب) ce sont les lois qui gouvernent l’existence et l’anéantissement et qui s’accomplissent selon les conditions et les possibilités que Dieu connait et qu’Il nous invite à découvrir. Parler de Livre, c’est réduire la Parole de Dieu à n’être qu’un Verbe alors qu’elle est Acte qui s’accomplit en toute justice et qui se déroule parfaitement. Le nombre incalculable de possibilités est plus impressionnant que l’exécution d’un décret ou d’un destin. La part de liberté humaine est en conséquence plus grande et plus responsable qu’un destin aveugle ou arbitraire.

« Qarya (قرية) n’est ni la cité ni le village ni la ville, c’est une entité humaine formant un pays ou un royaume qui a perdu les conditions morales et matérielles de la Civilisation par la domination systématique de l’injustice et du monopole. Elle s’oppose à la Madina (مدينة) qui exerce le pluralisme et la liberté sur tous les plans actanciels et sur tous les registres ontologiques. La Qarya porte en elle les germes de son anéantissement, Halak (هلاك) alors que la Madina porte en elle les ferments de la prospérité et du développement. Le Halak est la destruction totale, l’effacement de l’histoire humaine, l’éradication de l’existence sans espoir de retour. C’est ce qui nous attend si nous persistons dans l’aveuglement et la tutelle arbitraire et sans fondement. Il ne s’agit pas d’une question de foi ou de religiosité, mais soit du positionnement par rapport à l’universel (principes) sinon par rapport à l’utilité sociale ou anthropologique (développement économique, raffinement artistique, et progrès sur le plan éthique et scientifique). Celui qui est nuisible au genre humain et à l’environnement écologique mettant en péril l’existence du vivant est condamné à disparaitre. Sa disparition prendra toutes les formes possibles : guerre, cataclysme, effondrement social et économique. L’archéologie et l’anthropologie sociale montrent la loi de l’anéantissement des cités et des civilisations.

Moutrafoun (مثرفون) ne sont pas les riches opulents et ostentatoires ou la classe possédante comme il est admis dans le marxisme, mais les tenants du système idéologique, économique et politique de la Qarya. Ce sont les partisans de la rente, du privilège, de l’immobilisme, du monopole, de l’exclusion.  Les opprimés et les pauvres qui se soumettent à l’ordre établi inique font partie des Moutafroun et sont destinés à connaitre la même fin dans ce monde et la même punition dans l’autre monde, car ils se sont fait du tort en leur qualité de créature ingrate et démissionnaire de l’Honorificat originel qui a octroyé à l’Homme la parole, l’intelligence, la liberté, la responsabilité, la conscience, le sens éthique et esthétique… Leur situation est plus laide que celle de leur oppresseur qui peut trouver une excuse mondaine par la quête de jouissance et de puissance. La faiblesse de l’opprimé n’est pas une excuse pour sa lâcheté et sa soumission servile. L’opprimé, vaincu ou faible, mais qui ne se soumet pas à l’ordre inique au minimum par le cœur et la conscience, même s’il ne se soulève pas faute de courage ou de moyens, sera anéanti avec les autres, mais il sera racheté le Jour du Jugement dernier pour l’humanité qu’il a su conserver par son refus de l’arbitraire.  L’insouciant et le paresseux qui s’accommode de l’injustice et de la rente sans désirer s’émanciper et sans tenter d’exercer son devoir d’être socialement utile est coupable sur le plan éthique. Le Prophète nous a légué une sentence qui trouve tout son sens dans nos contrées :

« Le perdant (le perdu) est celui qui a troqué sa vie future pour la vie mondaine, le pire des perdants (perdus) est celui qui a troqué sa vie future pour la vie mondaine des autres ».

Ammara (أمّر) : Il ne s’agit pas de croire que Dieu donne aux Moutrafoune le pouvoir de répandre la perversion ou qu’il ordonne de commettre des turpitudes, mais il nous indique le processus socio-historique de ce que la pensée marxiste appelle la « reproduction élargie » c’est-à-dire la reconduction à plus grande échelle et à plus grande intensité de l’appropriation illégitime par les pratiques socio-économiques malsaines et arbitraires. Il nous indique le processus de « la spirale infernale du désir » qui provoque la violence politique et sociale que l’anthropologue René Girard a décrit dans les mécanismes de la rivalité mimétique entre les tenants de l’ordre et les aspirants aux acquis de la bourgeoisie, aux comportements outranciers et aux signes ostensibles d’opulence.

Le Coran, l’histoire des civilisations et la loi de l’évolution humaine nous montrent que le devenir peut se conjuguer à l’espoir s’il y a rupture avec la laideur, l’immobilisme et la méchanceté :

يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا مَن يَرْتَدَّ مِنكُمْ عَن دِينِهِ فَسَوْفَ يَأْتِي اللَّهُ بِقَوْمٍ يُحِبُّهُمْ وَيُحِبُّونَهُ أَذِلَّةٍ عَلَى الْمُؤْمِنِينَ أَعِزَّةٍ عَلَى الْكَافِرِينَ يُجَاهِدُونَ فِي سَبِيلِ اللَّهِ وَلَا يَخَافُونَ لَوْمَةَ لَائِمٍ ۚ ذَٰلِكَ فَضْلُ اللَّهِ يُؤْتِيهِ مَن يَشَاءُ ۚ وَاللَّهُ وَاسِعٌ عَلِيمٌ   المائدة: 54

Cet énoncé sublime a été vidé de sa signification et il faut redonner aux mots leur sens dans leur contexte et dans l’élan spirituel et libérateur qui les sous-tend :

Dine Allah (دين الله) n’est pas la religion ou la confession au sens strict, mais l’éthique de Dieu, c’est-à-dire l’ensemble de ses Attributs de divinité donnés à notre libre arbitre comme prescriptions à suivre ou à ne pas suivre, mais aussi des principes universels imposés par la Souveraineté de Dieu à notre nature originelle ainsi qu’à la totalité de ce à qui Il a donné existence.

Qawm (قوم) ne désigne pas les gens ou un peuple au sens commun, mais un territoire, une unité d’orientation, une unité linguistique, des ressources partagées et des principes communs. Ce Qawm est le peuple qui a vocation à se libérer de l’oppression et à libérer les opprimés, à se civiliser et à civiliser. Son fondement est la Madina. Si la Madina entre en décadence et devient Qaria, les hommes redeviennent des peuplades, des tribus, des errants, des tubes digestifs, des moelles épinières, des végétatifs…. L’inverse se produit lorsque les hommes se fédèrent et luttent pour des principes universels dont celui de la liberté de croire ou de ne pas croire, du partage des richesses équitablement et du triomphe de la justice sur l’arbitraire. Al Qawmiya comprise comme nationalisme en référence à l’État-nation occidental est une limitation symbolique et une réduction sémantique. Il ne s’agit pas d’afficher notre islamité, mais l’importance des concepts et du rôle fédérateur des concepts dans l’édification d’une Algérie estropiée par l’injustice, mais aussi par l’importation de concepts fabriqués par notre colonisateur dans nos géographies et nos mentalités. La rupture civilisationnelle doit être totale et sans concessions.

Jahad (جهد), c’est faire effort sur soi et lutter contre l’ennemi du Dine Allah c’est-à-dire lutter contre ceux qui s’opposent à la liberté, à la justice, à la miséricorde, à l’équité qui sont les Attributs de Dieu. L’homme est créature honorée et responsable par les attributs qu’il partage avec Dieu. Le seul Attribut qui est sans doute la nature de L’Être divin plus qu’un attribut est d’Être, sans existence, immuable, immortel, parfait, suffisant, totalement libre et absolument souverain.

Les termes de Mouminines (الْمُؤْمِنِينَ) et Kafirine (الْكَافِرِينَ) ne doivent pas être lus au sens de dévotion, de foi en Dieu ou de croyance. Allah (swt) n’a pas besoin de notre foi ou de notre mécréance, ni de notre soumission ou liberté pour rendre le combat de nature religieuse ou faire de l’homme un formalisme dogmatique. Il s’agit de la foi en l’Islam restauré, c’est-à-dire la conformité au Dine d’Allah que personne ne peut s’approprier ni utiliser à des fins politiciennes, ni interpréter comme sa vérité absolue autocratique. Le Dine Allah, c’est la liberté de croire ainsi que la réunion des conditions morales et matérielles pour libérer l’homme de l’idolâtrie et de la servitude qui sont une atteinte à la dignité humaine. Ces conditions d’ordre éthiques, juridique et institutionnel sont à la charge de l’Homme, de tous les hommes épris de bien, de liberté et de justice. Le bien, la liberté et la justice ne peuvent être confinés à un pays ou à une doctrine. Ils sont le patrimoine humain que chaque génération et sur toute géographie doit protéger et préserver. La vie sur terre sera toujours une confrontation entre Hizb Allah et Hizb as Chaytane, les uns symbolisant les attributs de Dieu et les autres ceux de Satan. Quiconque revendique ou exerce une domination arbitraire ou un pouvoir absolu est hors du cadre divin. Ici-bas, notre responsabilité est collective, là-bas, la responsabilité est individuelle. Dans ce monde nous récoltons ce que nous avons semé ensemble comme groupement humain vivant sur un territoire donné, à une époque donnée avec les ressources données. Ici-bas où bien le triomphe de la Justice de la Madina ou le chaos de la Qaria. Là-bas chacun sera son propre défenseur et son propre accusateur selon la responsabilité individuelle et les moyens dont il disposé ici-bas.

