Manifeste judéophile et islamophobe ou pure diversion ?

Le caractère manifestement islamophobe et judéophile des termes, des intentions et des figures des personnalités politico-médiatiques dénonçant «une épuration ethnique à bas bruit» pratiquée par les « islamistes radicaux » contre les bons citoyens juifs soulèvent quelques questions.

Les questions que nous soulevons ne cachent pas le caractère odieux de l’assassinat ou de la torture de onze juifs français par quelques musulmans français ou résidents en France. Elles ne se dressent pas contre la liberté, la légalité voire la légitimité de manifester ses opinions vraies ou fausses, de déclarer ses sentiments ou ses préjugés, d’afficher ses appartenances idéologiques ou religieuses. Les questions que nous soulevons manifestent notre liberté de pensée et notre devoir de clarification pour que ce qui ressemble à une vaste opération de communication ne soit pas vécue par la communauté la plus fragile de France comme une énième stigmatisation, une énième provocation, un énième amalgame, une sempiternelle diversion…

Les questions et les réponses à un problème factuel ou narratif ne doivent pas être prisonnier d’une imagination délirante et narcissique mise en scène et livrée à la consommation de masse pour fasciner, hypnotiser, leurrer, détourner, séduire, masquer.

Le problème, ses questions et ses réponses doivent répondre à :

  • La réalité (situation objective),
  • La vérité (se référer aux positions principielles les plus universelles ou aux affirmations catégoriques et explicites d’un texte sacré religieux ou profane fondateur d’une pensée ou d’une civilisation et non à des valeurs c’est-à-dire à des jugements, des interprétations et des opinions à portée limitée en termes de durée de temps, d’étendue d’espace)
  • Le contexte dans lequel se manifestent la réalité et la vérité pour s’imprimer dans la conscience humaine ou pour s’exprimer aux autres consciences.

Le contexte international :

L’échec en Syrie et la mise en évidence de plus en plus visible et de plus en plus crédible de l’implication occidentale dans la formation, le soutien et la manipulation des groupes terroristes nommés pour la « bonne cause » « islamistes » ou « djihadistes » impose de faire diversion.

L’impossibilité de cacher les manifestations des Palestiniens revendiquant toujours leur droit au retour avec détermination et conviction et la riposte sanglante et démesurée des forces d’occupation sioniste de la Palestine. A chaque agression sioniste et à chaque effort de résistance palestinienne le monde politico-médiatique vient apporter son soutien à l’entité sioniste et il n’échappe à personne la bataille qui veut confondre l’anti sionisme et le soutien à la résistance avec l’anti sémitisme. Le ridicule de qualifier un arabe d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient pourtant sémite que le juif d’Amérique, de France ou de Russie ne tue plus personne. Cette dérive « sémantique » porte préjudice aux Juifs eux-mêmes, mais eux aussi ils sont victimes des médias et du sionisme.

La réalité :

J’ai froid au dos et j’ai les limbes qui se transforment en morve lorsque je lis ce que les notables politico médiatiques français énoncent comme vérité sacrée :

«Les Français juifs ont 25 fois plus de risques d’être agressés que leurs concitoyens musulmans»,

«Dix pour cent des citoyens juifs d’Ile de France – c’est-à-dire environ 50 000 personnes – ont récemment été contraints de déménager parce qu’ils n’étaient plus en sécurité dans certaines cités et parce que leurs enfants ne pouvaient plus fréquenter l’école de la République»,

«Il s’agit d’une épuration ethnique à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau.»

Le crime et le criminel comme objet de préoccupation intellectuelle n’est pas un fait nouveau, ce qui est nouveau et absurde c’est de l’imputer médiatiquement à une race, à une religion, à une communauté sans apporter de preuves scientifiques et de témoignages vérifiables et incontestables. Le crime et le criminel sont des choses graves et sérieuses, ils relèvent de la compétence des criminologistes, des juristes, des psychologues, des psychiatres. Dans le passé il y a eu des dérives racistes ou des incompétences intellectuelles pour imputer le crime à une race. Aujourd’hui la théorie dominante veut que le crime relève de déviance de la personnalité individuelle ou de troubles pathologiques que les conditions sociales, politiques, économiques et psychologiques aiguisent ou atténuent. On a montré également que l’ignorance des lois et l’irresponsabilité sociale favorisent la délinquance et le crime.

Il est du droit des personnalités ayant signé le manifeste d’exprimer leur peur ou de manifester leur sympathie pour les Juifs et leur antipathie pour les musulmans, mais il est de leur responsabilité morale et citoyenne de ne pas s’embarquer sur un terrain aussi complexe que la sociologie et la psychologie du crime. En France il y a un homme extrêmement compétent en matière de criminologie, en l’occurrence Alain Bauer, professeur de criminologie appliquée au Conservatoire national des arts et métiers, consultant national et international en sécurité, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages sur la criminalité et le terrorisme, descendant de parents juifs. Il serait intéressant, même s’il ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique, d’écouter son avis sur les assertions infondées et floues du dit manifeste. Il serait intéressant, même si certains lui reprochent sa « proximité avec l’extrême droite » ou  sa « haine des musulmans » de voir comment il explique les connexions du crime organisé et les solutions à apporter à la criminalité au lieu de juger et de punir des communautés sans argument scientifiques, sans volonté d’apaiser et de « civiliser ». Il pourrait nous expliquer pourquoi les « islamistes radicaux » ont droit d’expression sur l’Internet pourtant surveillée, pourquoi ils parviennent à passer à l’acte alors qu’ils sont fichés et surveillés et surtout pourquoi la majorité des ces « radicaux islamisés » proviennent de la délinquance ou du crime organisé ?

La réalité que les forces de l’ordre connaissent est bien celle du nombre d’arabes, d’africains et d’étrangers assassinés en France. Objectivement aller sur ce terrain et établir des ratios est dangereux, car la plupart des crimes et des agressions ne peuvent être attribués au racisme ou à l’islamophobie. Par ailleurs les ratios ne peuvent rien signifier lorsque l’on sait que les effectifs des communautés sont incomparables, les conditions sociales des communautés sont incomparables.

A titre d’illustration de la lutte idéologique et médiatique du manifeste et de ses affirmations fallacieuses comme celle-ci :  «Dix pour cent des citoyens juifs d’Ile de France – c’est-à-dire environ 50 000 personnes – ont récemment été contraints de déménager parce qu’ils n’étaient plus en sécurité dans certaines cités et parce que leurs enfants ne pouvaient plus fréquenter l’école de la République». Tous les gens sensés des HLM, de la sociologie, de l’administration régionale et communale, de la démographie, de la géographie savent qu’il y a un processus d’infiltration et d’exfiltration communautaire dans les cités, les écoles, les lieux de travail par l’écrémage et la ségrégation du fait des conditions sociales, du communautarisme passif (celui mené par les politiques sociales et économiques en échec d’intégration et en confusion  sur le droit à la différence qui créé de la diversité et l’obligation d’indifférenciation qui multiplie les variétés dans les mêmes moules sociaux, politiques et médiatiques cultivant le même unanimisme et le même immobilisme). Il n’y a pas que les seuls Juifs qui ont déserté les « quartiers et les écoles de quartiers », mais tous les « européens » qui ont les moyens de partir et une minorité d’arabes et d’africains qui sont parvenus à une « intégration sociale » par le revenu.

L’autre réalité qui n’échappe à personne est le nombre de musulmans et d’arabes tués par le terrorisme « islamique ». Il ne s’agit pas de « onze » personnes, mais de millions de personnes en Irak, en Syrie, en Afghanistan depuis peu. Si nous devons comptabiliser les tués par la cupidité et la voracité des prédateurs occidentaux dans le monde il s’agit de centaines de millions. On s’interroge donc sur les mobiles des signataires du Manifeste contre l’antisémitisme lorsque l’un des signataires les plus influents et les plus prestigieux a mis à feu et à sang la Libye pour spolier ses richesses, punir les peuples qui résistent à l’ordre impérial et sioniste.

L’horreur de la réalité du Manifeste est exprimée par le journaliste Claude Askolovitch, qui dans les colonnes du site Slate, dit qu’il s’agit d’ «Une mise en accusation des musulmans de ce pays, réputés étrangers à une véritable identité française, sauf à renoncer à leur dignité». Il conteste la quintessence du message qui : «fait de la lutte pour les juifs une composante du combat identitaire français, et cette identité exclut.» Il en déduit que ce texte induit que «la défense du juif implique le refus de l’islam ».

Le politico-médiatique français n’a toujours pas compris que l’échec de l’esprit français en Algérie et son idéologie colonisatrice est dû principalement à sa stupide stratégie de monter le Juif contre le Musulman, le Berbère contre l’Arabe, l’assimilé contre l’indigène…

L’autre réalité est celle de la fiction d’un Islam français à opposer à l’Islam pour civiliser le monde. Les Américains veulent une OTAN arabe qui combat les arabes, les africains et les asiatiques pour le compte de l’empire au nom d’une certaine idée (fausse) de l’Islam. Ils fondent leur fiction sur la vassalité, la terreur ou la corruption des gouvernants arabes.  Les Français, forts de leur culture et de leur intelligence, veulent mieux faire : fabriquer un Islam français puis l’exporter comme on exporte une voiture ou des pommes de terre. Les uns et les autres se croient les dépositaires légaux de l’humanité et de l’universel.

«… que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés de caducité par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémitisme catholique aboli par [le concile] Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime».

«Nous attendons de l’islam de France qu’il ouvre la voie»

L’Islam au service des appétits impérialistes et de l’hégémonie culturelle de l’Occident athée et matérialiste nous l’avons vu en œuvre en terres d’Islam et nous avons vu ses bouffons en France. Il faut d’abord tenter de judaïser les Juifs et de christianiser les Chrétiens que vous connaissez mieux que les musulmans que vous voulez islamiser à la mode de Vatican II. Le manifeste pro sioniste et pro Netanyhou dans son contexte est dans sa réalité intrinsèque une référence à Vatican II pour une raison stratégique : la lutte idéologique.

Le Concile Vatican II (1962-1965) est une référence majeure sur le plan géopolitique : il déclare la guerre contre l’Islam jugé unique et solide rempart culturel, moral et spirituel à l’évangélisation de la planète. Pour s’attaquer à ce rempart Vatican II va réhabiliter les Juifs du meurtre de Jésus, ouvrir les passerelles vers l’Église orthodoxe d’Orient et de Russie, unifier les slaves contre l’union soviétique, considérer les musulmans comme sans Dieu, sans Livre et sans Prophète, considérer l’Islam comme une religion asiatique à l’image du bouddhisme, une spiritualité en retrait du monde… Contre la dialectique de l’existence qui refuse le monopole et le pouvoir unique Vatican II est en harmonie avec l’hégémonie impériale qui ne reconnait pas la diversité et la multipolarité. Le Vatican II est en harmonie avec le matérialisme impérialiste : l’Évangile, parole de Jésus d’inspiration divine est reconnu comme écriture humaine. Le Vatican II correspond à l’esprit de la post modernité : ni Dieu, ni centre, mais pouvoir temporel absolu et sans partage aux mains des communicants ( du nouvel ordre mondial). Le Vatican II est l’instrument de lutte idéologique le plus redoutable : il enlève à l’Islam son caractère divin et ferme la porte à un des messages les plus forts du Coran : les falsifications des écritures saintes et les crimes contre l’homme par les élites intellectuelles et politiques des Juifs et des Chrétiens qui instrumentalisaient la religion à des fins mondaines. Il évangélise les Chrétiens dans le sens où il les fait entrer massivement dans le giron de l’Église et enfin il leur demande de se désolidariser de la Palestine léguée aux Juifs qui ont le droit de la vider de ses occupants arabes et musulmans. Les Églises orthodoxes de Palestine, de Syrie, d’Irak et du Liban ont refusé cette reconnaissance. J’ai traduit et publié des textes sur l’arabité des chrétiens et leur attachement à la cause palestinienne. J’ai écrit sur le pape Benoit XVI, sur la visite d’Obama au Caire, sur les croisades : on trouve la même stratégie et la même communication : enlever aux indigènes leur droit à la patrie et former une élite musulmane médiocre et méprisable au service de l’envahisseur. La colonisation, l’évangélisation et l’Empire ne sont pas encore liquidés. Il y aura toujours des voix et des voies pour leur expression et leur désir de conquête et de vassalisation.

Le contexte national : La crise sociale, la crise civilisationnelle, la crise économique, les retombées de l’agression contre la Libye mettent à mal la cohésion politique et médiatique ainsi que sa crédibilité. La diversion et le spectacle sont des armes de manipulation de l’opinion et de désinformation.

Dans ce contexte international et national d’exaspération et de crise tout crime relevant du droit commun et inacceptable sur le plan de l’éthique et de la morale est instrumentalisé à des fins idéologiques et politico militaires. On confisque à la Justice, à la Police et à la conscience humaine leur devoir de questeur de vérité et de réalité. Lorsque le Manifeste dit «Nous demandons que la lutte contre cette faillite démocratique qu’est l’antisémitisme devienne cause nationale avant qu’il ne soit trop tard, avant que la France ne soit plus la France» nous disons que ce n’est pas ainsi que l’idéal républicain et démocratique sera restauré ou promu. On ne peut ni promouvoir ni partager ce qui est confisqué ou pris en otage.

« Une civilisation démocratique ne pourra se sauver que si elle fait du langage de l’image un stimulant pour la réflexion critique, pas une invitation à l’hypnose ». Umberto Eco

J’ai largement abordé ce thème dans l’article : Je suis une image ( https://liberation-opprimes.net/je-suis-une-image/ ). Je suis heureux de constater que malgré la désinformation il y a toujours des honnêtes gens qui osent dire “ne parlez pas en notre nom” et ne travestissez pas la vérité. Voir l’article «Mise en accusation des musulmans» ? Des voix dénoncent la tribune contre le «nouvel antisémitisme» ( https://francais.rt.com/france/50093-voix-denoncent-tribune-contre-nouvel-antisemitisme )

La vérité : La négation de l’Islam et la stigmatisation des musulmans s’imaginent occulter la vérité en déclarant :

« que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés de caducité par les autorités théologiques »

Il ne s’agit pas de vérité mais de syllogisme fallacieux :

1 – Sur un plan procédurier il n’appartient pas à l’accusé d’un délit ou d’un crime de défendre mon innocence, mais il appartient à ses accusateurs d’apporter leurs preuves et leurs arguments sur sa criminalité et les incitations aux crimes de sa religion, de son idéologie.

2 – Pour l’instant ils ne produisent qu’une doxa politico médiatique qui se veut casuistique docte. La casuistique se fonde sur le principe général pour juger du particulier alors qu’ici on émet une opinion infondée et ignare pour donner l’illusion de juger le principe général (le Coran) à partir du singulier (le musulman déviant et agressif). On ne peut raisonnablement imputer au Coran et aux musulmans qui peuplent la planète les malheurs qui s’abattent sur les Juifs et les Chrétiens et se taire sur les agissements d’une secte ou d’une monarchie incitant à la haine et au crime. Il est facile de se taire sur les agissements du corrupteur et de pourfendre le faible et le sans voix.

3 – Sur le plan logique, abstraction de la réalité et de la véracité, on ne peut demander à une autorité religieuse de frapper de caducité une partie ou l’ensemble de sa référence religieuse ou doctrinale à moins qu’elle ne soit déjà dans un processus de remise en cause de ses fondamentaux ou qu’elle ne soit dans une position de vassalisation telle que le reniement identitaire et religieux ne peut être évité. Les seules autorités religieuses qui sont capables de ce reniement sont celles de l’Arabie saoudite, car elles sont inféodées à la rente et au pouvoir du sultan. Les seules autorités religieuses qui sont capables de ce reniement sont celles sur qui pèsent l’accusation de terrorisme ou d’incitation au terrorisme et qui ont contribué à l’effort de guerre occidental contre la Libye et la Syrie par leurs moratoires criminels. Les renversements idéologiques et culturels en Arabie saoudite annoncent le néo wahhabisme ouvertement sionisant ou une guerre civile entre les libéraux et les archaïques.

