Contributions sur l’idée de coopérative et de crédit mutuel

Trois contributions, celle de Hussein et celle de Techtonica

Contribution d’Hussein (diaporama) sur les coopératives et le crédit

 

 

Contribution d’Hussein par écrit :

Merci pour ce partage d’expérience …
votre réflexion me rappelle un livre que j’avais lu sur l’intelligence relationnelle écrit par une psycho-sociologue, l’auteure dit dans l’interface que « si on veut que la société prospère et continuer dans la prospérité, alors faudrait s’occuper de son capital humain » ….

j’avais pensé au même mécanisme basé sur la coopération et solidarité (dommage que je ne soit pas riche, sinon j’aurais déjà fait une petite expérience pour tout concrétiser) … en fait, pour démarrer ce mécanisme il faudra disposer des éléments qualifiés (capital humain) et un capital financier; l’État Algérien peut très bien investir dans cette voie car un tel mécanisme met chaque citoyen en face de sa responsabilité (la situation catastrophique actuelle en Algérie n’est pas causée que par le gouvernement mais aussi par les citoyens qui représentent la structure sociale, donc ils ont une part de responsabilité) tout en lui léguant toutes les charges économiques, un peu comme la privatisation mais dans ce cas, elle est au compte du citoyen lui même et non au compte d’une entreprise privée, donc le citoyen devient actionnaire de sa propre entreprise …

je crois que le partage des richesses n’est pas partager les recettes comme certains le croient ou le veulent d’ailleurs ! , le partage des richesses est le partage des responsabilités et charges économiques, plus il y a moins de charge plus il y a moins de risque, plus l’économie prospérera …

En France avec la crise, certains ouvriers/employé de peur de perdre leur travail ont préférer d’acheter leur propre entreprise où chaque ouvrier/employé est devenu DG (directeur général), où chaque ouvrier/employé avant d’en faire partie doit signer un engagement de coopération (j’ai regardé un reportage sur un cas pareil, le journaliste reporter quand il a posé la question à un ouvrier d’une entreprise qu’il a racheté lui et ses collègues pour sauver leur travail, de comment sentez vous maintenant en tant qu’actionnaire de sa propre entreprise (ou en tant que directeur de sa propre personne), l’ouvrier lui a répondu « que maintenant on fait plus attention qu’on faisait pas avant !!), de ce fait, chaque élément prendra part à la responsabilité, et partagera les mêmes risques et bienfaits

pour schématiser tout ça :

capital humain qualifié + capital financier ====> Entreprise où chaque élément devient actionnaire (bon suivi du bilan économique, plus de corruption, plus de fraude) ===> partage de responsabilité ( partage des mêmes risques) ===> remboursement.

Si l’argent est prêté par l’État je crois que la meilleure solution pour la rembourser est sous forme d’impôt, l’État est déjà gagnant à tous les coups parce que déjà l’argent vient des hydrocarbures (donc chaque citoyen devrait avoir une part de ces richesses naturelles mais sous forme de capitaux pour la création de l’emploi), donc je vois mal que l’état prendrait part de responsabilité s’il réclame des intérêts, au final l’état n’aura qu’un seul rôle : la gestion des capitaux et la supervision des projets ===> on aurait mis le citoyen en contact direct avec l’économie

Hussein

 

Omar Mazri vous encourage à développer davantage votre raisonnement et à continuer à nous apporter votre contribution. Vous serez avec la bénédiction de Dieu un des promoteurs de ce genre d’initiative en Algérie. Il vous répond rapidement sur deux points :

« dommage que je ne soit pas riche, sinon j’aurais déjà fait une petite expérience pour tout concrétiser »

Le but de la coopérative ou de l’économie solidaire ou de l’entreprise privé à intérêt collectif est d’entreprendre sans être riche par la mise en commun de ce que l’économie islamique appelle al Moucharaka et al Moudharaba en associant les moyens communs et le capital d’un investisseur qui prend le risque de perdre ou de gagner 15 à 20 % de bénéfice dans le halal alors qu’il ne va gagner avec le riba que 2 à 3 % dans le haram.