Fassaqou (فَفَسَقُوا ) est souvent présenté comme la pratique de la perversion morale (sexualité, luxure et autres vices). Toutes les sociétés ne sont pas parfaites et connaissent donc des périodes de vertu et des périodes de vice selon les conditions éthiques, sociales et économiques. La vertu n’est pas le propre du religieux et le vice n’est pas aussi le propre du non religieux.  Ainsi l’alcool, la drogue, la prostitution peuvent se développer sur un terrain de pauvreté, de frustration comme ils peuvent se développer dans des cercles opulents et oisifs en quête de nouvelle sensation même s’ils affichent la vertu comme façade sociale. Ce n’est cela qui met en péril l’existence sociale voire l’existence territoriale. Le péril est le Foussouq (الفسوق) compris comme pratique outrancière, exagération, excès, dépassement des limites. L’outrance est souvent dans l’accaparement illégitime et illégal du licite.

L’outrance est dans le monopole qui détruit la propriété individuelle et s’approprie les fruits d’autrui. Il est dans la rente, dans le gaspillage des ressources, dans la dilapidation des biens publics. A titre d’exemple, une société qui ne produit ni biens ni services ni savoir, mais qui vit au-dessus de ses moyens, qui répartit mal ses revenus, qui ne pratique que le négoce, qui imprime ses billets sans contrepartie de productivité de travail est une société outrancière qui va aller à sa ruine. L’outrance c’est persister dans l’extrême sans désir ni prise de conscience de la nécessité de réformer mutandis mutandis ce qui doit l’être sans attendre et sans se tromper de chemin ou de méthode.  La phase finale est lorsque le Messager, qui peut être l’éducateur, l’honnête homme ou le militant politique, avertit, mais que le regard social ou institutionnel ignore le message et continue de ne pas voir la ruine, ne pas entendre les bruits de l’effondrement. Le Foussouq c’est aussi l’entêtement à demeurer dans la transgression jusqu’à l’élimination de ceux qui refusent le dépassement des limites. L’entêtement est diabolique par son aspect narcissique et pervers qui refuse l’autre et fait tout pour le démolir croyant qu’il est le meilleur, le pur :

وَمِنَ ٱلنَّاسِ مَن يُعْجِبُكَ قَوْلُهُ فِي ٱلْحَيَٰوةِ ٱلدُّنْيَا وَيُشْهِدُ ٱللَّهَ عَلَىٰ مَا فِي قَلْبِهِ وَهُوَ أَلَدُّ ٱلْخِصَامِ

Parmi les gens, il y a celui dont le discours te plait lorsqu’il parle de la vie de ce monde. Il prend Dieu à témoin de ce que contient son cœur ; mais c’est le plus acharné des querelleurs. Dès qu’il te tourne le dos, il s’en va dans le pays pour y semer la corruption et détruire les récoltes et le bétail alors qu’Allah n’aime pas la corruption. Lorsqu’on lui dit :  » Prends garde à Dieu ! « , la superbe s’empare de lui et le pousse au péché. Ne lui suffit que la Géhenne : quel détestable lit de repos !

C’est dans cette insouciance générale que la loi de l’effondrement des civilisations s’accomplit. Ni le FMI, ni la Banque mondiale, ni le modèle démocratique occidental ne seront d’un quelconque secours, surtout en cette période qui annonce la fin des mythes et des utopies. Nietzche disait que « L’histoire ne s’écrit pas toujours à coup de cataclysme », car l’Homme poussé par son instinct de survie peut faire l’effort surhumain et sortir de l’abime. Dieu accorde toujours Sa Miséricorde à celui qui fait amende honorable. Il ne s’agit pas d’un comportement de bigoterie, mais d’un acte de Libération- Civilisation. On ne construit pas une civilisation, alors qu’on est privé de liberté, on ne se libère pas pour changer de maitre, mais pour un idéal de liberté et de justice c’est à dire pour un projet de civilisation.  La civilisation est un long chemin, souvent il est emprunté comme voie de salut.  Nous sommes dans cette alternative : sombrer ou se sauver par notre libre arbitre.

Al Hobb, l’Amour (الحب) ne signifie ni l’idolâtrie aveugle, ni la soumission dogmatique, ni une représentation anthropomorphique de Dieu. Il est incompatible avec l’idée que l’amour partagé, du fait de la dévotion, garantisse au dévot la détention de la vérité, la vision lucide de la réalité, ni l’idée de triompher en improvisant ou en vivant l’insouciance de la béatitude. Le contexte des versets et le sens des mots montrent qu’il s’agit de graines qui germent et qui montent vers le haut. Il s’agit de l’élan spirituel, de ce que Malek Bennabi appelle l’aspiration psycho-temporelle. Il s’agit en termes modernes d’anagogie et d’empathie universelle : répondre au bien et au beau et se mettre à disposition du vrai et du juste. La génération des libérateurs civilisateurs n’est pas une génération ex-nihilo, mais un édifice qui se construit, se consolide et s’exprime d’une manière visible et évidente comme les paraboles coraniques de l’arbre ou de l’épi de blé. C’est l’engagement solennel et efficace de faire le bien, de rendre justice, de dire la vérité, de témoigner avec preuves authentiques. Il s’agit de faire fusion avec les attributs divins jusqu’à devenir l’instrument de Sa Miséricorde. Nous devons nous interdire de dire que nous sommes l’instrument de Sa Puissance ou de Sa Justice, car nous prendrons le chemin de l’égarement et de la dérive démiurge. Notre voie est celle de l’universel que partage tous les hommes.

C’est l’engagement sur le respect de l’universel qui fera de nous un peuple civilisateur et une nation civilisée ou une horde de barbares qui, par complaisance à Rome et avidité du butin, a détruit Carthage et chassé Hannibal. Ce n’est pas de l’histoire ancienne : Libéraux, progressistes, islamistes, nous avons, hormis quelques hommes lucides, donné notre caution à l’OTAN pour détruire la Libye qui est sur le plan de la grammaire des civilisations notre profondeur stratégique du point de vue historique, géographique, économique et mental… Notre risquons de cautionner la destruction de notre pays.

Parler de changement et d’universel c’est s’engager pour la rupture la plus crédible.

Omar Mazri

Livres parus :

  • La République et le voile : Symboles et inversions
  • Aimer : la voie coranique
  • Les dix commandements US et le dilemme Arabe
  • Béni soit-il ?
  • Dine ou religion ?
  • Révolution arabe : mythe ou mystique ?
  • Gaza : La bataille du Forqane
  • Islamophobie : Deus Machina
  • Coûts de production : méthodologie d’analyse
  • L’art pédagogique : Etre et Faire.
  • Scénario de création des coopératives

Analyses et études :

  • Réforme de l’enseignement paramédical
  • Economie de défense : Rétrospectives et prospectives 1982-2002
  • Développement des  industries hauturières
  • Economie et post-Modernité
  • Didacticiel mathématiques : niveau brevet et CAP
  • Didacticiel anatomie dynamique du vivant

Publications numériques :

  • 250 articles sur le site libération des opprimés
  • 160 articles sur le site Justice et Vérité (site fermé)

En cours d’édition :

  • Abel et Caïn :  mobile du crime et psychologie de l’assassin.
  • Territoire de civilisation ou Etat islamique ?

 

La bureaucratie, la rente et le changement

Nous n’allons pas gloser (critiquer ou commenter de manière malveillante quelqu’un ou sa conduite) sur l’appel et le soutien de Ouyahia à la candidature d’un homme, aussi historique ou noble qu’on veuille ou qu’on puisse l’admettre, frappé à l’évidence d’incapacité à gouverner par l’âge, la maladie et le cumul anticonstitutionnel des mandats. Nous allons être brefs et souligner la mauvaise gouvernance de l’exécutif algérien sur un dossier pris au hasard. Par exemple le dossier des importations.

La manne financière étant tributaire du cours des hydrocarbures, l’exécutif faute de politique économique et de compétence à réformer, ajuste les transactions internationales par décision administrative, sans prise réelle et compétence sur les lois de l’économie et du marché. Une fois, on ouvre le robinet des importations, une autre fois on le ferme, administrant les pénuries et les rentes, continuant les politiques qui ont conduit à la dépréciation de la monnaie algérienne, au marasme économique et à l’achat de la paix sociale par corruption déguisée.