4 – Les Occidentaux les plus éclairés et les plus honnêtes se laissent piéger par la doxa des savants et prédicateurs musulmans ou par celle des orientalistes. Les trois grands empires musulmans, les Omeyades, les Abbassides et les Ottomans ont légué aux musulmans et aux occidentaux une culture d’empire avec ses moratoires religieux pour justifier les colonisations ou pour contrer les envahisseurs étrangers dans une époque de confrontation politique et militaire. Le religieux a été instrumentalisé à des fins politiques et historiques. On peut leur trouver une justification ou une explication comme on peut les réfuter et les critiquer cela fait partie de la pensée humaine sur la politique, les relations internationales, l’histoire, l’économique, la géographie et la sociologie. L’immobilisme et la décadence musulmane ont érigé, à tort, le patrimoine historique et le fait coutumier d’une époque singulière ou d’une géographie  particulière en dogmes religieux inviolables. La conjugaison de la tyrannie politique dans le monde musulman, de sa paresse intellectuelle et du son mimétisme religieux des Juifs et des Chrétiens a gommé le sens coranique et son caractère universel. La colonisation a accentué ce gommage en aiguisant le refus du colonisateur non seulement en sa qualité idéologique et militaire mais en sa qualité humaine et dans ses valeurs morales et sociales.

Aussi les musulmans conscients et responsables doivent prendre leurs legs religieux avec esprit critique en puisant directement dans la source du Coran et dans le comportement du Prophète (saws) pour témoigner de la vérité et vivre dans leur réalité. Ils ne doivent pas continuer à vivre en marge du monde comme des reclus ou des bannis ou des accusés qui réagissent sans peser sur leur destin et celui des autres humains. Ils doivent mettre fin au mythe du musulman parfait car l’Islam est parfait qui les rend incapables de se prendre en charge dans un monde en mouvement et dont le mouvement est alimenté par la dialectique des crises. Pour ne plus être objet de manipulation nous devons agir comme acteur avec nos moyens et nos ressources pour nous libérer de l’oppression et de l’humiliation dans ce monde et dans l’autre.

Plusieurs voies s’offrent à nous, pour ma part j’en voie quatre  :

  1. Régler le sens de l’allégeance et de l’appartenance. Pour l’homme cultivé et intelligent, conscient et responsable de sa vie sur terre, les sphères, registres et niveaux d’allégeance et d’appartenance sont relatifs, non exclusifs. Nous pouvons les concevoir et les vivre sans contradiction, sans schizophrénie et sans anarchie si nous parvenons à les définir, à les délimiter et à les agencer dans des priorités. Sur ce terrain les Juifs ont réglé leurs problèmes. Athées ou croyants, communs ou élite, ils parviennent à vivre en harmonie et à faire front en bloc à l’adversité sans bruits et avec efficacité. Toutes les communautés humaines en minorité, par la loi de l’adaptation et du changement parviennent à trouver leurs marques et à vivre au sein des autres respectés et respectueux.
  2. Comprendre le rapport des forces. Nous vivons dans un pays où la charité répond à des impératifs politiques et idéologiques, mais où aussi le respect accordé et la voix permise sont fonction du poids électoral, social, politique, médiatique, culturel et économique. Pour des raisons historiques nous sommes absents sur ces terrains et nous ne pesons rien dans le rapport des forces. Le minimum requis, même si la démocratie est dévoyée par les médias, est de participer efficacement et massivement. Il ne s’agit pas d’un vote communautariste, mais d’un vote citoyen donc utile pour la vie sociale et économique du citoyen, utile pour les libertés fondamentales, utile pour la justice, utile pour la paix. Le Halal et le Haram ont été définis d’une manière explicite par le Coran, il serait vain d’en faire des masques pour cacher notre indigence et notre paresse. On peut décider de s’abstenir de voter par acte politique et c’est un choix respectable. Le faire par motif religieux est une ignorance de la religion et une inféodation à une secte ou une allégeance à un pays étranger.
  3. S’approprier le savoir et la connaissance. En qualité de musulman je me dois de connaitre un minimum du Coran pour vivre apaisé, libre et responsable. En qualité de citoyen ou de résident je me dois de connaitre un minimum de la culture, de la géographie et de l’histoire du peuple ou de la communauté avec qui je partage le temps et le lieu de vie.
  4. Réclamer pour nous et pour les autres la liberté et le droit à la différence. Il ne s’agit pas dans nos rapports avec les autres, musulmans ou non musulmans, de nous focaliser sur les questions d’exégèse ou de rite, mais de liberté, de responsabilité, de savoir, de dignité humaine. Nous ne pouvons inviter à la foi que par notre pratique quotidienne de la vertu. Nous devons penser, dire et agir en termes de liberté et de responsabilité. Tous les énoncés coraniques où il est question de châtiment divin ou de Jihad (lutte ou plus précisément effort sur soi) ont pour vocation la défense de la liberté et de l’expression plurielle. Seul Dieu est Un, Immuable, Absolu et Parfait avec pour corollaire tout ce qui n’est pas Dieu est divers et varié, changeant, relatif et imparfait. Nos réponses et nos positions en matière de liberté et de droit à la différence ne peuvent être tactiques, conjoncturelles ou superficielles : elles découlent du credo de notre foi monothéiste.
    Tous les Prophètes autorisés à prendre les armes et tous les châtiments venant du ciel répondent au seul impératif de défendre la liberté et de refuser le monopole y compris en matière de conscience et de pensée. L’ordre coranique de tuer les Juifs n’est pas un ordre arbitraire, inique et raciste que donnerait un tyran judéophobe contre tous les juifs pour leur race ou leur religion, mais la suite logique et historique qui a été réservée à une tribu juive qui a trahi le pacte de non-agression établi avec le Messager Mohamed (saws), qui a comploté avec les Arabes oppresseurs et qui a tué les émissaires de paix envoyé vers eux par le Prophète. Contre les traitres et les transgresseurs ce ne fut pas la loi coranique qui a été appliquée, mais la loi mosaïque dure et impitoyable. Le peuple de Sodome et Gomorrhe (peuple de Loth) n’a pas été exterminé, comme le disent la Bible et certains imitateurs musulmans pour ses méfaits moraux (homosexualité), mais pour son refus de la différence de Loth qui ne pratiquait pas l’homosexualité et qui risquait l’expulsion de la cité. Il en fut de même pour le peuple de Salah dont les élites ont confisqué les terres et l’eau pour le profit exclusif des nantis. Il en fut de même pour le peuple de Choaib dont le peuple a été exterminé pour le monopole du commerce et l’usage frauduleux des instruments de pesage et de mesure. David a combattu les envahisseurs tyranniques (jabbarines). Résister à un ordre inique et lutter pour sa liberté et celle des autres y compris pour la préservation de leurs lieux de culte et de leurs temples est un principe coranique universel que pratiquent tous les hommes épris de liberté et de justice. C’est ce que nous voyons en Palestine et ailleurs dans le monde. Le châtiment divin frappe aussi tous les hommes et tous les pouvoirs qui ont une dérive démiurge comme Pharaon.

Au lieu de verser dans des formulations infondées et tendancieuses, les signataires du Manifeste auraient trouvé plus d’écho et meilleur écoute s’il n’avait pas reproduit une fois de plus le monopole de la souffrance du peuple juif comme si les autres peuples n’ont pas de souffrance, comme si les Juifs de France ne sont pas confrontés aux mêmes problèmes que les autres français. Le moment et les propos du manifeste du nouvel antisémitisme mettent l’accent sur les clivages et les haines et à ce titre ils ne servent ni les intérêts de la République ni ceux de la Démocratie ni ceux de la Liberté ni ceux de l’impartialité et de la neutralité de la Justice.

Les défenseurs laïcistes de la République et les pourfendeurs islamistes de la République tombent dans le même travers psittaciste qui consiste à répéter inlassablement, comme des perroquets savants, le même discours alors que la réalité, la vérité et le contexte les contredisent. Selon l’expression de Malek Benabi le côté pile et le côté face de la même fausse monnaie intellectuelle peuvent représenter deux figures différentes, mais représenter le même symbole de l’échange ou de l’accord. Ces termes de l’échange ou de l’accord nous les avons vu et nous les continuons de les voir dans les agissements des terroristes pseudo islamistes qui terrorisent les populations musulmanes, mais qui ne mènent aucune attaque verbale ou physique contre l’occupant sioniste. Les uns et les autres pratiquent l’art de la diversion dans leur propre camp et avec leurs propres rhétoriques. En France les élites musulmanes participent au même psittacisme : bavarder et se disputer des rentes de positions sociales ou intellectuelles alors qu’aucune action sérieuse de pédagogie ou d’édification civilisationnelle (fondations caritatives, institut de formation, magazine, édition …) n’a été entreprise.

Conclusion :

La loi coranique suprême stipule que

« Quiconque attente, sans droit, à la vie d’un homme c’est comme s’il avait attenté sur l’humanité entière« .

Cette loi est universelle. L’unique dérogation est le droit de défendre la vie ou la liberté lorsqu’elles sont menacées ou bafouées. Le seul droit est celui de la légitime défense, celui de la résistance contre n envahisseur, celui de la lutte contre un oppresseur usant de violence ou celui d’un acte de justice rendu par un tribunal légal et constitué qui accorde au justiciable toutes les garanties pour se défendre ou d’être défendu. En matière de justice, le Coran autorise la peine de mort comme hadd c’est à dire limite supérieure qu’il ne faut pas transgresser et il recommande le pardon et la remise de peine s’il y a repentir. Le fanatique qui tue au nom de Dieu ou de la religion est un criminel qui doit répondre de ses actes devant un tribunal et nul autre que lui ne doit porter le fardeau de son crime. Le fanatique qui impute à quelqu’un la responsabilité du crime commis par un autre est criminel lui aussi car son faux témoignage peut conduire au meurtre et à l’iniquité envers un homme ou une communauté d’hommes. Celui qui parvient à me prouver que le Coran dit le contraire je m’engage à échanger ma foi contre la sienne et à faire du sionisme l’amour de ma vie.

Caricatures et lutte idéologique

Suite aux caricatures et au film blasphématoire sur le Prophète [saw] j’ai publié deux articles suivants où il était question de lutte idéologique :

Notre devoir envers Mohamed (saws)

Caricature et islamophobie

[C]es articles ont  traité tant  de l’explication de la haine envers le Prophète [saw] que de la conduite  à adopter face à cette haine et à la réaction qu’elle entraine  dans une machination diabolique contre l’Islam orchestrée par une main de maitre satanique qui mène une guerre idéologique, médiatique, subversive, psychologique et militaire contre l’Islam. Il est de mon devoir de vous  montrer l’autre aspect idéologique de la campagne contre le Prophète (saws) ainsi que l’aspect de cette lutte idéologique contre mes écrits et ma pensée libre et autonome.

Précisons tout d’abord que  la guerre psychologique vise à faire douter son adversaire, à faire douter les alliés de cet adversaire sur sa compétence à vaincre ou à résister, et à inspirer la peur, le désarroi, la confusion et la rumeur à cet adversaire et à ses alliés appelés à s’incliner devant la puissance exagérée. Il s’agit d’un procédé de menaces et d’intimidation  pour saper les forces morales, psychoaffectives et spirituelles qui sont décisives dans un affrontement.

Précisons que si la guerre psychologique joue sur l’aspect subjectif, la lutte idéologique joue sur le mode et la manière du  raisonnement pour  détruire le discours et les idées de son adversaire. Elle va shunter les arguments et le discours en  faisant valoir d’autres idées, d’autres personnes pour occulter l’auteur, ou en donnant d’autres intentions à l’auteur et surtout à créer un autre champ d’intérêt opposé à celui de l’auteur  pour ne pas réfléchir aux problèmes ou adhérer aux solutions et aux analyses de l’auteur lorsqu’il est jugé sérieux, crédible et percutant.

Je vous explique le lien entre les caricatures contre le Prophète et la lutte idéologique  en faisant de la situation actuelle un cas d’école pour que vous restiez vigilants sur votre avenir qui est en train de se jouer dans les coulisses:

A – L’appel au meurtre du verset : « Crevez de rage » ?

Des non musulmans d’origine européenne et d’origine arabe  me reprochent d’être raciste et violent en énonçant le verset : « Crevez de rage ! ».

L’astuce est de me pousser à faire comme les « pygmalions » ces intellectuels arabes de services qui détournent et contournent le sens  des versets coraniques pour rester « aimés » et tolérés dans les médias. A tous je dis qu’il ne m’appartient pas de prononcer des opinions qui plaisent aux uns et  qui fâchent les autres. Mon devoir est de me taire lorsque je n’ai pas d’arguments et de dire « Crevez de rage ! » lorsque je trouve l’argument dans le Coran qui me permet de donner la réponse coranique dans les limites de ma compréhension et de ma mémoire aux caricatures.

« Crevez de rage ! » est pourtant la meilleure réponse qui soit lorsqu’on vous insulte et que vous restez au dessus de l’insulte par la magnanimité et le refus de la violence sans s’incliner devant l’intimidation et les menaces. Elle n’est pas un appel au meurtre. Le Coran n’est pas une parole humaine et ses arguments sont clairs,  concis et  hautement significatif sur le plan sémantique, lexical ou symbolique et métaphorique.  Je mets donc en défi les détracteurs qui font diversion de me trouver une définition dans une encyclopédie ou dans un dictionnaire français prouvant  que cette expression est un appel au meurtre.

Elle ne signifie pas autre chose que « mourrez par cotre colère, votre passion ». On dit aussi « crevez de jalousie ». L’envieux, le haineux et le blasphémateur sont condamnés à mourir par leur maladie du cœur : « crever= mourir comme un pneu crevé, comme un être enflé de colère et de haine qui crève comme une baudruche, crever de rage = être près de mourir de colère en se vidant ou en explosant de l’intérieur »

La littérature française est remplie de ce type de citations comme celle d’Emile Michel Cioran « Si tu ne veux pas crever de rage, laisse ta mémoire tranquille, abstiens-toi d’y fouiller. »

 B – L’appel au meurtre des Chrétiens d’Orient

On me reproche de ne pas condamner l’appel au meurtre des Chrétiens dans les pays musulmans. Je me suis déjà prononcé sur ce sujet dans plusieurs  de mes analyses en montrant le lien de l’Islamophobie avec la volonté de la CIA et du Vatican de laisser les Chrétiens d’Orient se faire massacrer par quelques  « Musulmans » sectaires et stupides qu’ils ont eux même manipulés et financés. La « guerre contre les Chrétiens » est une forme de sanction idéologique contre leur attachement à l’arabité et leur soutien à la Palestine. C’est une sanction politique et géostratégique   car ils ne se reconnaissent pas dans l’Occident judéo-chrétien ni dans sa laïcité ni dans Église de Rome. C’est une démarche qui vient aiguiser les contradictions  confessionnelles en Orient ou se substituer aux discordes sunnites chiites et aux luttes intestines dans les deux clans.

J’ai dénoncé  la faute grave du régime syrien de laisser les Chrétiens prendre les armes contre les « islamistes » otanesques et les Takfiristes, car cela met de l’huile dans le feu et fait le jeu de la stratégie de l’axe sionisme-Empire- monarchies arabes vassales.  Le Sykes-Picot bis ne va reculer devant rien pour assoir l’hégémonie sioniste et empêcher l’effondrement de l’Empire.

