Tariq Ramadan et les Révolutions arabes (2/3)

Tunisie, Egypte et Tariq Ramadan – Partie 2 /3

Dans cette seconde partie je vais analyser les dits et les non dits de Tariq Ramadan à travers les aspects suivants de son discours. Sa personne privée ne me concerne pas : Je n’ai ni amitié ni animosité envers lui pour en faire une cible ad hominem. Sa personnalité publique médiatique est par contre un cas d’école à des fins pédagogiques dans la compréhension de la lutte idéologique que doivent maitriser les jeunes générations :

  • La théorie de la non violence
  • Les Dix Commandements
  • Géostratégie et civilisation
  • Le symbole du poing levé
  • Les luttes sociales qui ont engrangé les Révolutions
  • La fin du messianisme politique, intellectuel et religieux

La théorie de la non violence

Sur le plan idéologique il ne s’agit pas d’une doctrine isolée visant les révolutions Arabes mais d’une stratégie qui vise à saper idéologiquement, politiquement et socialement toute idée de résistance armée. La résistance visée n’est pas contre les dictatures arabes mais contre l’occupation sioniste des territoires palestiniens et la présence militaire et sécuritaire des États-Unis dans le monde musulman. De « La non-violence palestinienne peut apporter plus que les armes » des pacifistes israéliens à « Je ne suis pas partisan de la violence » de Mahmoud Abbas, nous sommes dans la culture de la confusion pour enlever toute légitimité à la résistance et sous de pseudo exigences pacifistes donner un habillage idéologique pour que le colonisé, ici, fuient ses responsabilités et que le colonisateur, ailleurs , se donne l’alibi humanitaire et la propagande médiatique pour justifier ses ingérences politiques, économiques et même militaires quand cela travaille ses intérêts.

Au-delà des milliards de dollars dépensés en vain pour améliorer l’image de marque des États-Unis et fabriquer des faiseurs d’opinion qui manipulent les Arabes et les Musulmans, il y a les « 10 commandements » que Tariq Ramadan ne voit pas. Comment pourrait-il les voir alors qu’il a consenti à jouer l’alibi pour monter l’audience des chaînes françaises qui sont tenues à la fois à faire gagner de l’argent à leur commanditaire et à respecter un « chouia » de déontologie en apportant un soupçon d’altérité et de diversité au monopole de BHL et ses compères sur les médias français. Les Français sont toujours dans la confusion : Au nom de la diversité, ils nous servent le même discours lénifiant pimenté par quelques envolées lyriques et quelques couleurs de peau sans produire une information diversifiée qui touchent le public divers et différencié. Il faut un talent d’apprenti illusionniste.

C’est une lecture sous un seul angle, celui du dominant, que de donner plus d’importance qu’il n’en faut à la mobilisation non violente qui est historiquement une stratégie britannique s’appuyant sur l’étude du colonisé et de ses mœurs pour entamer son processus de décolonisation et faire sortir ses troupes sans confrontation car une armée en retraite est vulnérable, fragile et ses pertes sont énormes. L’empire britannique a su se retirer à temps en laissant en place ses vassaux. Cette expérience, bien entendu les américains en sont les légataires en leur qualité d’héritiers des anciens empires mais ils portent en eux la violence fondatrice de leur existence et de leur domination dans le monde. Par ailleurs, voir la libération de l’Inde ou la « fin » de la ségrégation raciale aux États-Unis comme l’œuvre des seuls Gandhi et Luther King c’est ne pas voir le cadre idéologique de la mystification de la non violence que l’impérialisme a tenté de vendre aux intellectuels des opprimés pour conserver ses colonies.

Derrière Gandhi le partisan de la non violence, il y a le passé de caste qui a fait d’une partie de son passé non seulement un serviteur zélé de l’empire britannique mais un agent recruteur pour les armées coloniales. C’est à la fois la trahison des Anglais, la demande du peuple indien, la volonté de couper les Musulmans des indouistes et les faits historiques des répressions sanglantes qui ont fait de Gandhi un opposant non violent. En effet il y a des sacrifices, des insurrections sauvagement réprimés et un combat inlassable de moines qui ont utilisé l’immolation et le don de leur vie contre l’occupant. La sémiologie, l’herméneutique et l’histoire de l’art étudient avec minutie les images des moines hindous s’immolant devant les chars britanniques pour faire obstacle à leur avancée ou à leur tentative de réprimer le peuple. Tous les spécialistes de l’image diront que les images qui déstructurent un mental sont celles qui exposent le regard à une scène de mutilation ou d’automutilation qui heurtent non seulement la sensibilité mais la compétence humaine de symboliser par une image qui s’imprime dans l’imaginaire comme déchirure, dislocation, à laquelle l’esprit humain n’est pas prêt à subir ni à tolérer. Derrière Martin Luther King, il y a eu des violences, des sacrifices, des révoltes, des insurrections. C’est plus l’assassinat de Luther King que son pacifisme qui a donné aux noirs l’accès aux libertés. Il faut lire ou entendre Angela Davis raconter la dialectique de l’oppression libération pour comprendre que l’âme humaine est indestructible contre la violence esclavagiste, colonialiste et sioniste. Elle est prête à tous les sacrifices et non aux compromissions et aux contes de fées car son séjour ici est inscrit dans l’éphémère et celui-ci est inscrit dans l’Honorificat originel qui s’arrache par tous les moyens, une fois qu’on a compris les mécanismes de la servitude et de l’asservissement.

L’impérialiste et le système de caste ont fait des « concessions démocratiques » sans changer les fondements du système aux États-Unis ou en Inde. Les États-Unis vivent avec une sociétés à deux vitesses : celle des « rich man » qui vivent et décident, celle des « poor man and rich time » à qui il faut trouver une forme d’esclavagisme post-moderne pour les occuper à oublier l’idée de révolte, de soulèvement, de misère, de libération… Les noirs américains au sommet de leur «gloire » bénéficient de la discrimination positive qui produit des Colin Powell, des Condoleezza Rice et des Obama pour la grandeur de l’Amérique impérialiste et la domination sioniste. L’inde est intégrée paradoxalement à la fois comme agent de partage impérialiste de la richesse mondiale et comme sujet d’exploitation par ce même impérialisme. Le système de caste est toujours là avec ses relais, avec l’impérialisme.

L’Islam, même dans l’esprit des Arabes le pratiquant avec peu de ferveur ou ne croyant pas en sa dimension civilisationnelle est perçu et vécu comme un système sans caste. Pour appliquer la révolution non violente, l’Amérique a besoin de s’appuyer sur les castes, sur la discrimination positive ou ses prémisses de faveurs et de dérogation sinon sur la praxis évangélistes. Dans le monde arabe, la révolution met à terre ce qui peut servir de relais aux États-Unis : Le régime et ses rentiers intellectuels, économiques et religieux. Il lui reste les maitres du marché noir, de l’économie souterraine ou de l’économie infantile. Ce sont des alliés sans conscience de classe qui avec leur système de débrouillardise parviennent à nager dans les autres troubles et cherchent à vivre dans l’obscurité. Ils sont les troubles fêtes de la révolution populaire et de la révolution non violente américaine même si l’Amérique les présente comme les futurs entrepreneurs de l’avenir en référence à son passé de « pionniers » qui ont spolié les biens légitimes des autochtones. Dans ce réservoir de « tbezniss » la réalité politique et sociale témoigne qu’ils sont la réaction de survie dans un système d’exclusion et de rente. S’ils voient dans la révolution une opportunité de vivre dans la transparence, la légitimité de commercer et le droit d’entreprendre, ils choisiront le peuple dont ils partagent l’espace de vie, le marché parallèle et la haine contre l’exclusion et le racket exercé contre eux par un appareil sécuritaire corrompu.

L’Occident joue naturellement son rôle en tentant de récupérer les soulèvements arabes en leur donnant un aspect exotique et indigène par sa mentalité de colonisateur tout en les impliquant dans le processus européen qui a accompagné la chute du Mur de Berlin, en les nommant ou se les appropriant. Nommer la révolution entretenue par le peuple tunisien par des décades de révolution qui remontent à la période coloniale en passant par Bourguiba et Ben Ali de révolution des jasmins est une insulte aux martyrs. La révolution des jasmins est une manière de présenter la révolution populaire comme solution romantique qui tire son essence des arrangements d’appareils et du regard occidental qui voit le peuple tunisien comme un indigène qui se comporte en masse exotique sans consistance, en valet parfumeur des ses maîtres, en stupide qui peut être leurré par les éradicateurs laïcistes qui acceptent les arrangements d’appareils pour partager la rente. Le mensonge est gros puisque aucune image n’a montré le peuple tunisien portant des jasmins entre ses doigts mais le désir de triompher contre la dictature. En Égypte et en Tunisie, il n’y a eu ni jasmin, ni rose, ni cèdre, ni tulipes, ni orchidée ni rameau d’olivier et encore moins une opération américaine.

Les Dix Commandements

Le talent d’orateur et l’espace médiatique qui résonnent, subjugué par ce qu’il aime entendre dire, ne peut occulter les « 10 Commandements » qui restent quand on fait semblant de tout oublier y compris les discours d’Obama au Caire et ses porte-voix fascinés par sa démocratie, sa liberté et sa prospérité et surtout l’histoire du monde arabe qui a amené Obama à dire Salam ‘Alaykoum et à réciter un verset coranique. Au delà de la rhétorique d’Obama ou de celle de Tariq Ramadan, il est impossible de voir le devenir de l’Égypte ou de la Tunisie et son rapport à la cause palestinienne et au reste du monde Musulman si l’intellectuel ne se définit pas dans son rapport idéologique et politique présent ou à venir aux 10 fondamentaux des États-Unis :

1 – Un pays fondé sur la violence, la spoliation et l’éradication érigées en principes de justice implacable et de civilisation détentrice des valeurs du bien contre le mal. Ce pays par sa nature intrinsèque ne peut construire un mouvement de non violence ni ne pas utiliser son armada surtout que le recours à son armada satisfait les lobbies militaro-industriels qui font de grands profits et qui permettent de relancer l’économie par l’économie de guerre. Il peut s’inspirer de Gandhi et de Luther King sur le plan formel mais sa nature est violente, agressive et invasive.

2 – L’allégeance aux États-Unis est une relation de maître à esclave. Cette vassalité est triple : C’est une faveur accordée par le maître, elle s’exprime par la gratitude du vassal envers son maître, le maître témoigne toujours de l’insatisfaction et de l’insatiabilité envers l’esclave poussant ce dernier à davantage de servitude. On ne change pas un vassal qui a servi loyalement par un inconnu qui peut décevoir ou trahir. Dans le cas Égyptien nous avons Omar Suleyman qui était l’homme de la succession de Moubarak mais malgré la « faute des Frères Musulmans » de lui donner voix et crédit en allant dialoguer avec lui, il a finit par être délogé par la rue égyptienne.

3 – La sécurité intérieure des États-Unis et sa profondeur stratégique sont confondues (militaire, sécuritaire, idéologique, politique, informationnelle, scientifique, technologique et économique) dans une culture d’empire insulaire : L’Amérique a pour frontière le reste du monde, elle se considère comme le dépositaire sacré des valeurs de l’Occident et se considère comme l’île de la liberté et du bien contre le mal, la Justice implacable du Messie rédempteur. La prendre comme modèle de démocratie et donner crédit à sa guerre de désinformation c’est être un naïf ou un privilégié. Elle ne peut donner la voix à la rue arabe alors que les sondages de ses services la désignent comme l’ennemi N°1 des peuples arabes et musulmans. Elle ne peut donner confiance à une population qui porte l’Islam dans son cœur et la haine de l’Amérique. Elle le sait si bien qu’elle a dépensé des milliards de dollars pour modifier le cœur des Arabes mais en vain.

4 – La sécurité d’Israël est sacrée dans la doctrine américaine comme le veau d’or. Toute allégeance à l’Amérique passe par l’allégeance à Israël. En Égypte et en Tunisie nous ne voyons ni le peuple ni ses représentants consentir à jouer ce rôle perdant à terme car l’invincibilité d’Israël est un mythe que le Hezbollah et le HAMAS ont réduit en cendres. Tariq Ramadan avance comme preuve de son argumentation de non violence et de manipulation l’absence de slogan anti-occidentaux. Cela prouve qu’il n’a pas interrogé un manifestant et cela prouve qu’il n’a rien compris à la stratégie des manifestants qui montaient graduellement la force de leurs revendications, la force de leur nombre et la radicalité de leurs positions annonçant le scénario de recours à la désobéissance civile puis à la violence armée comme dernier recours. Cela témoigne de leur intelligence, de leur cohésion et de leur maturité et il faut être de mauvaise foi pour y voir l’action américaine. Même si des jeunes ont été formés et préparés par les États-Unis, ils n’ont pas pesé et ils ne pouvaient pas peser sur la volonté populaire et la capacité à l’auto organisation et à la fédération qui rendaient tout scénario étranger dangereux et impossible à réaliser.

5 – Le syndrome bolchévique et iranien. Tout « ami » de l’Amérique doit être un ennemi de l’Iran islamique et des mouvements révolutionnaires marxistes. Le FIS en Algérie a connu le prix de son islamisme. Ennahda et le parti de Moncef Marzouki tentent de biaiser, de contourner et d’éviter l’affrontement. Ils font des concessions eu égard à la taille de leur pays et eu égard aux leçons que l’expérience algérienne leur a donné en allant sur des clivages tranchants. Les Tunisiens ont fait preuve de sagesse même si j’ai personnellement exprimé des réserves.

6 – L’État-nation s’est fondé sur l’État au service d’une classe qui a le pouvoir de battre une monnaie, de lever l’impôt (Mekkass)  et de lever une armée pour défendre sa dominaition de classe, appliquer l’imposition sur les revenus des opprimés et des exploités, étendre son territoire et y faire valoir sa monnaie, ses idées et ses vassaux. Les dommages sur la planète sont prévisibles quand cet État n’est plus national mais transnational, quand sa doctrine n’est plus républicaine mais impériale et quand sa monnaie n’est plus une monnaie d’échange dans l’économie réelle mais un fétiche financier pour fabriquer de la dette sans rien en contrepartie. Cet État-transnational ne peut être cohérent avec la théorie de la non-violence car il est violent et transgresseur par la nature intrinsèque du Riba et du Toghyane qui fondent ses relations avec autrui. L’économie mondiale et les finances internationales sont régies par trois mécanismes tabous : Le dollar comme monnaie fétiche ; la domination du complexe militaro-industriel sur les administrations et sur les appareils du savoir, de la technologie et de la communication ; la relance de l’économie par le déficit budgétaire et les industries de défense nationale… Il y a un véritable Ijtihad pour faire face à ce monstre au lieu de lancer des Fatwas meurtrières ou de gloser sur la non-violence!

L’économie mondiale et les finances internationales sont régies par trois mécanismes tabous : Le dollar comme monnaie fétiche ; la domination du complexe militaro-industriel sur les administrations et sur les appareils du savoir, de la technologie et de la communication ; la relance de l’économie par le déficit budgétaire et les industries de défense nationale… Tariq Ramadan évoque l’économie mais l’évoque sous l’angle qui satisfait la France qui consiste à placer les Chinois comme problème du monde et non l’impérialisme américain. Donner juste une lecture économique en se focalisant sur le Pétrole pour la Libye par exemple c’est totalement ignorer les mécanismes de l’échange inégal et la loi du marché capitaliste. Par la technologie, la consommation, les cartes satellitaires d’exploration des gisements, la bourse qui fixe les prix, les entreprises en amont et en aval du pétrole, les pays arabes producteurs ne détiennent qu’une petite rente sur leurs ressources nationales. Tout le processus leur échappe. Les États-Unis utilisent l’économie comme commandement idéologique pour amener les peuples à la servitude : En Égypte par exemple, tout l’appareil productif et marchand est sous capital américain depuis les accords du Camp David et l’Infitah (l’ouverture à l’économie mondiale). Les États-Unis ne peuvent provoquer un soulèvement qui met en panne leur machine de corruption ou qui risque de la faire changer de main par des nationalisations ou des partenariats avec les chinois, les iraniens, les russes et les brésiliens.