Les partisans de l’économie administrée et de la rente ne peuvent opérer une rupture avec la mentalité de monopole et de tutelle sur la pensée et la pratique sociale, politique et économique.

Dans une économie de marché, de transparence des prix et de régularité des transactions, l’importateur est un agent économique qui agit dans le cadre suivant :

  • Prise de risque
  • Concurrence
  • Esprit d’entreprise
  • Gains et rémunérations en contrepartie de l’effort réel (productivité du travail et valeur réelle produite par l’activité compétente du commerçant, de l’importateur, du distributeur qui se font payer leur prestation effective et leur compétence réelle sur le marché d’échange des biens et des services
  • Transparence et vérité des prix
  • Absence de Dol et de fardage
  • Toute sanction doit être prononcée par un juge et relever du code du commerce
  • Toute autorisation doit être accordée par le tribunal de commerce et conformément aux lois et règlements
  • Tout financement doit se faire sur les fonds propres du commerçant qui peut disposer de crédits bancaires ou de crédits fournisseurs. Les organes bancaires, normalement, vérifient la solvabilité, la transparence et la légalité de leurs clients.
  • S’acquitter des taxes douanières et des impôts.

L’Etat moderne n’est ni épicier, ni comptoir commercial ni administrateur des transactions : il met le cadre juridique et fait contrôler par des agents assermentés la fraude, la qualité et les prix, et bien entendu, il régule par la fiscalité et la redistribution des revenus afin de relancer la production nationale et protéger les faibles revenus.

Au lieu de limiter les importations à 800 produits, un gouvernant responsable et compétent, en rupture avec la rente et les privilèges occultes, aurait ouvert le marché à tous les Algériens pour instaurer une véritable concurrence, donner légitimité à l’appropriation et à l’enrichissement par la légalité, la non exclusivité et le refus d’exclusive ou d’exclusion.

Bien entendu, les mesures de relance de l’économie nationale ne sont pas prises. Bien entendu, on continue de pratiquer la rente de l’emploi jeune, gaspilleur d’argent et incitateur à la paresse et aux combines. Les gisements d’emploi en termes de coopératives et avec des microcrédits pour rendre fluide, concurrentiel et efficace les circuits de distribution ne sont jamais étudiés et favorisés. On préfère administrer l’économie, protéger les « milieux d’affaires » issus de la pénurie et adossés au non droit et aux clans « boulitiques ». Dans la même voie d’inepties économiques, financières, juridiques et commerciales, on laisse le marché aux mains de l’économie informelle et des monopoles. A titre d’exemple, et cela n’existe qu’en Algérie, à la Foire internationale d’Alger, vous ne trouvez aucune maison mère étrangère, mais des distributeurs algériens. Le comble de l’ironie, c’est que vous trouvez des grandes marques étrangères présentes sur trois ou quatre stands, comme si la culture occidentale est de se mettre en rivalité avec soi-même.

Chaque algérien devrait avoir le droit et les moyens de réaliser une ambition commerciale et économique s’il a les compétences requises et s’il œuvre dans la transparence et la concurrence.

On peut faire appel à Bouteflika pour un millième mandat et une millième rente, la réalité ne peut être masquée : aucun concessionnaire sérieux qui met son argent, son organisation et son savoir-faire dans une activité commerciale n’est réellement présent en Algérie pour exercer son métier comme il le fait en Europe ou aux Etats-Unis. Il accepte de présenter une vitrine qui ne sied pas à son image de marque et de cautionner des « dépositaires et des distributeurs » pourvu qu’il prenne une part de la rente. Il faut juste voir le marché de l’automobile et l’industrie mécanique. En 1962 Berliet, Citroën et Renault produisait des véhicules ; dans les années 70 et 80 SONACOME produisait des engrenages mécaniques complexes, de pièces de forge et remportait le prix Paris Dakar sur le camion en projet de fabrication nationale avec un partenariat allemand. Nous sommes revenus à la situation précoloniale…

La rente et l’intimidation ont transformé les organisations syndicales en grandes muettes. Les professeurs d’université, les imams, les médecins n’élèvent la voix que pour demander des avantages matériels. Les conditions sanitaires, pédagogiques et sociales du peuple sont méprisées et occultées. Voilà le système réalisé par la bureaucratie algérienne. Ils nous ont inculqué la culture de la préférence étrangère. Les éveillés doivent voir comment les pays démocratiques soutiennent les soulèvements contre les élections. Ils ne doivent pas perdre de vue que ces pays sont les parrains de nos élites, les corrupteurs de notre économie et les artisans du désordre mondial et que cela est en train de se retourner contre eux, dans leurs propres pays. Nos élites ont peur, parce qu’ils ressentent comme des reptiliens qu’il n’y a plus de refuge pour eux. Contrer les forces occultes, des forces sont en train d’agir et saper ce qui met en péril le devenir de l’humain.

Ouyahia ne nous affiche pas son soutien à Bouteflika et son refus de la rupture pour des raisons que personne n’ignore et que la décence doit taire, mais il annonce l’effondrement de l’Algérie. Imbu de leur suffisance et de leur incompétence, ils ne parviennent pas à voir qu’ils sont la risée du monde et qu’ils vont entrer dans le néant où il n’y a pas de retour en arrière. On peut mourir et ressusciter (dans cette vie après un coma ou dans l’autre vie après le Hashr), mais l’anéantissement (Al Halak) c’est l’exclusion totale et définitive de l’existence…

L’effondrement ne doit pas faire peur, car le peuple algérien n’est pas condamné par une fatalité absurde à devenir néant à cause des insensés qui le gouvernent. Il a survécu au colonialisme et à la décennie rouge et noire, il peut résister à d’autres catastrophes. Ceux qui seront sacrifiés seront portés au compte des pertes et profits de l’Histoire, les autres relèveront les défis historiques s’ils ne veulent pas rejoindre le déchet humain (al Wahn).

Le candidat de la rupture ne doit pas se contenter de dire que la crise est politique, car les dictatures économiques, culturelles et sociales sont plus perverses et plus durables. L’économique et la justice (sociale et judiciaire) doivent être remis à l’ordre du jour sur le plan pédagogique et sur le plan de l’engagement politique. Pour l’instant et depuis l’indépendance, l’économique est sous la tutelle de l’administration : cette pratique est le summum de l’arbitraire et de l’oppression. Boumediene a certes construit des usines et réalisé des plans quinquennaux, mais il a détruit l’homme. Al Mounadil de 1954 s’est transformé en vassal de 1967, les organes militaires, judiciaires et sécuritaires se sont transformés en instruments de domination et en agents du pouvoir. L’ANP a été expurgée de son encadrement et de sa doctrine ALN. Le FLN est devenu un appareil d’applaudissement et d’opportunisme.  Les structures qu’il a laissées ont fait émerger des appareils administratifs à la française et un jacobinisme bureaucratique qui ont écrasé le peuple algérien, lui confisquant ses libertés et son esprit d’initiative. L’Algérien non seulement n’est pas allé au paradis le ventre repu, mais il a oublié l’idée même de paradis. On ne peut pas construire l’Algérie sans les Algériens, ni la liberté sans la libération, ni le progrès sans effort laborieux récompensé. Les « Industries industrialisantes » du français De Bernis restaient une importation. Un peuple qui aspire à la pérennité et à la civilisation doit pouvoir produire et exporter ses idées. La meilleure idée que nous pouvions exporter et faire rayonner dans le monde était le capital de sympathie pour la Révolution algérienne. Nous lui avons préféré la clé en mains et la préférence étrangère qui a permis l’émergence de ces élites calamiteuses. L’Algérie avait besoin de militants de la cause nationale, on lui a donné les Énarques à l’image de l’ENA française qui savent réciter les formalises appris dans les écoles, mais incapables de formaliser une solution ou de tenir un engagement.