C – L’Islam religion de haine et de violence

On me reproche mon parti pris en faveur de l’Islam qui prend une forme de fanatisme qui dévie vers la violence. En vérité c’est la stratégie de la lutte idéologique qui crée de la diversion. Ainsi au lieu de prendre position contre le blasphème institutionnalisé et ses visées idéologiques islamophobes et devant l’incapacité à répondre à mes arguments  sur l’islamophobie et sa machination diabolique, on me pousse  dans un débat secondaire où il faut se défendre au lieu de défendre l’image de son Prophète. C’est astucieux, mais archaïque comme démarche.  Je continue à défendre l’image du Prophète en défendant les valeurs et le contenu de l’Islam par la mise en exergue des points suivants :

 1 – La contrainte religieuse :

La meilleure preuve de sa fausseté est la présence des Juifs et des Chrétiens au sein de la civilisation musulmane qui non seulement ne les as pas obligé à renier leur religion, mais les a honoré  en faisant de la protection du citoyen non musulman en terres d’Islam un principe sacré :

{Celui qui a tué un homme (sans droit ni justice) c’est comme s’il avait tué l’humanité entière, mais celui qui sauve la vie d’un homme c’est comme s’il avait sauvé la vie de l’humanité entière} Al Maidah 32

Le Messager d’Allah [saw] a dit :

« Je plaiderai moi-même le jour de la résurrection contre celui qui opprime une personne qui a conclue un pacte (avec les musulmans), le dénigre, le contraint à faire ce qui est au-delà de ses capacités ou lui prend une chose sans son accord. »

« Celui qui tue une personne qui a conclu un pacte avec les musulmans (Mou’âhad) ne sentira pas l’odeur du paradis, alors que son odeur est sentie d’une distance équivalente à quarante années. »

« Que n’importe quelle personne qui promet la protection à une autre personne puis la tue, sache que je la désavoue, même si la victime est  un mécréant. »

Si une minorité de fanatiques  « musulmans » appelle au meurtre des Chrétiens ou des Juifs, il faut savoir que cette minorité de fanatiques a commencé d’abord par verser le sang des Musulmans et par conséquent elle ne représente ni l’Islam ni les Musulmans. Nous avons un contentieux religieux avec les Juifs et les Chrétiens et nous les désavouons. Sur ce plan Allah jugera entre nous le Jour où le Messie fils de Marie redescendra sur terre pour y faire régner l’ordre, la justice et la vérité.  Il jugera entre nous le Jour du Jugement dernier.

La vérité historique témoigne que les Juifs et les Chrétiens non seulement n’ont jamais été persécutés par les Musulmans, mais ils ont joui de statut privilégié, occupant des postes de haute distinction et surtout ayant la liberté de culte et  de recours à des juridictions indépendantes qui arbitrent selon la loi mosaïque ou chrétienne lorsqu’ils ne veulent pas être jugés par un juge musulman  ou un tribunal musulman en matière de droit privé et de droit familial.

Celui qui met en situation de danger de mort les Chrétiens et les Juifs ce sont les médias et les armées de l’Empire, du sionisme et du Vatican.

2 – Au sujet de la liberté de culte

Il ne s’agit ni de mon opinion ni de ma culture, mais de l’ordre qu’Allah [swt] a chargé son Prophète (saw] d’exécuter :

{Nulle contrainte en religion. Le sensé s’est distingué de l’insensé.} Al Baqarah 256

{Et dit : « La Vérité procède de votre Dieu. Que celui donc qui veut qu’il devienne croyant et celui qui veut qu’il devienne mécréant ».} Al Kahf 29

{Si ton Dieu voulait, tous ceux qui sont sur la terre, dans leur totalité, seraient devenus croyants. Est-ce toi alors qui vas forcer les hommes à être croyants ?      Et il n’appartient à nul être de croire sauf par la Volonté d’Allah} Younes 99

{Appelle à la Cause de ton Dieu par la sagesse et la bienveillante exhortation, et discute avec eux de la façon la meilleure.} An Nahl 125

{Si donc ils se détournent, Nous ne t’avons point envoyé pour eux comme conservateur : il ne t’incombe que la transmission.} Choura 48

L’énoncé coranique prime sur tout énoncé, y compris sur ceux de nos savants, de nos intellectuels et de nos extrémistes ou de nos laxistes.

  3 – Au sujet  du Jihad et de la guerre sainte :

A partir de la propagande médiatique et de l’incompétence de certains traducteurs les illettrés en Arabe  se retrouvent face à trois  faussetés qui vont contaminer leur connaissance  sur l’Islam et leur regard sur les Musulmans :

a – Le mot  Jihad traduit  par guerre. La signification véritable du terme  « Jihad » vient du verbe Jahada qui signifie déployer tout ses efforts en vue de …  Il est différent de « Qatala » qui signifie combattre avec les armes.  Tout combat est une forme de Jihad, mais tout Jihad n’est pas obligatoire une lutte guerrière ou un combat militaire. Personnellement je traduis le terme « Jahidou » par « efforcer-vous » et non pas « luttez ». Le Coran marque  la distinction entre le « Qital » et le « Jihad »

b – Le terme de guerre sainte. Le terme sacré qui donne à une chose son caractère saint  n’existe pas pour la guerre ni dans le Coran ni dans le Hadith. C’est également une mauvaise traduction des orientalistes français qui ont volontairement  donné  au terme « Jihad » le sens de « guerre sainte ». En Islam le sacré  se porte sur la vie, les biens, la religion, l’honneur et  la dignité de l’homme, ainsi que sur  les lieux saints et les temps bénis. Il n’y a pas de guerre sainte et de guerre sacrilège, mais guerre légitime et guerre illégitime. Si c’est une agression ou une transgression la guerre est moralement et religieusement une guerre illégitime contre laquelle il faut opposer une résistance.  Porter atteinte à l’image de notre Prophète [saw] est une déclaration de guerre illégitime que nous devons combattre en dépit des censeurs et des négateurs. Toute riposte à une agression est une guerre légitime que les Musulmans et les chrétiens vivant en terre musulmane sont censés soutenir, car toute collaboration et toute  permissivité avec l’agresseur est une trahison qu’ ’il faut punir.

Je n’ai pas d’opinion personnelle sur ce sujet et je ne fais que répéter ce que dit notre religion qui n’attend pas de moi la surenchère, mais l’obéissance scrupuleuse :

{Quiconque alors vous agresse, agressez-le dans la mesure de son agression contre vous.} Al Baqarah 194

{Certes, Allah prend la défense de ceux qui sont devenus  croyants. Certes, Allah n’aime pas celui qui persiste dans la traîtrise, qui persiste dans la mécréance. Il a été permis à ceux qui sont combattus, de se défendre, en raison de l’injustice qu’ils ont subie. Certes, pour leur donner victoire, Allah Est sûrement Omnipuissant. Ceux qui furent expulsés de leurs demeures sans aucune juste cause, rien que pour avoir dit : « Notre Dieu Est Allah ».} Al Hadj 39

c – « Tuez-les ». La lutte idéologique consiste à recourir à l’art de tronquer les paroles ou de les amalgamer pour les détourner de leur sens et de leur portée.  Ainsi on trouve les mêmes arguments tant chez les musulmans spécialistes de l’anathème que des non musulmans spécialistes du dénigrement :

{Et tuez-les là où vous les saisissez, expulsez-les}

Ce verset « terrifiant et  arbitraire » qu’on met en évidence pour témoigner  de la violence atavique des musulmans prend une autre signification lorsqu’il est inséré dans la globalité de son énoncé qui n’a pas besoin de  docteur en théologie ou en linguistique pour être compris  et mis en application :

{Combattez, pour la cause d’Allah, ceux qui vous combattent et n’agressez point, car Allah n’aime point les agresseurs. Et tuez-les, là où vous les saisissez, expulsez-les de là où ils vous ont expulsés : la sédition est pire que le meurtre. Ne les combattez pas auprès de la Mosquée Sacrée à moins qu’ils ne vous y combattent. Si alors ils vous combattent, alors tuez-les. Telle est la punition des mécréants. S’ils s’arrêtent, alors Allah est Absoluteur, Miséricordieux. Sinon combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition et que la Religion soit pour Allah. S’ils s’arrêtent,  alors pas d’agression, sauf contre les injustes.} Al Baqarah 190 à 193

Dans la guerre qui lui a été imposée pour l’empêcher d’exercer son droit et son devoir de prédicateur, Mohamed [saw] n’a jamais aimé la guerre. Toutes ses batailles étaient courtes, économes en vie humaines et en temps. Il a enseigné à ses compagnons la patience et le refus d’être les premiers à ouvrir les hostilités :

« O gens ! Ne souhaitez pas la rencontre de l’ennemi et demander à dieu le salut. Mais une fois en face de lui, montrez-vous patients et sachez que le Paradis est à l’ombre des sabres »

4 – La signification du rapport Musulman et reste du monde :

Les experts en amalgame et troncature aiment citer ces versets :

{Allah vous interdit de prendre comme tuteurs…}

{Quiconque les prend comme protecteurs, ceux-là alors sont les injustes.}

Si on les replace dans leur contexte ils prennent alors une tout autre signification :

{Allah ne vous interdit pas – envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour votre religion, et ne vous ont pas chassés de vos demeures, – d’être bienfaisants et équitables envers eux. Certes, Allah aime ceux qui sont équitables. Mais Allah vous interdit de prendre comme tuteurs ceux qui vous ont combattus pour votre religion, qui vous ont chassé  de vos demeures, et qui ont aidé à vous expulser. Quiconque les prend comme protecteurs, ceux-là alors sont les injustes.} Al Mumtahana 8-9

 D – Terreur du Coran  et terrorisme islamique :

De la même façon que pour le Qital les orientalistes ont donné un sens littéral « terroriser, terreur, terrorisme, vous terrorisez » aux termes Rahaba (رهب ), Irhab (ارهاب  ), rohb (الرُهب ) tourhiboun (تٌرهِبُون )

Ainsi  l’énoncé coranique suivant

وَأَعِدُّواْ لَهُمْ مَّا ٱسْتَطَعْتُمْ مِّن قُوَّةٍ وَمِن رِّبَاطِ ٱلْخَيْلِ تُرْهِبُونَ بِهِ عَدْوَّ ٱللَّهِ وَعَدُوَّكُمْ

Est traduit par :

{Et préparez-leur tout ce que vous pouvez comme forces et cavalerie afin que vous terrorisiez l’ennemi d’Allah et votre ennemi} ( ?)

Nous allons recourir à quatre  exemples pour donner  un sens plus précis à l’énoncé coranique et lui trouver une traduction qui sied à son sens sans chercher à être complaisant  envers les uns ni être déplaisant envers les autres.

  • 1 – Le premier exemple se rapporte aux  versets suivants :

يَٰبَنِي إِسْرَائِيلَ ٱذْكُرُواْ نِعْمَتِيَ ٱلَّتِي أَنْعَمْتُ عَلَيْكُمْ وَأَوْفُواْ بِعَهْدِيۤ أُوفِ بِعَهْدِكُمْ وَإِيَّٰيَ فَٱرْهَبُونِ  وَآمِنُواْ بِمَآ أَنزَلْتُ مُصَدِّقاً لِّمَا مَعَكُمْ وَلاَ تَكُونُوۤاْ أَوَّلَ كَافِرٍ بِهِ وَلاَ تَشْتَرُواْ بِآيَٰتِي ثَمَناً قَلِيلاً وَإِيَّٰيَ فَٱتَّقُونِ

{C’est Moi que vous devez craindre} ( ?)

{C’est de Moi que vous devez être terrorisé} ( ?)

Les orientalistes et leurs mimétismes musulmans ont également traduit la Taqwah et la Rahba par la crainte en distinguant la Taqwah par le qualificatif révérencielle (révérencieuse) comme si cela allait donner un sens au contre sens : Il est impensable qu’Allah puisse inspirer de la terreur ou qu’Il soit terrifiant.

Dans mon livre « Aimer la voie coranique » je me suis longuement  attaché à détruire ce type de traduction qui ne sied pas à la Majesté divine ni à sa parole. La Taqwah signifie l’espérance dans la crainte et la crainte dans l’espérance afin que le croyant espère tout en restant vigilant dans sa foi et son espérance qui peuvent le conduire à compter sur la miséricorde d’Allah et oublier les fautes que le croyant fait et qui mérite le châtiment.  Le croyant même dans la crainte pour ses péchés et ses fautes est appelé à l’espérance pour ne vivre désespéré de la miséricorde d’Allah. La Taqwah c’est l’espérance et la crainte par le respect scrupuleux de ce que Allah a interdit et a ordonné. Il s’agit de prendre garde à Allah dans le sens d’être vigilant à son égard et d’être scrupuleux dans toutes ses démarches et ses paroles.

On utilise le verbe « Rahaba » qui signifie ici à la fois redouter et adorer Allah. Il s’agit d’adorer Allah tout en redoutant les conséquences de sa désobéissance afin de rester vigilant et ne pas se laisser séduire par Satan comme l’explicite le contexte du verset :

Il faut savoir que le Coran explique et explicite les versets  coraniques. Dans les deux  versets précédents il s’agit d’une passerelle de sens entre les Descendants d’Israël (les générations de Moise et de Jésus en particulier) et l’humanité contemporaine. Nous allons chercher à comprendre le sens des mots par le recours à d’autres versets qui traitent du même thème :

{Ceux à qui les hommes disent : « Les hommes se sont coalisés contre vous, craignez les ». Mais cela augmente leur foi et ils répondent : « Allah nous suffit, c’est le meilleur Procurateur ». Alors ils bénéficient  d’une grâce d’Allah et d’une munificence. Aucun mal ne les effleure, et ils suivent l’agrément d’Allah. Allah Possède une Munificence immense. Seulement, tel est Satan : il fait peur à ses liges. Ne les redoutez donc point, et redoutez-Moi, si vous êtes croyants. Et ne t’afflige point de ceux qui s’empressent vers la mécréance. Ils ne nuiront en rien à Allah. Allah veut ne leur assigner aucune part dans la vie future. Et ils auront un immense châtiment. Certes, ceux qui troquent la Foi contre la mécréance ne nuiront en rien à Allah, et ils auront un douloureux châtiment.  Que ceux qui sont devenus  mécréants ne considèrent point ce que Nous leur ajournons, est un bien pour eux-mêmes. Mais sûrement, ce que Nous leur ajournons est pour qu’ils accroissent  leurs péchés. Puis ils auront un infâme châtiment. Il n’est pas de mise qu’Allah laisse les croyants dans l’état où vous êtes, jusqu’à ce qu’Il fasse discerner le méchant du bon. Et il n’est pas de mise qu’Il vous informe sur le Ghayb, mais Allah élit, parmi Ses Messagers, qui Il veut. Croyez donc en Allah et en ses Messagers. Ainsi  si vous êtes croyants et  pieux, alors certes, vous aurez une immense rémunération.} Ali ‘Imrane 173 à  179

En comparant les énoncés nous pouvons voir sans difficulté  comment le Coran met le contexte des conséquences qui entourent en amont et en aval le verbe conjugué « avoir peur »  dont la traduction donne instinctivement l’expression « C’est Moi que vous devez redouter ».  Allah utilise le terme peur pour signifier qu’elle relève du domaine  psychologique et affectif et utilise d’autres termes pour signifier la gradation de la peur ainsi que son caractère visible ou non visible, émotionnel ou rationnel, subjectif ou objectif.