Les États-Unis pris de vitesse par le soulèvement égyptien ont délaissé la carte politique pour mettre en avant le FMI et la Banque mondiale pour maintenir l’Égypte dans le nouvel ordre mondial. La diabolisation, la guerre, l’assassinat et la déstabilisation en Libye est l’acte le plus logique dans la mise en œuvre d’une opération contre révolutionnaire en Égypte. L’Égypte avec ses 80 millions d’habitants, sa position géostratégique aurait pu trouver en Kadhafi libéré de Moubarak un allié objectif dans sa politique africaine et sa doctrine anti-impérialiste : Fournir l’or, le pétrole, l’eau, les relations avec l’Afrique et l’Amérique du Sud, une profondeur stratégique ouverte sur le Soudan et l’Afrique subsaharienne, une continuité territoriale avec la Tunisie. En un mot, il y avait des gisements de métiers, de compétences, de débouchés et de financement hors du système financier mondial du FMI, de la Banque mondiale et du dollar qui aurait donné à l’Égypte son véritable poids dans le monde arabe et musulman.

L’arrière garde des Frères Musulmans et les intellectuels organiques évoquent l’économique sans le détailler. Pire encore, ils citent la géostratégie mais ils sont dans l’incapacité d’en faire une lecture correcte ou incorrecte, ils zappent tout simplement pour ne pas se trouver en contradiction avec leurs analyses et pour ne pas se trouver en train de dénoncer le néo colonialisme en action claire signifiante et non en mots vagues insignifiants. Avec une déstabilisation à leurs frontières, l’Égypte et la Tunisie ont des libertés de manœuvres réduites et sont sous la menace, l’intimidation et la subversion si les futurs gouvernants légitimes venaient à franchir les lignes rouges. Kadhafi n’est pas éternel, il est condamné à suivre le changement ou à disparaître. La mémoire libyenne traumatisée ainsi que le sol libyen occupé ne vont pas être pendant longtemps des alliés aux Tunisiens et aux Égyptiens dupés par les Turcs, alliés stratégique de l’OTAN et d’Israël. La faute revient au culte de la personnalité que des confréries religieuses cultivent rendant la décision ultime entre les mains du Zaïm et sa décision est parole d’évangile. Ce qui est grave dans les moments cruciaux de l’histoire car les ratages sont catastrophiques.

7 – L’Amérique ne traite pas avec des pays mais avec des régions ou des zones (ensemble de pays) pour lesquels elle désigne un centre vassal et des périphéries inféodées à ce centre. Le Moyen-Orient a l’Arabie saoudite. En Afrique du Nord, il avait l’Égypte. Le scénario égyptien était improbable et il oblige l’administration américaine à faire des acrobaties et à faire des concessions et des amendements à ses commandements. L’intellectuel Musulman doit dénoncer cette régionalisation et œuvrer à l’émergence d’un espace des peuples qui exclut la présence colonialiste et ses bases militaires. Sur la voie du Khalifat islamique, du Commonwealth musulman, de la confédération des états musulmans, l’Afrique du Nord doit aller à l’essentiel : La libre circulation des personnes, de l’argent, des idées et des marchandises dans un marché commun ouvert à l’Afrique. L’Afrique du Nord et l’Afrique doivent pour cela engager des réformes authentiques et aller vers une réconciliation en Libye pour ne pas se trouver sans contigüité spatiale et avec un foyer de déstabilisation qui va déstabiliser toute la région sur des bases ethniques, territoriales, idéologiques et laisser le colonialisme prendre en main la partie utile, nous laissons le soin de nous déchirer sur les déchets…

8 – L’effet domino et le redécoupage du monde musulman ne sont pas du passé emporté par l’administration Bush mais des invariants de la politique américaine qui au-delà de la compétition électorale entre Républicains et Démocrates est idéologiquement la même dans tous les appareils, toutes les administrations, toutes les stratégies et toutes les pensées. La culture d’empire ne peut survivre que par la désintégration des autres en colonies sous le contrôles de personnages type Scipion l’Africain…

9 – Israël fait partie intégrale de la sécurité nationale américaine. Les États-Unis ne se contentent pas d’apporter l’aide militaire, sécuritaire, financière et diplomatique de l’entité sioniste. Mais ils définissent le rapport des pays de la région à Israël, non seulement dans un rapport de reconnaissance d’Israël et de garanties politiques et diplomatiques d’une paix inconditionnelle avec Israël à faire en quelque sorte que l’écart technologique, militaire, économique, scientifique et économique s’accentue davantage en faveur d’Israël dans un cycle pervers : Israël progresse et les pays musulmans régressent…

Mettre en avant les noms de Mohamed ElBaradeï, c’est occulter les processus qui sont en jeux et faire de la diversion sur les véritables enjeux. Il n’est pas sur que même en étant vassal, Mohamed ElBaradeï ne puisse œuvrer vers une avancée technologique et scientifique en Égypte et modifier sensiblement le cap de connaissances et de savoir faire entre l’Égypte et Israël. Souvent un arbre en cache un autre et dans notre cas il s’agit de ‘Amr Moussa, l’ancien secrétaire général de la ligue arabe qui se trouve par hasard dans l’œil du cyclone : Ni vu ni entendu ni évoqué, le temps de faire oublier ses compromissions. Avec une Égypte forte et une Syrie forte offrant aux résistances libanaises et palestiniennes non seulement Israël perd sa position de force centripète mais l’Arabie saoudite perd aussi son arrogance et sa nuisance. Historiquement, l’Islam s’est imposé dans le monde sur ses quatre piliers qui sont la Syrie, l’Égypte, l’Irak et le Maghreb. Une fois de plus la vielle garde des Frères Musulmans a joué un rôle entropique contre l’Égypte appelée par sa révolution à un destin historique.

10 – Israël est une entité implantée au cœur du monde arabe mais idéologiquement elle est le bastion avancé de la culture gréco-romaine impériale et de la culture judéo-chrétienne islamophobe. Israël représente le monde occidental dans ses valeurs démocratiques, matérialistes et ses mythes historiques et religieux. Les Juifs sionistes et les Chrétiens sionistes se rencontrent sur le plan mythologique sur la Palestine : Terre du retour, terre promise, annonce messianique avec comme enjeu la légitimation de l’éradication des Musulmans et des infidèles. Il faut étudier Vatican 2 et les textes qui le fondent ou qui le commentent. Si l’islam et le capitalisme sont antagonismes, ils peuvent trouver une zone de paix ou commercer et coopérer dans des relations pacifiées et d’égales à égales, par contre l’Islam et le sionisme sont antinomiques. Jamais Israël ne ferait confiance aux frères Musulmans qui ont pris les armes pour la combattre trois fois, en 48, avec Nasser et sous le HAMAS. Jamais l’Amérique ne prendrait des décisions hasardeuses mettant en péril Israël sauf si elle est contrainte par la logique pragmatique d’accepter le fait accompli et de composer avec le temps pour trouver comment le contenir et l’éliminer. Il semble donc que les élucubrations de notre intellectuel ne reposent sur rien sauf peut être à faire douter les Arabes et les pousser à ne pas apporter leur soutien aux Tunisiens et aux Égyptiens qui sont toujours au milieu du gué c’est-à-dire dans la position la plus inconfortable et la plus risquée.

Pour comprendre les réactions pessimistes et sceptiques lors des premiers soulèvements, les mesures contre révolutionnaires colossales mais vaines menées par les États-Unis et maintenant le travail de récupération idéologique par les intellectuels musulmans formatés, il faut mettre devant soi une carte de géographie et imaginer les gisements de métiers et de croissance et surtout les perspectives civilisationnelles que la Révolution arabe pourrait fournir aux peuples dans cet ensemble: Soudan, Égypte, Libye, Tchad, Tunisie, Algérie, Mali, Maroc, Mauritanie et Sénégal. Il faut imaginer cet ensemble remis dans son cadre civilisationnel et le voir tourner son regard vers l’Afrique et s’y impliquer comme force de proposition, de solidarité, d’assistance technique et de soutien contre le néo colonialisme et contre l’évangélisation menée par le Vatican. Quand on a imaginé cette carte dans sa démographie, ses ressources, sa situation géostratégique, son devenir, ses opposants au mondialisme, alors on peut imaginer les épreuves et les contre révolutions qui attendent chacun de ces pays et chacune de ces révolutions. On ne peut imaginer la détermination spirituelle et l’évaluation du rapport des forces sans voir cette carte recadrée dans le projet civilisationnel que l’Occident craint et redoute : La renaissance du Khalifat islamique sous une forme adaptée au temps modernes et à laquelle tout musulman non seulement doit souhaiter de tout ses vœux mais y contribuer par la pensée, le comportement et le soutien à la réussite de toute révolution qui part du peuple et non de l’agenda de l’humanitaire sioniste ou néo impérialiste.

Pour voir à l’œuvre ces 10 axiomes dans les Révolutions arabes, il faut voir la relation entre les myrmidons du CNT libyen et Hilary Clinton. Il ne s’agit pas au nom d’Allah Akbar d’instaurer la justice, la Choura, la souveraineté du peuple et la dynamique de progrès mais d’afficher sa vassalité aux États-Unis : « Le Conseil national de transition exprime aujourd’hui sa gratitude et son respect au peuple des États-Unis d’Amérique pour avoir reconnu le CNT comme le représentant légitime du peuple libyen ».

L’Égypte déstructurée, paupérisée et vassalisée ne peut s’échapper de ces 10 axiomes que si et seulement si ses élites reviennent à l’Islam, à l’écoute et au service de leur peuple. En particulier les élites arabes « progressistes » recyclées dans l’économie et la reproduction intellectuelle du capitalisme doivent se libérer de leur haine viscérale de l’Islam et revenir vers leur peuple pour le servir et défendre ses intérêts et ses valeurs au lieu de spéculer sur la fin de l’Islam politique, l’émergence d’un état séculier à la française. Il serait intellectuellement faux et idéologiquement dangereux d’affirmer que la révolution arabe est une révolution démocratique dans le sens occidental. Le terme Intifada ou Sahwa est plus approprié. Les élites islamistes doivent quand à elles se hisser au niveau des responsabilités historiques en allant à un dénominateur commun avec toutes les forces politiques et sociales et donner un contenu moderne, logique et pragmatique aux idées de liberté, de démocratie, de justice sociale, de gouvernance sensée. L’intelligence serait de mettre de côté les clivages religieux et culturels et de se focaliser sur un cadre d’orientation idéologique qui satisfait l’ensemble et permet de faire émerger un ensemble de nations solidaires capable de tenir tête aux 10 axiomes destructeurs et construire la base économique, technologique, militaire pour se libérer et libérer les autres nations y compris la Palestine.

Les Tunisiens et les Égyptiens semblent aller vers cette voie d’une manière non spectaculaire mais il y vont et c’est notre devoir de les encourager à y aller avec sérénité et détermination et c’est notre devoir d’apporter les contradictions à ceux qui veulent voir le train de la révolution s’arrêter, dérailler ou faire marche arrière. Notre devoir moral et religieux nous commande de dénoncer ceux qui veulent confisquer les efforts des peuples arabes et les donner comme cadeau gratuit pour confirmer la réussite de la théorie de la mobilisation non violente que les événements violents en Libye, en Syrie, au Bahreïn et au Yemen démentent sans citer l’Irak, l’Afghanistan, la Somalie et le découpage du Soudan par la voie de la violence armée.

La révolution nationale tunisienne a impliqué toutes les classes, toutes les régions, tous les courants politiques et idéologiques elle est démocratiquement représentée dans cette vocation plurielle à l’Assemblée constituante. Le combat de Moncef Merzouki et les cadres d’Ennahda et tous les autres tunisiens ne vont pas partir en fumée s’ils se mettent sur un niveau civilisationnel transcendant le politique et surtout l’esprit partisan. Le clivage n’est pas entre les Arabes mais avec leurs ennemis. Le clivage est sur ce territoire que nous avons délimité comme Dar al Harb au sens post moderne celui de la déterritorialisation et de l’uniformisation des mentalités, des cultures et des marchés par l’influence de la domination politique, économique, culturelle, technologique et militaire de l’empire sur ses colonies et de l’emprise de ses dix commandements sur le reste du monde.

L’absence de la géostratégie et de la civilisation

Dans l’art de discourir de Tariq Ramadan, nous ne sommes ni à une contradiction près ni à une ellipse près. Si l’aspect économique est confus, l’aspect géostratégique obscur, on remarque l’absence flagrante de la dimension civilisationnelle dans son analyse sur les soulèvements arabes. Tariq Ramadan se permet de jouer sur les plateaux de la télévision française le Mufti qui se prononce sur la lapidation, la polygamie, l’homosexualité et l’avortement mais dans une conférence publique organisée sur la révolution arable il évite de parler de l’essentiel : La crise de civilisation en Occident et le projet de civilisation que peut porter une révolution arabe réussie qui s’étendrait dans le monde arabe et musulman. Avec son bagage intellectuel et son érudition, il aurait été plus inspiré d’aborder l’aspect civilisationel dans sa réflexion de philosophe que l’aspect économique et géostratégique qui lui échappent totalement.

En jouant sur les syllogismes vrais de la mathématique algébrique « l’ami de mon ami et nenni ninni » il introduit un biais fallacieux pour se soustraire du rapport antagoniste entre islam et impérialisme et de la dimension philosophique et civilisationnelle d’une Nahda, d’un Islah ou d’une Sahwa qui met le clivage non plus sur – islamistes non islamistes – ou-  islamo-nationalistes et éradicateurs – mais sur la souveraineté nationale et l’ingérence étrangère, sur la civilisation fondée sur le monothéisme et celle fondée sur la culture matérialiste d’empire. En posant la question sous l’aspect philosophique et civilisationnel, il se serait libéré de la lecture que la lutte idéologique menée par l’Occident nous impose comme seule lecture et il aurait vu l’histoire des peuples de la Région sous le regard d’Ibn Khaldoun, de Malek Bennabi ou du français Fernand Braudel pour écrire au-delà du soulèvement réussi ou non, poursuivi en révolution achevée ou confisqué, ce qui manque aux élites musulmanes pour s’impliquer dans la lutte idéologique et politique avec un regard qui voit le passé et le devenir de la oumma musulmane : La « grammaire des civilisations ». La grammaire des civilisations explique le bon usage du sol et du temps, l’harmonie de la géographie et de l’histoire, l’efficacité du temps de travail et l’appropriation de sa culture pour façonner une aire civilisationnelle dans la continuité de son histoire, de son espace et de ses mentalités collectives.

