On croyait tous que les choix se sont portés définitivement sur Samir Redouane accepté par les Salafistes pour former le gouvernement de « transition ».
Samir Redouane est le quatrième ou le cinquième coopté. Après l’échec de placer Mohamed Baradei comme premier ministre de la transition et faire oublier le coup d’Etat, les Juillétistes, avaient fait appel à monsieur Ziad Baha Eddine ( زياد بهاء الدين) qui avait refusé hier le poste de Premier Ministre. Ziad Baha Eddine, présenté comme une figure emblématique de la « révolution », le militant contre la corruption, l’enseignant de qualité à l’université américaine du Caire et l’expert financier qui pouvait redresser l’économie égyptienne semble raison garder et refuser de s’engager dans l’inconnu d’une guerre civile larvée.
Samir Redouane, expert économique, a occupé le poste de Ministre des Finances dans les trois gouvernements par intérim post Moubarak. Présenté comme spécialistes des questions du développement économique, de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté, ce lauréat d’Oxford, peut-il apporter les solutions à un système en panne ? L’Egypte a le nombre de docteurs le plus élevé dans le monde par habitant dont certains ont une réputation internationale, mais la vérité politique, économique et sociale est plus complexe que l’individu. Les individus en Egypte et ailleurs ont montré qu’il n’y a ni efficacité poltique ni rationalité économique ni progrès social sans une ligne d’orientation idéologique qui imprime aux gouvernants et aux gouvernés, à la politique et à l’économie le sens du destin, l’intensité de l’effort et le poids des responsabilités à partager.
Au delà de la position élevé de Samir Redouane dans les instances politiques de ex parti au pouvoir que la révolution a déchu, il y a lieu de s’interroger sur la difficulté de trouver une personnalité qui fait consensus après les défections et les blocages du parti Ennour.
La conférence de presse des dirigeants salafistes semblent indiquer que leur choix sur un technocrate vise à réaliser la réconciliation nationale que le conseil des sages viendrait concrétiser après sa nomination (désignation). Nous sommes dans le domaine du souhait, de l’infantilisme politique et en retard sur les événements qui ont précédé et accompagné la chute de Moubarak.
En gandoura ou en costume cravate, l’inculture politique et la culture de la diversion et de la dispersion montrent de plus en plus l’instrumentalisation consciente ou inconsciente de l’islam « apolitique » contre l’islam « politique », de l’islam partisan contre l’islam sectaire qui sont une partie du problème du monde musulman.
Les choix et les changements semblent montrer qu’il n’y a ni ligne d’orientation idéologique ni consensus sur la sortie de crise. Le messianisme politique est la règle. La culture partisane est le critère d’analyse et de décision. L’ordre de bataille ou la feuille de route des militaires semble se construire dans l’improvisation. Le seul ciment est, pour l’instant, le refus des Frères Musulmans , refus présenté comme une légitimité émanant de la rue. Les Frères musulmans, à leur tour, refusent les autres solutions considérées comme illégitimes. La bipolarité exacerbée, l’atteinte aux sensibilités religieuses, la démarche partisane avant et après le coup d’Etat dans les deux camps ne militent pas en faveur d’un règlement de la crise ni d’un décollage économique.
Il faut être stupide pour ne pas voir les couacs du coup d’Etat et ne pas voir les luttes d’influences idéologiques et étrangères en Egypte qui vont fatalement la déchirer.
Il est difficile de comprendre la logique et la crédibilité de l’annonce des législatives avant 2014. Pour ou contre le coup d’Etat, pour ou contre le rôle incontournable de l’armée, pour ou contre la sortie de crise par des choix inédits qui ne peuvent ni retourner à Morsi ni donner légitimité à l’armée de faire ce qu’elle veut, il y a une réalité qui ne peut être occultée. 2014 est une échéance trop courte. Les législatives ne sont pas la véritable solution, car elle ne fait que reporter les contradictions sociales et politiques dans une vitrine démocratique qui veut ressembler à celle de l’Occident sans avoir les moyens et le décor du fardage et de l’illusion. L’amour de la vérité et la quête de la paix exigent de poser les problèmes autrement et avec courage : comment refonder la vie politique sur le principe de la fédération et de l’unité.
Il est par ailleurs difficile d’imaginer les pourfendeurs de Morsi et des Frères Musulmans tolérer que les Salafistes jouent un rôle politique déterminant et sortent du cadre traditionnel : l’immobilisme.