Ici Nous sommes dans un énoncé qui s’adresse au peuple de Jésus, peuple connu pour son intégrisme,  sa transgression et son agression, mais connu aussi pour avoir donné l’excellence de l’humanité en donnant des Prophètes et des Apôtres. D’ailleurs le terme Apôtres est décrit par le Coran sous le terme de « Rabbaniyoun » signifiant les adeptes de Dieu (Rabb),  les partisans de l’éthique de Dieu, les compagnons des Prophètes et ceux qui les suivent par la suite. Allah s’adresse aux Bani Israël sur le plan de l’émotionnel dont ils sont les experts en termes de manipulation tout en développant le sens rationnel pour l’ensemble de l’humanité qui se met à étudier le contenu et les conséquences de la loyauté ou de la perfidie envers l’Alliance qu’Allah propose à Ses Créatures humaines.

Le verbe  « Arhaba » donne  donc « Rohbane » traduit par  les Rabbins qui  ont suivi Jésus fils de Marie  (saws). Ils ont été nommés dans la langue arabe « Rohbane » par leur révérence envers Allah et par  la crainte dans leur adoration de ne pas être à la hauteur de leur vocation  dans un milieu qui leur était hostile. Ce verbe  donne « Rohbaniya » ou l’ascétisme spirituel du savant qui consacre sa vie à Allah fuyant les mondanités.  Il ne peut s’agir de terreur ou de terrorisme comme  la lutte antiterroriste a voulu qu’il soit pour imposer aux peules la peur et la servitude le temps de réaliser l’agenda du sionisme et de l’Empire dans le monde et tout particulièrement dans le monde musulman.

Ainsi les versets précédents signifient :

{O Descendants d’Israël ! Rappelez-vous Ma grâce dont Je vous ai gratifiés et soyez fidèles à Mon Alliance, afin que J’accomplisse ma Promesse; c’est Moi que vous devez redouter. Croyez en ce que J’ai révélé, corroborant ce qui est avec vous; ne soyez pas les premiers à y mécroire, et ne troquez pas Mes Signes contre un vil prix; c’est donc à Moi que vous devez prendre garde.} Al Baqara 40-41

  • 2 – Le second exemple se rapporte au  verset suivant :

ٱسْلُكْ يَدَكَ فِي جَيْبِكَ تَخْرُجْ بَيْضَآءَ مِنْ غَيْرِ سُوۤءٍ وَٱضْمُمْ إِلَيْكَ جَنَاحَكَ مِنَ ٱلرَّهْبِ فَذَانِكَ بُرْهَانَانِ مِن رَّبِّكَ إِلَىٰ فِرْعَوْنَ وَمَلَئِهِ إِنَّهُمْ كَانُواْ قَوْماً فَاسِقِينَ

{Passe ta main dans ton encolure, elle en sortira toute blanche, sans défaut, et resserre tes bras (contre ta poitrine) pour t’apaiser. Ce sont là deux preuves incontestables, de ton Dieu, pour Pharaon et son élite, car ils sont un peuple de pervertis.} Al Qassas 32.

Il est remarquable de voir qu’Allah lorsqu’il envoie Moïse à Pharaon utilise le terme Rahb signifiant encolure (le haut du vêtement près de la tête) et lui donne deux signes qui sont la main blanche et le bâton. La main symbolise la puissance et la force qui frappe et détruit l’ennemi ou l’opposant alors que le bâton représente l’autorité et le pouvoir. La force et le pouvoir de Pharaon sont représentés par le Cobra sur sa tête et le bâton dans sa main. Moïse va annoncer à Pharaon par sa main blanche signifiant la mort de sa force,  le serpent signifiant la mort de sa puissance et le bâton signifiant la fin de son autorité et la fin de son pouvoir en un mot la fin du règne de Pharaon.

Il est encore plus remarquable de voir qu’Allah ordonne à Moïse de s’adresser avec douceur et politesse respectant le rang de Pharaon alors qu’il est  l’être le plus détesté par Allah, car il s’est pris pour divinité et a mis en esclavages des hommes nés libres dont les ancêtres et les descendants sont porteurs des messages divins. Il est encore plus remarquable qu’Allah ne demande pas  à Moïse de terroriser d’emblée son ennemi.  Pourquoi Allah ferait exception et ordonnerait-il à Mohamed (saws) de terroriser les Arabes de la Mecque ? Pourquoi Rohb ici signifie avoir peur et chercher l’apaisement alors qu’ ailleurs il signifie terreur ?

Pour l’instant contentons-nous de remarquer le lien entre le terme rohb (la terreur qu’inspire Pharaon à Moïse d’autant plus que ce dernier avait tué un Égyptien avant de prendre la fuite,  l’apaisement du cœur et la  sécurité du corps, et les deux preuves incontestables qui sont les deux signes de la main blanche et du bâton de berger qui se transforme en serpent. Le lien est évident : il ne s’agit pas de terroriser Pharaon en le soumettant à un déluge de catastrophe, mais de le dissuader de demeurer dans  sa  dérive démiurge  et son oppression. Un autre lien est également évident : apaiser Moïse terrorisé à l’idée de rencontrer Pharaon. Pour vaincre sa peur,  Moïse va être renforcé par son frère et par l’accompagnement d’Allah qui lui manifeste son amour,  sa présence et son soutien. Celui qui connait le récit de Moïse dans le Coran, récit le plus long et le plus fréquent (130 évocations dans 34 sourates) va voir que tous les signes étaient destinés à la dissuasion et qu’ils annonçaient les conséquences funestes qui attendaient Pharaon s’il persistait dans son entêtement à transgresser les interdits et à agresser les faibles.

La confusion dans les significations tient à la lecture hâtive littéraliste  et non symbolique des orientalistes et des Arabes faisant partie de l’école orientaliste franco musulmane. Le texte coranique est d’une limpidité sans égale si on se donne le temps de le lire et de le comprendre sans préjugés ni démarches de tronquer ou d’amalgamer ses versets.

  • 3 – Le troisième exemple : le lexique coranique dans le traitement de la peur.

En rédigeant « Aimer : la voie coranique » j’ai naturellement cherché la haine, la vengeance ainsi que la sérénité et ce qui s’y oppose en l’occurrence la peur. Je n’ai pas épuisé lez sujet, mais je défie tout dictionnaire et tout psychologue de décrire les états rationnels et émotionnels de la peur, de sa gradation et des situations qui la génèrent. Il n’est pas nécessaire d’être un arabisant expert en linguistique, il suffit d’étudier le Coran et le laisser donner les définitions et les situations car il a la compétence non seulement de produire du sens, mais de livrer les liens qui permettent de construire le sens si on se donne le temps de prendre des notes et de l’aborder avec l’envie d’écouter la parole divine avec son cœur, sa raison et son âme. Voici sommairement le lexique coranique sur les 11 différents formes de peur :

La  peur générique :

  • Al Khawf ( الخوف ) la peur commune qui  est du domaine psychoaffectif.

La peur spécifique propre à 10 cas singuliers :

  • Al Khifa ( الخيفة  ) peur éprouvée avant le combat qui pousse à la vigilance et à la précaution
  • Al Faraq  ( الفرق)  peur qui incite à la fuite et à la rupture où l’être se sent porté par des ailes qui le pousse à déserter.
  • Al Khichia ( الخشية ) la peur qui évalue les conséquences d’un phénomène, d’une action, d’un châtiment annoncé ou d’une  catastrophe. C’est une peur qui suppose une mémoire et un  savoir ou une connaissance. Elle est du domaine de la raison.
  • At Taqwah ( التقوى ) le sentiment où se mélange la crainte et l’espoir et qui pousse à se retenir de commettre une faute. Elle est du domaine spirituel.
  • Al Ichfaq ( الإشفاق ) : la peur qui est visible sur le visage par le changement de couleur et qui incite à reculer ou a faire marche arrière.
  • Al Jaza’â ( الجزع  ) peur du cupide  qui convoite avec avidité et a peur de ne pas avoir davantage. C’est aussi la peur qui  fait perdre patience et se manifeste par  des plaintes ou des cris
  • Al Hala’â ( الهلع ) peur de  l’avare et de l’envieux partagés entre le désir de posséder  et la peur de perdre en donnant ou en prenant un risque.
  • Ar Rohb ( الرهب  ) peur qui fait redouter les conséquences, qui  rappelle le monothéisme et qui pousse à l’action immédiate. Elle  prend sa source dans la perception et la raison pour finir dans le cœur comme un sentiment indélébile.
  • Ar Ro’âb ( الرعب  ) peur avec effondrement  psychologique et parfois physique qui fige la personne ou lui fait perdre tous ses repères et toute sa détermination, et qui provoque la fuite et la dispersion des rangs d’une foule.
  • Al Faza’â ( الفزع ): la peur qui survient par effet de surprise après insouciance et quiétude

Allah (swt) fait varier les Signes (symboles, paraboles, mots, etc…) pour nous livrer en termes concis et précis la quintessence du savoir que le contenu en encre des Océans  mis en exposant 7 ne pourrait contenir. Chaque mot a une signification particulière. C’est le contexte particulier des versets et le contexte globale de la sourate qui vont faire émerger le sens. Si Allah a utiliser le terme Rohb c’est qu’il y a une explication qui n’est pas forcément celle de la lecture littéraliste. Le lecteur averti voit tout de suite que dans la traduction du Coran que dans les termes des journeaux ou des politiques dans le monde arabe il y a une fâcheuse confusion entre le Rohb et le Ro’âb. C’est ce dernier (Ar Ro’âb)  qui peut être assimiler à la terreur, à l’ace de terroriser. Ar Rohb qui est utilisé dans le verset vise à imposer le respect, l’attitude circonspecte, à redouter les conséquences…

  • 4 – Le quatrième  exemple est  le lexique arabe de l’encyclopédie  « Lissan al ‘Arab »

L’encyclopédie arabe  nous donne un cas significatif parmi la polysémie du verbe Rahaba :

الرَّهْبَـى: الناقةُ الـمَهْزُولةُ جِدّاً؛ والرَّهْبُ: كالرَّهْبَـى

La Rahba et le Rahbou: la chamelle et le chameau de grande stature et de caractère déterminé.

Ces camelins sont  destinés à procurer l’apaisement pour les chameliers qui les montent et les conduisent au combat  et à dissuader leurs adversaires s’ils montent des  chameaux et des chevaux plus petit. Ainsi la langue arabe donne un sens à :

العالي؛ الجَمَلُ وهو رَهْباً، رَكِبَ إِذا الرَّجُلُ أرْهَبَ

Arhaba signifie monter un chameau ou une chamelle de haute stature et  signifiant souvent se préparer à la guerre avec de grands moyens ou dissuader un adversaire qui se prépare à la guerre.

 ا طالَ كُمُّهُ.إِذا الرَّجُلُ أرْهَبَ

Arhaba signifie aussi porter de longues manches. Pour les Arabes, avant l’Islam, c’était un symbole ostentatoire  et ostensible. Il s’agit donc de se montrer et de se faire voir.

Lorsque le verset coranique dit « تُرْهِبُونَ بِهِ », il signifie : montrez-vous et n’ayez pas peur, ne vous dissimulez pas, préparez-vous contre l’agresseur et   montrer-lui vos préparatifs de guerre pour le dissuader de vous attaquer.

Si on utilise l’astuce des linguistes arabes qui consiste à deviner le sens d’un terme en permutant ses lettres, on part  des lettres RHB du verbe  Rahaba ( رهب ) pour obtenir les lettres HRB du  verbe  Haraba ( هرب ) qui signifie fuir. Le message à découvrir dans l’étendue de la polysémie est le suivant dans le contexte du verset :  faire fuir l’ennemi en lui faisant voir les conséquences de son acte inconsidéré. Il s’agit de l’amener non à avoir une peur par l’émotion, mais  à redouter par mais la raison et les faits tangibles qui s’offrent à son esprit logique  et à sa perception évidente .

Il ne s’agit donc pas de terroriser au sens terrifiant du terme, mais d’imposer le respect et la crainte en montrant les conséquences d’une aventure guerrière contre les Musulmans. Le Coran est précis dans ses termes il ne s’agit  pas de terrifier ou de faire peur par  le recours à la violence qui laisse des traces dans l’imagination et l’émotion, mais de montrer sur le plan rationnel et tangible la force et l’organisation de combat pour éviter la guerre. Le verset coranique est une pédagogie qui utilise la puissance de la métaphore et la répétition alternant un sens imagé et un sens décrit comme dans ce verset en particulier, et souvent le premier sens est explicité par le second et vice versa :

« préparez-leur forces et cavalerie » = Tourhiboun (mobilisez contre eux vos grands moyens)

La signification est « afin que vous soyez redoutés par » ou «  afin de dissuader »  l’ennemi d’Allah et  votre ennemi qui se prépare à vous agresser.

Lorsque je développe ce genre de discours sérieux et réaliste, il est évident que je deviens pour les uns  un « terroriste », et pour les autres un chameau. La vérité sémantique et historique est dans ce verset et tant que nous le transgressons nous seront agressés par les blasphémateurs et les prédateurs :

{Et préparez-leur tout ce que vous pouvez comme forces et cavalerie afin que vous soyez redoutés par l’ennemi d’Allah, votre ennemi, et d’autres encore que vous ne connaissez pas, mais Allah les Connaît.} Al Anfal 60

{Et mobilisez-leur tout ce que vous pouvez comme forces et cavalerie afin que vous dissuadiez l’ennemi d’Allah, votre ennemi, et d’autres encore que vous ne connaissez pas, mais Allah les Connaît.} Al Anfal 60

C’est en comprenant le sens de ce verset que les Arabes ont affronté avec leurs chevaux de petites tailles  les brigades d’éléphants de l’Empire perse. Après les premières défaites face aux éléphants qui terrorisaient leurs chevaux, les Musulmans ont modifié leur tactique de combat et ont triomphé de leurs ennemis qu’ils ont attaqués non pour transmettre l’Islam par la force de l’épée, mais pour prendre l’initiative contre une force puissante et redoutable qui les terrorisait et les menaçait dans leur territoire et dans leur existence intrinsèque.

S’il y a des doutes ou des contestations sur cette traduction et son sens nous devons trancher en revenant au contexte qui introduit ce verset ou qui lui apporte une conclusion. Dans notre cas il s’agit d’une introduction qui montre la conduite à tenir en cas de risque de transgression d’un pacte et cette conduite donne le sens explicite :

{Ceux d’entre eux avec qui tu conclus un pacte, puis chaque fois ils violent leur pacte et ils ne craignent point. Si tu les saisis à  la guerre, effarouche par eux ceux qui sont derrière eux, afin qu’ils se souviennent. Et si tu redoutes une trahison de quelques gens, rejette (le pacte) avec loyauté. Certes, Allah n’aime point les traîtres.} Al Anfal 56 à 58

Ces quatre exemples   renforcent mon argumentation  qui rejette la terreur et le terrorisme imputé à l’Islam et au Coran  comme il rejette l’islamophobie qui instrumentalise la violence après en avoir été l’instigatrice.

Pour corroborer notre argument nous nous référons au Coran qui dit juste après le verset précédent (Al Anffal 60) où le terme  » par lequel Tourhiboun ( ترهبون به  ) est citée :

{S’ils s’inclinent vers la paix, alors incline-toi aussi et fie-toi à Allah} Al Anfal 61

Le contexte du verset  montre qu’il est harmonie avec le sens du mot (irhab = dissuasion) car il s’agit de montrer sa force à des belligérants qui ont déjà essuyé une défaite à Badr alors que les Musulmans étaient peu nombreux et insuffisamment équipés. C’est la position du fort qui ne veut pas faire couler le sang.  Si les Musulmans n’ont pas compris la portée du message de leur Dieu et la miséricorde de leur Prophète qui n’a eu recours à la violence que pour repousser la violence armée ils ne pourront que générer de l’entropie et devenir la proie à l’islamophobie  et des écervelés qui suivent les appels à la haine et à la violence contre les Musulmans au lieu de diriger leurs armes, leur argent et leur réservoir humain vers le développement de leur force pour affronter l’Empire et le sionisme.