« Le citoyen devient actionnaire de sa propre entreprise »

La démarche coopérative, solidaire ou l’entreprise privée d’intérêt commun ou collectif est justement la promotion du citoyen  par la démocratie dans l’activité économique (le droit d’entreprendre pour assurer son autonomie, sa dignité sociale et économique, ainsi que contribuer au bien être social). C’est une démarche non capitaliste : L’adhérent n’est pas actionnaire mais sociétaire. Son capital est rémunéré au prorata de son apport sachant qu’une partie est obligatoirement reversée dans l’investissement  de développement de la coopérative ou dans l’apport au capital du crédit mutuel (ou coopératif). L’adhérent par contre a une voix qui a la même valeur de celles des autres adhérents indépendamment de leur montant en capital. L’adhérent est en même temps usager et de ce fait il bénéficie d’accès privilégié à la production et aux services de la coopérative. Si l’adhérent est employé par la coopérative il est rémunéré en contrepartie de son travail.

« Si l’argent est prêté par l’État je crois que la meilleure solution pour la rembourser est sous forme d’impôt, l’État est déjà gagnant à tous les coups… »

L’Etat, la société et le citoyen seront tous gagnants par cette formule : solidarité, responsabilité, esprit citoyen, amélioration du cadre de vie, sécurité, investissement, revenus, consommation… Sur l’impôt je pense que la coopérative devrait  être exonérée de l’impôt ou du moins bénéficier d’allégement car elle crée de l’emploi et de la valeur. Le remboursement  devra se faire sans intérêt et à long terme en ce qui concerne l’apport de l’état. Pour le crédit mutuel et l’apport des investissements il faut encore travailler sur une solution adaptée à l’Algérie. Il ne faut surtout pas retomber dans le gaspillage et les détournements des emplois jeunes et des importations tout azimut.

 

Contribution de Techtonica sur les coopératives et les villages

C’est très stimulant toutes ses idées.

Si je ne me trompe pas, les villages d’il y a quelques années ont fonctionné plus au moins sur un modele coopératif en simplifiant bien sûr.

Imaginez la conception d’un micro quartier qui fonctionne sur ce mode, qui a pour but d’avoir une vie de partage, d’entraide, mais surtout de créer une ambiance qui dynamise le travail et l’innovation. Les voisins, familles, résidant partage les mêmes idées de développement durable dans le sens large de thème de progrès et de responsabilité.

L’importance est le lancement d’une dynamique positive afin de tirer le meilleur de chaque individu qui partage ce territoire balisé par les règles de la coopérative (micro-société durable).

Imaginez une coopératif d’accès à l’habitation durable, celle si servira a créer un mini quartier qui rassemble un groupe de personnes qui partage les même valeurs.

Architecturalement ça pourrait  ressembler au Compound « gated cummunity » ville fermée, mais pas dans l’esprit. Cela peut créer une dynamique au niveau de la vie quotidienne qui favorisera et stimulera le travail, le progrès et l’innovation à l’image de la Silicon Valley même mieux car l’argent ne devras pas être le moteur du projet. Autrement dit concevoir un espace de vie ou l’état d’esprit est favorable au développent. Un espace architectural où le paysage est  de qualité, où le voisinage, la sécurité et les services sont garantis par des règles de la coopération et la responsabilisation de chaque résidant.

Ce Projet peut être réalisé partout dans le monde,…

Je prend l’exemple de l’Algérie: Aujourd’hui avec les projets LSP où les terrains sont donnés par l’état au promoteur a 20% de leur valeur, avec des aides financières aux acquéreur. Un groupe d’individus peu acquérir un terrain et construire leur propre quartier au lieu de le donner à un prompteur ignorant et peu scrupuleux qui construit des ghettos où les populations sont entassées avec tous les problèmes socio-urbains que cela engendre.

Prenons l’exemple de la gestion des déchets ménagère dans un quartier par exemple: Aujourd’hui la ville assure très mal ce service pour plusieurs raisons. Dans cette micro-société- on définit une stratégie simple, claire qui consiste à responsabiliser les résidents avec des solutions techniques connues (trie des déchets, asséché les déchets, planification…), on peut donner d’autre exemples dans la sécurité, énergie et les services (approvisionnement ou autre),….