Il aurait vu plus loin que les inepties de Hillary Clinton ou les sarcasmes de BHL car la fonction d’un intellectuel est d’être un marqueur dans l’histoire des hommes, un témoin de leur cheminement mais aussi un guide qui agit comme une boussole, une vigie et une carte de navigation pour indiquer le cap, montrer les écueils et faire entrevoir toutes les possibilités, toutes les virtualités que l’acteur pris dans l’action risque de ne pas voir ou d’oublier. Braudel nous donne à méditer ce que la civilisation musulmane a légué à l’Occident par ses géographes, ses sociologues, ses philosophes :

« Les événements d’hier expliquent et n’expliquent pas, à eux seuls, l’univers actuel. En fait, à des degrés divers, l’actualité prolonge d’autres expériences beaucoup plus éloignées dans le temps. Elle se nourrit de siècles révolus, même de toute “l’évolution historique vécue par l’humanité jusqu’à nos jours”. Que le présent implique pareille dimension du temps vécu ne doit pas nous paraître absurde bien que, tous, nous ayons tendance, spontanément, à considérer le monde qui nous entoure dans la seule durée fort brève de notre propre existence et à voir son histoire comme un film rapide où tout se succède ou se bouscule ; guerres, batailles, entretiens au sommet, crises politiques, journées révolutionnaires, révolutions, désordres économiques, idées, modes intellectuelles, artistiques… […]. Ainsi, un passé proche et un passé plus ou moins lointain se mêlent dans la multiplicité du temps présent : Alors qu’une histoire proche court vers nous à pas précipité, une histoire lointaine nous accompagne à pas lents […] Les civilisations sont des espaces […], des sociétés […], des économies […], « des mentalités collectives » – « les civilisations sont des continuités » – l’ensemble de ces éléments et de leurs interactions forment une « grammaire ».

C’est au philosophe d’expliquer au politique, au Moujahid, au technicien et aux apprentis intellectuels la grammaire d’une révolution réussie, la grammaire de la civilisation arabo musulmane à reconstruire dans sa propre aire profanée par le colonialisme et ses deux mâchoires qui sont le despotisme de ses vassaux et la corruption morale et économique de son système colonial.

Sans être un spécialiste de la grammaire des civilisations, on comprend aisément que le but du colonialisme est de laisser au sens propre et figuré les peuples arabes ignorants et analphabètes. Non seulement il veut leur laisser une élite qui cultive l’inculture politique mais il va provoquer des césures ou des cassures dans ce qui fait la continuité d’une civilisation. Il va agir sur ses mentalités collectives en lui innoculant des virus étrangers à son corps social mais reconnus comme tels pour ne pas être rejetés comme des greffons. Ils seront donc  » min jildatina et min alsinatina ». Il va provoquer des césures historiques en nous faisant rattacher à son aire de civilisation sur le plan des idées. Il va enfin opérer une discontinuité territoriale en créant une guerre menée par lui ou fomentée par lui à ‘intérieur de la contiguité spatiale. Et c’est ce qu’il a fait en Libye pour couper l’Egypte et la Tunisie comme il a déja morcellé le Soudan. Il ne va s’arréter car son projet est de moceller la Syrie en 3 ou 5 entités

l’Egyptien Mohamed Al Gahzali a répondu dans les années cinquante à la nature du colonialisme qui n’a pas changé et ne va pas changer à moins de luttes conjuguées sur les plans idéologiques, sociaux, politiques et économiques :  » Français, Anglais, Américains ne cessent de contrecarrer toute sorte de possibilité au développement en Orient, et ne le permettent que dans la mesure où ils récoltent la grande moisson, mettant en place des gouvernements qui servent leurs avidités et combattent les jeunes générations qui aspirent à la liberté, à la lumière. »

Au lieu de parler de Cheikh Google, il aurait été plus judicieux d’éveiller les consciences sur les devoirs qui les attendent. Au lieu de laisser quelques altermondialistes tenter d’expliquer le drame libyen à travers le prisme matérialiste de leur civilisation, il aurait été plus judicieux d’expliquer les raisons politiques, économiques, militaires, géostratégiques et civilisationnelles de l’invasion de la Libye et tout particulièrement en cette période. Les occidentaux qui ont tenté d’expliquer à travers leurs grilles d’analyses ont du courage, de la probité morale mais ils ne connaissent pas l’âme musulmane ni ses souffrances pour comprendre en termes de confrontation des civilisations une opération de l’OTAN nommé symboliquement « Aube de l’Odyssée » dont l’intellectuel musulman doit montrer le caractère mythologique, fallacieux et dévastateur : « Ulysse continuant inlassablement son périple à travers le monde pour ne s’arrêter qu’après  s’être vengé impitoyablement de ses ennemis et de ses adversaires. L’Odyssée continue la Justice implacable de G.W. Bush. Le drame c’est de ne pas voir qu’elle n’est pas à son crépuscule puisqu’elle affiche avec arrogance et impunité qu’elle ne fait que commencer, elle est l’aube nouvelle des nouveaux maîtres et de leur doctrinaire zbigniew kazimierz brzezinski qui actualise le choc des civilisations et lui donne les moyens que ne pouvait lui donner Samuel Huntington. Nous sommes dans l’antonomase, la figure de style, l’acte de symbolisation qui préfigure le mythe des guerriers invincibles, héroïques et civilisateurs contre ces Arabes, ces dinosaures d’un autre âge ou ces produits d’une involution qui ont donné inhumanité dont il faut débarrasser la planète. C’est exactement l’annonciation de Vatican 2 qui décrète l’éradication de l’Islam et l’évangélisation de tous les peuples pour le triomphe du Messie Rédempteur.

C’est là où doit intervenir l’intellectuel pour dénoncer Terminator, Exterminator et leurs alliés mais aussi pour accompagner et renforcer l’aube des peuples arabes en révolution contre l’ordre éradicateur ainsi qu’éveiller les consciences fascinés par le petit écran qui sublime la puissance aveugle et vengeresse et la rend belle, juste et nécessaire. Les Dix Commandements sous la supervision d’une intelligence brillante mais hors du jeu médiatique fait que brzezinski dirige l’Administration Obama vers l’impossibilité d’une coexistence quelconque avec un rival potentiel, un ennemi ou un hors système. Ce système prône la domination impériale du monde qui réalise le « tittytainment », l’inégalité positive, consacrant la suprématie définitive et irréversible des très riches en enfermant 80 % de la population dans l’abêtissement généralisé. Le circences panem des Cesars avec Hollywwod comme scénariste et les territoires arabes et musulmans comme champ de bataille, de paris, de jeux diaboliques.

Contre la fin de l’humanité et la fin de l’Histoire et le triomphe de Satan, le philosophe musulman doit se montrer plus sérieux, plus responsable et plus engagé. Au lieu de cela nous avons eu droit à un exposé sur le symbole du poing comme forme de discipline et de non violence dans la doctrine américaine de « mobilisation non violente ».

Le symbole du poing levé explique l’inadmissible

Un philosophe qui aborde les symboles ou l’acte de symbolisation doit d’abord se documenter sur le plan sémiotique et garder à l’esprit ce que l’un des plus grands sémiologues de ce monde, Umberto Eco, dit : « l’image qui fabrique de la fascination ou de l’hypnose au lieu de provoquer la réflexion est une atteinte à la démocratie ». Tariq Ramadan fasciné par ses lectures occidentales sur le soulèvement arabe et fascinant son public ne pose aucune question sur la signification du poing fermé et levé. Est-ce un signe transformé en symbole, une convention et non plus un imaginaire collectif, de révolution fomentée par la CIA en direction du monde arabe ? Un intellectuel présenté comme philosophe et institué comme représentant de l’Islam éclairé et moderne ne peut et ne doit ignorer le langage des symboles. Il ne s’agit pas d’écrire un faux livre sur les symboles de l’Islam comme Malek Chebel qui a pris les contes païens, les superstitions et les stéréotypes et a dit au public français voici l’équivalent musulman du « Dictionnaire des symboles : Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres » de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant. Il s’agit de manier le symbole et non de manipuler le mot symbole. A titre d’illustration, aussi bien dans le débat sur le voile que dans le dictionnaire des symboles de l’Islam , on a la « main de Fatima », proposée comme seul signe toléré de la part du gouvernement français, et comme symbole de Malek Chebel qui y voit un fétiche contre le mauvais œil ou un porte-bonheur. Ce fut l’emblème de la dynastie musulmane berbère des Muwahiddines qui s’est imposée en Andalousie pour unifier les Musulmans déchirés. Avec le temps le symbole mute, se déplace et avec les agents culturels de contamination, il finit par ne plus représenter un mouvement fort dans l’histoire de l’Islam pour devenir un objet païen.

Pour manier le symbole et les mots qui ont force symbolique il faut qu’entre l’intellectuel et son audience il y ait  travail cognitif et culturel de symbolisation et non image ou objet de fascination. Le sens courant donne au symbole une volonté de concrétiser une réalité abstraite (vertu, pouvoir, attribut, croyance…) sous un signe plus simple métaphorique, visuel, sonore, formel, rituel ou autre. Souvent on confond l’analogie emblématique avec le symbole. La croix latine serait le symbole du christianisme, le sceptre et la couronne seraient les symboles de la royauté ou du pouvoir. Pour qu’il y ait symbole, il faut qu’il y ait procès de symbolisation c’est-à-dire un processus idéique ou historique qui donne valeur rituelle ou cosmogonique ou imaginative dans la réunification de la mêmeté qui a été obligée de se disloquer dans le temps ou dans l’espace pour se séparer en vue d’une reconnaissance ultérieure dans un autre temps et un autre espace qui procure les circonstances favorables pour fusionner de nouveau et faire l’unité originelle. L’Islam avec son Tawhid est le procès de symbolisation le plus permanent, le plus authentique et le plus fédérateur par ce retour à Dieu, ce retour à la fratrie de foi.

La force du symbole est de réunir en cherchant les dénominateurs communs qui donnent corps social à l’envie de vivre ensemble malgré les différences, les difficultés, les oppositions et les contradictions. Le symbole est un procès de symbolisation dans le sens où il unifie et apaise mais en aucun cas un compromis qui ne repose que sur du verbe et de la rhétorique. Le symbole est identifié à la pacification après une longue séparation sur la base d’une reconnaissance mutuelle et par des procédés admis par convention de l’usage commun ou des règles décidés ensemble. Ces procédés, une fois de plus ne sont pas de bons procédés médiatiques mais un combat politique et social pour que la minorité musulmane trouve place et reconnaissance dans l’ensemble des interactions politiques, sociales et économiques. Ce n’est toujours pas le cas.

Parler de symbole dans une période de troubles, de guerres, de ruptures, de diabolisation est pour le moins étrange et regrettable sur les dommages collatéraux sur les esprits encore inexpérimentés de ces pépinières musulmans vivant en Europe, au Canada et aux États-Unis. Pour les hommes de foi et l’intellectuel musulman, la guerre et la division sont un symbole d’entropie, de désordre, de diabolisation. Nous ne pouvons dans la phase où nous sommes agressés parler insouciamment de symbole car il est impossible de voir dans le combat des masses arabes contre leurs dictateurs ou l’agression impérialiste contre un pays arabe un schéma logique de la réconciliation de l’oppresseur avec l’opprimé ni du colonisateur avec le colonisé ni de l’impérialiste avec les masses paupérisées. La symbolisation comme acte de réconciliation n’est possible qu’entre deux hommes libérés de la malédiction de la colonisation, de l’aliénation du capital et de la damnation de l’oppression. Les peuples occidentaux sont privés de la compétence humaine de symboliser et de ce fait ils sont victimes de leur systèmes. Les peuples arabes sont en lutte contre ces systèmes qui les privent de la possibilité de symboliser à partir de leurs référents religieux, historiques et culturels.

Quand l’un a reconquis sa part d’humanité en refusant d’opprimer, de coloniser ou d’exploiter l’autre et quand cet autre a reconquis sa part d’humanité en refusant de se laisser coloniser, opprimer et exploiter alors la réconciliation peut se faire par un nouveau pacte social entre deux hommes qui commutent en toute égalité l’un pour l’autre et l’un avec l’autre la mission du civilisé libérateur et celle du libéré civilisateur. Pour l’instant nous sommes dans une logique de diabolisation, de confusion, de troubles qui rend le procédé de la théorie de la non violence, même s’il est tenté, inopérant. Tout le drame de nos intellectuels dans leur tentative d’expliquer l’histoire en train de se réaliser est de la voir sous un angle symbolique avec l’Occident alors qu’elle se déroule sous un angle de contradictions, de luttes de libération. Ce n’est pas une lutte contre le peuple français mais une lutte contre le système impérial et totalisant qui impose ses valeurs, son code symbolique, son histoire, ses idées et son discours pour imposer sa prédation vorace sur les ressources mondiales.

Le jour où j’ai vu le face-à-face de Tariq Ramadan avec Sarkozy, Ministre de l’Intérieur et candidat aux élections présidentielles, à l’époque déjà je me suis dit que la logique ou la symbolique exige qu’un philosophe rencontre un autre philosophe, ou un ministre de la culture, ou un ministre de l’Éducation nationale pour débattre des problèmes de pédagogie comparée, de choix de société, de la vocation de l’homme et de l’enseignement qu’il reçoit, de l’insertion du Musulman dans une diversité qui reconnaît la différence, l’ipséité et l’altérité. De quoi peut parler un philosophe ou un intellectuel avec le patron de la police et des renseignements ? Dans ce débat entre l’intellectuel supposé porteur potentiel d’une idée subversive et le fonctionnaire de police porteur de l’imposition de l’État et Grand Commis de l’expression de la puissance publique et du maintien de l’ordre qui a intérêt à débattre, le plus à débattre et de quel sujet : Les sans papiers, l’intégration, la discrimination positive ? Et je me suis posé les mêmes questions que Tariq Ramadan a posé à ses auditeurs bien sages «pourquoi et pour qui ? » Le débat et ses suites ont répondu sans équivoque.

Revenons au coup de poing plus symbolique et plus proche de nos préoccupations avec les Révolutions arabes. Est-ce que le poing levé est un symbole ? La sémiologie explique, sans entrer dans la mythologie grecque et l’étymologie , que le symbole est un signe dont la vocation est de réunir deux parties séparées par le temps et par la distance. D’une part avec le déplacement d’une partie vers l’autre et d’autre part avec un recollement des deux parties pour donner un sens perdu et qui n’est ni dans l’une ni dans l’autre partie tout en y étant par une présence qui seule n’a pas de signification autre qu’être une latence de retrouvailles. C’est compliqué à expliquer la sémiologie et les symboles en un petit paragraphe. En bref symboliser c’est donner du sens, retrouver une identité, s’inscrire dans une appartenance. Le maniement du symbole exige une compétence de lire des sens différenciés et d’interpréter un sens nouveau par des déplacements de sens. Cela exige un patrimoine commun, une culture commune, des valeurs religieuses similaires, une histoire commune. Nous revenons au problème de la civilisation et de la culture qui la sous-tend. Si les Américains ou les Français nous comprennent si bien jusqu’à nous vendre en quelques jours des symboles qui exigent des années voir des siècles de façonnage dans l’imaginaire, dans les coutumes, pourquoi sommes-nous alors en perpétuel conflit de civilisation et d’intérêt et face à cette violence de prédateur ?

L’Occident a du mal à insérer, à assimiler, à phagocyter les Musulmans vivant sur son territoire car le processus initial à la symbolisation en l’occurrence la différenciation ou l’acceptation de la cohabitation d’un différentiel de valeurs et de références n’est ni compris ni admis dans un système d’exclusion, de marginalisation ou de cooptation par l’indifférenciation. De l’autre côté, celui des Arabes, s’ils étaient capables de comprendre les symboles de l’Occident et de les adopter comme signifiant et non comme chose ils auraient été intégrés depuis longtemps dans le nouvel ordre mondial et il n’est pas nécessaire de faire des efforts qui consomment de l’argent, du temps et qui provoquent des risques ou de l’entropie alors qu’ils ont assimilés les valeurs et les coutumes de la démocratie, de la liberté, du mode de vie à l’occidental. La confusion symbolique provoque l’effet contraire, on fait apparaître le diabulum (le diable qui désunit) à la place du sumbulum (la socialisation qui unit). Faute de symbole commun autre que celui de la colonisation, de la civilisation par la force ou de la discrimination, la France médiatique a besoin d’un médiateur pour coller son imaginaire au notre et nous faire voir le monde à travers les yeux du médiateur qui lui-même voit les yeux du monde façonné par l’autre et nous le parle dans sa langue à lui supposé être celui d’un musulman intelligent et éloquent.