La paix au sens islamique n’est pas la pax romana de l’Empire ou celle du sionisme qui extermine et spolie car il ne peut y avoir de paix fondée sur la terreur et  l’injustice. L’Islam a rayonné sur le monde par sa vertu, sa justice et sa liberté. Le terme le plus approprié pour générer le respect et  la dissuasion n’est pas la terreur qui est post offensive, mais imposer son existence et sa capacité de résistance pour faire redouter la guerre et ses conséquences sur l’ennemi. Il ne s’agit pas de terroriser un innocent, mais de faire craindre les conséquences d’une agression à celui qui,  par son arrogance et sa supériorité militaire, est enclin  à lancer des offensives agressives.

Nous ne sommes pas dans une démarche violente gratuite de vengeance ou de terreur qui suppose meurtres, viols, incendies, ravages, ruines et tout ce qui génère de l’effroi et de l’épouvante. Faire peur est du domaine de l’émotionnel, mais faire redouter est du domaine du tangible et du rationnel (ce dont on redoute les conséquences). La langue  française n’a pas suffisamment de verbe et de substantifs pour exprimer tous les termes coraniques. C’est rendre mauvais service au Coran que se contenter d’une traduction formaliste littéraliste qui ne rend pas le sens exact.

Sur le plan sémantique, lexical  et contextuel, nous sommes dans un principe de dissuasion, de précaution, de prévention… Faire dire au Coran  autre chose c’est de la mauvaise foi,  de la désinformation, ou de la continuité de la  lutte idéologique  menée par les orientalistes qui ont traduit le Coran avec des préjugés contre l’Islam et parfois avec des visées caricaturales.

 E – L’effondrement psychologique dans le Coran : Ar Ro’âb (  الرعب  )

Dans quelle signification  le Coran  utilise le terme Ar Ro’âb ? Il l’utilise dans  quatre versets avec le sens d’effroi et non de terreur. Il ne s’agit pas de terreur  car la terreur relève de la perception de choses horribles et terrifiantes, mais il s’agit de l’effroi  qui prend le cœur et l’imagination et les pousse à perdre tous les repères dans la bataille et à se disperser en débandades, chacun cherchant son salut alors qu’il venait croyant  se remplir de gloire dans une troupe nombreuse et fortement éuipée. Il ne s’agit pas de la terreur qu’inspirent les Musulmans, mais il s’agit  d’une action émanant d’Allah dans le cœur des mécréants qui ont agressé le Prophètes (saws) et ses compagnons.  Les quatre versets  qui citent l’effroi (Ar Rohb) mettent Allah comme sujet et les cœurs des transgresseurs comme subissant l’action d’Allah : Ali ‘Imrane, 151 – Al Anfal, 12 – Al Ahzab, 26 – Al Hashr, 2

Citons à titre d’illustration les deux énoncés suivants :

 سَنُلْقِي فِي قُلُوبِ ٱلَّذِينَ كَفَرُواْ ٱلرُّعْبَ

{Et lorsque ton Dieu  a inspiré aux Anges : « Je suis avec vous, affermissez donc ceux qui sont devenus  croyants, Je déposerais  l’épouvante dans les cœurs de ceux qui sont devenus  mécréants. Frappez donc sur les cous, frappez-en chaque bout de doigt ». Cela en raison de ce qu’ils se sont opposés à Allah et à Son Messager. Et quiconque s’oppose à Allah et à Son Messager, Allah sûrement Punit sévèrement.} Al Anfal 12-13

 وَقَذَفَ فِي قُلُوبِهِمُ ٱلرُّعْبَ

{C’est Lui qui A Fait sortir ceux qui sont devenus  mécréants des gens du Livre, de leurs demeures, pour le début du rassemblement. Vous ne pensiez pas qu’ils sortiraient et eux pensèrent que leurs forteresses les préserveraient d’Allah, alors Allah les Surprit par où ils ne s’attendaient pas, et Il jeta l’effroi dans leurs cœurs. Ils détruisent leurs maisons par leurs propres mains et par les mains des croyants. Tirez-en un exemple, ô doués de clairvoyance […]  Cela en raison de ce qu’ils se sont opposés à Allah et à Son Messager; et quiconque s’oppose à Allah, Allah alors Punit sévèrement.}  Al Hashr 2 et 4

Toute  agression contre le Prophète (saws)  est une malédiction dans cette vie et dans l’au-delà.  Est ce que cette description est de la  la  terreur, de  l’épouvante ou de  l’effroi qu’Allah lance dans le cœur des agresseurs  les laissant  corps et âmes  à la merci des faibles et des opprimés qu’ils croyaient asservir, humilier ou vaincre en comptant sur le seul rapport des forces tangibles. C’est ce sentiment de perdition qui s’empare de l’agresseur  qui le rend vulnérable. C’est le cœur qui s’effondre et l’esprit qui se disperse face à la surprise pour laquelle il n’a aucune riposte car elle était imprévisible et imparable. Cet état la langue française le traduit par effroi (peur sous l’effet de la surprise).  Alors que la tererur  c’est « la peur collective qu’on fait régner dans une population, un groupe de personnes, dans le but de briser sa résistance »

Nous sommes dans un cas différent de la mise en œuvre de la doctrine américaine  « choc et effroi (Shock and Awe) », en Irak. L’armée américaine  a terrorisé  l’armée et la population irakienne par la stupeur  qu’a provoqué l’emploi abusif et massif d’une puissance de feu navale, terrestre et aérienne, poursuivi par des actes terroristes et humiliants pour  annihiler la volonté de résistance. C’est plutôt choc et terreur.

Autres maux en guise de conclusion

La lute idéologique quand elle est bien menée permet d’enjoliver les mots pour masquer l’horreur de la réalité. Les dominants du monde  mettent en œuvre des spécialistes et des laboratoires pour construire leurs mots, leur rhétorique et leurs images. Mais nous qui subissons nous nous laissons enfermer dans leur système de pensée en acceptant d’être des auxiliaires de servitude et dans le meilleurs des cas de mauvais servants et de mauvais symboles dans la défense de nos valeurs, de notre foi, de notre Livre.

 

 

 

Omar Mazri – LIBERATION-OPPRIMES.NET

Caricatures et lutte idéologique

La bataille du sens

Extraits de l’autobiographie du Cheikh Mohammad Al-Ghazâlî : la bataille du sens

À notre époque, les ennemis de l’islam ont multiplié leurs activités. Ils augmentent les obstacles qu’ils érigent sur le chemin de ceux qui appellent à l’islam. Ils ont pu utiliser leurs développements pour empêcher l’islam de se répandre dans de nombreux pays. En outre, ils employèrent leur richesse et puissance pour égarer les masses musulmanes en Afrique, Asie et Europe. C’est pourquoi il n’est pas suffisant de fonder des organisations prêchant l’islam. Elles doivent nécessairement être appuyées par divers services sociaux, éducationnels, culturels et liés à la santé.

Appeler à Allah ne peut être l’affaire d’un seul homme. Le Dâ`i (prédicateur appelant à Allah) à notre époque doit avoir une connaissance des sciences humaines. En plus de la connaissance du Coran, de la Sunnah, du Fiqh et de la civilisation islamique, il (ou elle) doit apprendre l’Histoire du monde, les sciences naturelles, la biologie, ainsi que toutes les branches contemporaines de savoir liées à la pensée et la philosophie.

 prédicateur appelant à Allah doit être sincère dans sa mission qui doit constamment occuper son esprit et sa pensée. Il doit traiter les gens avec un cœur ouvert, sans égoïsme ou jalousie. Il ne doit pas être animé par des désirs immédiats ou intérêts personnels. […] Il doit trouver des excuses pour ceux qui font des erreurs et ne pas les blâmer. Il est là pour tendre la main aux autres lorsqu’ils trébuchent.

En outre, e ^prédicateur ’appelant à l’islam doit, à notre époque, être au courant des différences entre les divers groupes d’ennemis de l’islam, qu’ils soient des athées qui renient l’Existence de Dieu ou des Gens du Livre qui renient l’Islam.

J’ai constaté que de nombreuses personnes, travaillant dans le champ de la Da`wah, font du tort à l’islam. Certains concentrent leurs efforts en permanence sur l’interdiction des choses. On entend d’eux que le fait que la religion interdit ceci ou cela. Ils ne se soucient même pas de donner une alternative dont les gens auraient besoin. Ils sont tels des gens qui bloquent une route sans en ouvrir une autre.

D’autres prédicateurs vivent encore dans le passé et non dans le présent ou le futur, comme si l’Islam était une religion historique. C’est un spectacle saisissant que de le voir débattre avec, par exemple, les Mu`tazélites ou les Jahmites. Il peut avoir raison dans ce qu’il dit, mais il ignore complètement que les ennemis de l’islam porte aujourd’hui d’autres noms et emploient d’autres méthodes et arguments.

D’autres également ne font point de distinction entre les problèmes périphériques et les problèmes centraux, ni entre les sujets fondamentaux et les branches secondaires, ni entre les problèmes majeurs et ceux qui sont mineurs. Ils dépenseraient toute leur énergie pour combattre les problèmes secondaires. Ainsi, il est probable qu’ils attaquent par la mauvaise direction, là où le véritable ennemi attaque par une autre direction. Il leur arrive parfois d’attaquer même des ennemis imaginaires.

Tous ces prêcheurs sont un pénible fardeau pour la Prédication Islamique. Ceux-là doivent être corrigés, tout comme ceux qui prêchent pour leurs profits personnels et non pour des principes islamiques sincères. Travailler pour les valeurs islamiques est bien différent du travail pour des désirs personnels.

Après quarante ans de travail dans la prédication islamique, je réalise que le plus dangereux des défis ce sont les pratiques religieuses corrompues. Cela englobe le travail pour les caprices et les illusions, ainsi que le travail pour les désirs et bénéfices personnels.

La foi est une conscience intellectuelle, mais ces gens sont intellectuellement et continuellement inconscients. La foi mène à un cœur pur, mais ces gens ont des cœurs malades. Leurs cœurs sont terriblement malades. Dévoiler des pratiques religieuses altérées nécessite une étude détaillée afin de cerner les raisons mentales et psychologiques les sous-tendant. Abû Hâmid Al-Ghazâli a dédié une grande partie de son livre, La Revivification, pour donner le remède à ses maladies et en avertir les gens. Ibn Al-Jawzî écrivit la Déception d’Iblis pour dévoiler les différentes formes de pratiques religieuses altérées et pour prévenir les gens.

J’ai rédigé quelques-uns de mes ouvrages, préoccupé par le combat de telles pratiques. J’ai d’abord fait cela dans mes livres : Réflexions sur la Religion et la Vie, Pratiques non-islamiques, Fondements de la Foi entre le Cœur et la Raison, et la Prédication Islamique au 15e siècle higérien.

Certes, ces mauvaises pratiques greffées sur la religion conduisent à une image erronée de l’islam dans l’esprit de nombreuses personnes douées de sens. Ces gens découvrent l’Islam à travers le comportement et attitudes de ses adeptes. En effet, quelques musulmans — que ce soient dans les époques passées ou contemporaine — sont une disgrâce pour leur religion elle-même.

J’ai commencé à écrire depuis ma tendre enfance. C’était mon passe-temps favori et j’y prenais beaucoup de plaisir. Je n’ai écrit sur la religion qu’après avoir commencé mon activité dans la prédication. Mon écriture mélange le style technique et poétique. J’essaie d’introduire le savoir islamique à travers les problèmes contemporains. Je dirais que les deux thèmes majeurs des trente-cinq livres que j’ai rédigés pendant ces quarante années sont, d’une part, la Foi, la raison et le Cœur, et d’autre part, l’Islam et les énergies inexploitées et inertes.

Source : extraits autobiographie

La lutte idéologique

Extraits de  » la lutte idéologique » de Malek Bennabi :

Avant propos : L’auteur autochtone et l’auteur progressiste dans la lutte idéologique contre le colonialisme

Il est des thèmes qu’il n’est vraiment pas utile d’aborder si les arguments présentés ne découlent pas d’une expérience personnelle. Une expérience qui permet de les éclairer de l’intérieur.

La lutte idéologique dans les pays colonisés compte parmi ces questions.

[…]

Dans les pays colonisés où, trop souvent, on ignore ce combat bien qu’il se déroule à l’intérieur de nos frontières et qu’ensuite ils en constituent, eux-mêmes l’enjeu

Il y a d’une part cet aspect. De l’autre, nous relevons comment, à l’extérieur, l’auteur progressiste ignore de son côté cette lutte : nous constatons, à titre d’exemple, comment en participant au combat contre le colonialisme aux côtés des colonisés, son action se limite exclusivement au seul domaine politique.

Il se retire et s’en lave les mains dès que ce combat prend l’allure d’une lutte idéologique, comme s’il n’en avait cure, ennuyé par sa nouvelle formule. Il pense, en d’autres termes, que l’homme colonisé a le droit de se défendre tant que cette défense se limite strictement au champ politique, mais, une fois transposée au domaine des idées, il estime que cet homme a mis son nez dans un champ auquel il n’a pas droit.

II est possible d’expliquer une telle situation par la lourde chape d’opacité qui couvre la lutte idéologique dans les pays colonises ; ce qui place les autochtones a l’intérieur et les auteurs progressistes a l’extérieur dans l’incapacité de saisir ses contours. Néanmoins, l’expérience montre que parfois, cette ignorance peut être, d’une façon ou d’une autre, une simple parodie, le fruit d’une simulation. Par ailleurs, les dirigeants politiques nationalistes dans les pays colonises adoptent dans la bataille des idées – pour des raisons déterminées – une attitude neutre ou négative, voire hostile.

En dehors des pays colonises, l’écrivain progressiste adopte, pour sa part une position similaire alors que, engageant le combat contre le colonialisme il se range aux cotes de ce même colonialisme des que cette bataille revêt un aspect idéologique.

En analysant cette attitude étrange, l’on arrive a déduire que l’auteur progressiste est contraint, dans une telle bataille, a répondre a des considérations qui lui sont inculquées ou que son comportement découle dans ce domaine de complexes hérités. Dans les deux cas, son attitude a l’égard de la lutte idéologique dans les pays colonises est une attitude au pire hostile, neutre au mieux.

[…]

A la lumière de ce qui précède, il n’est pas dans mon intention, néanmoins, d’émettre un jugement généralisé au sujet de la littérature progressiste et des auteurs progressistes. Nous relevons dans l’expression de leurs positions en Europe la probité des idées, l’intégrité morale, le courage et la grandeur d’âme. Des qualités qui forcent le respect de tout être respectable.


La lutte idéologique : généralités

Il faut opérer un retour en arrière pour voir comment la lutte idéologique a pris forme dans les pays colonisés.

Une rétrospective qui couvre un demi-siècle au moins du cours de l’histoire franchie par la conscience islamique, autrement dit depuis les débuts de son réveil! Vers 1900 : c’est le moment où le rideau s’est levé sur le premier acte de la scène dont nous essayons de montrer quelques déroulements.

On peut imaginer la pièce dont le rideau se lève dans un moment précis et dans un pays donné, pour mieux saisir les particularités historiques et psychologiques des personnes mises en vedette et appelées à y jouer un rôle.