Le but final de cette coopérative d’habitat c’est d’avoir une vie agréable de qualité, de partage et surtout de créer cette dynamique de travail et d’innovation, car on ne peut innover en vivant et  travaillant dans des milieux médiocres.

Voici quelques points que ce model de cohabitation peux nous offrir:

  • Construction un projet architectural, paysage urbain de qualité ;
  • Choix d’un voisinage averti avec un état d’esprit cohérent et ouvert au progrès ;
  • Sécurité et services assuré par coalisions des résidents ;
  • Un sens de responsabilité individuelle et du groupe plus développer,….

Je suis ouvert a toute critique et proposition d’amélioration.

 Techtonica

 

Omar Mazri : Excellente contribution. Continuez à imaginer et faites des propositions en parlant autour de vous. La seule limite est notre imagination. Vous serez avec la bénédiction de Dieu un des promoteurs de ce type de projet.

La formule Ksar qui conjugue tradition et modernité, solidarité sociale et participation de l’État, effort collectif et apports individuel correspond à votre vision. Oui il faut aller vers la formule village autour des grandes villes et ne plus toucher à l’urbain saturé ni aux terres agricoles.  La majorité  des villes algériennes sont entourées de sorte de piémont où les Algériens peuvent construire des villages reliés entre eux comme un réseau informatique avec des pénétrantes en chemin de fer vers la métropole. Le piémont permet de réaliser de jolies habitations avec une agriculture coopérative de montagne et un réseau coopératif de transport semi public avec maintenance. Il y a à creuser davantage la question. En tous les cas il y a du travail pour nos urbanistes, nos architectes, nos experts en aménagement du territoire, nos agronomes, nos économistes et nos concitoyens.

On ne peut créer par une démarche volontariste des métropoles pour désengorger les villes ou créer des pôles urbains spécialisés. La démarche qui tient la route est celle que l’histoire a retenue : laisser aux citoyens la liberté d’entreprendre à leur taille humaine et c’est la capacité d’entreprendre qui va créer des réseaux de plus en plus grands, diversifiés, enchevêtrés et complexes. Il y a une sorte de déterminisme urbain, social et économique qu’on appelle la loi de Metcalfe. C’est une loi en vigueur dans les réseaux informatiques et sociaux transposables dans les transports et activités économiques et commerciales : chaque  nœud (carrefour,  connexion) dans un réseau multiplie par 10 la valeur du réseau. Théoriquement  pour n réseaux il y n (n-1) / 2 potentiels. Plus n tend à être un grand nombre et plus le potentiel  tend à s’élever au carré.

 

Article de référence :

COOPÉRATIVES ET CRÉDIT MUTUALISTE

Coopérative : Définition

Fondements des principes coopératifs
Par Michel Lafleur,
directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement pour les coopératives de l’Université de Sherbrooke (
IRECUS)

«Il existe depuis plus d’un siècle une autre façon que celle proposée par les écoles d’administration de concevoir la gestion des organisations et le développement: les coopératives. Une vision basée sur les besoins des gens, où le capital sert de moyen et où les excédents (ou profit dans le langage capitaliste) ne sont pas redistribués selon le capital investi.

La coopérative est «une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement». 1 Ce type d’entreprenariat est né suite aux critiques faites par certains penseurs sur les lacunes du capitalisme naissant. La première coopérative à connaître le succès, la Société des équitables pionniers de Rochdale, en Angleterre, est le résultat d’une synthèse de certains penseurs de l’époque (Fourrier, King, Owen, Saint-Simon, Buchez, Plockboy, Proudhon, etc. ). Les pionniers de Rochdale ont ainsi réussi à appliquer concrètement des principes de développement dans une dynamique entrepreneuriale.

Ces critiques des lacunes du capitalisme naissant et leur transposition sous forme de principes découlent d’une vision novatrice du développement. Une vision qui s’incarne dans les valeurs fondamentales des coopératives; la prise en charge et la responsabilité personnelle et mutuelle, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité. Fidèles à l’esprit des fondateurs, les membres des coopératives ont adhéré à une éthique basée sur l’honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme. Ces valeurs fondamentales se sont ensuite transformées en principes, qui ont évolué avec le temps, pour former aujourd’hui les sept principes coopératifs qui constituent les lignes directrices devant permettre aux coopératives de mettre leur vision du développement en pratique.