Il parait impossible, à Samir Rédouane, au delà de ses compétences techniques et scientifiques d’animer une action gouvernementale de sauvetage public. Fermer les médias ne va pas suffire à sa éteindre les nouvelles qui se répandent vite dans une culture populaire qui a fait de la rumeur un moyen de résistance et de réfutation de ses gouvernants : il sera difficile à l’action gouvernementale, si elle parvient à former un gouvernement, de résister aux accusations graves portées aux nouveaux maîtres (valets?):
– Appartenance juive ou copte du président désigné par l’armée putschiste.
– Déclaration en faveur du sionisme du nouveau responsable des Affaires étrangères coopté par l’armée de Sadate et de Moubarak alors qu’il avait perdu les élections
– Le nouveau Premier Ministre a la réputation d’avoir occupé le poste de député à l’Assemblée nationale par désignation et non par élection. Il est connu pour sa tradition de servir le parti unique, d’accepter le principe de cooptation et se réclamer d’une compétence internationale. L’enfermement idéologique et l’illusion des imaginaires dépassés continuent de faire allusion aux références internationales qui donnent expertise à l’Arabe et au musulmans alors qu’elles sont considérées comme instrument de prédation et de répression dans l’imaginaire des Arabes et des Musulmans, et que ceux qui s’en prévalent s’en considérés comme les auxiliaires de l’Empire et du sionisme, même si cela n’est pas vrai.
Si les Égyptiens ne parviennent pas à trouver le sacré, religieux ou profane, pour arbitrer leurs différents et régler le contentieux de la mauvaise gouvernance et celui du coup d’Etat ils seront conduits comme des zombies vers les enfers de la mythologie. Les experts du droit ou de l’économie ne peuvent rien changer à la confusion du processus s’ils sont eux-mêmes l’émanation de la confusion.
Coup de théâtre :
Hazem Al-Beblawi est nommé pour conduire l’action gouvernementale du coup d’Etat.
Hazem Al-Beblawi, حازم عبد العزيز الببلاوي, économiste libéral, très libéral, est un ancien ministre des Finances et vice-Premier ministre de juillet à décembre 2011 pendant la phase de transition post Moubarek. Il est fondateur du parti « social-démocrate » égyptien qui n’a eu aucunes chances aux législatives et aux présidentielles. Beblawy a obtenu le titre honorifique français de Chevalier de la Légion d’honneur.
Formé à Paris et à Grenoble, Il a travaillé pour la Banque industrielle du Koweït, pour l’Export Development Bank de l’Egypte, pour le secrétariat exécutif de l’ONU, de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale majoritairement arabe (ESCWA), et auprès du Fonds monétaire arabe à Abu Dhabi dont il a été le conseiller pendant 10 ans (2001-2011).
La propagande le présente comme un opposant à l’armée (?) Il aurait présenté sa démission en octobre 2011 pour exprimer son désaccord face à ce qu’on avait qualifié de répression des chrétiens coptes par les forces de sécurité lors d’une manifestation. Les Frères musulmans s’étaient mobilisé pour défendre les Coptes. Tactique ou position de principe, elle ne semble pas faire partie de la gratitude des Coptes qui viennent déballer leur haine et afficher leur réussite dans les télévisions françaises.
Dans la foulée, l’ennemi juré des Frères musulmans, les monarchies du Golfe non seulement expriment leur soulagement mais annoncent d’ores et déjà leur assistance financière. Ainsi trois milliards de dollars sont débloqués aux nouveaux-anciens maîtres du Caire par les Emirats arabes unis. L’Arabie saoudite vient de débloquer 5 milliards de dollars. Il ne s’agit pas d’aide économique, mais de corruption, de remerciements.
Le développement qui ne s’attaque pas aux causes structurelles et mentales du sous-développement n’est qu’une instrumentalisation messianique qui a déjà échoué dans le monde arabe. Le recours aux technocrates ne peut cacher l’échec des politiciens ni occulter le déficit de politique. Les problèmes complexes, exigent plus que jamais, la mobilisation des politiques. Les boulitiques, avec ou sans doctorat, ne font que compliquer la résolution des problèmes. A moins qu’il y ait un Dessein divin : dévoiler toutes les incompétences et mettre fin à toutes les illusions en les épuisant les unes après les autres afin que Musulmans reviennent vaincus vers le plus juste et le plus sensé. A titre d’exemple, un Ministre de l’économie et des finances, un Premier ministre ou un Président qui n’ a pas le pouvoir de nommer les chefs et de réformer le fonctionnement des Douanes, de la Fiscalité, de l’Armée, des Affaires étrangères n’est qu’un pied nickelé qui fait de la configuration.