Il faut tout d’abord garder à l’esprit que ce sont des particularités de portée générale qui touchent au monde musulman dans sa globalité. Les différences entre un cas et un autre se limitent strictement aux noms et aux dates.

En Algérie, par exemple, le rideau se lève sur un peuple somnolent depuis des siècles déjà sous l’effet d’un somnifère : c’est le premier acteur sur scène.

Au même moment cependant, un autre acteur, appelons le « idée exprimée », fait son apparition. Idée incarnée par deux vénérables cheikhs, en l’occurrence lbn Mohanna et Abdelkader El Medjaoui, tous deux présents sur la scène de Algérie en tant que premiers héros de ce combat qui a commence à être livré a l’époque contre le maraboutisme. Comme leur apparition dans l’arène a un grand retentissement dans le pays, un troisième protagoniste fait son entrée juste après eux : le colonialisme.

Le colonialisme intervient sur scène en fait pour rétablir la quiétude laquelle constitue une question qui le préoccupe beaucoup. Son souci majeur est d’assurer de beaux rêves pour de paisibles dormeurs.
C’est le premier acte de la lutte idéologique en Algérie.

Le colonialisme n’a recours toutefois dans cet acte inaugural qu’au: moyens de la force conscient en effet qu’il est en face d’une « idée exprimée » une idée qu’il peut bannir et neutraliser hors de la scène en éloignant les deux: cheikhs. C’est exactement son procédé (1).

Il ne tarde cependant pas à se rendre compte que l’idée qu’il a voulu éliminer demeure toujours vivace sur le front du combat, qu’elle persiste, en fait, sous la forme nouvelle d’une « idée imprimée », logée celle-là dans la conscience du peuple.

Commence alors le second acte de la lutte idéologique. L’occasion est offerte entre temps au colonialisme pour tirer les conclusions du premier acte. Des conclusions qu’il exploitera a posteriori a bon escient pour l’élaboration de sa conception de la lutte idéologique. II en a conclu après coup que si l’emploi de la force a montré quelque peu ses limites – nous l’avons vu lors du premier acte face a l’idée exprimée- elle échouera inévitablement et plus forte raison dans la lutte engagée contre l’idée imprimée. Il lui faut donc, appliquer d’autres plans mieux conçus encore.

A partir de cet instant, la butte idéologique entre véritablement dans sa phase réelle puisque le colonialisme se mettra ardemment à l’œuvre dans ce nouvel acte pour annihiler les forces éveillées dans les pays colonisés, en usant de tous les moyens possibles. Son objectif est de les empêcher de s’en tenir a une idée imprimée. Il tentera en premier lieu de les mobiliser autour d’une idée exprimée. Une idée qui devient alors a portée de main, puisqu’il sera en mesure de la combattre par le recours a la politique de la carotte et du bâton.

Le colonialisme ne suit cependant pas uniquement cette voie. Il mènera en fait sa lutte contre l’idée imprimée grâce a des moyens adaptés et plus souples ; il se sert d’une carte psychologique du monde musulman. Une carte qui subit quotidiennement des mises a jour appropriées et des changements nécessaires opérés par des spécialistes charges de la surveillance et du contrôle des idées. Le colonialisme conçoit ses plans militaires et retransmet des instructions a la lumière d’une connaissance approfondie de la psychologie des pays colonises. Ce qui lui permet de définir l’action idoine qu’il applique pour violer les consciences dans ces pays, au gré des niveaux et des classes. Il utilise ainsi le langage de l’idée exprimée, facilement corruptible au sein de la classe intellectuelle. D’autre part, il présente aux intellectuels des slogans politiques qui brouillent leurs facultés d’assimilation face à l’idée imprimée.

Sur un autre registre, il favorise le langage de la religion lorsqu’elle obstrue complètement les voies d’assimilation. Ce qui empêche l’idée de jouer un quelconque rôle d’éveilleuse de conscience…

A un autre niveau, quoique a une degré moindre, on le découvre a l’œuvre lorsqu’il exploite]’ignorance des masses et crée une zone vide et de silence autour de l’idée pour l’isoler de la société. Il persiste dans cette voie dans les pays colonises jusqu’à ce qu’il atteigne le plus vil niveau par le recours à l’arme de l’argent. Il forge à travers ce moyen des amitiés, ou des alliances, suivant le jargon de la guerre. Ce qui lui permet de mener, dans certains secteurs, des offensives en temps requis sur le front intellectuel.

Affinant davantage son plan, il baisse le rideau pour obscurcir totalement ce front et l’abstraire ainsi de la conscience du peuple colonisateur lui-même et de la conscience mondiale en général.

Ainsi se dresse l’ordre voulu des choses. Un ordre qui donne l’impression que nous sommes dans une pièce très éclairée alors que la scène elle-même, sombre dans le noir.

C’est là une miser en scène du colonialisme. Le metteur en scène ne veut paradoxalement pas que les spectateurs regardent ce qui se passe effectivement sur la scène. C’est là une méthode particulière inhérente a la lutte idéologique dans les pays colonises, sur laquelle nous souhaitons donner un bref aperçu a travers ces pages.

Le dieu de la guerre n’a jamais cessé de rêver de 1’arme absolue qui transcende les distances et franchisse les frontières des pays. Une arme qu’aucun moyen ne peut contrecarrer.

Ce vieux rêve s’est réalisé grâce a la maitrise de I’ énergie nucléaire et la mise au point du missile intercontinental.

Néanmoins, cette arme absolue a vite fait de bouleverser la stratégie mondiale de fond en comble : on disait à l’époque des guerres classiques que c’est le dernier quart d’heure qui décide du résultat de la guerre. Aujourd’hui, il est plutôt plus juste de dire que c’est le premier quart d’heure qui en fixe I’ issue.

Les choses ont pris ainsi une nouvelle signification dans la logique de la guerre, qui occupe désormais les dirigeants de la politique internationale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si bien que si M. Foster Dulles avait été sincère et dévoilé son arrière-pensée au grand jour quand il évoquait l’installation d’une base militaire américaine en Asie, il aurait certainement déclaré qu’au fond et qu’en réalité, il cherchait a construire des installations qui attireraient la foudre du premier quart d’heure d’un conflit atomique, loin des implantations, des habitants et des centres de production en Amérique.

Si les dirigeants politiques occidentaux avaient été sincères a notre égard, nous aurions appréhendé a sa juste valeur la signification des dons en dollars que les Etats-Unis allouaient a certains gouvernements africains et asiatiques en contrepartie de la construction de « paratonnerres » sur leurs territoires, prépares ainsi a devenir des objectifs en ligne de mire de l’arme atomique, au cas ou le conflit se déclencherait.

C’est l’idée que dissimule M. Dulles en son for intérieur a travers la politique des alliances militaires qui, a l’exemple de l’Alliance atlantique, sont créées en Asie et en Afrique. Ces mêmes alliances sont devenues cependant vaines dans la mesure où la planète elle-même s’en est trouvée réduite en dimension sous le poids des conséquences et des résultats prévisibles des destructions et des ruines, qu’aucune précaution du genre de celui qui effleurait l’esprit de Dulles n’est en mesure de stopper.

Une troisième guerre mondiale qui tenait les peuples en haleine parait ainsi une lointaine éventualité.
La politique est en outre engagée dans la voie de l’examen des moyens de gagner le pari de la paix plutôt que celui de la guerre.

Cela ne veut pas dire cependant qu’en fonction de cette nouvelle tendance les problèmes entre les forces antagonistes aient disparu : leurs raisons d’être et, partant, l’existence d’adversaires demeurent pleinement posées. Elles sont liées, d’autre part, a certains résidus psychologiques dont j’ai essayé de montrer la nature dans une précédente étude en évoquant la question de l’obsession de puissance et de domination ».

Si, pour ces considérations, la guerre n’éclate pas, il n’en demeure pas moins que la lutte continuera… par le moyen d’une autre arme et dans des arènes nouvelles. Les victoires se décideront alors sur le front de la bataille idéologique.

Il ne doit pas subsister l’ombre d’un doute, par ailleurs, sur la rivalité qui oppose les adversaires situés sur l’axe Washington-Moscou qui, pour s’attribuer les éléments de la puissance, recourent a l’arme des idées. A l’avenir, leurs bombes atomiques ne seront plus en mesure de régler leurs problèmes demeurés en suspens.
Une pareille déduction est d’ailleurs parfaitement conforme aux prévisions et aux prophéties de sommités de la science et de la pensée, a l’image de Bertrand Russel. Dans un article consacré a ce thème, Russel en arrive à conclure que : « tous ceux qui pensent qu’une victoire du communisme est devenue impossible doivent se ressaisir et revoir leurs idées, ils doivent désormais admettre qu’il peut se propager grâce non pas a la force mais a la conviction ».

Si l’on se contente d’aborder – dans cette nouvelle étape de l’histoire de l’humanité – tout ce qui concerne l’axes Tanger-Djakarta, le problème s’imposera a nous, ils revêtira une double aspect.

D’abord, ii faut penser a donner a nos idées un maximum d’efficacité ensuite, il est nécessaire de connaitre les moyens déployés par le colonialisme pour atténuer au minimum l’efficacité de ces idées.

On se heurte en fait à deux problèmes. Il s’agit d’une part d’envisager comment produire des idées efficaces au sein de nos sociétés et de voir ensuite comment comprendre la méthode du colonialisme dans la lutte idéologique pour qu’il n’ait pas d’emprise sur nos idées, d’autre part.

Je m’intéresserai dans les pages qui vont suivre à la seconde question : quelle est la voie nuisible employée par le colonialisme contre nos idées ?

C’est la question a laquelle je tenterai de répondre en me basant sur une expérience personnelle que j’estime utile pour deux raisons :

La première est qu’elle couvre un quart de siècle de ma vie ;

La seconde est qu’elle s’est déroulée dans un pays colonise ou le colonialisme pouvait utiliser à souhait tous ses moyens.

Il est possible de présenter cette expérience comme une simple histoire a narrer au lecteur ou comme les mémoires d’un combattant sur le front intellectuel.

J’éviterai cependant la première option. Elle pourrait inspirer au lecteur l’idée qu’il est en train de parcourir une histoire fictive. Je m’abstiendrai également d’aller au second choix, dissuadé cette fois par l’idée d’évoquer forcément beaucoup de détails personnels dont j’estime qu’il n’est pas opportun de parler ici. Je souhaite néanmoins qu’en filigrane le lecteur lise entre les lignes parce qu’elles révèlent la rigueur et la précision des plans conçus par le colonialisme dans la lutte idéologique.

Nous avons déjà dit que le colonialisme est un metteur en scène qui, a partir des coulisses, ne souhaite pas que la lumière éclaircisse la scène au moment où il se joue un acte de la lutte idéologique. Il lui serait profitable, de cette manière, de jeter en temps voulu un peu de lumière sur celui qui joue un rôle dans cette scène, même si cette lumière est émise a partir d’un lampion a dessein de bien mettre au grand jour la lutte idéologique ; autrement dit, lorsque le monde se trouvera contraint de mener le combat des idées.
Cette contribution nous offrira peut-être l’occasion de décrire la particularité qui singularise ce combat dans les pays colonises où – nous lavons déjà signalé – il est isolé de la conscience, a l’ intérieure comme a l’extérieur.

Par conscience de l’extérieur, ce ne sont pas le journaliste ou l’ecrivain progressiste uniquement qui en sont concernés. J’ai montré auparavant les motivations qui conduisent a leur réclusion psychologique face a la lutte idéologique dans les pays colonises. Le propos s’adresse ici à l’intellectuel arabe lui-même, l’intellectuel qui mène le combat contre le colonialisme au rein d’un « front nationaliste ». Il n’a pas, en dépit ou plutôt en raison de ce fait, acquis une expérience personnelle dans des conditions inhérentes a celles d’un combattant solitaire : seul, isolé sur le front de la lutte idéologique dans son pays.

Pour ceux qui veulent connaitre les moyens déployés par le colonialisme dans ce domaine précis, il est nécessaire d’être en contact direct avec lui, alors qu’un tel contact n’est cependant guère possible pour celui qui milite au sein d’un « front nationaliste ». Un front qui lui assure financement et protection, 1’entoure de considérations et lui offre généralement un poste enviable.

A l’opposé, le journaliste ou l’écrivain progressiste qui luttent dans leur pays (colonisateur) contre le colonialisme au moyen de la plume ou de la parole sont protégés par les lois de leur pays contre toutes les formes d’injustice. Ces mêmes lois protègent également leurs familles. Bien plus, il arrive que leurs idées soient tenues en haute estime, a l’image de celles défendues par les Anglais libres qui ont accompagné le Mahatma Gandhi sur le chemin du Satyagraha, le chemin qui a débouché sur indépendance de l’Inde.

On en déduit que pour celui qui se trouve implique dans un pays colonise comme l’Algérie, c’est-a-dire un pays qui ignore qu’un combat d’idées se déroule a l’intérieure de ses propres frontières, la lutte idéologique a ses propres conditions. Le colonialisme se permet ainsi l’avantage d’isoler celui qui s’est engage dans la bataille en état de fidai qui livre le combat a son compte et a ses risques et périls, sans base arrière pour le financer ni armer son combat.

Les conditions des pays colonises ne laissent guère le choix a celui qui s’engage dans la lutte idéologique. Si l’on admet qu’il a choisi ce type de combat de son propre chef, notre hypothèse sera entachée de quelque chose d’arbitraire puisqu’on l’accusera d’un haut degré de stupidité ou d’un excès d’héroïsme dont il ne peut s’arroger le mérite.

Néanmoins, les événements tournent d’une façon mécanique, suivant des règles strictes imposées par la nature du combat dans les pays colonisés, par le jeu de comparaison des situations et des conditions qui lui sont propres. Ce sont ces phénomènes qui décident du type de bataille à livrer et ce sont eux aussi qui cantonnent celui qui s’y aventure dans la condition ingrate de combattant solitaire.

Pour que de tels faits soient plus clairs dans les esprits, un exemple puisé dans notre propre réalité pour les étayer : la Révolution de juillet 1952 en Égypte a été l’un des événements les plus marquants dans la bataille idéologique. En mettant un terme au règne de Farouk, elle a annoncé une ère nouvelle. Le phénomène avait produit sur les consciences une étincelle électrique a l’effet secouant, aussi bien dans les pays arabes que dans le monde musulman.

Une certaine idée représentant un rôle nouveau fait son entrée sur la scène de la lutte idéologique.

Devant cette réalité, il faut imaginer le haut degré de l’intérêt que porterons les différents centres spécialisés a cette nouvelle idée émergente immédiatement repérée, elle provoque l’alerte aussitôt apparue.

Il s’ensuit l’entrée sur scène d’un deuxième acteur : le colonialisme.

La bataille commence réellement a gagner en intensité grâce a l’adhésion de l’opinion publique dans les pays colonises et a leurs réactions devant les événements du Caire. La conscience algérienne a fait preuve, par exemple d’une attention particulière aux questions de la réforme agraire et de la propriété terrienne, que la révolution égyptienne a proclamées parmi ses objectifs fondamentaux. Le peuple algérien a voué une admiration particulière pour une telle question parce qu’elle incarnait en fait sa propre cause des lors que le colonialisme, en traçant sa politique algérienne, avait fixe dans ses visées l’appropriation de ses terres et le démembrement de la classe des fellahs.

Le colonialisme s’aperçoit ici qu’il fait face à une situation dangereuse. Aux prises avec une « idée nouvelle », il est tout a fait naturel qu’il se prépare a la charge par une campagne, au besoin violente, contre cette idée.

C’est la sommairement une image des conditions qui constituent subitement un chapitre nouveau de la lutte idéologique dans les pays colonisés.