Ceci dit, revenons une fois encore à ce poing levé qui a fasciné Tariq Ramadan comme s’il n’avait jamais assisté à une manifestation en faveur de la Palestine, à un rassemblement des altermondialistes au G20 ou au G8, à un piquet de grève ou à un soulèvement populaire. Le poing levé n’est pas un symbole mais sans doute un archétype, un inconscient collectif au sens de Jung ou un patrimoine commun de l’humanité au sens de Levy Strauss. Ce n’est pas un geste pacifique mais un geste violent qui exprime une déclaration de guerre, une menace, une intimidation dans une lutte bien réelle contre un adversaire bien réel. C’est sans doute une sorte d’artefact humain rappelant l’homme portant sa pierre, son épée, sa lance, son fusil et se jetant à l’assaut d’une cible une fois qu’il a dépassé le stade de se battre à mains nues et à coup de poing. C’est sans doute le poing levé au ciel de Caïn après le meurtre d’Abel. Nous pouvons fantasmer longtemps sur ce poing levé, tendu, fléchi.

Celui qui s’intéresse à la sémiologie ou à la psychologie sociale, les deux sciences qui sont utilisés comme armes de combat par la CIA et la diplomatie américaine, devrait se distraire, s’il ne veut pas consulter la littérature complexe, en lisant le livre de Desmond Morris « la clé des gestes » paru en 1992 où il explique que la pratique du poing levé est courante dans toutes les civilisations et partout elle est interprétée comme une menace quelque soit la forme que prend le poing. Il précise que le coup de poing par sa gestuelle signifie la prise du pouvoir. Il faut lire le document de Gille Vignon « Le « poing levé », du rite soldatique au rite de masse. Jalons pour l’histoire d’un rite politique » pour voir la manipulation symbolique de l’archétype du poing levé en Europe et ses récupérations par le communisme, le fascisme, le syndicalisme, l’anti fascisme, mai 68. Une recherche sur poing levé dans la rubrique image de Cheikh Google et nous sommes dans toutes les postures possibles du poing levé y compris celle de Kadhafi accompagné par Sarkozy à la cour de l’Élysée.

Les égyptiens et les Tunisiens vivants comme des hommes en colère avec leur mémoire, remplis d’archétypes humains, ou vivants comme des consommateurs d’images montrant Mandela le poing levé, les Blacks Panthers, le poing levé, n’ont pas besoin d’un apprentissage aussi basique de la mobilisation non violente par la FED et la fondation Einstein pour lever un poing en signe de non violence et de rassemblement. A moins qu’il y ait eu l’idée de leur apprendre comment l’intelligence sioniste et religieuse du mouvement Kach fondé par le rabbin américain Meir Kahane a fait de ce geste un emblème de parti raciste pour revendiquer le Grand Israël et l’expulsion des Arabes de la partie occupée de la Palestine. Est-ce que les Égyptiens sont stupides à ce point pour faire le déplacement en ex Europe de l’Est et les plus méritants aux USA pour apprendre comment le parti Kach a fusionné le poing fermé et l’étoile attribué à David?

Il y a quelque chose dans le raisonnement qui m’échappe. Où je suis trop compliqué ou je suis trop stupide ou le poing levé n’est qu’un coup médiatique dans la stratégie de communication qui manipule l’esprit qui par sa nature a tendance à construire du symbole en tissant des liens de sens, à tricoter qui donne intrigue ( in + tricare = dans le tricotage). Ces précisions lexicales me permettent de répondre aux fans en quête d’idole que je ne suis pas « en train de me faire Tariq Ramadan » car cela ne m’apporte rien sur le plan personnel, strictement rien. Je ne suis pas entrain de porter atteinte à sa vie privée ni à son image de marque mais je suis en train de détricoter son discours maille par maille pour voir les maillons à l’endroit et à l’envers qui donnent du sens ou du non sens à l’intuition, au mot, au symbole de ses interventions où par hasard nous entendons « oummati » et l’ensemble de ces élites parler de non violence, d’islam « boudhisant » sans halal ni haram ni obligations politiques ou idéologiques, de paix et voir toutes les stars de la communauté musulmane écrire et discourir comme un seul homme sur la non violence comme si lyncher un homme, détruire un pays et se préparer à d’autres agressions est un acte pacifique. C’est mon devoir de Musulman de répondre ne serait-ce qu’à un seul arabe choqué par ce discours ou à quelques autres Arabes qui ne parviennent pas à comprendre l’opportunité et l’intelligence de ce langage de paix qui rappelle la devise de l’empire romain  » Domptez les superbes et épargner ceux qui se soumettent ».

Puisque nous abordons les symboles nous ne pouvons faire l’impasse sur une élite d’un pays qui a fait de la pudeur de la femme musulmane un symbole ostensible (que l’on ne cherche pas à cacher; que l’on montre, que l’on manifeste ouvertement; que l’on fait connaître) et ostentatoire (qu’on fait voir ou valoir avec parade et provocation) qu’il faut occulter, oblitérer et ternir par un arsenal de lois, des rappels à l’ordre républicain et un dispositif de répression et de stigmatisation. En faisant du poing levé un symbole pour justifier la validité de la théorie de la non violence appliqué en Égypte et en Tunisie nous pouvons peut être rappeler à Tariq Ramadan ce que les Occidentaux ont vu comme symbole religieux en Égypte et en Tunisie : La naissance de partis musulmans, le remplissage des mosquées, les rues devenant des lieux de rassemblement de prière. Alexandrie avec ses places publiques et ses rues étaient une grande mosquée. La femme tunisienne a renoué avec son voile. Ce n’est pas encore le chemin de l’indépendance, de la reconquête de l’identité ou de la civilisation mais ce peu de conquête identitaire a posé problème dès que les forces sécuritaires ne sont pas parvenus à mater le soulèvement, insurrection, la révolution en marche…

Dans cette bataille symbolique de conquête des mots, des emblèmes et des praxis, l’Occident découvre que porter le voile est pour la femme musulmane un signe de son émancipation et de sa liberté alors qu’il est un sacrilège dans la société permissive. Contre le féminisme sexiste la révolution arabe remet à l’ordre du jour le principe de sens dont elle a été coupé : Le sens au féminin, le sens au masculin et le sens de l’Homme ramené à son Honorificat et à son Khalifat originels. Cette véritable bataille symbolique n’est pas considéré comme importante par l’intellectuel le plus médiatisé de la planète. En faisant le déplacement vers ses sources et en recollant les morceaux de son identité déchirée par l’acculturation colonialiste, l’Arabe dans son principe féminin ou masculin pratique l’acte de symbolisation dans son sens étymologique. Il reste à entreprendre la symbolisation la plus importante et la plus décisive : Adjoindre à la soumission d’Allah, la mission pour Allah pour faire du Musulman une unité harmonique, un Tawhid intégral, un être actanciel et non un bigot formaliste ou un intellectuel complaisant.

Les américains fondateurs de la sémiotique comme science ont compris les symboles qui se tissaient et sont revenus à leur stratégie de la guerre froide dès le G8 de Deauville en insistant dans leur discours sur le « Printemps arabe » à la chute du Mur de Berlin. La véritable symbolique est dans la double connotation Islam et guerre froide, mur de la honte occidentale de Berlin et mur de la honte arabe contre Gaza, tombée du mur de Berlin et effondrement de l’État sioniste dans l’imaginaire occidental qui pratique en permanence la symbolisation par le jeu des images mentales et des liaisons de sens en se déplaçant dans le passé pour voir l’avenir. Et là les réflexes de la guerre froide reviennent avec le retour de ses artisans à la Maison Blanche : Contenir, endiguer, corrompre, évangéliser, former les dissidents pour saper tout progrès réel en terme de « démocratisation » de la vie politique et économique. Cette fois ci, il faut l’appliquer au peuple arabe perçu déjà comme ayant basculé dans le péril vert. Il n’y a pas de coexistence avec le péril vert, il faut l’éradiquer en le diabolisant, en en faisant le propre instrument de sa déchirure et de son anéantissement. Pour réaliser ce rôle il ne faut plus refaire le coup de l’Afghanistan ni celui de l’Irak. Il faut détruire et ramasser les gains au profit des plus riches et des plus intelligents. Ainsi il faut impliquer non seulement la France dans l’OTAN mais également les Arabes et passer les USA de la situation traditionnelle de « hard power » (puissante militaire conquérante) à celle de « soft power » (influence régulatrice et organisatrice du monde) laissant aux autres le soin de jouer les gendarmes. L’Amérique fournit la logistique, le renseignement, la diplomatie et les états majors. Ce sont les mêmes dix commandements qui vont s’appliquer en plus hard dans les faits mais en plus soft dans les images et le style.

Si Obama est réélu ou si la doctrine de zbigniew kazimierz brzezinskise se vulgarise et s’officialise pour s’inscrire dans un nouveau Reagan ou Carter alors l’intellectuel doit réajuster les dix commandements car Israël n’est plus nécessaire dans cette doctrine : Elle perd sa centralité dans le débat mondial. Elle ne restera qu’un leurre pour les Arabes. Encore une fois l’intellectuel qui parle du terme stratégie mais ne fait pas de stratégie ni n’en parle et il devrait prendre une carte de géostratégie et voir comment les bases militaires américaines encerclent l’Iran, la Russie et la Chine. La guerre contre la Libye coupe des ressources à la Chine et prépare une autre base pour lui couper les ravitaillements ou la présence en Afrique. Quand on vu une carte de ce genre on reste étonné de voir Tariq Ramadan avoir la même focalisation sur les dangers de la Chine que François Hollande. Dans une perspective idéologique, il n’y a pas de coïncidence sauf si on lit les mêmes livres ou bien on partage les mêmes préoccupations, ou bien on répète les ordres qui sont données aux élites Musulmanes colonisées dans le monde par le biais de leurs chefs de confréries qui décident unilatéralement sans observatoire, sans veille stratégique et sans fonctionnement « démocratique ».

Que faire contre Satan et ses moyens de diabolisation et de communication? Désigner Cheikh Google comme faiseur de miracles ou être l’artisan de son propre destin en déjouant les stratégies de Satan pour s’en prémunir et impulser aux révolutions arabes une autre symbolique que celle de se libérer de leurs vassaux internes et qu’ils sont en train de mener un combat au nom de l’humanité? L’intellectuel doit appeler l’humanité à soutenir les révolutions arabes qui se battent pour elle. Il doit vulgariser l’anagogie islamique, cette conscience de l’Universel et cet élan spirituel vers la transcendance pour accéder à l’excellence et triompher de Satan. L’anagogie resterait un travail de moines et de couvents si l’intellectuel n’explique pas que l’Islam est empathie universelle et sa place est dans le monde des vivants bien réels, dans leurs cités et sur le terrain des batailles idéologiques, économiques, politiques et militaires contre Satan qui livre une bataille implacable. Pour cela il faut se libérer du discours du consentement et de la complaisance et de la diversion sur l’homosexualité, l’avortement et aux fléaux sociaux et moraux que Satan et ses armées impérialistes militaires, médiatiques et idéologiques implantent dans les consciences de l’humanité. L’intellectuel musulman n’est ni un agent de diversion ni un pansement sédatif ni une confusion entre les causes et les effets… C’est un agent de conscientisation et d’éveil des peuples musulmans à faire face aux nouvelles menaces et à assumer de nouvelles responsabilités.

Tariq Ramadan s’exclue de cette responsabilité et il préfère appuyer ses syllogismes en citant – comme preuve de sa mauvaise foi – la non violence et la discipline des peuples arabes pour confirmer la théorie victorieuse de la « mobilisation non violente » qui est un leurre médiatique, psychologique et idéologique. Encore une fois il ne s’agit pas de réfuter cette théorie ou l’idée de son utilisation dans le monde arabe mais de montrer  l’impossibilité de l’efficacité de son mode opératoire et de montrer que même si le mode opératoire existe et a été appliqué, la question du rôle de l’intellectuel  reste posée dans toute l’étendue de sa responsabilité intellectuelle et morale :  Devenir un chantre de la théorie de manipulation des masses arabes  ou un éveilleur de conscience de ces masses arabes pour contrer le néo colonialisme?

Les Tunisiens et les Égyptiens ont trop souffert et sont politisés! Pourquoi s’acharner à leur nier leur capacité d’organisation alors qu’ils ont des partis, des syndicats et une conscience politique en cours d’éveil qui répondent à ce que j’ai appelé le moment mystique de l’histoire. Pourquoi nier les torturés, les martyrs et les disparus de ces soulèvements. Nous sommes tellement habitués à voir notre sang couler gratuitement que nous avons du mal a voir nos peuples se comporter avec intelligence. Est-ce qu’en Tunisie et en Égypte la révolution a été non violente ? Combien de morts et de blessés ?

Les luttes sociales qui ont engrangé les Révolutions

Le mondialisme, à travers ses réseaux sociaux et ses médias, a occulté la question sociale et idéologique des révoltes dans le monde arabe pour ne retenir qu’une jeunesse « instruite et occidentalisée » apte à devenir les futurs entrepreneurs capitalistes et les futures stars du Nasdaq. Ils sont parvenus à mettre un voile sur la mémoire déjà volatile des contemporains arabes et non arabes et déboiter ce « printemps » des luttes sociales et politiques. Personne ne veut parler de l’intrusion, depuis les années 1990, des programmes d’ajustement structurel préconisés par le FMI qui ont conduit à privatiser la plus grande partie de l’industrie du monde arabe. L’Égypte productrice de coton et disposant d’une grande industrie textile a mis au chômage technique 50% de sa main d’œuvre textile. Sans filet social de protection égyptienne, 250 000 travailleurs du textile ont été jetés à la précarité sociale et au désœuvrement.

Les usurpateurs de révolution font semblant d’ignorer qu’en Égypte les incessantes grèves du textile de Mahalla el-Kubra ont été un des maillons forts qui a construit la passerelle vers la révolution égyptienne. Les séries d’émeutes du pain commencées depuis 1977 après les premières mesures de libéralisation économique de Sadat sont l’autre maillon fort dans la construction symbolique de l’idée de révolution d’un homme privé de citoyenneté, de dignité, de temps pour réfléchir ou étudier, occuper à chercher un crouton de pain, une dérogation, un toit.

L’allégeance du capital privé égyptien et de la diplomatie à Israël sont l’autre maillon qui a construit l’idée de révolution.

Les mesures sécuritaires contre l’opposition sont l’autre maillon.

On peut tisser une toile de plusieurs dizaine de pages plus longues que celles du moteur de recherche de Google pour montrer l’automne et l’hiver arabe qui ont produit un « parfum de printemps » dont nous tentons d’expliquer les raisons de colère et d’attendre les raisins de récolte.