Une élection n’est donc pas la garantie nécessaire et suffisante pour mettre fin à l’arbitraire et à l’oppression. Il faut changer ce qui est en l’état d’un peuple pour que Dieu change la situation d’un peuple. Les gens aiment des recettes toutes faites pour le changement alors que celui-ci est d’abord un changement de paradigme, c’est à dire un changement dans la représentation du monde, une manière de voir les choses différemment, un modèle de comportement différent. Il ne s’agit pas d’une formule magique, mais de la capacité de penser, de débattre. Il ne s’agit pas de débattre en politicien ou confiné au politique, mais de débattre sur tout et quitter sa zone de confort intellectuel. La Renaissance européenne s’est faite sur une accumulation d’idées dans les arts, la philosophie, les savoirs. La Nahda musulmane n’a pas pu aboutir, car elle n’a fait que plagier le modèle occidental sans disposer de la quête de liberté de l’Occident et du désir de progrès. Elle ne pouvait qu’être un avortement idéologique et méthodologique, car elle ne s’est pas libérée des schémas mentaux de la décadence musulmane. L’action politique ou partisane n’est que l’étincelle d’une bougie d’allumage, mais l’ambiance sociale, culturelle, philosophique est le moteur du changement. L’ambiance sociale ou ontologique qui édifie le changement est complexe : changer la manière, la finalité et les méthodes de Croire, Savoir, Désirer, Pouvoir,Vouloir, Devoir et Agir. C’est ainsi que nous pouvons opérer une rupture avec nos limites, nos peurs et nos faiblesses et libérer une dynamique nietzschéenne : « Sortir du désespoir le plus profond, l’espoir le plus indicible »….

Le système en place, se découvre sans masques et il fait de l’élection d’Avril 2019 un événement historique majeur, car il panique faute de candidat et surtout faute d’idées et de probité. Comme al manchar, talegh yakoul wa yahgar, habet yakoul wa yahgar jusqu’à ne plus trouver de branches à scier et de rentes à distribuer.

Il faut bien qu’un jour on puisse avoir le comportement des gens normaux : travailler et rendre des comptes.  Nous avons trop souffert du culte de la personnalité et des rentiers. Cela ne peut plus continuer.

Il faut entamer la rupture la plus profonde. Cette rupture doit se faire non seulement en matière de programme politique, mais en termes d’idées et de symboles. Il faut avoir l’audace de rompre avec le discours du système et ses mots galvaudés. Heybat Ad Doula, l’autorité de L’État, n’est pas l’État, mais le régime de répression et de terreur que les « Janvieristes » et les partisans de l’alignement idéologique et sécuritaire sur la lutte antiterroriste menée par l’OTAN contre les peuples pour les intimider, les faire entrer de force dans l’ordre mondial et détruire ce qui restait de règlements sociaux, politiques et économiques en faveur des plus faibles. L’Etat n’est pas une affaire d’autorité, mais de compétence socialement reconnue c’est à dire de légitimité. Cette légitimité ne sera jamais remise en cause lorsque la Justice exerce ses prérogatives en toute équité, sans laisser quiconque sous l’impunité ou sous l’abus de pouvoir. Pour rompre avec Bouteflika, Nezzar, Sellal et Ouyahia, il faut rompre avec leur argumentaire et donner un sens aux mots. Du sens des mots non seulement dépend la liberté, mais la justice, voire l’existence… De nos objectifs et de leur noblesse dépend le salut. Il nous faut de grands desseins :

« Le plus grand danger pour la plupart d’entre nous n’est pas que notre but soit trop élevé et que nous le manquions, mais qu’il soit trop bas et que nous l’atteignons. » – Michel-Ange

En observation, je note que le Général en retraite Ali Ghediri vient de déclarer son patrimoine. C’est un acte de transparence qui mérite d’être souligné et qui confirme une fois de plus ce que j’ai toujours défendu dans mes écrits : l’ANP dispose de cadres intègres et leur intégrité témoigne que le pouvoir réel est ailleurs. La confusion entretenue sur l’ANP doit être levée et bien entendu cet éclaircissement va déranger les tenants de la rente et de l’effondrement qui agissent et communiquent pour qu’aucune institution et aucun homme intègre ne puissent s’élever au-dessus des décombres pour dire sa vérité et éclairer le chemin de la reconstruction.

 

Omar Mazri

Livres parus :

  • La République et le voile : Symboles et inversions
  • Aimer : la voie coranique
  • Les dix commandements US et le dilemme Arabe
  • Béni soit-il ?
  • Dine ou religion ?
  • Révolution arabe : mythe ou mystique ?
  • Gaza : La bataille du Forqane
  • Islamophobie : Deus Machina
  • Coûts de production : méthodologie d’analyse
  • L’art pédagogique : Etre et Faire.
  • Scénario de création des coopératives

Analyses et études :

  • Réforme de l’enseignement paramédical
  • Economie de défense : Rétrospectives et prospectives 1982-2002
  • Développement des  industries hauturières
  • Economie et post-Modernité
  • Didacticiel mathématiques : niveau brevet et CAP
  • Didacticiel anatomie dynamique du vivant

Publications numériques :

  • 250 articles sur le site libération des opprimés
  • 160 articles sur le site Justice et Vérité (site fermé)

En cours d’édition :

  • Abel et Caïn :  mobile du crime et psychologie de l’assassin.
  • Territoire de civilisation ou Etat islamique ?

 

Le Général et les garanties qui manquent

Comment caractériser les élections dans une ambiance rose en surface et apocalyptique en profondeur au regard du chaos institutionnel, de la diversion politicienne, de l’exclusion, du retrait des poids lourds politiques, du discrédit incontestable des autorités, des crispations sociales avec des révoltes larvées, climat de fin de règne, contexte international chargé de menaces et d’imprévus politiques et géostratégiques. Nous revenons à la case de décembre 1991 : absence de garanties avec cette fois-ci absence du chef de l’État qui peut donner sa caution dans le sens d’une répression ou dans le sens de l’apaisement et du dialogue. En plus de la vacance au sommet de l’État, il y a un effritement des partis politiques qui ne peuvent se prévaloir du rôle d’interlocuteurs valides ou de relais au pouvoir. Les grandes puissances étrangères par leur silence médiatique semblent montrer un désintérêt manifeste pour l’Algérie la considérant ingérable pour faire d’une manière crédible et durable valoir leurs positions stratégiques sinon elles sont en attente de l’aboutissement du scénario de désintégration bien entamé qui arrange bien leurs affaires et au moment opportun ils viendront imposer une solution ou partitionner la géographie et le pouvoir politique pour continuer ce qu’ils n’ont pas réussi à faire en Syrie. Notre chaos n’est ni inédit, ni isolé, ni fortuit : il accompagne le désordre mondial qui annonce la fin de la modernité et l’émergence de la post modernité. Nos principaux partenaires, la France et les USA sont en décomposition, ils ne peuvent apporter ni secours ni feuille de route sauf le désordre, la voracité et l’incompétence…

One two tree viva l’Algérie ou Chaâb et Djeich tahya al Djazaïr ne seront plus un rempart contre l’efficacité de la subversion extérieure et la prédation des rentiers intérieurs qui sont appelés objectivent à converger puis à se coordonner. On peut tuer le général d’une armée mais non l’ambition dans le cœur des hommes enseignait Confucius. Où est notre ambition, où sont nos hommes ? La loi de l’existence des peuples et des nations est implacable et immuable : effondrement et disparition ou salut et renaissance. Oui le pire comme le meilleur sont des possibilités selon les conditions psycho-morales et les conditions matérielles du lieu et du moment. On ne peut pas dire que nos conditions sont bonnes ou en voie d’amélioration à moins de se mentir ou de croire aux fables. Ni le bouc-émissaire jeté en pâtures aux crédules ne nous donnera l’illusion de catharsis ni d’ailleurs l’homme messianique ou le Mahdi mountadar ne donnera l’illusion salutaire. Nous sommes une virtualité de désintégration, une entropie en puissance, une réalité morbide à qui manque le temps de réalisation pour qu’elle soit un réel actuel, une réalité tangible dans les faits sociaux, politiques, économiques et géostratégiques. Ce temps ou plus exactement le délai et le terme échappent à notre entendement humain, mais son processus est suffisamment avancé et ancré pour que les plus lucides le ressentent dans leur chair et le vivent déjà comme un cauchemar avec les yeux ouverts.

Le Coran nous enseigne que la défaite et les catastrophes ne sont pas un destin, mais l’œuvre des hommes mal pensant ou mal agissant. La catastrophe peut être évitée si les Algériens, tous sans exception, refusent l’écœurement actuel et acceptent le changement même s’il est difficile et confus. Ce qui se trame dépasse Bouteflika, l’armée algérienne et les élites civiles. Nous sommes sur le plan socio-politique dans ce que Antonio Gramsci a décrit comme un interrègne cette phase historique « où l’ancien meurt et où le nouveau ne peut pas naître… Une grande variété de symptômes morbides sont observés ». Dans de telles périodes, pour les tenants de la rente, le nouveau est non seulement insensé et dangereux mais impensable. Pour les partisans du changement, il est difficile de montrer la voie et de faire des promesses à un peuple nourri à la gamelle de la rente et à la fascination du zaïme. Nous sommes dans la phase de l’effondrement de la morale la plus basique qui montre que ce n’est plus Hizb frança qui gouverne, mais Hizb as Chaytane.