Ce qu’il faut noter au même moment, c’est que la presse « nationaliste » autrement dit la presse des partis qui dans le pays endossent la mission et portent la marque de la lutte contre le colonialisme, a adopté, a regard de ces événements, une attitude a la limite de la neutralité. Sur ces événements, elle ne reprend que les informations publiées par des agences de presse dont les liens avec le colonialisme ne sont pas un secret. Le cas est tel qu’il est facile pour les dirigeants colonialistes d’élaborer leur campagne contre l’idée nouvelle dans des conditions propices.

C’est dans ce contexte que le colonialisme a mené précisément des attaques contre l’idée de la réforme agraire et de la propriété des terres agricoles. Rien d’étonnant jusqu’ici. Ce qui est en outre plus intéressant, c’est qu’il s’est permis de publier sa première attaque dans les colonnes d’un journal prétendument nationaliste, qui de surcroit se réclame de la lutte contre le colonialisme.

Au lecteur de s’étonner. Il n’empêche cependant que c’est la réalité de la lutte idéologique dans les pays colonises…

Imaginons ensuite l’attitude à observer en pareilles conditions. Vous n’aurez de choix que celui de vous taire, faisant le jeu du colonialisme et de son intérêt ou, à l’inverse, réagir pour une cause du peuple.
Dans l’hypothèse où le choix est porté sur le deuxième cas, il faut tirer les enseignements qui s’imposent en pareil contexte. Dans ces conditions, en effet, vous ne pouvez vous engager dans la bataille que parfaitement isolé du « front nationaliste » qui symbolise normalement, rappelons-le, la lutte contre le colonialisme. C’est, en d’autres termes, cette situation qui vous force à entrer dans la bataille en résistant en solitaire, répondant à votre seule conscience, démuni de tout moyen, sans logistique et sans armes supposées fournies par une base arrière.

Ce sont exactement les conditions de la lutte idéologique dans les pays colonises. S’y engager n’offre que le dilemme de continuer dans cette voie et dans ce contexte, ou d’abandonner et se retirer du champ de bataille.

Le lecteur n’ignore sans doute pas que le colonialisme est aux aguets et qu’il vise évidemment a acculer le combattant à la deuxième solution, c’est-à-dire le pousser au forfait.

II mettra à profit, pour atteindre cet objectif, tous les points faibles dans les pays colonisés au chapitre de la vie idéologique, ainsi que tous les résidus négatifs hérités dans leur vie politique.

Il faut clarifier cet aspect de la question en raison de l’importance qu’il revêt dans le déroulement de la lutte idéologique. Si l’on entreprend une étude comparée des cas de figure politiques dans les pays sous-développés ou dans un seul pays à travers les différentes étapes de son évolution, nous aboutirons en général à deux catégories de politique. Chacune découle d’une réalité propre.

La première est une politique qui se traduit dans des idées imprimées. La seconde est une politique qui se manifeste à travers des idées exprimées.

La première peut-être une métamorphose évoluée de la seconde, tandis que la seconde peut être la forme avilie de la première. Chacune des deux catégories possède ses propres considérations qui découlent de ses racines psychologiques profondes et de leurs implications.

La politique qui évolue au rythme des idées imprimées rencontre, par la force des choses, la conscience populaire et se conforme par ailleurs aux principes, aux paramètres et aux règles qui commandent sa conduite. Elle porte en elle le principe de l’autorégulation que lui dicte une sorte de pouvoir d’ajustement propre qui régule, au besoin, son mouvement et ajuste son orientation.

Comme dans toute opération mathématique, chacun de ces mouvements nécessite un commentaire du résultat, double d’un correctif approprié. La politique adoptée entreprend constamment la révision de ces résultats.

Cette révision constitue pour elle une sorte de protection et d’immunité contre une éventuelle intrusion d’un élément étranger qui tenterait de détourner le cours de sa trajectoire et de changer son issue. Elle agit en tant qu’appareil régulé qui déclenche le signal de l’alerte rouge du danger chaque fois qu’un événement surgit en cours de route, menaçant de modifier son mouvement ou son orientation.
Un homme politique avait bien résumé toutes ces considérations ou disons qu’elles se sont résumées d’elles-mêmes, dans son esprit lorsqu’il a déclaré il y a deux ans : « Notre politique ne se trompe pas parce que c’est une science. »

Nous croyons qu’il a tout à fait raison dans son jugement dans la mesure où une science ne se trompe pas.
Néanmoins, dans les cas de pays qui n’ont pas encore atteint un degré suffisant de développement, de ceux qui ont subi les aléas et les bouleversements de l’histoire, de ceux qui sont victimes de cataclysme dans leur évolution ou encore de ceux qui ont connu une régression totale, l’instar de l’Allemagne sous Hitler, dans tous ces cas, l’ idée imprimée est incarnée par un individu pour instituer une forme politique particulière. Cette idée, échappant aux critères de la raison, s’accomplit dans un individu.

Elle se développe, évolue et s’organise au gré de ses intérêts propres. Ces mêmes intérêts finiront viscéralement par devenir les justificatifs, les motivations et les critères d’une politique émotionnelle.
Il arrive que l’individu en question s’éclipse ou plutôt qu’il soit éclipsé. II sera remplacé par une entité complexe ou plus précisément par un « compose individu » unis par un contact organique, à l’image de ce que la médecine appelle les frères siamois.

Il arrive aussi que le contact s’établisse au moyen d’un appareil digestif commun. L’entité complexe reposera alors sur une solidarité digestive. Tout ce qui transite par la gorge d’un individu, au sein du compose d’individus, entre dans une opération digestive commune.

La « question », comme on dit dans le langage politique, devient une affaire de digestion. En outre, rien ne s’oppose à ce qu’il y ait dans les têtes reliées a l’appareil digestif des idées distinctes. Pourvu que les divergences ne remettent pas en cause la digestion, sous peine de voir le compose d’individus se débarrasser de la tête qui porte une idée incommodante et de l’exclure de son appareil digestif.
C’est un compose extrêmement précis et le colonialisme en maitrise la formule avec la précision d’un horloger ingénieux. Il met au point un dispositif apte à transformer quelque idée que ce soit qui émerge dans les pays colonises en une idée exprimée, exposée à son vouloir. Il disposera de ce fait du meilleur moyen d’étouffer toute tentative qui fait son apparition dans les pays colonises et qui vise à reformer leurs régimes politiques.

C’est un dispositif qui fonctionne suivant un mécanisme psychologique simple. Il tourne grâce aux penchants sensitifs et il est orienté par les facteurs qui mènent vers une politique émotionnelle, c’est-à-dire des facteurs exprimés, a un certain niveau, par des intérêts particuliers.

Le colonialisme sait tout sur le mécanisme régissant de tels intérêts. Des intérêts qui traduisent, en fin de compte, les réactions d’un appareil digestif.

Il ne faut pas perdre de vue l’idée que la politique ne se fourvoie pas et qu’aucune tentative ne peut la détourner de son chemin tant que ses motivations restent ancrées dans une conscience éclairée, dans un esprit discernant et dans un cœur sensible, c’est-à-dire tant que ses motivations demeurent reliées aux idées.

Si, a l’inverse, ses motivations découlent du mécanisme de l’appareil digestif, le colonialisme peut disposer à son aise désirs de cet appareil et, en d’autres termes, user des instincts du compose d’individus pour que les pays colonises demeurent toujours livrés politiquement et économiquement a sa discrétion.
Dans les pays de la zone afro-asiatique, les exemples sur de telles situations foisonnent. L’Egypte, a titre illustratif, poursuit depuis deux ans son développement économique malgré le poids d’une forte pression exercée de l’extérieur sur son économie, principalement depuis la mise en œuvre du fameux Plan Eisenhower (2). Parallèlement, l’activité économique dans d’autres pays en Afrique et en Asie s’embourbe, en dépit des dollars injectés à doses répétées. La politique suivie dans ces pays n’est pas soumise à une autorité qui procède d’une conscience, d’une raison et d’un cœur, qui émane d’un pouvoir d’idées, mais d’une politique qui obéit aux désirs végétatifs d’un estomac.

L’estomac, sur lequel le colonialisme a place les têtes dirigeantes, contrarie l’activité normale dans le pays.
En abordant cette entité étrange, nous ne parlons pas, en fait, d’un animal préhistorique mais d’un animal contemporain : un être amibien dont les motivations végétatives commandent les politiques primaires.
Dans la composition de cet étrange appareil, il n’est demandé pour toute précision que d’accomplir le but assigné aux instincts pour accomplir une fonction politique dans les pays colonises. Nous avons montré que le colonialisme maitrise cette composition. Le fondement de son succès, dans une telle entreprise, repose sur tout ce que comporte la psychologie des peuples, en général, comme penchant naturel pour la tendance simpliste et les choses

Quand une politique est conçue suivant le principe de la facilité, elle séduit autour de cette propension des fouler de personnel animées de bonnes intentions et qui évaluent les choses selon les facilités du moment et non suivant les difficultés de l’avenir.

Si l’on considère, en outre, qu’un certain attrait vient surcharger ce penchant naturel, nous mesurerons alors l’inévitable dérive qui mène vers ce bourbier de facilités attrayantes. Ce fait existe effectivement : la voie de la facilité débouche implacablement sur une politique végétative qui assouvit les désirs des seuls instincts. Cette vole est largement disponible dans les marches politiques. C’est à ce moment-là que des termes comme colonialisme, impérialisme et nationalisme servent à lubrifier la descente pour que le penchant vers la facilité soit plus libre encore.

L’on a vu lors de la conférence afro-asiatique de Bandung comment certains imposteurs ont effectivement usé abusivement des vocables de « communisme » et de « colonialisme », dans l’objectif bien tramé de dévier la conférence et de la détourner de la voie de l’organisation constructive vers celle des acclamations et du brouhaha.

C’est dans la nature même de l’homme, dans son penchant naturel, alors qu’au contraire, dans les pays développés, des programmes culturels pourraient être élaborés pour combattre ces origines psychologiques nuisibles et parer a toute déviation dans la société.

A l’inverse, le colonialisme exploite de telles prédispositions dans les pays colonises et conjugue leurs origines psychologiques a des programmes pédagogiques savamment élaborés. Il met à profit l’absence, dans leur culture héritée de l’époque de la décadence, de facteurs capables de combattre les causes de la déviation invétérées dans la psychologie de leurs peuples. Si bien qu’il échafaude, a partir de ces mêmes dispositions, les éléments d’une politique « émotive-instinctive », de surcroit en parfaite harmonie avec ses intérêts. Il l’élabore en associant les nobles sentiments du peuple aux bas instincts d’un « compose d’individus » donné.

Sachant qu’à l’évidence tout peuple colonisé voue une vive répulsion au colonialisme, il utilise la passion que suscite le terme « colonialisme » pour imbriquer l’innocence du peuple colonisé dans les instincts d’un « compose d’individus » qui dirige sa politique.

Le mot « colonialisme » constitue l’arme la plus dangereuse employée par le colonialisme lui-même. C’est aussi le plus efficace des appâts qu’il tend pour duper les masses ; et il n’y a pas un seul traitre que le colonialisme a placé au sein du front de la lutte des peuples colonises qui n’ait pas utilise le vocable magique « colonialisme », comme un sésame qui lui ouvre des portes jusque-là fermées pour faire irruption dans les sentiments des masses.

Le colonialisme a réussi a travers des slogans émouvants à marquer la politique des pays colonises d’une estampille primitive, s’assurant ainsi les victoires du présent et du futur a la fois. II est conscient que s’il est toujours aisé de duper un individu ou un « compose d’individus », il est en revanche difficile de tromper ou de corrompre une idée.

On saisit mieux, alors, tout l’effort que le colonialisme va déployer pour isoler les idées et les écarter du domaine politique, au point que les actions de contrôle, de révision ou d’autocritique susceptibles de mettre a nu ses intentions et ses projets, et de les bloquer en conséquence, deviennent une entreprise impossible.

Le colonialisme est un diable. Mais s’il commet, consciemment ou par inadvertance, l’erreur de dire ouvertement toute son admiration pour le compose d’individus et de le remercier pour services rendus, il s’agira alors d’un diable stupide ; aussi stupide que le ministre américain des Affaires étrangères si, par mégarde, il va jusqu’a faire part de ses remerciements publiquement, par radio ou par voie de presse, à un gouvernement africain ou asiatique pour avoir autorisé l’installation de bases militaires dans son pays, des remerciements pour un acte qui aurait pour conséquence d’attirer les foudres nucléaires en direction de ces pays et de les éloigner des Etats-Unis si un troisième conflit mondial venait à se déclencher .

Le diable, le colonialisme autrement dit, deviendrait plus stupide encore au cas où il s’aventurerait à adresser ses remerciements au composé d’individus en tant qu’estomac digérant son repas dans la quiétude totale de façon à ne divulguer ni ses intentions ni ses projets.

Le colonialisme soumet tous ses actes et paroles à un savant calcul pour que le contact entre les intérêts du « compose individu » et les passions du peuple ne se délie pas. Autrement dit, le maintien d’un contact entre les instincts des ventres dominants d’un cote et les conditions émotionnelles, soumises à son emprise, de l’autre.

Préserver ce contact est la condition essentielle dans le plan stratégique du colonialisme, laquelle requiert dans le cas de sa mise en œuvre : premièrement, qu’il frappe toutes les forces qui lui sont hostiles, quelle que soit la bannière sous laquelle elles se présentent ;

Deuxièmement, qu’il les empêche de s’unir sous une bannière plus efficace encore, dans toutes les conditions.

La stratégie du colonialisme dans la lutte idéologique procède de ces deux conditions ; il empêche le contact entre la penser et l’action politique afin de laisser la pensée stérile et rendre la politique aveugle.
C’est dans ce but qu’il recourt a la méthode de la congélation, pratiquée sur le front de la lutte pour geler les forces de 1’ennemi à un point défini.

Pour y arriver, le colonialisme utilise la méthode connue dans les arènes espagnoles, ces lieux ou le torero agite la muleta en face d’un taureau acharné qui redouble de férocité lorsqu’il fonce en direction de l’étoffe rouge brandie, au lieu d’attaquer le torero. II continue ainsi ses vaines attaques jusqu’a épuisement total.
Le colonialisme agite, en diverses occasions, quelque chose pour provoquer le peuple, susciter son ire et l’enfoncer dans une situation proche de celle de l’hypnose, jusqu’au point de perdre conscience. II deviendra ainsi incapable de comprendre son propre comportement, de l’apprécier et de le juger à sa juste valeur. Ainsi, inconsidérément, il assène vainement ses coups, dépense ses potentialités et gaspille son énergie sans atteindre d’une façon nette l’adversaire, qui agite toujours l’étoffe rouge…

Le colonialisme est un torero… dans le domaine politique.

Le peuple, débonnaire et humble, poursuit son chemin dans ce contexte dramatique comme si, paradoxalement, ce sont les lourds sacrifices consentis qui l’ont neutralisé et condamné a s’éterniser dans la même situation.

Nous débouchons ainsi sur un étrange résultat dans la psychologie politique. La politique émotive ne trouve pas ses justifications dans son succès mais dans sa défaite : à mesure que le souffle du taureau s’estompe et que son sang coule dans arènes, son acharnement contre l’étoffe rouge redouble d’intensité et devient plus acerbe encore.

Le colonialisme maitrise parfaitement la mise en marches de cet appareil ; n’est-ce pas lui qui l’a crée et monté, ou du moins en a élaboré quelques procèdes, sachant qu’il s’agit de moteurs qui sont le fruit non pas du génie d’une conscience mais de caractéristiques qui découle d’un estomac… ?