De façon générale, ces critiques tournaient autour de deux grands thèmes. Le premier touche le rôle du capital. Les auteurs reprochent au système capitaliste naissant d’accorder aux seuls détenteurs de capitaux tous les bénéfices de l’entreprise grâce uniquement à leurs investissements financiers sans que ces derniers participent réellement à la création de cette richesse. Pour ces penseurs, ce n’est pas dans le capital (investissement) que se situe la vraie richesse d’une nation, mais dans le travail (les coopératives de travail, point de vue de l’école française) ou dans la consommation (les coopératives de consommation, point de vue de l’école anglaise). La célèbre parabole de Saint-Simon sur les industriels (ou détenteurs de capitaux) résume bien cette pensée 2. Ces auteurs dénoncent ainsi les revenus sans travail (coopérative de travail) ou le fait que les intermédiaires facturent une surcharge aux prix des produits sans que ceux-ci n’ajoutent une réelle valeur au produit (coopérative de consommateurs).

En résumé, est critiqué le fait que les détenteurs de capitaux obtiennent tout le bénéfice de l’entreprise pour eux seuls. Les auteurs proposent que le capital ne soit pas l’unique moteur, décideur et bénéficiaire du développement. Ainsi naissent les principes coopératifs suivants: • Les décideurs seront ceux qui participent à l’objet de la coopérative, soit les travailleurs (coopérative de travail), les consommateurs (coopérative de consommation) ou les producteurs (coopérative de producteurs). Ces personnes éliront des représentants qui seront responsables devant elles. Seule la qualité de membre donne accès à ce droit de vote qui n’est donc pas proportionnel à l’argent investi. Conséquemment, ce n’est pas l’argent qui sera la finalité des décisions mais les besoins des membres. C’est le principe coopératif du pouvoir démocratique exercé par les membres (un membre = un vote).
• L’argent nécessaire au démarrage et au développement de la coopérative doit provenir de ses membres. Comme ce capital n’est pas la raison d’être de la coopérative, chacun recevra une rémunération limitée décidée par les membres. De plus, les surplus de fin d’année seront redistribués en proportion de l’usage que font les membres de la coopérative et non de l’argent investi; les membres créeront une réserve impartageable qui rendra une partie de la coopérative inaliénable et patrimoine de la communauté et, finalement, une partie des surplus de fin d’année pourra être affectée à différentes activités de la communauté. C’est le principe coopératif de la participation économique des membres.
• La coopérative, dans toutes ses activités et tous ses partenariats éventuels avec l’État ou avec d’autres organisations doit préserver le pouvoir démocratique des membres et assurer l’indépendance de la coopérative face à ces organisations. En aucun temps, ses partenariats doivent compromettre la capacité de la coopérative de prendre ses décisions en fonction de son objet. C’est le principe coopératif de l’autonomie et de l’indépendance.
Les critiques portent en deuxième lieu sur l’organisation de ce changement. On réfléchit sur la meilleure forme possible d’organisation pour amener les changements nécessaires à la solution des problèmes de développement. On peut regrouper les différentes solutions proposées autour de trois écoles. Une première porte sur la défense des droits des travailleurs par le moyen de l’organisation syndicale. La deuxième prône des changements politiques majeurs de la société par une organisation politique de type socialiste ou communiste. Une troisième école, celle du coopératisme, propose une solution entrepreneuriale, soit l’organisation coopérative.
• Les auteurs de l’école entrepreneuriale décriaient la situation de pauvreté dans laquelle vivaient les classes laborieuses malgré la richesse des industriels et de la classe bourgeoise; ils dénonçaient l’exploitation de l’homme par l’homme. Selon eux, seule une révolution par cette classe laborieuse pouvait renverser la situation; on ne pouvait se fier aux gouvernements en place ou aux détenteurs de capitaux. Ces exploités devaient prendre eux-mêmes leur propre développement en main, être solidaires et permettre à tous, dans une dynamique démocratique, de participer à ce développement. Il fallait donc créer une organisation entrepreneuriale qui reposerait sur ces bases. D’où les autres principes coopératifs suivants:
• L’idée de base de la coopérative est de regrouper librement des gens qui ont un besoin commun, soit obtenir un produit ou un service (coopérative de consommateurs), vendre une production (coopérative de producteurs) ou se trouver un emploi (coopérative de travailleurs). Ce faisant, ces personnes regroupées en coopératives veulent bâtir un projet selon les valeurs du coopératisme et solutionner un problème que le marché traditionnel ne solutionne pas à leur pleine satisfaction (salaire trop faible, mauvais approvisionnement, prix trop élevé, faible retour sur la production, etc.). Mais, il ne faut pas qu’un groupe de personnes au sein d’une coopérative en viennent à garder uniquement pour eux un avantage au détriment d’autres personnes qui voudraient contribuer positivement au projet de la coopérative. L’entrée à la coopérative doit être toujours ouverte et libre. Également, aucune discrimination ne peut servir d’excuse pour refuser l’entrée d’une personne au sein d’une coopérative. C’est le principe coopératif de l’adhésion volontaire et ouverte à tous.
• Comme la coopérative est une forme d’organisation avec des valeurs et des principes particuliers, elle doit s’assurer que ses membres, dirigeants, gestionnaires et employés comprennent bien sa nature et sa dynamique afin d’obtenir un apport optimum de chacun. La coopérative doit aussi s’assurer d’informer le grand public sur la nature du projet coopératif. C’est le principe coopératif de l’éducation, la formation et l’information.
• La coopérative ne doit pas évoluer en vase clos, au contraire, elle doit se regrouper sous forme de fédération et de confédération dans le but de mieux servir ses membres et de renforcer le mouvement coopératif. C’est le principe de la coopération entre coopératives.
• Avec l’émergence des problématiques liées à l’environnement, les coopératives doivent contribuer, à leur façon, au développement durable de leur communauté. C’est le principe coopératif, datant de 1995, de l’engagement envers le milieu.
Voilà en résumé le projet coopératif: sept principes qui résument la vision du développement et qui guident la gestion de ce type d’entreprise.»