Jamais ne nous aurions imaginé, dans une situation « normale » que les seconds couteaux humilient, intimident et menacent publiquement et médiatiquement avec une ardeur de démons et avec l’assurance d’impunité des hommes de grand talent et de grande probité comme Hamrouche et le Général Ali Ghediri. Ceux qui croient encore que l’ANP est détentrice du pouvoir réel qu’ils s’interrogent comment un homme instruit, de bonne éducation, discipliné, laborieux ayant servi quarante ans puisse être traité de cette manière sans que ses pairs ne réagissent ? Combien d’officiers et de civils ont été contraints à l’exil ou à la réclusion à domicile. J’ai toujours pensé qu’on a fait payer à l’ANP le prix de la bravoure impardonnable de l’ALN. Le FLN a payé le prix. Le peuple a payé aussi le prix et ils vont continuer à payer le prix jusqu’à être discrédités pour effacer la mémoire de la résistance populaire et du sacrifice des martyrs. Ceux qui affichent leurs insultes ne sont pas le pouvoir réel, ils sont l’ombre de l’ombre de la revanche.

Que le président Bouteflika soit candidat, que l’armée ait son candidat, que tel parti ait son candidat, il n’y a pas de problème, nul ne doit être exclu tant qu’il est transparent et qu’il cherche la légitimité par les urnes, même si les urnes ne sont pas garant de la légitimité et ne peuvent donner la véritable légitimité lorsque les conditions et les garanties de l’expression sont noyés par la confusion, la suspicion, la haine et la panique pour certains.

Est-ce que les conditions actuelles de programmation des élections hâtives et presque clandestines ne vont-elle pas cristalliser les frustrations, les méfiances et les défiances et les transformer en rancunes, en contestation et en confrontation avec tous les débordements possibles et toutes les déflagrations possibles. La responsabilité morale, civile et politique est que sur le plan politique, sociale et sécuritaire l’élection ne soit pas l’exacerbation des contradictions, affichées ou occultées, mais l’instauration de la confiance pour préparer la fondation d’un nouveau pacte républicain. Entretenir l’illusion d’un nouveau premier novembre est une faute politique car la génération montante ne connait du premier novembre 54 que le récit scolaire tronqué et le triomphalisme chauvin. L’ancienne génération ne connait le premier novembre qu’à travers son prisme idéologique. Pour les uns c’est l’Etat-nation à la lumière du jacobinisme français, pour d’autres c’est l’islamisme de Benbadis, pour d’autres c’est le libéralisme américain. Chacun s’approprie une date comme un clocher de paroisse idéologique ou de secte partisane avec ses arrières pensées. Nous savons tous que l’impérialisme mène une guerre d’usure contre notre existence comme il mène une prédation sans limite contre nos ressources, nous savons aussi l’ampleur et l’intensité de nos clivages culturels et idéologiques et ce n’est pas en jetant des anathèmes que nous allons les surmonter. Le seul dépassement est de participer tous pour l’émergence du citoyen et que celui-ci aient non seulement le droit, mais les moyens de participer à la conduite des affaires publiques…

N’est-ce pas que Hamrouche et Ghediri sont dénoncés comme usurpateurs par des « partisans » du premier novembre alors qu’ils se réclament du premier novembre. Il y a volonté de brouiller toutes les cartes et toutes les représentations mentales sur l’avenir, le présent et le devenir de l’Algérien. Cette date historique et bénie fut paradoxalement à la fois l’élan libérateur contre le colonialisme et le socle fédérateur de tous les clivages idéologiques pour affronter le colonialisme en laissant en suspens l’édification nationale, la citoyenneté. L’Algérie était fracturée avant la révolution de libération nationale par des imaginaires incompatibles. L’incompatibilité est toujours ancrée dans notre imaginaire collectif. Nous pouvons envisager une nouvelle appropriation sociale, idéologique, culturelle et politique du premier novembre si nous prenons le temps de lui donner un nouveau contenu, une nouvelle perspective et surtout un nouveau socle rassembleur et résistant. Les mots, plus que jamais doivent coller à notre réalité actuelle et à nos défis présents : « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté » disait Confucius. Ce chantier de réappropriation historique et de remise à niveau idéologique n’est pas ouvert, car il n’y a ni débat ni conditions pour débattre. Il n’y a que des passions sur la culture, l’idéologie, le pouvoir et la rente.

La politique consiste à pratiquer l’État et à gérer le bien-être de la cité investie par des citoyens c’est-à-dire des hommes libres, consentant à vivre ensemble malgré leurs diversités, à exercer leurs devoirs de solidarité et à trouver un dénominateur commun qui transcende les clivages idéologiques. A deux mois avant l’élection – de tous les dangers – nous n’avons pas de débat autre que des déclarations d’intentions qui sont trainées dans la boue lorsqu’elle suggèrent la rupture, une nouvelle république. Je ne pense pas que la rupture avec Bouteflika soit l’essentiel de nos préoccupations, l’homme a accompli son temps et celui-ci sera témoin en sa faveur ou contre lui le Jour de la Justice suprême.

Pour l’instant nous n’avons pas d’engagement solennel de respecter le résultat des élections. Nous n’avons pas une vision philosophique, mais réaliste et partagée, sur l’État. Avec qui faire la rupture et contre qui débattre. Il n’y a rien de consistant, de cohérent, de sensé à part le cynisme et la méchanceté de ceux qui se sont imposés tuteurs des Algériens…

Pour le débat il est trop tard, par contre si on veut aller vers une élection sans grand enjeu civilisationnel ou stratégique, mais honnête et respectable en tant que processus « formel », il nous faut des garanties. Il nous faut admettre que le processus électoral n’est pas la démocratie et que la démocratie n’est pas la liberté. Un jour ou l’autre nous devons les débattre sereinement non plus sous la perspective de l’État nation hérité de la modernité française ou américaine qui arrive à son échéance historique et à sa décadence sur le plan civilisationnel. Ni dans celle de l’État islamique qui n’existe que dans le fantasmes de ceux qui pensent que « la solution islamique » peut faire l’économie d’une culture politique et d’une gouvernance scientifique. Dans les conditions actuelles de rente, d’arbitraire et d’inculture politique un tel débat finirait par le ridicule ou par la violence. Pour débattre, on ne vient pas avec l’idée d’éradiquer l’autre, d’imposer des solutions du passé des autres ou de s’accaparer un butin de guerre, mais communiquer, partager, tenter de convaincre avec empathie et responsabilité sur la vision qu’on a de l’avenir. Il y a un minimum procédurier à respecter faute de plateforme démocratique : présenter donc plusieurs garanties pour garantir la sécurité, la stabilité et la viabilité du processus qui semble non seulement improvisé, mais confus voire vicié et vicieux :

  • L’engagement formel par l’ensemble des corps constitués que l’expérience de 1991 ne sera pas reconduite et qu’il faut accepter et collaborer avec le président élu. Le candidat élu n’est pas autorité de droit divin, mais homme faible qui peut être révoqué par le peuple dans certaines conditions à définir juridiquement lorsqu’il met en péril l’existence de l’Algérie, sa souveraineté et sa cohésion sociale.
  • L’engagement formel par l’ensemble des candidats d’accepter le résultat des urnes. Si l’abstention dépasse un seuil intolérable alors le résultat devra être invalidé et les élections refaites dans un délai acceptable.
  • L’engagement formel par l’ensemble des corps constitués de servir l’État dans la forme institutionnelle qu’il a actuellement ou dans celle qu’il aura plus tard et non de servir des hommes, des clans, des rentes…
  • L’engagement formel par l’ensemble des corps constitués de laisser voter leurs personnels en public.
  • La mise en place d’une commission électorale indépendante et souveraine.
  • La liberté de parole, d’écriture et de rassemblement des Algériens libres de débattre, de s’organiser et d’exprimer leur soutien sans crainte pour leur vie et leur sécurité.
  • L’interdiction de la violence sous toutes ses formes. Toute forme d’éradication politique ou idéologique doit être interdite et punissable par la loi.
  • Donner le temps aux candidats de former leurs états- major, de débattre, de lever leur financement dans la transparence. L’État devra rembourser les dépenses de campagne au prorata des résultats. Aucune personnalité morale ne doit financer les candidats. Les dons relèvent des personnes physiques et doivent être plafonnés par la loi et sous le contrôle d’un organisme transparent.
  • Donner le temps aux candidats d’éditer leurs journaux ou de constituer une presse alternative.
  • Mettre fin aux rentes de publicité des médias actuels et mettre en place un comité indépendant d’éthique et de contrôle de l’information pour que chaque candidat ait le temps de parole équitable sans exclusivité ou exclusive.
  • Permettre aux algériens poursuivis pour motifs politique de rentrer en Algérie et de s’engager activement dans la vie politique.
  • Trouver un autre mécanisme de validation des candidatures, car l’administration et la rente omniprésentes vont invalider les candidats ou falsifier les parrainages. L’administration et les réseaux de rentes sont suffisamment établis et structurés pour rendre impossible la collecte des 60 mille voix.
  • Faire endosser aux corps sécuritaires et aux préfets de police la responsabilité du maintien de l’ordre pour éviter les dépassements et les intimidations. Les réseaux de l’argent noir peuvent entrer en contact avec la délinquance de toute nature et engager des épreuves de force contre ce qui reste de l’État ou contre les candidats. L’expérience égyptienne de la Baltajiya et du non-droit ne doit pas être sous-estimée en termes de violences et de nuisance.
  • Toutes les garanties doivent être données sous formes de lois, de décrets et d’arrêtés et relever de la Justice sous l’autorité d’un haut magistrat dont la nomination doit être transparente et à qui on donne les moyens d’exercice et les protections pour sa sécurité.
  • Dans un délai court convenu et sous les mêmes garanties l’élection présidentielle devra être élargie à toutes les représentations populaires en commençant par les échelons locaux. Les nouvelles élections effectuées doivent permettre la révision constitutionnelle qui ne doit pas être une affaire d’experts de droits dont la charge est de donner une forme juridique, mais une affaire de peuple qui donnera le contenu. Sur ce temps de deux ou trois ans les assises républicaines et démocratiques pour relancer l’Algérie devraient être réunies c’est à dire un cadre pour donner un contenu, une forme, des mécanismes et des garanties tant pour la définition de la République que de la Démocratie.