La société a vu, avant les intellectuels, les signes annonciateurs d’un mécontentement trop profond pour être contenu éternellement et a saisi le premier incident pour en faire l’étincelle du changement. L’intellectuel n’a pas vu tout ça et il en veut aux peuples arabes. Il n’a pas vu l’échec des politiques qui conjuguent le sécuritaire et le FMI donnant une classe sociale minoritaire de privilégiés que l’Occident aime montrer comme le symbole de sa réussite dans le monde arabe et une population paupérisé que la Chine, que notre intellectuel décrie, a favorisé le soulèvement. En inondant le marché mondial de ses produits avec une croissance et une productivité hors comparaison dans un monde capitaliste en crise financière, économique et social, le marché de l’emploi et l’offre de production dans les pays réajustés par le FMI comme la Tunisie et l’Égypte se sont effondrés accélérant le processus révolutionnaire. Les Occidentaux focalisés sur leurs crises n’ont pas le temps de se focaliser sur la crise des autres ni d’anticiper. On doit leur dire merci et continuer à vous occuper de vos problèmes le temps qu’on prenne des forces. Le drame des élites musulmanes vivant en Europe ou dans le monde arabe se sont habituées comme dit Malek Bennabi à lire selon la grille occidentale : « le vice majeur de la racine de la crise du XXème siècle : L’Européanisation de tous les problèmes du monde, leur considération exclusivement sous un angle européen… »

Les Révolutions arabes et la fin du messianisme politique et religieux

Le grand reproche que je fais à Tariq Ramadan est qu’il se soit empressé de jeter l’éponge et de confier le bébé aux américains comme s’il n’était ni le sien ni  le notre. Nous sommes Musulmans, toutes les joies, les peines, les victoires et les défaites d’autres musulmans nous touchent. J’ai mal quand je vois un intellectuel de talent construire son combat sur l’éphémère médiatique qui ne peut garder patience jusqu’à la fin ? Est-ce qu’il a accès au Ghayb d’Allah pour authentifier la version américaine qui tente de récupérer la révolution Égyptienne ? Est – ce qu’il est ciblé par la lutte idéologique pour qu’il soit le porteur des idées mortifères et faire ombrage à la fois aux acquis arabes et aux ratages criminels de l’OTAN ?

Il sait pourtant que la révolution française s’est étalée de janvier 1789 à la fin 1799, dix années de luttes idéologiques, politiques, militaires et sociales. La révolution iranienne a duré trois ans de 1976 à 1979 mais en réalité elle a commencé dans les années cinquante avec Mossadegh qui a livré une bataille contre l’impérialisme. La révolution soviétique a été initiée en 1905 et ne s’est imposée qu’en 1917. La révolution bolivienne a duré des décennies après sa première victoire en 1952 qui ne lui donna pas le pouvoir. Le peuple algérien a mis sept ans pour venir à bout d’une colonisation de 132 ans. Le Prophète (saws) a mené 23 ans de luttes pour renverser la Jahiliya et protéger l’Islam des visées byzantines et perses. Le Khalife Abou Bakr a eu à gérer la contre révolution dès son investiture (harb ar rida et l’arrivée de faux prophètes). L’Égypte a ce réservoir historique dans sa mémoire collective, dans sa revendication existentielle de peuple musulman habitué à la civilisation et aux révolutions qui lui permettent non seulement d’aller plus vite et plus loin mais d’entrainer dans son mouvement en avant d’autres peuples et en particulier les Palestiniens. Nous devons garder notre confiance en Dieu et continuer d’encourager nos frères Égyptiens.

La lutte idéologique menée par l’impérialisme et ses valets fait tout pour mépriser ces révolutions, les faire oublier ou redonner de l’importance aux États-Unis, ce grand prédateur de la dignité humaine le présentant comme défenseur de la démocratie, de la liberté et des peuples. Il est du devoir de chaque musulman et de chaque homme épris de justice et de liberté de continuer à soutenir les révolutions populaires et de se tenir informé du cours de l’histoire et des enjeux car nous assistons à un séisme géostratégique en Égypte dont les effets vont être supérieurs à celui de la Révolution française, de la Révolution bolchévique ou de la Révolution iranienne. L’histoire a sa propre mystique qui échappe à la logique des oppresseurs et de leurs alliés

La révolution n’est pas un souhait mais une concentration d’énergie qui au lieu de se dissiper devient utile c’est à dire du travail qui fait déplacer les lignes de démarcations entre la vérité et le mensonge, entre l’injustice et la justice jusqu’au point de rupture et changement total, global, étendu et durable. La rupture n’est pas un souhait ou une magie mais la confrontation d’une volonté qui résiste et produit ses moyens et son énergie de résistance contre un régime qui utilise la répression jusqu’au point où il doit céder car il sera confronté à la limite de non retour de la résistance qui ne combat pas seulement pour des idées mais pour sa survie et d’inefficacité de la répression qui ne peut aller au delà de ses propres capacités techniques et d’une volonté en deçà car elle est limitée par sa bureaucratie, sa corruption, son injustice et la Promesse divine de ne jamais donner triomphe à un injuste.

Comme toujours, on voit sortir dans les médias des hommes se réclamant de l’Islam « éclairé, pacifique, modéré ou moderne » nous fournir un discours « documenté » qui a l’art, par sa documentation et ses références, de participer consciemment ou inconsciemment à la lutte idéologique menée contre les mouvements de libération populaire en pratiquant la désinformation et la désinvolture méprisante.

Tariq Ramadan est un pur produit européen et comme les Occidentaux, il a la conviction des diplomates occidentaux comme celle de Hubert Védrine qui déclare à chaque occasion que les pays du Sud méditerranéen ne sont pas mûrs pour la démocratie : « Il avait fallu plusieurs siècles pour que nous [les Occidentaux] accédions à la démocratie ». C’est dur même pour un Musulman qui appartient au sérail politique et médiatique de voir le monde arabe sous un regard autre que celui du tuteur sur l’incapable. Ce qui est navrant c’est qu’on retrouve non seulement le paternalisme mais ce pseudo-réalisme sans états d’âme qui constitue le fond commun idéologique des élites de l’Occident, qu’elles soient de gauche, de droite ou de l’Islam. La révolution des peuples de Tunisie et d’Égypte est une leçon qui fait mal à l’Occident mais aussi aux élites musulmanes car elle les met face à leurs responsabilités qu’ils n’ont pas su assumer : Être à l’avant-garde des peuples au lieu d’être dans un enfermement médiatique avec le colonisateur. Cette confrontation à la dure réalité fait mal et prouve depuis le début des soulèvements arabes que le peuple arabe est à l’affût d’un signe de faiblesse ou d’une opportunité pour se soulever sans être encadré par un intellectuel, un savant ou un leadership charismatique.

Les Tunisiens et les Égyptiens ont cassé le mythe de l’attente messianique, de l’homme providence et du Zaïm. Encore une fois se trouvant hors jeu, l’intellectuel va essayer de se repositionner en dénigrant et en parlant de manipulation oubliant qu’en Égypte la maturation de la révolution a pris des années. Il fallait se remettre des défaites de Nasser, des accords de Camp David, du démantèlement de la société et de l’État par Moubarak et l’enferment des Égyptiens dans un nationalisme de pacotille sous le slogan dévastateur « Misr wa bess ». Il fallait passer par des émeutes réprimés dans le sang, il fallait passer par des grèves ici et là durant plus de 15 ans pour imprimer dans la conscience égyptienne la nécessité incontournable d’un soulèvement de masse qui effectivement parvient à se soulever et imposer son rythme et son agenda de changement

La dernière partie sera consacrée à démontrer son erreur d’analyse sur l’armée égyptienne et à montrer quelle est la vocation de l’intellectuel musulman : Suivre la voix des Prophètes ou subir le matraquage médiatique pour inspirer de l’empathie ensuite être récupérée par les mêmes médias pour devenir un instrument de la lutte idéologique.

Omar Mazri

Tariq Ramadan et les Révolutions arabes (1/3)

Tariq Ramadan et les Révolutions arabes (3/3)

Tariq Ramadan et les Révolutions arabes (1/3)

Les dix commandements, les Révolutions arabes et Tariq Ramadan (1/3)

Tariq RamadanTariq Ramadan affirme, haut et fort, partout en France et à l’étranger, « Ce sont des soulèvements populaires c’est une évidence, qui ont été accompagnés de techniques de mobilisations non-violentes, et dont le but était de renverser les régimes, mais pas nécessairement de changer le système. » Il ne se rend pas compte qu’il enfonce une porte ouverte par les sceptiques depuis le début de la révolution, il ouvre une autre porte celle-ci placée sur sa trajectoire par la communication américaine et ouvrant droit sur la porte du département d’état américain de Madame Hilary Clinton.

Dans une première partie nous allons aborder les aspects suivants de la rhétorique de Tariq Ramadan que j’analyse en trois parties :

  • Jeu de mots et occultation des maux
  • Sentiment démocratique ou démocratie
  • L’absence d’analyse dialectique avec ou sans l’angle islamique
  • Arabe de service, démarcation futile et sabotage de l’histoire
  • L’Islam référent idéologique ou auxiliaire d’usage?
  • La bonne question du « pour qui et pourquoi » et sa captation
  • L’indifférenciation vieux procédé de la lutte idéologique et de l’exclusion
  • Cheikh Google et la récupération
  • Contre l’innocence créatrice le chaos fécond
  • Les « Révolutions » arabes : Mystique ou mystification ?

Jeu de mots et occultation des maux

Il ouvre, ces derniers mois, ses conférences, ses écrits, ses interviews en assenant d’emblée à un auditoire acquis ses assertions axiomatiques : Il n’y a pas de révolution arabe, je ne crois pas à la révolution arabe. C’est sa liberté de choisir son référentiel idéologique. Mais nous avons toujours pensé qu’un intellectuel de talent ne doit pas prendre en otage ses auditeurs, du seul fait de son prestige, pour imposer son point de vue personnel au lieu de démontrer par un raisonnement rigoureux et des faits incontestables. Il peut se démarquer dans le microcosme médiatique contre l’avis des millions de Tunisiens, d’Égyptiens, de Yéménites, de Bahreïni qui ont la conviction de mener une révolution et qu’ils sont prêt à lui sacrifier leur temps, leur vie… et c’est ce qu’ils ont d’ailleurs fait même si les résultats espérés ne sont pas encore au rendez-vous.

Musulmans, nous sommes tenus de juger les gens sur les faits et laisser les visées du cœur à Allah. Pourquoi se mettre en situation de celui qui sait au dessus de celui qui fait ? Pourquoi nier le fait révolutionnaire arabe, occulter l’événement historique mené par les populations toutes classes confondues et toutes idéologies confondues allant jusqu’à leur confisquer les mots comme s’ils n’ont pas le droit de posséder leur vérité, leurs mots, leurs aspirations ? Derrière cette négation des mots du peuple, est-ce que se cache seulement le malaise des intellectuels musulmans, lorsqu’ils sont sincères et ne sont pas au service d’agendas occultes, qui prennent conscience qu’ils non ni pensé ni accompagné ni fait ce que le petit peuple a fait et ils tentent par éviction de l’effort des autres de mettre leur Moi sous les feux de la rampe. Est-ce qu’un intellectuel est au service de sa gloire quitte à semer le doute et la confusion ou bien est ce qu’il est au service de la clarification, de la pédagogie, de l’engagement auprès des opprimés sans voix et sans tribune ? L’intellectuel Musulman sait par le Coran la compétence symbolique humaine de tisser du sens par le pouvoir de nommer. Il doit savoir par l’étude de la lutte idéologique menée contre les peuples arabes et leur émancipation que celui qui a la compétence de nommer et d’imposer ses symboles a gagné la bataille non seulement de la communication mais celle de l’initiative historique et des références conceptuelles et idéiques pour s’imposer comme le monopole du savoir qui permet de comprendre le phénomène social, politique, économique ou idéologique. Nous assistons donc à un véritable hold-up idéologique qui consiste à réinterpréter par le discours la réalité du terrain.

Par ailleurs, quel est le sens que Tariq Ramadan donne au terme révolution ? Si on se réfère au dictionnaire la révolution serait un mouvement dont le point de retour coïncide avec le point de départ. Est ce que c’est la volonté des peuples de se sacrifier en vain? Est-ce-que Tariq Ramadan n’est-il pas en train de revenir au point de départ alors que nous sommes déjà dans une autre étape pour la simple raison qu’il a pris le train très en retard ou que son référentiel est décalé par rapport à la réalité du terrain? Devrions-nous nous soumettre à l’ordre académique ou au système médiatique qui confère un statut d’intellectuel à la rhétorique ou au contraire nous soumettre à la volonté des peuples arabes qui sortent de leur léthargie et brisent le silence ? Quand un peuple arabe dit sans peur, sans envie de revenir en arrière, qu’il veut être un homme libre, vivant dignement, récupérant son droit à la parole, que ses enfants ne soient plus les domestiques des puissants ni des étrangers et qu’ils doivent aller à l’école et profiter du progrès, ce peuple a accompli la plus grande révolution : Il a vaincu sa peur et son silence, il s’est fixé lui-même des objectifs et il s’est engagé dans un processus de transformation. En un temps très court, il a récupéré son humanité que des siècles de colonisation et des décades d’oppression ont anéantie. N’est ce pas cela aussi la voie démocratique, celle du peuple qui se prend en charge, qui refuse d’être asservi, qui veut un autre avenir même s’il est dépossédé des mots, des concepts et de la rhétorique de l’intellectuel. Quel est le sens du jeu de mots entre soulèvement et révolution quand le peuple arabe a pris en charge tout seul la résolution de l’enjeu des maux qui le ronge.

Sentiment démocratique ou démocratie

La démocratie dont Tariq Ramadan semble faire le point focal de son discours et le critère de la révolution est un autre débat plus technique mais surtout plus philosophique et sur ce point ses compétences sont sollicitées pour expliquer les dénominateurs communs et les divergences voire les antagonismes entre l’Islam et la démocratie libérale. Il a utilisé le terme de sentiment démocratique pour exprimer son sentiment sur l’absence de démocratie dans l’acte révolutionnaire arabe et par conséquent son mépris sur la révolution arabes considérée comme nulle et non avenue. Malek Bennabi s’est libéré de la démocratie de façade que l’Occident veut nous vendre comme mode de dépersonnalisation en disant deux choses simples qui fixent nos urgences et que les peuples arabes ont compris. La première chose : Établir une société de devoirs et non une société de privilèges. La seconde chose : Le sentiment démocratique est cette culture, ce désir, cette norme, cette émotion qui vient de l’intérieur du moi individuel et de la conscience sociale et politique des gouvernants et des gouvernés pour que le gouvernant éprouve de la honte s’il s’imagine ou se voit opprimer le gouverné, et pour que le gouverné éprouve de la dignité et refuse de se laisser opprimer. C’est cela le fondamental qui vous a échappé et qui continuera à vous échapper car vous êtes inscrit dans un autre registre qui n’est pas servir l’Islam et les Musulmans mais se servir de l’Islam pour servir votre image.

Au-delà de ce fondamental, la suite du débat sur la démocratie et la révolution arabe est un débat philosophique, éthique et technique sur les mécanismes, les lois, les procédures et les institutions qui instaurent la règle d’or de l’Islam : la Justice. C’est la justice dans le social, le droit, l’économie, le politique, l’administration et l’ensemble des interactions humaines qui va donner un contenu, une dimension, une esthétique, une éthique et des limites à la liberté, à la responsabilité, à la démocratie ou plus exactement à la Choura. Le problème central, philosophiquement parlant est l’homme pour qu’il retrouve l’Honorificat original lui donnant toute sa dignité humaine, sociale, politique, économique, intellectuelle, morale ainsi que sa vocation de Khalife agissant librement. Aller sur cette voie est un acte révolutionnaire. En excluant la femme et l’homme arabe de son débat et en se focalisant sur un concept américanisé « la mobilisation non violente » il s’est exclu de la Révolution arabe et s’est placé dans ce que la terminologie occidentale appelle la réaction.