Notes
1. Alliance coopérative internationale, Déclaration sur l’identité coopérative, 1995
2.Voir sur le site de l’Université Lumière de Lyon

Source: MICHEL LAFLEUR, « Gestion et développement: les coopératives au cœur du développement durable« , L’Agora, vol 10 no 2, automne 2003

Le Coopérateur agricole

Josette Lanteigne
Notons d’abord que toutes les informations livrées ici ont été tirées du site Internet de la Coopérative fédérée et particulièrement d’un long texte de l’historien Jacques Saint-Pierre, qui partage avec nous le fruit de longues recherches solitaires aux archives des Hautes Études Commerciales (HEC), où se trouvent les archives de la Fédérée, consistant essentiellement en procès-verbaux des instances décisionnelles. Il a également mené de nombreuses entrevues avec des élus et des employés actuels ou retraités de la Fédérée et des coopératives affiliées. Le résultat de toutes ces démarches se retrouve dans son Histoire de la Coopérative fédérée de Québec,publiée aux éditions de l’Institut québécois de recherche sur la culture.
Après treize années d’éclipse au profit d’une association avec la revue Ensemble!, Le Coopérateur agricole a été relancé en 1972 pour fêter le cinquantenaire de la Fédérée, dont les origines remontent avant les années 20 et se confondent avec celles du mouvement coopératif.
À la suite de l’application de quelques nouvelles lois, dont la Loi des sociétés coopératives agricoles de 1908 est la plus déterminante, malgré ses imperfections, les coopératives agricoles vont se développer, à partir de 1910, accompagnant le mouvement de réussite des caisses populaires qui se produisit à la même époque. Toutefois, la quasi-totalité des quelque 300 coopératives paroissiales ou régionales fondées avant 1920 n’auront qu’une existence éphémère. Du côté des grandes centrales, la situation n’était guère plus encourageante: ainsi, le Comptoir coopératif de Montréal était alors en lutte ouverte avec la Société coopérative agricole des fromagers.
L’idée d’une fusion des trois grandes centrales (la Coopérative des Fromagers de Québec, le Comptoir coopératif de Montréal et la Société coopérative des producteurs de semences de Sainte-Rosalie) avait été lancée dès 1918, mais c’est seulement en décembre 1922 que la Loi de la Coopérative fédérée reçoit la sanction royale, mettant fin à la concurrence entre les coopératives. Jusqu’en 1929, la Coopérative fera plutôt dans le fromage (45% de la production québécoise), le beurre (15%) et les animaux vivants. Mais la crise amène avec elle son lot de difficultés, et la Fédérée doit céder sa laiterie. Elle adhère alors à la Coopérative canadienne des producteurs de bétail, ce qui lui permet de revenir du beau côté de la médaille, puisque la nouvelle organisation rejoint 30% des arrivages totaux. Les ventes progressent également du côté des engrais alimentaires et surtout minéraux, et des semences, en bonne partie grâce aux agronomes du ministère de l’Agriculture, qui logent des commandes à la Fédérée.
Cette proximité avec le gouvernement soulève toutefois la méfiance de certains, dont celle de l’Union des travailleurs agricoles (UCC), fondée en 1924. Qu’à cela ne tienne, un nouveau ministre abandonnera les pouvoirs du gouvernement sur la Fédérée, tout en continuant de la soutenir financièrement. Malgré une refonte de sa charte, la Fédérée se retrouve avec un déficit d’un demi million de dollars en 1930. Entre 1930 et 1937, elle recevra en subventions plus d’un million de dollars. Le gouvernement lui accordera en plus un prêt de 750 000 $ à taux avantageux.