C’est un travail de titans qui exige la responsabilité, la liberté, la solidarité. Dans ce cadre apaisé alors les grandes questions d’identité peuvent être élaborées ainsi que la forme de gouvernance la plus adaptée à notre culture, à notre histoire et à notre vision de l’avenir. C’est ce cadre qui servira l’apaisement, par sa portée pédagogique et par sa dimension démocratique. Nul ne devrait être exclu et c’est le consensus qui doit primer sinon il faut faire des référendums ou recourir à la justice séparée de l’exécutif. Le président nommé devrait alors relancer sa propre candidature en compétition avec d’autres pour couronner le recadrage institutionnel et engager les grandes réformes sociales, éducatives, juridiques, économiques, la séparation des pouvoirs, ainsi que la révision des traités internationaux etc. … Chacun devrait sentir que l’Algérie lui appartient et qu’il a la responsabilité de s’engager à la servir ainsi que la légitimité de s’approprier des biens, des statuts et des compétences. Il faut souligner que la véritable légitimité qui résiste au temps et aux crises est celle de la reconnaissance sociale de la compétence. La compétence ne peut s’exprimer et se faire valoir que dans la transparence et la compétition équitable. Le contraire de la rente c’est le travail et la justice.

  • Les corps intermédiaires ne doivent pas interférer dans la campagne électorale, leur vocation est de défendre les intérêts sociaux et professionnels des corporations et non de désigner le personnel politique. Plus tard les Algériens doivent rompre avec toute forme de monopole pour promouvoir le principe de libre adhésion ou de contrat dont les fondements sont la liberté et la justice. La vocation de L’État et d’apporter les garanties à la liberté et à la justice ainsi que de réprimer toute atteinte à la liberté et à la justice.
  • Interdire et réprimer toute forme d’ingérence étrangère….
  • Sur le plan social et économique, la rente et le monopole sont les poumons du système algérien. La vraie politique c’est de s’engager à mettre fin à la rente, de mettre fin à l’effondrement du dinar et à l’absence de productivité du travail et d’efficacité économique et financière. Pour commencer, il faut déjà arrêter la planche à billet qui sert à financer la rente et octroyer des marchés aux rentiers. Sur ce terrain est ce que le futur président, en supposant qu’il est honnête et militant de la cause nationale, est capable de décider de la fiscalité, de la planche à biller, de nommer les cadres supérieurs, de nommer le directeur général de la douane…

Où sont les garanties de laisser l’élu ou le désigné de finir son mandat. L’expérience de Boudiaf n’est pas loin. Il avait naïvement l’intention de redresser l’Algérie, mais pour le système c’était le dernier personnage que le destin a offert pour cultiver la rente historique du premier novembre. Il a été effacé de notre mémoire. Le général Ali Ghediri est un retraité de l’armée, il est libre de disposer de son temps et de disposer de sa vision pour continuer à servir l’Algérie. Il devrait exiger un minimum de garanties sinon un maximum de solidarité de ses pairs devenus civils ou toujours en activité. Le soutien des militaires actifs ou en retraite pose cependant le problème du risque de division de l’armée et des implications négatives de l’armée dans ce qui n’est ni sa vocation ni son rôle. Le soutien des pairs signifie une protection contre les menées subversives venant de l’intérieur du système.L’idéal serait que l’armée exprime son refus de s’impliquer dans les processus electoraux. Le peuple doit exercer sa souveraineté sans tutelle et dans le cadre du multipartisme. Cela ne veut pas dire que l »ANP n’a aucune mission politique. Sa mission devrait être transparente et constitutionnelle sans être partisane. Construire une doctrine de défense nationale, une  économie de résistance nationale civile et militaire ainsi qu’une stratégie de sécurité nationale est une tâche éminemment politique et exigeant une grande expertise. Il ne nous importe pas de savoir ou de distinguer les statuts des hommes, mais leur programme et leur désir.

Je n’aurais pas l’indélicatesse de donner un conseil, mais il devrait aller au-delà de l’intention et ne pas chercher les appuis des puissants ou des riches pour mener campagne, mais partir en campagne comme un militaire qui livre bataille en allant chercher renfort et soutien auprès des Algériens sans dents et sans grades. C’est le peuple qui doit décider en premier de son devenir.

« Malheur à ceux qui nous portent secours, nous serons leur tentation » aimait dire Malek Bennabi lorsqu’il méditait la tragédie de l’Algérie. En effet il aurait fallu plus d’un an de préparation pour apporter le minimum de garanties sinon nous sommes dans la stratégie du fait accompli c’est à dire du choix entre nous et le chaos. Les diables sont experts en matière de chaos.

Omar MAZRI

 

Livres parus :

  • La République et le voile : Symboles et inversions
  • Aimer : la voie coranique
  • Les dix commandements US et le dilemme Arabe
  • Béni soit-il ?
  • Dine ou religion ?
  • Révolution arabe : mythe ou mystique ?
  • Gaza : La bataille du Forqane
  • Islamophobie : Deus Machina
  • Coûts de production : méthodologie d’analyse
  • L’art pédagogique : Etre et Faire.
  • Scénario de création des coopératives

Analyses et études :

  • Réforme de l’enseignement paramédical
  • Economie de défense : Rétrospectives et prospectives 1982-2002
  • Développement des  industries hauturières
  • Economie et post-Modernité
  • Didacticiel mathématiques : niveau brevet et CAP
  • Didacticiel anatomie dynamique du vivant

Publications numériques :

  • 250 articles sur le site libération des opprimés
  • 160 articles sur le site Justice et Vérité (site fermé)

En cours d’édition :

  • Abel et Caïn :  mobile du crime et psychologie de l’assassin.
  • Territoire de civilisation ou Etat islamique ?

Ombres et lumières

« On voit ceux qui sont dans la lumière et on ne voit pas ceux qui sont dans l’ombre » disait Bertolt Brecht. Il expliquait l’art de la scénographie qui ne peut se résumer ni au présentiel visible ni au discours dicible, mais à l’atmosphère qui dissimule, montre selon les intentions de l’auteur et le déroulement du scénario…

Il semble curieux que j’évoque Bertolt Brecht alors que je ne suis ni marxiste ni socialiste ni homme de théâtre. Je conserve sans doute quelques réminiscences de Kateb Yacine, mais surtout je suis horrifié par la tragédie bouffe des bouffons qui ne voient pas que derrière leur simulacre et leur inconstance il y a le drame des innocents qui n’ont pas demandé à naitre et à qui on offre un avenir sans paix ni gloire et peut être un devenir sans pain.  Je suis né bien avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, avec le prix du sang, des larmes et de la sueur que ma famille a versé à flot pour la libération et l’édification de l’Algérie. Je pensais qu’avec une bonne éducation patriotique et un bon parcours scolaire et professionnel j’allais pouvoir servir la patrie de Ben M’hidi, de Benboulaid (pour ne citer que ceux que je vénérais alors que j’étais tout petit) et du peuple algérien qui a soutenu l’ALN et le FLN et leurs héros en donnant des martyrs, des internés, des réfugiés sans compter. Les rentiers, les insensés et les traîtres en ont décidé autrement. C’est comme dans les  lois de la physique et de la chimie, il faut la réunion de plusieurs conditions et la conjugaison de plusieurs facteurs pour qu’un processus se réalise. Il n’y a pas de prévalence entre la rente, l’insenséisme et la félonie. L’un engendre les autres. Mais une fois installés comme système, il faut les éradiquer tous en même temps et rapidement, sinon tout changement, tout effort est mené vers l’entropie par la régénération et la reproduction élargie de ces trois fléaux.