Le cafouillage sur les noms confirment la fragilité de la situation et l’absence de repères. L’argent arabe pourrait couler à flot, mais les ingrédients de la crise politique, morale, sociale et économique resteront une composante de la classe politique et culturelle en panne de projets. Cette classe va faire l’aveu d’impuissance dans un pays de 85 millions d’habitants traversé par un sentiment d’injustice pour les uns et de confiscation de la révolution pour les autres par une technocratie qui a été déjà confiée aux affaires nationales et internationales sans rien apporter de remarquables aux souffrances des peuples arabes.
Encore une fois, après que la peur des « islamistes » sera évacuée, comment expliquer aux déshérités et aux révolutionnaires désenchantés, que la politique du salut consiste à recommencer avec les mêmes et avec les perdants. Comment expliquer l’absence d’un complot judéo-chrétien à la majorité des musulmans sans repères d’analyse, provoquée par les médias et humiliés par leur armée. Comment expliquer aux Musulmans la bataille verbale non seulement entre musulmans, mais entre les dignitaires religieux sunnites qui se sont retrouvés chacun soutenant un camp au nom de la légitimité religieuse et de la Chari’â islamique alors qu’ils ont perdu tous les repères moraux et intellectuels pour expliquer et proposer se confinant à dénoncer ou à prendre parti comme de vulgaires saltimbanques forains. Comment leur exiger de donner leur confiance et de reconnaître la légitimité ou de croire en la démocratie alors que ceux qui les gouvernent sont issus d’un coup de force.
Voici l’extrait de l’article que lui a réservé le journal Al Ahram en sous la plume de Marwa Hussein et de Salma El-Wardani, le lundi 18 juillet 2011 :
» Hazem Beblawi, un économiste libéral bien connu, a été nommé vice-Premier ministre de l’Egypte et ministre des Finances dans le récent remaniement ministériel.
Il remplace Samir Radwan dans ce dernier rôle, qui a été nommé quelques jours avant l’ancien président Hosni Moubarak a été évincé.Sa première déclaration après sa nomination était une question controversée. Beblawi dit dans des déclarations à plusieurs journaux qu’il ne révisera pas le budget, un budget qui a été sévèrement critiqué par les économistes ainsi que par les révolutionnaires de Tahrir.
Pour eux, le budget n’a pas été différent de celui de l’ancien régime ignorant les dimensions sociales.
(…)
Le principe du respect de la loi est que Beblawi a toujours promu comme le garant de la démocratie, mais la dernière version du budget n’a pas été débattue avant son approbation
(…)
…alors que pour Gouda Abdel-Khalek la priorité était la répartition des revenus, pour Beblawi le premier plan est la création de richesses pour la société dans son ensemble. Beblawi a toujours dit qu’une forte économie de marché est la solution pour les problèmes de l’économie si contrôlé par un Etat fort.
SOURCE http://english.ahram.org.eg/NewsContent/3/12/16741/Business/Economy/Hazem-Beblawi-Hard-on-Mubaraks-regime,-soft-on-bus.aspx
Al Ahrame n’est pas à sa première contradiction et à son premier retournement comme l’ensemble de la classe politique qui travaille pour des agendas idéologiques et non pour le bien être du peuple. Les jours réservent des surprises. Je me suis volontairement prêté aux jeux de la rumeur pour montrer l’état de confusion et d’improvisation qui alimente ces rumeurs et ces changements qui rendent les artisans du coup de force inaudibles et leurs vassaux imprévisibles. Le peuple égyptien a déjà tout entendu et déjà tout vu. Quand est-ce que les libéraux et les progressistes arabes vont comprendre que le développement et le marché ne sont pas une affaire d’expertise ou de volontarisme. Les conditions politiques objectives ainsi que les conditions psychosociales sont déterminantes en dernière instance. Le mouvement Tamarrod (révolte) qui vient du verbe arabe marada qui est passé dans la langue latine sous le terme « être dans la merde » vient de réaliser que les pouvoirs constitutionnels de l’ancien président Morsi sont trop importants pour ne pas susciter des inquiétudes. Mon refus du coup d’Etat ne me fait pas oublier que les Frères Musulmans se sont mis dans le merdier alors qu’ils avaient l’expérience.