Au début des années 30, la Fédérée n’est pas en situation avantageuse: sa part du marché du fromage, par exemple, est passée de 45% au quart de la production provinciale. De plus, elle est en concurrence avec le Comptoir de l’UCC. Dieu merci, cette lutte fratricide cessera en 1938 avec la fusion des deux organismes, les niveaux de la part du marché de la Fédérée revenant à leurs taux d’avant la crise.
Depuis le congrès de 1928, La Terre de chez nous était l’organe officiel de l’UCC (qui sera remplacée en 1972 par l’UPA, l’Union des producteurs agricoles). La Fédérée aura sa place dans les pages publicitaires du nouveau journal mais avec le temps, elle voudra son propre organe. C’est au début de 1948 que la Fédérée fait paraître le premier numéro du Coopérateur agricole, tout en conservant sa page d’information dans La Terre de chez nous.
Le nouveau mensuel n’avait pas loin de 10 000 abonnés. En plus de faire connaître les politiques générales de la Fédérée et de donner des nouvelles de ses différents services, il livrait à ses lecteurs des éclaircissements sur la doctrine coopérative, des informations d’ordre technique ou sur les conditions du marché des produits agricoles, des réflexions sur certains problèmes d’actualité, etc.
Dans son format actuel, Le Coopérateur agricole existe depuis plus de vingt-cinq ans. Il rejoint 20 000 abonnés, ce qui est encore loin derrière le tirage de La Terre de chez nous. Il est d’autant plus heureux de retrouver sur le site de la Fédérée des archives du magazine qui remontent à… 1999. Il y a certainement beaucoup d’articles plus anciens qui mériteraient d’être numérisés. Car le secteur agroalimentaire est de plus en plus un secteur chaud, ne serait-ce que par ses ramifications qui rejoignent la santé, l’environnement, l’économie, voire la politique.
Justement, si on fait une recherche sur les articles récents du directeur du Coopérateur, pour voir dans quel sens va sa pensée, on tombe sur plusieurs articles où Claude Lafleur prend position par rapport à nos grands voisins, les Américains. Voici un extrait de la rubrique «Tour d’horizon», de janvier 2001:
«…avec une bourse de 5 milliards de dollars, les Américains pourraient se payer l’actif de tous les transformateurs coopératifs et privés présents au Québec. Tous, sans exception. Et encore, il en resterait suffisamment pour acheter une bonne partie de la capacité productive de l’Ontario.
Chez nos voisins Américains, le phénomène de concentration semble sans limite. Les lois anti-monopoles américaines, pourtant très efficaces contre Microsoft et Bill Gates, semblent impuissantes lorsqu’il s’agit de civiliser le secteur agroalimentaire. Filière par filière, les quatre plus gros joueurs contrôlent 82% du bœuf, 75% du porc et 50% du poulet.»
source:
http://www.coopfed.qc.ca/Cooperateur/articles_archives/chroniques/Lafleur/lafleur_avr_01.htm
Quelques mois plus tard, dans la même rubrique (avril 2001):
«Smithfield Foods Inc.: le plus gros producteur de porc au monde. Le plus gros transformateur de viande porcine aussi […] la production annuelle de porc de cette seule entreprise est exactement le double de tout ce qui se fait au Québec! C’est 12% de la production américaine, ce qui n’est pas peu dire. À plein régime, ses usines de transformation et ses fermes porcines emploient près de 37 000 salariés. Pas mal pour une entreprise qui n’en avait que 5000 il y a à peine 10 ans.»