Lorsqu’on vit avec la conviction que Dieu est témoin par connaissance et par présence, il importe peu pour sa petite personne périssable qu’elle soit anonyme ou illustre, en réussite ou en échec, reconnue ou bannie, utile ou gaspillée… C’est la situation de Diogène le cynique lorsqu’il fut appelé pour sauver la Grèce avec sa phrase célèbre « ôtez-vous de mon soleil ». C’est la situation de la génération d’après-guerre qui n’avait pas le profil de l’idiot de service, du rentier, du salopard. Cette situation est vécue par de nombreux algériens civils et militaires, laïcs et islamistes, berbères et arabes, modernes et archaïques… N’étaient épargnés que les insouciants qui avaient des yeux, des oreilles et des cerveaux, mais ils n’avaient ni l’entendement ni le sens des responsabilités et encore moins la morale (religieuse ou révolutionnaire) … Et pourtant le théâtre d’ombres et de lumières pour dissimuler les acteurs du massacre de l’Algérie, livrer en pâture quelques bouc-émissaires (souvent innocents) ou mettre en valeur quelques comparses ou quelques imposteurs…

C’est ainsi que Feu Caïd Ahmed, ancien secrétaire général du FLN, a été désigné à la vindicte estudiantine pour lui faire porter toutes les tares de l’Algérie. On a SALI son nom, sa réputation et son militantisme pour dissimuler le système qui l’utilise à ses dépens. On a ainsi masqué le système qui a détruit l’homme algérien, qui pourtant a résisté glorieusement au colonialisme et qui a pris en charge honorablement l’auto gestion des fermes et des entreprises, biens vacants, pour continuer de produire sans détourner les biens publics et sans importer de l’étranger. Ceux-là mêmes qui ont produit l’assistanat social, la bureaucratie, le capitalisme d’État rentier et corrupteur ont été encensés et couverts de gloire. Ce sont les mêmes qui ont donné un pouvoir aux DAF et mis au ban les Moudjahidines de l’ALN et les militants de la cause nationale. Ce sont les mêmes qui ont confisqué l’histoire, la religion, le patriotisme, la langue, les ressources nationales et les ont transformés en rentes et en privilèges pour enfin dilapider la plus grande ressource de l’Algérie qui n’est pas le sous-sol riche en hydrocarbures, mais l’image de l’Algérie qui a triomphé sur le colonialisme et le pacte de l’OTAN. Ces mêmes saltimbanques veulent livrer l’ALN pour qu’elle soit auxiliaire militaire des colonies françaises et américaines et pour que l’Algérie soit un comptoir colonial.

Ce sont toujours les mêmes stratégies de dissimulation et de diversion qui veulent non seulement montrer que tous les officiers algériens sont des corrompus et que tous les généraux sont coupables de crime de guerre et responsables de la Gabegie nationale.  Pourquoi se focaliser sur l’armée et ses fonctionnaires alors que le pouvoir réel n’appartient pas à l’armée. Pourquoi présenter tous les gradés de l’armée comme des voyous sans morale alors que d’une part des civils en nombre plus important (ministres, préfets, haut-fonctionnaires, juges, entrepreneurs, commerçants, intellectuels) ont main mise sur les rentes, et d’autre part cela n’échappe à personne : des caporaux, des adjudants et de petits fonctionnaires de l’armée, de la police et des douanes – par leurs fonctions et leur immoralité –  ont amassé des biens mal-acquis et ruiné le patrimoine public.

Pourquoi mettre la lumière sur des gens alors que le système qui a produit les corrompus et les corrupteurs et qui n’a ni protégé ni promu les fonctionnaires intègres n’a jamais été dénoncé dans ses mécanismes et ses allégeances mafieuses intérieures et extérieures.

L’incurie politique du FIS et l’ivresse du pouvoir de ses chefs leur a fait présenter Chadli Bendjedid (Allah yarhmou) comme le clou à arracher alors qu’il a été coopté par le système par son grade le plus élevé et le plus ancien. C’est un choix simpliste pour un pays qui a de grandes aspirations, mais Chadli ne peut être le diable et endosser à lui seul les malheurs de l’Algérie. Il reste à mes yeux un homme brave et miséricordieux qui a tenté de servir l’Algérie selon ses moyens modestes sans méchanceté. Manipulé par les experts en subversion, ils ont fait le jeu de ceux qui voulaient anéantir l’Algérie. Aujourd’hui les rescapés du FIS ne tirent pas de leçons pour engager leur responsabilité politique et morale dans la tragédie et donner leur version objective des faits et les acteurs connus de la manipulation. Ils ont négligé les avantages pour l’Algérie d’une négociation avec les forces vives et compétentes comme Mehri du FLN, Aït Ahmed du FFS sans se bloquer sur le processus électorale vicié au départ. Ils continuent de vivre leur syndrome victimaire sans s’adapter sérieusement et aller au-delà de la critique maladive des généraux. Les élites, militaires et civils, qui avaient suffisamment de culture géostratégique portent une responsabilité morale et historique, car elles avaient les moyens intellectuels et la position sociale pour ne pas aller à l’effusion de sang qui arrangeait les partisans de l’éradication idéologique et du démantèlement de l’appareil industriel pour assouvir leurs appétits d’apprentis capitalistes. La pensée collective a fait défaut, l’intérêt national a été absent dans le jeu politicien. Même avec de grands diplômes, de grands postes et de grandes ambitions, on peut voir un pays comme une épicerie ou un souk el fellah. Le commis de l’État n’existe pas encore dans la culture algérienne. Lorsqu’on fait de grandes études, on le fait ni pour servir l’Algérie ni pour faire avancer la science, mais pour la reconnaissance sociale, le pain. Nous avons hérité de la culture bobo du socialisme français ou du gangster américain, mais pas de la culture de nos aïeux algériens qui même vaincus ne se soumettaient pas.

On a glosé sur le président Bouteflika, bien ou pas bien, calife du Prophète ou désintégrateur des généraux ou allié objectif du Makhzen marocain, mais on refuse de voir le système qui s’est servi de lui pour se donner une légitimité historique et internationale alors que ce système est en effondrement sur le plan moral, social, politique, diplomatique et économique même si on peut se vanter des réalisations immobilières et des infrastructures. Puisque on est dans le théâtre j’aime bien Bertolucci qui parle du nationalisme des canailles.

L’Algérie est remplie d’acteurs cyniques et de pièces de théâtre vaudevillesques. Il y a tellement de gâchis qu’on a envie de ricaner « jaunâtrement » jusqu’à attraper une hépatite. La question se pose toujours sur le metteur en scène. Un homme de théâtre a bien résumé ce qu’il faut chercher dans un scénario : « Dans toute idée, il faut chercher à qui elle va et de qui elle vient ; alors seulement on comprend son efficacité. »

En matière de trouvaille d’idées anciennes et de marionnettes qui n’amusent que les enfants et les gens d’esprit comme le dit George Sand, ils ont trouvé depuis la maladie du Président et la vacance du pouvoir incarné dans un Zaïm l’arbre qui cache la forêt, un symbole en l’occurrence de Saïd Bouteflika, le frère du président. Ainsi on dédouane le président de ses responsabilités, on masque le pouvoir occulte, on cristallise la crise sur un homme et ses acolytes (réels ou fictifs) du « pouvoir » économique. On aurait pu se focaliser sur Djéha ou sur Pinocchio, cela n’enlève rien à l’amère réalité et aux jours difficiles à venir.

Oui nous vivons des temps difficiles comme ceux vécus par la génération de Bertold Brecht qui anciens attendant la révolution internationale pour libérer les peuples alors que leurs élites les ont conduites au nazisme et aux guerres mondiales. Ces temps, Brecht les a dépeint ainsi « les temps se sont obscurcis autant qu’éclaircis, clarté et obscurité sont entremêlées au point que l’on ne peut les distinguer. » Il voyait avec lucidité l’ombre et ne s’aveuglait par la lumière des projecteurs, c’est un homme de théâtre, un artiste, un visionnaire. Les Frères musulmans algériens n’ont ni la compétence de vision ni la vocation d’éclairer. Ils sont dans ce que Malek Bennabi appelle l’idole de foire qui a pour mission d’humilier l’idée. Ils n’ont rien à voir avec la miséricorde du Prophète, ni avec sa lucidité ni avec l’enseignement du Coran. Ils sont à fond dans les affaires, les arrangements d’appareils et les acrobaties politiciennes. Comme tous les aveugles politiques, non seulement ils accréditent la thèse fallacieuse de Saïd Bouteflika, mais ils lui donnent une consistance politique jouant une fois de plus le rôle qui leur est dévolu, celui d’idiot de service ou d’interlocuteur valide. Ils n’ont tiré aucune leçon des drames récents et refusent de voir les drames à venir.  Les arrangements avec le général Tewfik leur a permis de protéger leurs cadres de l’éradication, mais qu’est-ce qu’ils ont fait de leur potentiel pour servir l’Algérie ? Qu’est-ce qu’ils ont fait de leurs postures dans les institutions algériennes pour promouvoir une dynamique de changement ou au moins inviter à un débat d’idées ?