Le monde Musulman attend de l’intellectuel musulman vivant en Europe une réflexion approfondie non sur les inepties telles que l’Islam est-il soluble dans la démocratie occidentale ou la démocratie est Kofr mais de donner un contenu moderne à la Choura dans un État de droit sans importer ce que les anarchistes américains appelle la polyarchie (la dictature des élites, des nantis et des médias) et faire que le processus électoral soit efficace et que ce qu’on appelle la démocratie soit réellement participative, décentralisée et allant au cœur de ce qui fait ou défait le pouvoir politique : l’économie et les finances. La démocratie est une fois de plus une affaire de philosophie si on admet que la philosophie c’est l’étude du rapport de l’homme à Dieu, à l’homme, à l’environnement social, politique, économique, médiatique, écologique et culturel de l’homme et de ses activités humaines. Les ouvriers algériens de Renault et de Berliet ou du bâtiment et des fonderies ont apporté à la conscience nationale des idées acquises auprès du syndicalisme français dont pourtant ils étaient exclus. Pourquoi un intellectuel à qui tout est ouvert ne ferait-il pas l’effort d’apporter une contribution plus franche, plus généreuse et plus performante aux débats qui traversent les sociétés arabes?

L’absence d’analyse dialectique avec ou sans l’angle islamique

Pour un intellectuel qui se veut de « haut niveau » et « porte parole » de l’intelligentsia musulmane, on s’attendait à trois choses fondamentales. 1 -L’analyse dialectique des antagonismes idéologiques, politiques et socio-économique qui ont donné naissance au soulèvement. 2 – Les attendus de la dynamique socio-politique qui annoncent l’accélération, l’aiguisement et l’extension des contradictions et des revendications pouvant conduire à une continuité et un aboutissement révolutionnaire. 3 – Comment faire face aux risques de confinement à un mouvement sporadique qui s’épuise ou à la prise en main du mouvement par la contre révolution ou la contre insurrection par l’impérialisme américain qui le fait sortir de sa trajectoire et le faire porter par un changement de façade. Nous n’avons pas eu droit à cette analyse sauf à la volonté de dire que ce n’est pas une révolution mais un soulèvement. Vous vous inscrivez de fait dans la lutte idéologique menée par l’impérialisme qui veut nier le fait révolutionnaire en attendant de le contenir ou de le saborder. Il se peut que je suis trop stupide ou un ringard attaché aux années de gloire de la lutte anti impérialiste et que je ne puisse pas comprendre le discours évolué et ouvert. Il se peut et dans ce cas je ne porterais tort qu’à moi-même et à une dizaine de lecteurs aussi arriérés que moi. Mais il se pourrait vous ayez tort et les conséquences de vos paroles sur vos fans sont d’un préjudice irréparable. L’Islam offre un cham inexploré d’analyses dialectiques pour comprendre et agir sur les mécanismes d’oppression, de changement et de libération des peuples. Ce sont ces mécanismes que les jeunes et les peuples sont en attente d’écouter et la logique veut que c’est le philosophe qui est le mieux placé pour les extraire du texte coranique et en faire une théologie de lutte anti impérialiste au lieu de se focaliser sur des mots qui fascinent mais qui ne sont sur le plan de la sémantique, de l’idéologie ou de la praxis révolutionnaire d’aucun apport faute de contenus et de méthodologie

Tariq Ramadan enfonce toutes les portes ouvertes sauf celles qui s’ouvrent sur la dialectique des contradictions sociales et politiques qui rend ces révolutions dans le monde arabe comme nécessaires et incontournables. L’intellectuel au service du peuple va tenter d’éclairer la dynamique populaire pour rendre le processus révolutionnaire irréversible jusqu’à son aboutissement à moins qu’il y ait dans le monde musulman non seulement des divergences doctrinaires mais aussi sémantiques sur la vocation de l’intelligence, de la parole et de l’écriture. L’histoire des peuples et de leurs révoltes ainsi que la dialectique montrent deux évidences. La première évidence est que la Révolution est un long processus, elle peut partir d’un cadre idéologique qui l’a préparé ou elle peut prendre en marche le train d’une une rébellion ou d’un soulèvement pour l’encadrer et lui donner l’encadrement idéologique et politique ainsi que les moyens de luttes, la hiérarchisation des priorités et des objectifs, la définition de la communication et les interlocuteurs d’éventuelles négociations tant à l’intérieur des factions au sein de la révolution qu’avec les tenants du pouvoir encore en place, chancelant ou tombé pour assurer la transition et l’édification a continuité d’un état rénové et d’une société épurée en rupture avec les pratiques et les mentalités du passé. La seconde évidence est la singularité d’une révolution par rapport à une autre ainsi que les points communs. La Révolution française, la Révolution bolchévique, la Révolution bolivienne, la Révolution algérienne, la Révolution iranienne et les soulèvements arabes ont des particularismes socio-historiques et culturels et des fondamentaux universels qui font qu’on ne peut importer ni planter une révolution sans les conditions objectives et subjectives qui lui donnent naissance. Les peuples arabes, les syndicats brimés et les partis d’opposition noyautés par les services ou vivant dans la clandestinité n’ont pas le temps dans le feu de l’action de voir ces évidences ni d’anticiper et il me semble que c’est là où intervient le rôle de l’intellectuel qui joue le rôle de l’éclaireur sur le plan idéique, idéologique et politique. Il est au service de l’Arabe effectuant sa révolution et il doit dans son combat se démarquer de l’Arabe de service. Dans un cas comme dans l’autre, nous sommes dans la posture dessinée par nous et pour nous à travers l’effet pygmalion positif ou l’effet pygmalion inversé que je définirais plus bas.

Arabe de service, démarcation futile et sabotage de l’histoire

Le système médiatique est tellement bien construit, sans nous et contre nous, qu’il nous pousse à nous démarquer sachant qu’il est difficile de se démarquer sans tomber dans la caricature ou le stéréotype. Pour bien comprendre, tentons de donner une définition de l’Arabe de service et faisons-en une grille de lecture médiatique : l’Arabe qu’on montre bien volontiers parce qu’il correspond à l’image qu’on voudrait montrer, qui selon le cas se présente comme celle de l’épouvantail repoussant ou se présente comme celle du bon chic bon genre attrayant et rassurant. Dans un cas comme dans l’autre, l’intention est de gommer la réalité des arabes et d’occulter les arabes bien réels et bien authentiques. Un ami sociologue et ethnologue m’a fait une remarque sur les asiatiques et en particulier les vietnamiens qui ont connu le colonialisme et ses méfaits pervers sur l’identité et sur le morcellement géographique de leur pays, ils n’ont pas produit de Vietnamien de service. Le vietnamien qui a choisi d’être français se présente et se comporte comme un français. S’il est interpellé sur un sujet il répond comme un français et s’il interpelle, il interpelle sur les problèmes vécus par les Français dont il partage la classe sociale. Si c’est un Vietnamien du Vietnam, jamais il ne lui viendrait l’idée ou le mot sur la langue pour porter atteinte à son peuple, à son histoire, à ses valeurs. Il semble qu’il y a un grand travail de décolonisation de nos mentalités et de libération de la schizophrénie culturelle. C’est une piste de travail !

Malek Bennabi l’intellectuel au service de l’Islam, de la libération des peuples a montré que le colonialisme est méthodique pour bloquer l’émancipation des peuples : toute son œuvre est une mise en scène, un truquage pour donner à la physionomie du pays colonisé un air «indigène». Tout écueil que pourrait rencontrer son œuvre est écarté systématiquement. Il élimine la véritable élite – non pas celle que sa faveur particulière a désignée pour représenter le peuple colonisé – mais l’élite naturelle qui témoigne des plus hautes vertus d’un peuple. Afin qu’elle ne se reforme pas, qu’elle n’émerge pas de nouveau, on installe tout un système de perversion, d’avilissement, de destruction, dirigé contre toute dignité, toute noblesse et toute pudeur. Et c’est ainsi que le peuple colonisé se trouve campé dans un cadre artificiel dont le moindre détail contribue à maintenir en porte-à-faux l’existence des individus. Cette technique de la désorientation est en fait un véritable sabotage, qui s’adapte continuellement aux situations nouvelles, qui se dresse en face de toute initiative et de toute énergie neuve pour les capter et les détruire.

La «renaissance musulmane », ne pouvait donc manquer de susciter chez le colonisateur l’intérêt le plus passionné. Il est facile de deviner quels éléments de perturbation, quels facteurs d’inharmonie le colonialisme va introduire dans la société musulmane moderne. Son pouvoir et son ambition illimités lui ont inspiré la pensée folle et tragique d’arrêter la marche de la civilisation dans les pays colonisés. En face du modernisme – du tajdid – il va dresser un archaïsme artificiel comme une scène de théâtre, où les figurants, marabouts, pachas, alems ou universitaires truqués, devront jouer la scène de la «tradition islamique», – «tradition» qui devient le mot d’ordre de toute la politique coloniale. A chaque instant, le colonialisme clame à l’histoire des peuples colonisés le mot de Josué: «Stat Sol», «Arrête-toi, Soleil.»…

Guidé par la pensée sacrilège d’arrêter la marche des peuples vers la lumière, le colonialisme n’hésita pas à mêler le sacré à l’impur pour sauver ses intérêts matériels…

Quoi qu’il en soit, c’est par de tels moyens de déviation, de corruption, de falsification, que le colonialisme entend faire la «politique coloniale» et se rend ainsi responsable d’une grande part du chaos du monde musulman. Dans ce domaine, il n’est pas possible de se dégager du détail, de résumer, de condenser en quelques expressions systématiques. Le système ne se sépare pas du détail, qui fournit un témoignage direct et concret sur la responsabilité du colonialisme. Mais d’autre part, nous n’avons pas la prétention – qui serait saugrenue – d’exprimer ici tous ces détails discordants qui s’introduisent sans cesse dans la vie musulmane comme des grains de sable dans les rouages d’un moteur. L’œuvre coloniale est un immense sabotage de l’histoire…

L’Islam référent idéologique ou auxiliaire d’usage?

Tariq Ramadan cultivant la rhétorique et l’art de ménager la chèvre, le loup et le choux, répond à la question sur l’Islam dans ces soulèvements : « je ne dis pas que l’islam « doit être » un référent, je dis que l’on n’a pas le choix. Avec ces soulèvements, on a écarté les islamistes en oubliant qu’il s’agissait de pays majoritairement musulmans. Qu’on le veuille ou non, l’islam est une référence dans ces pays. »

Pourquoi ne pas prendre le courage de dire que nous assistons à une « Sahwa », un éveil islamique, dans le sens où le Musulman dans le monde arabe prend conscience de son devoir de se mettre en marche et de réclamer, même d’une manière confuse et inorganisée, qu’il veut vivre dans la dignité, la justice et la prospérité et pour cela il doit se débarrasser de ses tyrans – qui l’ont opprimé – au service du capital et du sionisme dont ils étaient les vassaux. Pourquoi ne pas profiter de l’opportunité pour expliquer en quelques mots l’obligation islamique de refuser l’oppression et de lutter pour la Justice ? Je peux comprendre qu’il ne cherche pas le clivage ni la confrontation pour conserver l’accès à la parole sur les grands médias.

Je ne peux pas comprendre, car sans doute je suis sentimental, remplis de ressentiments et vide de stratégie de communication, qu’on puisse au nom de l’Islam ouvrir cette fois la porte des clercs, celle qui conduit au Saint Siège et se prononcer d’une manière tranchée et opposée au consensus depuis 15 siècles sur l’homosexualité, l’avortement et autres problèmes qui sont spécifiques de la société occidentale et de sa permissivité et qu’elle nous a légué comme tares. L’Église a du mal à gérer ces nouveaux phénomènes de société mais Tariq Ramadan les banalise. Les Athées dans le monde musulman n’abordent pas ces problèmes considérés comme tabous sauf l’esprit ouvert et tolérant de Tariq Ramadan qui les aborde sans complexe comme si c’étaient les urgences et les priorités de la communauté musulmane. Je l’invite à lire l’excellent livre « Le jeu de l’art moderne » du professeur émérite en civilisation française à l’université du Caire, Zeinab Abdelaziz, et voir qui est derrière les perversions morales, les dérives sectaires et la promotion de la laideur et de la monstruosité dans le monde. Il doit se montrer prudent, réservé car si il ouvre la porte à Satan comme le dit Franz Kafka « Quand une fois on a accueilli le Mal chez soi, il ne demande plus qu’on lui fasse confiance ». La jeunesse musulmane qui a fait de vous son idole risque de ne plus vous accorder sa confiance. Mais la manière arrogante dont vous traitez les commentaires qui ne vont pas dans le sens qui sublime votre ego et approuve l’hypothèse unique de votre traitement des révolutions arabes présage votre trajectoire dans le firmament étoilé tant que sciemment vous refusez de vous inscrire, au moins par la parole et le coeur, dans  » la commanderie du bien et la condamnation du blâmable  » qui est la vocation du Musulman.

Je suis peut-être ignorant mais j’ai toujours pensé que l’Islam est venu parfaire les mœurs en agissant en amont par l’éducation de l’homme et la réforme politique, sociale et économique et non agir comme un clerc pontifical pour légiférer, trouver excuse et céder à la pression consumériste y compris celle du sexe, de la drogue, de la violence, des jeux de hasard. Est-ce que l’Occident manque de curés et de laïcs pour parler des fléaux sociaux pour appeler un intellectuel musulman à la rescousse ? Est-ce que cet intellectuel qu’on appelle pour raconter un islam inversé qui n’est ni dans le Coran ni dans la Sunna ni dans la culture musulmane a vocation de séculariser les Musulmans ? Quelle est la vocation du Musulman face aux non Musulmans ? Trouver des solutions pour vivre ensemble dans un espace apaisé où chacun accepte la différence de l’autre tant que celle-ci ne met pas en cause sa propre identité par la violence ? Parler de la foi en Dieu, du monothéisme, et des fondamentaux de l’Islam et ce n’est qu’une fois la foi attestée que le débat peut porter sur des choses et des phénomènes dont le regard et la solution islamique hors de l’acceptation de ses fondamentaux risque de choquer faute de grille de lecture, faute de croyance…

Je dois avouer mon incapacité à suivre et à comprendre la logique de Tariq Ramadan, de voir les conséquences positives de son discours aussi bien sur la communauté musulmane que sur cette marée humaine de plus en plus paumée dans un monde incertain et peuplé d’incertitude et de nihilisme. Ce qui est plus surprenant c’est le silence des docteurs en « Usul al Fiqh » qui laissent faire et laissent dire ce qui peut porter atteinte au credo de l’Islam mais qui s’empressent de saluer, de bénir et de se réjouir de ce qui touche à la vie et à la dignité du Musulman et en particulier quand les coups sont donnés par l’OTAN ! Étant, par la grâce d’Allah, hors système et n’attendant rien de personne et comprenant que le système connait toutes nos tares et toutes nos failles et qu’il ne fait que les entretenir je ne dévoile ni secret ni ne fragilise la communauté musulmane en disant que les doctes personnes se taisent car chacune dans un partage de territoire et de rente religieuse vaque dans l’orbite dans laquelle les forces centrifugeuses l’ont mises sans avoir le courage de se remettre en cause et de se poser la question qui fera tomber tout l’édifice construit sur ses orbites : quelle est la mission de l’intellectuel musulman?

Même si l’intellectuel affirme entre guillemet politiquement correct que l’Islam pourrait être le référent dans les pays arabes il donne sans aucune équivoque cette référence à la morale « Qu’on le veuille ou non, l’islam est une référence éthique dans les pays arabes ». L’Islam est évidé de sa dimension politique, économique, civilisationnelle pour être une religion, une morale, une conscience enfouie au cœur de l’individu sans rapport avec le législatif, la gouvernance. C’est le rêve des détracteurs de l’Islam depuis 15 siècles. L’Algérie a payé le prix de 200000 morts et 20000 disparus pour qu’il n’y ait plus de référence à l’Islam autre que morale ou maraboutique.