Salamwaleykom,
si je comprends bien,l’Egypte est le pays arabe (ou pas d’ailleurs, on dit que les Egyptiens ne sont pas des Arabes) qui a le plus de matière grise, mais qui n’arrive pas s’en sortir, soubhanaAllah. Je reprends un citation d’un de vos livres, Oustad, qui dit « Il n’y a de vents favorables pour qui ne sait où aller », ça m’a tout l’air d’être ça, les politiciens égyptiens ont perdu le nord, prenant en otage le peuple. La question à mon sens, et que je n’arrive pas à cerner complètement, est « Quels sont les enjeux du contrôle de l’Egypte? » « Qui craint quoi, pourquoi? »
Salam Fatima,
Oui l’Égypte dispose, je crois, d’un million de docteurs, ce qui la place dans la situation de premier rang mondial dans le ratio nombre de docteurs/habitants. Ce ratio remis dans le contexte social et politique ne signifie rien puisque l’efficacité sociale est presque nulle eu égard à l’absence de synergie. Pour qu’il y ait synergie, comme en mécanique ou en dynamique, il faut que toutes les forces travaillent de concert et participent au même objectif. Les lois physiques sont les mêmes dans le domaine biologique ou social. Je vais écrire un article sur Amr Khaled et vous allez comprendre cette loi s’appliquer sur un homme qui a pourtant les qualités morales et intellectuelles pour réussir dans un système cohérent, mais qui échoue, comme nous autres, dans un système incohérent.
L’arabité de l’Égypte ou des Égyptiens est une question tranchée depuis longtemps, mais les adversaires de l’Islam et de l’islamité n’ont pas le courage de s’attaquer au Coran, alors il s’attaque à son socle : la langue arabe. En Égypte, il y a un courant semblable au berbérisme algérien, le pharaonisme qui veut nier l’islam et l’arabe et se fixer dans une époque révolue par l’histoire. Se réclamer du monde anglo-saxon ou de la francophonie est plus rationnel sur le plan linguistique, moderne et efficacité technique et technologique. Le monde arabe sait s’inventer des contradictions et des particularismes pour se fragmenter et se disperser faute d’avenir clairement défini. Le passé est lui aussi rendu confus malgré ses évidences. La plus grande évidence est celle laissée par le Prophète arabe Mohamed (saws) qui a tranché sur la question de l’arabité et du débat culturel et idéologique que certains utilisent. Il a dit que l’Arabe est celui qui parle arabe faisant du socle linguistique de l’Islam le fondement culturel au lieu des ethnies et des dialectes ou des langues mortes. Il a épousé Maria la copte égyptienne convertie à l’Islam. Il a désigné l’Égypte comme le carquois de l’Islam. Tout le reste est une curiosité intellectuelle ou scientifique sinon c’est de la diversion.
Cheikh Mohamed Al Ghazali qui a connu le pharaonisme et le berbérisme a laissé une belle expression en réponse aux diversions culturelles : « Je suis un Égyptien que l’Islam a arabisé ». Il rejoint le célèbre triptyque de Cheikh Benbadis (qui est berbère) sur l’algérianité : islamité, arabité et berbérité.
L’histoire aime taquiner les confus et les égarés. Elle nous donne en exemple les grandes figures égyptiennes, persanes et berbères qui ont porté la civilisation musulmane et son socle linguistique à son apogée. Les Algériens et les Égyptiens reprochent à l’arabe de ne pas être une langue de modernité oubliant que les Arabes et les non arabes arabisées sont responsables du déclin de la langue arabe depuis qu’ils ne produisent ni science, ni produit, ni pensée religieuse, ni désir d’un destin rayonnant. Ils confondent les causes et leurs conséquences. Ils parlent au nom de leurs peuples analphabètes dans toutes les langues alors que leurs peuples ne les ont pas mandaté.
« Quels sont les enjeux du contrôle de l’Egypte? » « Qui craint quoi, pourquoi? »
Égypte est au cœur du monde arabe, elle est le trait d’union entre le Machreq et le Maghreb, elle dispose de la principale réserve humaine du monde arabe, elle est adossé au continent africain; elle est en contact directe avec l’entité sioniste, elle a une armée de 500 000 hommes qui a déposé un roi allié de l’Occident et elle avait franchi les lignes de défenses israélienne. Il faut imaginer l’Égypte s’allier à l’Iran et à la Syrie, s’ouvrir à la Chine et à la Russie, s’allier à l’Algérie pour une Afrique du Nord non alignée, etc… Il semble que le devenir du monde s’oriente vers l’Asie et pour l’Empire il n’est pas question de laisser un pays comme l’Égypte se construire des repères et surmonter ses contradictions internes afin qu’elle ne puisse pas devenir une locomotive entrainant le monde arabe vers son renouveau civilisationnel ou vers son alliance avec l’Asie.
Pour l’instant Israël semble avoir bien manœuvré. Sans tirer une balle et sans se montrer, il a fait que le monde arabe et toutes ses perspectives de s’impliquer dans une voie de renouveau civilisationnel soient compromises. Les USA s’en sortent bien malgré l’échec de tous leurs scénarios.
Allah gouverne l’univers et l’histoire des hommes : chaque chose en son heure. On ne peut ni faire avancer ni faire reculer cette heure. On peut par contre s’y préparer car elle sera une épreuve comme aisance ou comme adversité.