L’ancien directeur général de l’Institut de stratégie globale, Si M’hamed Yazid ancien ministre de l’information du FLN, malgré la différence d’âge et de statut, qui nous sépare m’avait convié à un entretien individuel et confidentiel faisant confiance à mon jugement et à ma proximité des événements sans être partisan pour lui donner mon opinion sur l’issue des élections législatives de décembre 1991. Ses services lui ont donné le parti HAMAS vainqueur à 10%. Cette estimation reposait à mes yeux sur trois estimations que je considérais comme fausses. La première était la prise en considération du charisme de Mahfoud Nahnah et la culture algérienne du zaïmisme qui allait faire préférer le modéré Nahnah au fougueux Ali Benhadj. La réalité du mécontentement social et de l’envie de changer radicalement le système n’était même pas prise comme une hypothèse de travail et cette erreur est monumentale. La seconde c’était la culture du zèle des élites vassalisées qui ne disent pas la réalité, mais celle que leurs chefs veulent voir. La troisième était sans doute le choix étranger qui tolérait une représentation islamique du type frériste si elle demeure contenue dans son expression et son action politique, économique, sociale et idéologique, car on ne touche pas au mondialisme. On a faussé le curseur idéologique pour masquer les enjeux véritables. Le problème n’est pas entre croyants ou athées, progressistes ou religieux, il est de la même nature qu’avant le déclenchement de la révolution algérienne : Pour l’indépendance ou pour l’assimilation. Chaque camp a ses éradicateurs, ses insensés, mais aussi ses militants de la cause nationale, même si chacun s’approprie le premier novembre selon ses œillères idéologiques.

Ce sont les mêmes insenséismes des incompétents et les mêmes appétits occultes des fourbes qui ont conduit la commission nationale de restructuration industrielle en 1983, composée de militaires et de civils, à stopper l’investissent industriel et à mettre en place les IVPE (investissements de valorisation du patrimoine existant) qui devenaient inefficaces par la restructuration administrative des entreprises nationales. Ces entreprises publiques avaient besoin de retrouver leur vocation, celle d’entreprendre et de manager selon des stratégies métiers et selon la loi du marché. On se devait de maintenir l’effort industriel, d’investir selon les besoins, de créer de l’ingénierie nationale, de compter sur les bureaux d’études nationaux, de créer la concurrence en mettant fin aux monopoles, de trouver une solution radicale aux pénuries et à l’administration bureaucratique des entreprises. Les années 80 ont préparé la décennie noire puis celle des années 2000 à ce jour mettant l’Algérie en situation de dépendance alimentaire sans infrastructure de know-how produit ou de know-how production, faisant d’elle un satellite de consommation et un îlot de gaspillage, un isolat de désertification morale et économique : un parfait comme le néant. Chadli n’a pas les compétences pour voir le désastre en préparation, les islamistes étaient préoccupés par la sahwa religieuse et l’usage de la liberté vestimentaire… Les cadres qui avaient la « compétence » de dire et de faire et qui avaient en charge l’appareil industriel, financier, économique et institutionnel n’ont tiré aucune sonnette d’alarme. Ils ont vanté le libéralisme économique et chacun se voyait conduire une holding comme Marie et son pot au lait…

A propos de lait, il me vient à l’esprit la traite illégale des  vaches à lait. Il me vient à l’esprit le détournement de la vocation des offices algériens tels que l’ONAB, l’ONALAIT, l’OFLA, l’OAIC, l’ONSP… Ces offices avait pour mission le développement de la production nationale, l’organisation des secteurs et des branches, la recherche développement,  la promotion de l’effort national et l’accroissement des rendements et de l’efficacité du travail. Les budgets alloués et les hommes affectés ont été orientés d’abord, par la pratique bureaucratique, vers la facilité des importations tout azimut ensuite par la nuisance systématique vers la gestion de la pénurie et des rentes qui ont permis l’émergence de l’économie informelle et des grandes fortunes parasitaires. Depuis la décennie noire à ce jour le système bancaire et le crédit, après le démantèlement du secteur public, n’ont fait que financer les privilégiés et les détourneurs de la vocation des offices pour leurs profits personnels. Il est permis de faire un parallèle de situation et de proximité temporelle avec le démantèlement de l’appareil productif français depuis l’émergence de Laurent Fabius comme ministre de l’Economie puis Premier ministre avec en arrière-plan les Attali et consorts. Il y a une ligne de convergence idéologique et d’intérêts économiques à suivre… Les militaires algériens ne peuvent être tenus pour responsables directs de ce détournement même s’il profite à quelques militaires véreux. Les agents des douanes, du Fisc, du commerce, de l’Assemblée nationale, des Finances et des banques étaient occupés à quoi et étaient au service de qui?   On peut poser la question aux organes de sécurité et aux brigades économiques de la Police : pourquoi s’occuper des étudiants, des imams des mosquées, des journalistes et des bavards algériens et ne pas fouiner dans la gestion des biens publics. Incompétence, corruption, détournement de la mission, zèle des fonctionnaires, trahison ? Il appartient aux historiens, aux juges, aux journalistes, aux hommes politiques d’apporter les réponses lorsque l’Etat de droit sera instauré et la souveraineté de l’Algérie restaurée….

Pour l’instant, nous sommes dans des intentions de rupture. Je ne me prononcerais sur la faisabilité et la viabilité de rupture  lorsque le candidat bien intentionné annoncerait comment il compte mettre fin à l’opacité de la nomination des hauts cadres, comment mettre en compétition les compétences désireuses de servir L’État pour ne prendre que les meilleurs, quels mécanismes pour les identifier, les recruter et leur donner la garantie de travailler dans de bonnes conditions sans passer par le système de cooptation et de clientélisme. Le diable est dans les détails…

Pour rester dans le langage théâtral et « comique », leur solution islamique est comme les boniments des forains et des ensorceleurs du verbe comme le dit si bien Devos « Parce qu’il y a des magiciens qui vous promettent la lune… Moi, je vous promets le soleil ! »

Pour achever le tableau si peu reluisant des promesses électorales, des lièvres, des falsifications, je vous invite à lire mon texte sur le roi de Midas que j’ai arrangé pour le faire coller à la réalité algérienne. Si vous n’avez pas le temps de lires les âneries de la mythologie revisitée par la modernité algérienne alors « Fermer les yeux afin de pouvoir voir ». Berthold Brecht a fait l’expérience avant nous et à travers ses yeux, même s’il est athée, nous pouvons voir : « C’est la continuité qui engendre la destruction. Les caves ne sont pas encore vidées, et au-dessus d’elles on construit déjà des maisons ».

Peut-être que l’idée d’effondrement ultime nous donnera, faute de conscience politique, le désir de procéder à une véritable psychanalyse sociale et idéologique et deviner les raisons inconscientes de notre arrogance, de notre suffisance et de notre impossibilité à construire un État. Le désir est le mouvement volontaire vers ce qu’on aime ou ce qu’on imagine c’est-à-dire ce qui qui est construit par nos souvenirs et qui part à l’extérieur de soi pour partager, communiquer….

[bctt tweet= »Algérie : Ombres et lumières » username= »omar_mazri »]

Omar Mazri

Livres parus :

  • La République et le voile : Symboles et inversions
  • Aimer : la voie coranique
  • Les dix commandements US et le dilemme Arabe
  • Béni soit-il ?
  • Dine ou religion ?
  • Révolution arabe : mythe ou mystique ?
  • Gaza : La bataille du Forqane
  • Islamophobie : Deus Machina
  • Coûts de production : méthodologie d’analyse
  • L’art pédagogique : Etre et Faire.
  • Scénario de création des coopératives

Analyses et études :

  • Réforme de l’enseignement paramédical
  • Economie de défense : Rétrospectives et prospectives 1982-2002
  • Développement des  industries hauturières
  • Economie et post-Modernité
  • Didacticiel mathématiques : niveau brevet et CAP
  • Didacticiel anatomie dynamique du vivant

Publications numériques :

  • 250 articles sur le site libération des opprimés
  • 160 articles sur le site Justice et Vérité (site fermé)

En cours d’édition :

  • Abel et Caïn :  mobile du crime et psychologie de l’assassin.
  • Territoire de civilisation ou Etat islamique ?