Ben Badis, Al Ibrahimi, Hassan al Banna, Sayed Qutb, Mohamed al Ghazali diront tous, sous des formes différentes, la vérité constatée par Malek Bennabi et que ne veut ni voir ni évoquer notre intellectuel et qui est pourtant cruciale dans le rapport des Révolutions arabes au monde occidental et vice versa : « Le colonialisme sait que la religion demeure l’unique, l’ultime moyen de refaire la santé morale d’un peuple qui a perdu, dans la crise de son histoire, tout ressort moral. Si aujourd’hui il y a quelque chose qui vibre encore dans l’âme musulmane, quelque chose qui la rend capable de se transformer et de se dépasser, c’est bien l’Islam. Aussi le colonialisme s’attaque-t-il partout à cette puissance de résurrection. L’Islam devient donc l’objet de toutes les restrictions, de toutes les surveillances… »

La bonne question du « pour qui et pourquoi » et sa captation

Dans un champ sans contradicteur ni balise fixant les limites Tariq Ramadan préfère enfoncer les portes ouvertes et se poser les questions qu’il veut dont il a les réponses qui lui conviennent à un auditoire acquis à sa cause : « pour qui et pourquoi ces soulèvements arabes ? » La porte ouverte, bien entendu, exclut de l’analyse les Arabes, les conditions qui les ont poussés à se révolter et les raisons objectives ou subjectives de la possibilité de se faire récupérer par l’impérialisme. La porte ouverte nous assène comme un matraquage idéologique ce que l’Occident veut entendre : C’est l’Occident et à leur tête l’Amérique, ces dieux de l’Olympe, qui ont planifié et organisé les soulèvements pour changer les régimes vassaux en prenant le risque d’avoir des déconfitures, des surprises, des dérapages comme si l’impérialisme est stupide de préparer un changement dont il n’est pas le chef d’orchestre et dont il n’a pas écrit minutieusement la partition et soigné le décor. J’ai l’impression de voir Kafka écrivant le drame des Musulmans « La bête arrache le fouet au maître et se fouette elle-même pour devenir maître, et ne sait pas que ce n’est pas là qu’un fantasme produit par un nouveau nœud dans la lanière du maître. »

La vérité dans la rue tunisienne et égyptienne est tout autre. Le soulèvement a eu lieu à l’insu des américains et des français dans des pays pourtant acquis à eux montrant une fois de plus la vérité coranique sur la fragilité de la demeure de l’Araignée qui en dévorant ses mâles géniteurs se retrouvent dans la situation des autistes « sourds, muets », ils n’ont rien entendu ni vu venir les annonciations des révolutions arabes. Pris par l’Afghanistan, l’Irak, Gaza et l’Iran, ils ont eu un moment d’inattention sur l’Afrique du Nord. Ils n’ont rien vu venir. Ils ne sont pas infaillibles. Ils sont vulnérables. Ce ne sont pas les actions terroristes qui vont les terrasser mais la liberté que les peuples leur arrachent des mains de leurs vassaux usés par leur pouvoir arbitraire, la corruption de leurs élites et l’insenséïme des appareils de sécurité et de médiatisation. C’est une insulte aux morts, aux blessés et aux manifestants tunisiens et égyptiens que leur dire qu’ils n’étaient que des pantins articulés par l’impérialisme pour changer la tête du régime en Tunisie et en Égypte. C’est accorder trop d’intelligence à un Occident en déclin en lui donnant cette omniscience et cette omnipotence et c’est être naïf ou faire semblant d’être naïf que de voir en lui ce qu’il n’est pas et d’oublier qu’il voit dans les intellectuels occidentalisés ce qu’ils sont réellement : Des pantins. Le peuple prenant en main son destin s’impose comme partenaire qu’il faut amadouer par des promesses d’aides alimentaires ou comme adversaire en lui envoyant la flotte américaine au large de ses côtes. C’est pourtant si simple de dire que lorsque l’Occident ne veut pas d’un chef d’Etat il ne se complique pas la vie, il l’isole et le pousse à faire des concessions sinon il réalise des manœuvres de subversion, sinon il fomente un coup d’Etat par les généraux et les maréchaux qui sont à son service, et puis, en dernier recours, il l’assassine comme il l’a fait pour Patrice Lumumba, Allende et Kadhafi. Prendre des risques de lancer une révolution ou un soulèvement populaire contre son caniche qui refuse de partir est un scénario hollywoodien. Moubarak et Ben Ali ne sont pas Allende, Hugo Chavez ou Kadhafi. L’Amérique peut vouloir rajeunir ses Arabes de services et son désir peut coïncider avec une révolution populaire qu’elle tente de domestiquer et de récupérer n’est pas impossible. Si la probabilité d’un tel événement n’est pas à écarter, sa réalisation éventuelle ne le confirme pas mais prouve le contraire quand on voit les ballets diplomatiques et les déclarations contradictoires. Il faudrait reprendre les archives du Journaliste anglais Robert Fisk et reprendre ses analyses en temps réels à partir de Beyrouth ou du Caire pour voir le fiasco américain.

Michel Collon, Gilles Munier, Escobar et tant d’autres ont au moins le mérite de montrer les mécanismes d’oppression et de lutte entre l’opprimé arabe et l’oppresseur capitaliste dans ces révolutions arabes sous un angle non islamique. Nos intellectuels musulmans préfèrent se placer dans la situation des idiots utiles qui relaient le travail de sape idéologique et de diversion contre la « Sahwa », l’éveil, des peuples arabes qu’il voudrait voir maintenu dans leur Wahn (faiblesse) et leur insouciance de chien battu et d’ânes corvéables. Tariq Ramadan fait dans la désinformation subtile : Il refuse le terme de printemps arabe alors que d’autres avant lui ont refusé le terme de révolution de Jasmin et leur connotation symbolique avec les révolutions colorées dans les pays de l’Est. Il le fait tardivement ! Il semble oublier que dans les pays de l’Est le travail de changement ne s’est pas fait en quelques semaines. C’est un long travail entrepris conjointement par le Vatican, la CIA et certaines élites occidentalisées depuis la guerre froide s’appuyant sur une jeunesse qui cherchaient la vie facile et opulente du mode de vie présenté par la propagande américaine et s’appuyant sur les apparatchiks embourgeoisés qui cherchent une formule pour donner légitimité et impunité à leurs rapines. Le reste était de la poudre aux yeux pour donner légitimité aux nouvelles élites de l’Europe de l’Est en mettant en scène les mouvements populaires.

La situation du monde arabe est radicalement différente de l’Europe de l’Est sur le plan sociologique, historique, religieux et politique. Nous avons eu l’exemple de l’échec de la révolution « verte » en Iran qui s’est pourtant appuyée sur la bourgeoisie et les jeunes occidentalisés. La culture du nouvel ordre mondial fondé sur l’uniformisation des marchés, des modèles de consommation et de l’indifférenciation des cultures continuent de butter sur l’équation du monde musulman et la solubilité ou non de l’Islam dans le capitalisme. Ils sont entre de nouvelles Croisades et l’insertion par le consumérisme. La voie n’est ni facile pour eux ni pour nous car la nature de l’Islam est antagoniste avec le capitalisme et en même temps le capitalisme est négateur des différences qui exigent une cohabitation dans un rapport d’intelligence et de solidarité. Le capitalisme dans sa phase primaire ou aboutie reste fondé sur le rapport de force, le rapport entre dominant et dominé, le rapport au profit. Vouloir les concilier est soit une méconnaissance de l’Islam soit une méconnaissance du capitalisme soit une bonne connaissance des portes qui ouvrent la voie au succès mondain et éphémère.

Avec du talent, une intelligence et quelques connivences ont peut jouer à la cible tout en faisant de la diversion comme par exemple intervenir sur les révolutions arabes au moment où la question de la Charia se pose en Libye par des gens armés par l’OTAN pour éradiquer la souveraineté d’un pays et se trouver face à une énigme : Ce peuple est musulman et les nouveaux seigneurs de guerre ne peuvent que leurrer leur peuple en leur évoquant la Charia mais ce terme, son contenu et ce qu’il évoque comme antagonisme historiques, moraux et religieux pose problème et remet en cause la guerre en Libye dans l’opinion occidentale qui commence à la voir de plus en plus confuse, sans but stratégique, sans mobiles réels… Les médias savent qui appeler pour rassurer ou pour faire peur aussi bien dans le clan des Arabes que dans leur propre clan.

L’indifférenciation, vieux procédé de la lutte idéologique et de l’exclusion

Tariq Ramadan cultive un sentiment de victimisation et de stupidité des Arabes otages d’un complot international pour enlever toute légitimité à la rue arabe et répondre avec beaucoup de savoir faire aux questions que se posent les Arabes et les Occidentaux sur le double jeu des américains et des Arabes de service dans le monde arabe où on voit des traitements différenciés d’une manière flagrante entre ce qui se passe au Bahreïn et en Libye, en Tunisie et au Yémen. Tariq Ramadan ne tombe pas dans le piège des schismes et il en profite pour charger Qaradhawi, le gourou idéologique et religieux des Frères Musulmans pour se blanchir des reproches sur son appartenance aux Frères Musulmans mais en même temps il utilise le procédé de la lutte idéologique : Indifférencier, banaliser. Il lui faut donc dire que les révolutions arabes sont la semence et le produit des États-Unis. Dans la foulée il se fait un plaisir cachotier de traiter les Français de stupides et il doit y avoir un règlement de compte plus personnel qu’idéologique. D’ailleurs les médias français ne lui gardent pas rancune car ils ont besoin de ses explications pour rassurer leur lectorat et leur audience.

La vérité qu’il faut dire aux Arabes est simple, sans dramatiser ni compliquer ni jouer à celui qui tenu aux secrets des dieux : L’impérialisme et tout pays occidental sont des états constitués, depuis longtemps déjà, sur le rapport de force et le rapport d’intelligence efficace ; tout est terrain à conquérir, à dominer, à vassaliser, à manipuler selon leurs intérêts. Moi j’attends de l’intellectuel occupant le devant de la scène de montrer aux élites arabes et au peuple comment se prémunir de la nuisance capitaliste et comment construire de la veille stratégique et des experts fiables pour déjouer les stratagèmes des doctrines et des disciples de Kissinger, de Zbignew Brezinsky ou de Thomas Friedman dans la contre-révolution, la contre-insurrection et la vassalisation des pays et de leurs élites politiques, culturelles et économiques. Notre drame c’est d’aller au facile c’est-à-dire constater l’évidence et dénoncer ce qui est de « bonne guerre » dans un monde construit sur le rapport de domination et de prédation pour ne pas aborder le difficile en l’occurrence comment riposter, comment résister, comment donner l’impulsion à la Sahwa pour qu’elle sème les grains du changement qui la libère de l’emprise idéologique de l’impérialisme et de l’emprise financière et économique du capitalisme et de ses institutions le FMI et la Banque mondiale. Allah n’a jamais dit à Mohamed (saws) à et à ses compagnons que leurs défaites ou leurs erreurs étaient imputables à leurs ennemis mais à eux-mêmes comme Il l’a déjà signifié à nos parents Adam et Ève depuis leur confrontation avec Satan.

Cheikh Google et la récupération

Donner crédit à Cheikh Facebook, Cheikh Twitter et Cheikh Google, la nouvelle trinité, de créer le mécontentement, de l’organiser et de le conduire vers un changement voulu par l’Occident, c’est ignorer la réalité du monde arabe et ne la voir que sous le prisme occidental. Le cyber espace, cette conciergerie planétaire, contient aussi des aspects positifs et incitateurs au changement. Ils sont comme le pamphlet écrit en papier, en papyrus ou en argile qui ne peut avoir impact que s’il y a un lien entre ce qu’Allah a appelé la Raghba, le désir, cette attraction entre le désirant et le désiré. Les désirant du changement dans le monde arabe sont plus nombreux que les Arabes fréquentant avec assiduité le Net. Le désiré depuis sa crise morale, sa défaite en Irak, en Somalie, en Palestine, au Liban, en Afghanistan, et ses mensonges n’est plus objet de désir mais objet de répulsion. Les managers du nouvel ordre mondial et leurs alliés occidentalisés du monde arabe veulent indifférencier, oblitérer l’Arabe et ses souffrances en maintenant présente dans le discours de nos intellectuels cette idée furtive, subtile et nocive que le désir de l’arabe est celui de l’Occident, le désirant arabe et le désiré occidental partagent les mêmes valeurs, la même histoire, les mêmes revendications, le même avenir. Bourdieu qui n’est pas musulman a eu le courage en analysant le drame algérien de dire la vérité que son travail de sociologue fait monter en surface : La confrontation entre deux projets de sociétés.

La Révolution arabe, même si elle n’aboutit pas encore à produire ses fruits, a cassé ce désir inculqué à ses élites en prenant la décision d’exprimer le désir des peuples arabes qui veulent la liberté, la dignité et une autre société libérée du mimétisme. Même la revendication démocratique exprimée dans les manifestations, il ne faut pas la prendre dans son acceptation occidentale. L’Occident dominant a imposé ses mots mais il n’a pas encore imposé le contenu et la culture de sa démocratie, de sa modernité, de sa laïcité. Le monde arabe en se soulevant, exprime par les mots du dominant son refus de se soumettre comme un dominé aux Maîtres du monde et à leurs vassaux. Malek Bennabi a expliqué comment Allah dans Sa Miséricorde a voulu, au-delà du paradoxe apparent, nous laisser sous-développés et mal comprenant pour ne pas être des clones de la société occidentale. Notre malheur porte le ferment de notre devenir indépendant et notre oppression porte la promesse de refonder la civilisation selon les valeurs de l’Islam. Chaque fois que les peuples arabes bougent, ils bougent sur cette direction même si le mouvement semble trop lent. Pour l’idéologue et le penseur c’est voir et anticiper l’avancée des lignes dans cette direction.

Aller donc dans le sens d’une cyber révolution et faire l’impasse sur la révolution dans les villes et les campagnes ce n’est plus faire de l’analyse mais c’est procéder à de la mystification, à de la désinformation et à de la confusion. Comme le pamphlet ou les assemblées secrètes les messages électroniques et les forums sont les outils du présent et comme ceux du passé ils préparent, accompagnent et suivent un mouvement dans sa communication mais ils ne peuvent remplacer le désir du changement lui-même qui est propre à la culture d’un peuple et à ses conditions objectives et subjectives ontologiques et sociales propres à lui. Une révolte comme un soulèvement ne s’importent pas comme une voiture, un livre ou un ordinateur. On ne transpose pas une révolution hors du cadre qui l’a enfanté, maturé et propulsé. L’intellectuel doit s’attacher à observer ce cadre, ses ferments, sa direction de mouvement et son rythme tout en veillant à voir les obstacles mis ou qui vont être mis sur la route de cette révolution pour l’avorter, la dénaturer, la retarder ou la confisquer…

Celui qui a suivi et écrit chaque semaine ou à chaque événement important sait que l’Occident est entré en jeu médiatiquement non pour aider mais pour confiner les mouvements populaires en Tunisie et en Égypte à la jeunesse et à sa capacité de maîtriser les nouvelles technologies de l’information. Il ne l’a pas fait de gaïté de cœur mais il poursuivait un objectif idéologique : Faire oublier à dessein le caractère populaire, ouvrier, paysan et intergénérationnel des manifestations. On fait oublier que même si la mobilisation initiale s’est faite sur Twitter et Facebook, son efficacité et sa dimension populaire s’est jouée sur le terrain. Le terrain en Tunisie était les zones enclavées et paupérisés dont les jeunes ont convergé vers la Casbah, le cœur de la vielle ville arabe. En sur dimensionnant l’outil des NTIC et en le focalisant sur la jeunesse instruite on a voulu faire oublier que le régime policier tunisien et égyptien comme tous les appareils sécuritaires arabes disposent de la panoplie la plus en pointe technologiquement, devançant celle des jeunes qui d’ailleurs ne sortent pas du MIT américain mais des quartiers des villes, des villages et des campagnes arabes. Le but est d’occulter la véritable lutte – la lutte de volonté – et de nier l’énergie et le réservoir d’énergie qui sous tendent une lutte : Pour quelle cause se battre et pour quelles valeurs.