source:
http://www.coopfed.qc.ca/Cooperateur/articles_archives/chroniques/Lafleur/lafleur_jan_01.htm
Comment, dans ces conditions, la petite agriculture québécoise pourrait-elle avoir un avenir? Mais il ne s’agit pas uniquement d’elle… Saviez-vous qu’il y avait (en 2000) deux millions de fermes aux États-Unis, pour la majorité des fermes familiales, avec des revenus inférieurs à 50 000 dollars? Ces gens doivent souvent occuper un emploi à l’extérieur de la ferme pour joindre les deux bouts.
Étrangement, on retrouve la même situation chez nos voisins Ontariens, et si c’est différent au Québec, c’est justement à cause du large mouvement coopératif, de la puissance des organisations collectives au Québec:
«Les producteurs ontariens, en effet, souffrent terriblement de l’absence d’un syndicalisme agricole bien organisé, comme l’UPA, et d’un mouvement coopératif bien implanté comme le nôtre. Au Québec, le réseau coopératif occupe systématiquement le terrain, détenant souvent plus de la moitié des parts de marché. Leur seule présence est rassurante et sécurisante. À l’opposé, la grande fédération ontarienne des coopératives a fermé ses portes il y a dix ans, victime d’investissements douteux, d’une gestion déficiente et surtout de l’indifférence de ses membres. Résultat: les multinationales occupent maintenant toute la place, multipliant ici et là des contrats d’intégration, avec des conséquences désastreuses pour les fermes autonomes et familiales.»
source: http://www.coopfed.qc.ca/cooperateur/articles_archives/archives/juill_aout00/jui_aout00/p66_horizon.htm
Étrangement, c’est aussi cette désaffection, à laquelle le mouvement coopératif voulait mettre fin, dans les débuts de l’histoire de la Fédérée, qui faisait dire à notre historien que les fermiers avaient perdu leurs fermes par leur faute: «Bien qu’il y ait des exceptions, la quasi-totalité des quelque 300 coopératives paroissiales ou régionales fondées avant 1920 ont une existence éphémère. L’apathie des cultivateurs est en définitive la cause profonde de l’échec. Il faudra la crise de 1929 et l’action de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) pour venir à bout de l’individualisme et raviver la solidarité de la classe agricole». Souvent, ce n’est pas le travail qui manque mais l’argent, voire les liquidités car on peut être riche et ne pas avoir d’argent. Le mouvement coopératif a des avantages évidents de ce point de vue.
Mais on doit toujours compter avec les autres, et le mouvement coopératif lui-même doit s’ouvrir dans un monde qui bat à l’heure de la mondialisation. Selon le président actuel de la Fédérée, la mondialisation est là pour rester. Et la Fédérée aussi, avec ses 98 coopératives implantées un peu partout au Québec et tout récemment en Ontario (la Fédérée vient d’acquérir les actifs de AgriEst, une importante coopérative de l’Est ontarien): «La Fédérée demeurera le principal fournisseur de biens et services aux producteurs québécois. Je pense aussi qu’elle valorisera encore davantage les produits agricoles, qu’elle leur donnera une valeur ajoutée importante. Et ce sera une entreprise plus tournée sur les marchés extérieurs. Les ventes à l’étranger connaîtront une croissance significative.»
source : AGORA
http://agora.qc.ca/documents/cooperative–le_cooperateur_agricole_par_josette_lanteigne