Les instruments et les choses de la modernité ou de la post-modernité ne donnent pas à leurs possesseurs l’esprit et la dynamique de la modernité ou de la post-modernité qui sont avant tout les facultés cognitives et organisationnelles de s’adapter aux défis de son temps. Sur ce plan l’Occident a perdu une bataille stratégique car il a équipé et formé des systèmes sécuritaires qui se sont effondrés dans leur confrontation technologique et territoriale à la volonté populaire de changement. Citer l’employé de Google comme le cerveau de la Révolution Égyptienne c’est exprimer du mépris envers le peuple égyptien et considérer ces jeunes comme des traîtres à leur pays alors qu’ils ne sont poursuivis par aucune juridiction. Il faut être stupide pour ne pas voir le prix Nobel de la paix délivré à la jeune militante yéménite. L’Occident et Tariq Ramadan semblent oublier cette vérité hégélienne que tout philosophe étudiant la dynamique d’une révolution doit connaître : « On entend le vieil arbre qui tombe mais on ne voit pas les jeunes pousses qui montent ». La lutte idéologique sait créer des écrans de diversion, des sas de mise en sourdine, des héros, des idoles…

Ignorer cela relève d’un état morbide et accusateur qui ne sied pas à un intellectuel qui prétend à l’excellence et qui au premier test d’analyse s’effondre alors que rien n’indique que la Révolution s’est effondrée. Elle continue sa lutte et les principaux bastions de l’ancien pouvoir sont déjà tombés même s’ils ne sont tous tombés. Dans un champ de bataille et dans une organisation militaire, ce type de comportement qui sème la suspicion, la confusion et la propagande ennemie, serait considéré comme une désertion ou une intelligence avec l’ennemi.

L’imam al Khomeiny n’a pas attendu Cheikh Google pour définir avec pertinence et justesse la mission des intellectuels musulmans qui allaient conduire puis continuer l’effort révolutionnaire dirigé contre l’Amérique et dont le Shah n’était qu’un pion : « Tous ceux qui sont épris de liberté doivent, avec une vision claire et éclairante, montrer aux peuples bafoués des pays opprimés du monde musulman et du tiers monde le moyen de donner une gifle à l’impérialisme […] Vous avez le devoir par tous les moyens possibles, de rendre le peuple plus conscient, de dévoiler les multiples perfidies des appareils du Taghut et de faire connaître au monde l’Islam qui engendre la justice […] Tenez-vous sur vos propres jambes et gardez-vous de vous appuyer sur les étrangers à l’Islam […] Délivrez l’humanité de la domination injuste de cette minorité fourbe et intrigante qui, par des complots et des scandales, a étendu son injuste domination sur les habitants du monde ! » Sayed Qutb disait la même chose : « O les esclaves, libérez-vous du joug des États-Unis, de la Russie et de l’Angleterre ». Si l’intellectuel ne sait pas avec précision qui sont les acteurs, quel est l’enjeu, quel est le champ de bataille, qui est l’ennemi de qui et l’ami de qui, pour désigner Google comme l’artisan et faire oublier que ce n’est qu’un outil, il doit impérativement changer de vocation, changer de thème de sujets ou changer de moteur de recherche.

Omar Al Mokhtar, Abdelkrim al Khattabi et l’Émir Abdelkader ont-ils attendus les médias pour se soulever ? Le média ne peut créer un oppresseur ni un opprimé et encore moins la dialectique de haine mutuelle et d’opposition qui les unit jusqu’à la destruction de l’oppresseur ou la soumission et l’humiliation de l’opprimé. Le média ne peut ni créer ni organiser ni être un acteur dans la rencontre entre les conditions sociales et politiques d’une révolution et les possibilités idéologiques, morales et historiques de cette révolution. Le média peut raconter le miracle du moment mystique de l’histoire mais il ne peut être le cœur humain ni la volonté divine qui se rejoignent pour donner à l’histoire un sens mystique. Le média peut expliquer, analyser, accompagner, témoigner mais il ne peut se substituer ni à la volonté divine ni aux conditions objectives et aux possibilités objectives et subjectives qui dans leur rencontre créent la dynamique de l’oppression ou celle de la libération. Imputer à Google les soulèvements populaires et confiner ces soulèvements aux seuls jeunes c’est ignorer la réalité sociale du jeune qui combat par procuration morale pour la dignité bafouée de ses parents et qu’il voit souffrir depuis qu’il a vu le jour. C’est aussi ignorer le caractère populaire intergénérationnel de ces révolutions populaires.

Donner la paternité d’une révolution ou d’un soulèvement à Google c’est désinformer l’opinion et faire le jeu des fabricants d’opinions qui juxtaposent les mots et les images pour faire référence à l’Occident, à sa technologie et sa stratégie de communication pour tenter de récupérer une révolution arabe et menacer l’Iran. Tomber dans ce jeu c’est montrer son mépris pour les peuples arabes et être aveugle sur les retombées, inchaa Lâh, de ces révolutions, si elles aboutissent, à des conséquences sur la pensée, la géostratégie et le devenir des peuples au-delà des retombées qu’a eu la Révolution française en son temps sur l’Europe. L’Occident n’est ni le nombril du monde ni le monopole des valeurs pour que nous soyons conduit comme des troupeaux vers ce qu’il veut que nous regardions. Libérons-nous de la fascination que le doigt occidental exerce sur notre regard, et que son image exerce sur notre imaginaire vidé de notre identité et de notre culture par l’œuvre dévastatrice de ses vassaux qui ont tué en nous l’idée de liberté, de dignité, d’amour propre, d’autonomie de pensée et d’action. Le média ou l’image peut inciter à l’embrasement mais il ne peut être le combustible. Il peut trafiquer l’histoire et falsifier les images mais à ce moment là ce n’est plus un média mais une subversion et ceux qui l’ont suivi, des subversifs, des idiots utiles ou des moelles épinières.

Oublier qu’en Tunise, par exemple, la cyberdiscidence a commencé en 1998, juste après la chute du Mur de Berlin, 12 ans avant cette prétendue prise en charge par « la mobilisation non violente » des Révolutions arabes c’est un raccourci qui ne sert ni la cause arabe ni le crédit de l’intellectuel qui est totalement en marge de l’histoire du monde arabe.

Contre l’innocence créatrice, le chaos fécond

Cheikh Zendani du Yemen a qualifié de Bara’a ibda’îya (l’innocence créatrice, la pureté innovatrice, l’imagination féconde) la Révolution arabe en étant au cœur du monde arabe et en étant désigné comme l’ennemi de l’Amérique à abattre. Contre la stratégie du chaos organisateur et de la régression féconde imaginée par les laboratoires américains, les peuples arabes ont reposé la question islamique au-delà des discours traditionnels bigots, apologétiques ou polémistes. Il s’agit de se réapproprier son identité par un mot simple « Isqat an Nidham » (renversement du régime) car le sentiment existentiel sait que ce sont ces régimes qui en s’alignant sur l’Occident ou en devenant ses vassaux ont démoli son identité, son avenir et ses richesses. Les peuples arabes ont été imaginatifs, créatifs et courageux. Ils viennent d’imprimer un sens nouveau à l’histoire par leur énergie unifiée et cohérente : La quête de la liberté, la volonté de changer le cours de l’histoire, le désir d’être un nouvel être ontologique et social. Ils viennent de montrer à nos intellectuels et à nos savants que l’Islam n’a pas besoin de théoricien ni de bigots ni de rhéteurs mais de liberté pour offrir sa générosité, sa noblesse et sa créativité à l’humanité. Les peuples arabes aspirent à la liberté. Laissons-les conquérir cette liberté et vous verrez fleurir l’Islam libérateur et civilisateur. L’Occident impérial connait l’histoire du monde et ses civilisations et il fera tout pour nous empêcher d’être des hommes libres et il mettra toujours sur notre chemin des intellectuels qui vont se relayer pour nous dire vous n’avez pas besoin de liberté, vous ne saurez quoi faire de votre liberté ou vous êtes redevables à la France ou à l’Amérique ou à l’Angleterre de la liberté octroyée puis confisquée.

Il est surprenant de voir un intellectuel musulman donner crédit aux thèses de gauche et de droite, apportant la détraction idéologique et politique aux « Révoltes » arabes pour se donner bonne conscience de leur soutien aux dictateurs des peuples arabes et effacer les souffrances de la rue arabe qui sait par sa mémoire collective que l’Occident colonisateur a une partie de responsabilité dans ses malheurs et qu’il ne peut ni les soulager ni en être la solution. Celle-ci passe par une autre voie. Le rôle de l’intellectuel est d’être à l’écoute de la rue arabe et d’en être le porte parole pour lui dire je vous ai entendu et voila comment nous devons tous ensemble anticiper sur les événements et créer de la synergie pour édifier une solution viable et faisable. Il est encore plus surprenant de ne pas voir dans le discours des intellectualistes l’allusion à la contigüité historique dans l’aire de civilisation musulmane qui est derrière ces « révolutions ». N’est-ce pas que l’occupation de la Palestine en 1948 a donné lieu à la révolution égyptienne puis à la révolution algérienne en conjuguant les mêmes douleurs, le même passé, les mêmes valeurs ? N’est-ce pas que la révolution iranienne et les émeutes dans le monde arabe sont venues après les accords de camp David qui ont vu Kadhafi rompre ses liens diplomatiques avec l’Égypte comme un « fou ». N’est-ce pas étrange de voir que ces insurrections arabes sont venues après l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan et surtout après deux agressions impitoyables contre le Liban et contre Gaza ? Tariq Ramadan fait l’impasse sur ces évidences historiques et croient qu’il peut nous déposséder de notre mémoire en faisant valoir l’intelligence des autres, ceux-là mêmes qui nous agressent ?

Juste après la tragédie de Gaza et le silence complice de la Ligue arabe et de ses principaux dirigeants, j’ai écrit « Gaza : la Bataille du Forqane » dans lequel ma mémoire de colonisé qui a vaincu l’OTAN s’exprime sans détour ni faux fuyant : « La bataille du Forqane a montré le fossé qui existe entre les peuples arabes et musulmans et leurs gouvernants. Par leur silence devant le massacre de Gaza les dirigeants arabes ont perdu toute boussole et ont rompu tous les liens avec leurs peuples qui les identifient à Israël. La victoire du HAMAS est perçue autant comme une défaite d’Israël que des régimes arabes.

La rue occidentale et arabe a exprimé son rejet de la politique sioniste, son refus de continuer à reconnaître un état fantoche, sa prise de conscience de la tragédie palestinienne et son désir de mettre fin à cette tragédie. Les peuples sont de plus en plus en contradiction avec les élites politiques et intellectuels dont ils ne comprennent ni le silence ni le soutien à Israël. Les élites vont se trouver sur cette question et tant d’autres mis discrètement en quarantaine ou totalement désavoués non seulement sur la politique étrangère mais intérieure.

Enfin il y a eu trop d’énergies contradictoires, déclarées ou refoulées, en si peu de temps qu’il est impossible que l’histoire continue à se dérouler « normalement ». Gaza est un moment historique plus fort que la chute du mur de Berlin ou l’effondrement de l’URSS et plus fort que la fin de la seconde guerre mondiale. Gaza annonce des changements majeurs dans les rapports entre opprimés et oppresseurs. Les contradictions vont s’aiguiser, les luttes vont durcir, les consciences vont s’affiner et la suite ne relève que de la loi de la dialectique qui gouverne le monde. Le Prophète dans des situations semblables disait : « O crise aggrave toi ! Tu vas aboutir à une issue bénéfique ». Les choses ne peuvent pas rester en l’état. Les régimes arabes qui vont s’accrocher au statut quo actuel doivent s’attendre à un Tsunami qui va les balayer de la surface de la terre. Les élites occidentales qui vont continuer d’occulter la réalité palestinienne ne font que conjuguer la crise financière et son corollaire la crise économique avec la crise morale réveillée par la guerre contre Gaza…

Quand l’opprimé ne trouve pas de tribune ni de soutien il ne faut pas lui reprocher la radicalisation de son discours et sa nature de plus en plus subversive du fait de son confinement à une clandestinité plus fermée et plus militante faisant fi des règles diplomatiques et de la rhétorique politique. Ceux qui reprochent au HAMAS et à d’autres mouvements islamiques leurs discours qui sont à l’opposé du « politiquement correct » doivent plaindre leur propre inertie et leur propre lâcheté qui n’ont pas permis à l’opprimé ou au colonisé d’avoir une tribune pour s’exprimer… Le châtiment divin les atteindra sans doute par des catastrophes écologiques et sociales sans précédent pour les pousser à s’interpeller sur le sens de la vie et sur le devoir d’assister l’opprimé…

Nul ne peut enlever de la pensée arabe et musulmane la continuité de la guerre en Afghanistan, en Irak, au Liban et en Palestine. Nul ne peut nier le lien géostratégique entre la lutte pour le contrôle du poste frontalier Rafah en Palestine et celle du col de Khaybar en Afghanistan. C’est le même combat, les mêmes enjeux, la même stratégie que seuls les arabes et les musulmans frappés de paresse intellectuelle et de lâcheté ne veulent ni voir ni y trouver des liens… »

Les « Révolutions » arabes : Mystique ou mystification ?

J’ai écrit plus de 300 pages d’articles et de chroniques suivant pas à pas les « Révolutions » arabes et j’ai publié en début juin une lecture coranique sur le succès ou l’échec probable des mouvements arabes « Les « Révolutions » arabes : Mystique ou mystification ? ». Je ne me suis pas substitué aux peuples, je leur ai donné ce que les Musulmans invalides ou pauvres ont donné au Prophète (saws) et à ses compagnons menant leur Jihad contre le Taghut de l’oppression : les larmes et la présence par le cœur et l’esprit. Je ne me reconnais pas dans le discours de Tariq Ramadan qui d’ailleurs n’a pas besoin de ma reconnaissance pour assoir sa légitimité et sa réputation. Je ne lui refuse pas d’avoir une vue divergente, il n’y a jamais eu de tribunaux d’inquisition en Islam. Ibn Rawandi du temps du Calife al Mamoune pouvait exprimer son athéisme sans risquer sa vie la société musulmane était suffisamment forte pour ne pas craindre ce genre de philosophes et elle disposait d’homme de talents qui refutaient les détractions et les atteintes à ses valeurs. Je lui apporte tout naturellement la contradiction. Ce n’est pas seulement ma liberté dont j’en use à bon escient. C’est mon devoir d’expliquer et de clarifer à une jeunesse en quête – sur le plan intellectuel et politique – d’une idole pour combler son orphelinat, panser ses stigmatisations et se trouver des héros qui lui donnent une fierté.

Je vais donc reprendre, dans la seconde partie, quelques points de l’intervention de Tariq Ramadan et son thème de prédilection « la mobilisation non violente » qu’il a utilisé pour se vendre comme héros et occulter l’héroïsme des masses arabes que les apprentis intellectuels et les fans fascinés par le verbe ne semblent pas voir.

Omar Mazri

Tariq Ramadan et les Révolutions arabes (2/3)

Tariq Ramadan et les Révolutions arabes (3/3)