Il continue ainsi à brandir l’étoffe rouge pour distraire le peuple colonise, pour le distraire et l’éloigner de toute occasion de se ressaisir, de méditer son cas et d’aborder ses problèmes à travers une logique d’efficacité, et le soumettre, en d’autres termes, aux règles d’une politique scientifique.

C’est ainsi que le colonialisme neutralise les forces qui militent contre lui. Il les neutralise à un certain point et sous une certaine bannière.

Si l’occasion se présente à une personne avisée au jugement mesuré et ayant une vision juste du cours de l’histoire, celle-ci aura la possibilité de suivre attentivement les épisodes de la lutte idéologique dans un pays colonise donné, depuis l’entrée en scène des forces hostiles au colonialisme. Son attention sera particulièrement attirée par le fait que le colonialisme dirige les feux de la rampe sur un coin choisi de la scène, c’est-d-dire précisément sur le point précis qu’il veut geler, au sein des forces hostiles.

La même personne remarquera ensuite qu’un autre coin de la scène est plongé dans le noir. Si elle l’examine attentivement, elle notera que l’éclairage a été délibérément déplacé de cette partie de la scène. Comme si une volonté occulte veille à ce qu’elle demeure couverte d’obscurité ! C’est dans cet endroit précisément que le colonialisme veut isoler l’idée et, avec elle bien sur; le combattant engagé dans la lutte sous son étendard. Un combattant contraint par les circonstances à s’y enrôler seul. Un combattant solitaire, ciblé et qui subit des tirs croisés fusant de toutes parts.

En méditant ces considérations, la personne découvrira une vérité troublante qui provoque la stupeur : il y a une collusion tacite entre la politique répondant aux seuls instincts et incarnée dans un « tube digestif », et le colonialisme. Quelle que soit la certitude d’une telle connivence, il n’est forcément pas nécessaire que toutes les têtes placées sur le « tube digestif » agissent en connaissance de cause. Cet hébétement découle, nous l’avons déjà montré, de la nature même de la politique émotive, encline par définition au simplisme. Elle émane, en d’autres termes, de la nature de la colonisabilite.

Il n’empêche que cette collusion, cette complicité pourrait être le fruit d’une action concertée. Nous ne pouvons pas imaginer, par exemple, que le « composé d’individus » qui dirige a Karachi ignore son rapport avec le colonialisme ni son rôle dans la politique des alliances colonialistes, alors qu’il s’agit de 1’appareil le plus précis place par le colonialisme. En effet, maitrisant parfaitement cette composition, ce dernier a réussi à placer la tête d’Ali Khan sur le « tube digestif » qui constitue l’appareil du pouvoir dans ce pays soumis à l’arbitraire.

En dépit ou à cause de cette précision et de cette maitrise dans la fabrication de machines digestives dont il tente de faire des appareils de pouvoir dans les pays colonisés, le colonialisme risque de se trouver en face d’un fait accompli lorsqu’un brusque signal de danger résonnera et le prendra au dépourvu. Le signal le surprendra malgré toutes ses précautions et en dépit de ses prévisions et de ses associés, complices dans son entreprise. Complices qui ont succombé à son appât ou dévoilé leur stupidité.

Lorsque le signal d’alarme retentit, c’est un peuple aux nerfs fatigues, aux grandes douleurs et cédant à la colère qu’il a failli réveiller. Comme si la muleta l’avait mis dans un état de déconcentration et de quasi-torpeur hypnotique !

Le signal d’alarme qui retentira soudainement pourrait lui rappeler son droit, ou plutôt son devoir, d’être plus regardant sur la politique adoptée dans son pays, d’imposer son contrôle et de demander des comptes et, au besoin, de la réviser. Voilà le plus grand danger qui guette le colonialisme face à un peuple qui veut prendre en charge lui-même sa vie politique. C’est ce qui s’est passé, ou a failli se passer, lorsque le Congres fondé en Algérie en 1936 a mis les dirigeants des milieux colonialistes en alerte générale.

C’était une véritable montée des périls pour le colonialisme. Des que le signal rouge est apparu, il a senti la menace qui pesait sur le contact soigneusement mis en place pour relier les instincts primaires qui animent le « compose d’ individus » et les impulsions qui excitent les masses d’une part, et l’opération de digestion et la politique qui poursuit la facilité d’autre part.

Comment réagira alors le colonialisme ?

Il faut d’abord remarquer que l’alerte lui a effectivement été communiquée par l’intermédiaire de ses propres observatoires avant qu’elle n’atteignit la conscience du peuple, un peuple démuni d’un tel dispositif d’alerte qui eut pu le prévenir et lui annoncer une telle information (mission dévolue, par exemple, a une classe intellectuelle consciente).

Avec cette même observation, on entre de plain-pied dans le sujet : le signal d’alarme, au moment où il retentit annonçant l’édition d’un livre, la parution d’un article, la publication dune interview, signifie que le premier épisode d’une partie de la lutte idéologique est en train désormais de se jouer.

La lutte idéologique … Ce terme est-il chargé de signification dans les pays colonisés, sachant que ces mêmes pays ignorent en général la valeur de l’idée dans le destin des sociétés ? Des pays qui ignorent en plus la rigueur des plans conçus pour dominer et sceller le sort des peuples arriérés par l’intermédiaire de leurs idées ?

Il faut saisir la différence fondamentale entre deux attitudes. D’abord celle de l’individu qui ne voit l’eau que sous l’angle d’un simple breuvage destine à étancher sa soif et à irriguer ses terres, et ensuite celle de l’individu qui veut en savoir davantage : qu’est-ce que l’eau ? Quels sont les éléments qui la composent ? Dans quelles conditions s’effectue cette composition ?

La différence est claire entre la position de celui qui sait mécaniquement utiliser l’eau et l’attitude de celui qui désire disposer d’une chose mais en dépassant le cadre de ses seuls besoins.

Les pays colonises aussi méconnaissent généralement ce qu’est la lutte idéologique ; mais ils subissent passivement ses effets pervers dans leur quotidien.

Lorsque ils envoient par exemple une mission d’étudiants achever leurs études supérieures, ils ont forcément accompli un acte en rapport avec la lutte idéologique. Ils ignorent cependant avec précision les données de cette lutte, sa méthode, ses moyens et ses objectifs.
De ce fait, leur rôle prend fin une fois que la délégation a quitté le territoire. Ils se contenteront alors de la simple responsabilité des dépenses, responsabilité dévolue à une banque qui alloue à chaque étudiant un montant mensuel.

Mais ces pays ne savent pas que la mission d’étudiants, confiée simplement aux bons soins d’une banque, est désormais impliquée à son insu dans la lutte idéologique. Le colonialisme prend parfaitement en charge cette mission et l’entoure d’une surveillance stricte. II a élaboré pour chacun de ses membres un dossier où il consigne les éléments de sa conduite. Si bien que le colonialisme dispose de renseignements plus détaillés et mieux fournis que ceux en possession du service ou du ministère qui les a envoyés.

Pour la mission, il s’agit ici du premier acte, la prise de contact, suivi du deuxième acte, l’orientation.

Le colonialisme use dans pareil cas de tout son génie diabolique pour que la mission soit dénuée de tout savoir scientifique profitable et pour que l’étudiant rentre bredouille au pays. II agit dans ce sens suivant les renseignements notés dans les dossiers : il alimente les passions et les instincts sans dépenser un sou, les charges étant supportées par le budget même du pays colonisé. La banque concernée alloue mensuellement, les montants indiqués…

Cette orientation négative se poursuit dans la discrétion comme un secret parmi les secrets, jalousement enfermés dans le tréfonds du colonialisme, sur le sujet de la lutte idéologique. Un secret dont nous ne savons rien, nous autres enfants des colonies, jusqu’au moment ou un écho nous parvient dans un quotidien sous forme d’un scandale ou d’un crime commis par un membre de la mission, sans que l’on sente qu’il s’agit en fait d’un écho de la lutte qui se présente sous une forme fragmentée et éphémère.

Nous nous sommes, en effet, accommodés d’un esprit atomistique qui décompose les choses au point de ne plus pouvoir réaliser que les éléments séparés qui évoluent dans notre perception sont des composants qui découlent d’un ensemble uni. C’est une méthode qui échappe encore à nos esprits. En raison, par ailleurs, de notre retard social, nous ne sommes pas en mesure d’appréhender comment le monde dans lequel nous vivons obéit a une stricte organisation, c’est-à-dire un monde où les faits ne sont pas le fruit du hasard mais des résultats d’actions concertées et de plans bien conçus.

Puis nous arrivons au résultat final : des années âpres le départ de la délégation à l’étranger, nous réalisons que certains de ses membres rentrent bredouilles au pays. Les instructions fermes du colonialisme les ont battus en cours de route. Un autre groupe d’étudiants ne veut pas rentrer. En réalité, le colonialisme ayant remarqué sa supériorité intellectuelle, dans les matières scientifique par exemple, n’entend pas le laisser retourner dans son pays d’origine et pour cela, il utilise tous les moyens pour l’ appâter.

Nous n’appréhendons ce genre de problèmes que sous une forme générale et banale, comme de simples informations publiées dans les journaux. Nous ne concevons pas leurs raisons profondes, nous n’avons pas encore saisi que ces scandales quotidiens découlent en fait d’un scandale plus grand que ce que traduit notre approche puérile du sens du monde dans lequel nous évoluons.

En d’autres termes, le pays colonise vit la lutte idéologique et subit ses effets pervers dans son quotidien, dans son budget et dans sa morale, sans qu’il soit au fait de sa réalité. La bataille laisse planer sur l’ensemble de ses activités ses multiples effets alors qu’ii n’est même pas conscient qu’une lutte s’est bien déroulée a l’intérieur de ses frontières.

Le problème – nous l’avons montré ailleurs – est que les choses se déroulent sous nos yeux sans toutefois atteindre notre conscience. En fait, nous avons tendance à les prendre a la légère, sans véritablement aller au fond de leur signification.

Pouvons-nous espérer que le colonialisme donnera de la lumière pour éclairer la scène au moment où l’idée fait son entrée dans l’arène plus précisément dans le lieu même où commence la lutte ?

Nul doute qu’il sera un diable stupide s’il procède de cette manière car au contraire, il essayera d’accentuer la densité de l’obscurité et couvrir l’endroit voulu lorsque l’idée fera son apparition sur scène. II fera tout son possible pour isoler de la lutte toutes les énergies combattantes et pour les éloigner de la conscience du pays.

Lorsque le signal d’alarme est tire après la parution d’un livre ou d’un article, l’auteur concerné se retrouvera seul, dans une situation de militant isolé en dépit de toute sa volonté. II amorcera un combat en solitaire au sens propre, dépourvu de toute aide, sans aucune base arrière pour logistique. Les conditions qui ont fait de lui un combattant sur le front des idées ne lui laissent aucun moyen et ne lui accordent aucun appui aussi infime soit-il…

Le colonialisme s’inspire de ces mêmes conditions pour élaborer son plan face a ce militant, suivant des règles qui procèdent de la logique de la jungle et des bêtes sauvages. Il s’en prend sans discernement a sa famille, femmes et enfants compris. Les atteintes qui leur sont portées influent sur les nerfs et sur le moral du militant plus que les coups qui lui sont assénés.

C’est la méthode de la lutte idéologique dans les pays colonises dans sa dimension humaine. Ces conditions difficiles dictent cette méthode. Le lecteur peut trouver de simples insinuations qui touchent aux aspects de la vie de la personne impliquée et de sa famille. II lui faut lire entre les lignes s’il veut saisir l’idée exacte de la réalité de la lutte idéologique dans les pays colonises. Le colonialisme veut en faire un combat subreptice, muet, sans images ni écho, sans publicité. Il veut un combat nébuleux, chargé d’intrigues et de mystères, une lutte impitoyable qui n’épargne ni vieillards, ni femmes, ni enfants.

C’est l’aspect général de la 1utte idéologique dans les pays colonises qui se présente ainsi.


 

Miroir de renoncements et de frustrations

Les considérations exposées dans le chapitre précédent montrent comment la nébulosité constitue l’élément fondamental qui marque la lutte idéologique dans les pays colonisés et comment le colonialisme fait de son mieux pour embrumer cette lutte […]

Les considérations générales ne dissipent pas l’opacité dont le colonialisme enrobe la lutte idéologique si elles ne puisent pas des arguments dans des faits. Autrement dit des faits qui procèdent au fond d’une expérience vécue réellement dans des conditions données. Cette expérience incite à décrire le plan mis en œuvre par le colonialisme et incite a prendre en compte deux principes cardinaux, celui de l’opacité et celui de l’efficacité.

Le premier principe, l’opacité, commande au colonialisme de ne pas dévoiler son visage ouvertement dans la bataille, sauf si les circonstances l’y obligent et ne lui laissent guère le choix. II utilise toujours, ou trop souvent, le masque de la colonisabilité.

Le deuxième, l’efficacité, découle du premier principe lui-même, dans sa mise en œuvre, puisque le but du colonialisme ne concerne pas fondamentalement une personne en soi mais s’intéresse a ses idées précises qu’il projette d’annihiler ou de neutraliser et de les empêcher, ainsi, de produire leurs effets dans l’orientation des énergies sociales dans les pays colonises.

Cela ne veut aucunement dire que le colonialisme épargne dans ses visées la vie du militant. Il est vrai qu’il ne fait peser la menace sur elle que s’il y est vraiment contraint. Bien plus, il peut arriver qu’il montre sa déception ou qu’il manifeste son émoi devant la disparition du combattant, car sa mort provoque parfois l’éclosion de ses idées. Il a sans aucun doute vécu ce sentiment à la disparition du combattant qu’était Ibn Badis, qui a dirige l’idée « islahiste » en Algérie de longues années. Une idée qui s’identifiait au départ à l’« idée exprimée » mais qui s’est transformée, a la disparition de son promoteur, en « idée imprimée » échappant totalement au colonialisme.

Quoi qu’il en soit, le deuxième principe impose au colonialisme et dans le détail d’isoler le combattant dans l’arène de la lutte idéologique de deux cotes: provoquer l’aversion de ses idées au sein de l’opinion publique de son pays par tous les moyens idoines ; le rebuter lui-même de la cause pour laquelle il milite en créant chez lui un sentiment de peine perdue, qu’il milite pour une cause qui ne rime a rien.

Comment le colonialisme met-il en pratique ces deux principes dans des circonstances précises lorsqu’une idée fait son entrée sur scène… ?

J’ai déjà précisé dans une autre étude comment se comporte le colonialisme dans pareil cas. Il appuie sur un commutateur discret et donne, grâce à ses observatoires, le signal de départ à un flux de réactions opposées à l’idée en phase d’émergence dès qu’elle fait son apparition sur scène.

[…Bennabi va montrer comment le colonialisme va mettre en œuvre la diversion sur l’idée et la négation du détenteur de l’idée par les masses analphabètes et les élites politiques combattant pour la même cause que le détenteur de l’idée. Il faut briser l’idée de l’intérieur en l’isolant de son champ social, culturel et politique pour qu’elle n’ait aucune efficacité …]

Ce plan, qui transforme la nature du combat en faveur du colonialisme, est appliqué avec succès aussi bien dans le domaine de la lutte engageant les masses que dans le cas du combat mené solitairement par l’individu. Lorsque les événements et les conditions permettent une unité de lutte globale contre le colonialisme, ce dernier commencera alors la création d’unîtes de lutte fragmentées et dissociées. Le but évident poursuivi est d’instaurer des oppositions et de semer des rivalités entre les forces qui lui résistent. II en résulte une dérive de la lutte qui opposait auparavant les forces issues du peuple colonisé au colonialisme vers un combat, désormais fratricide, qui oppose les forces populaires elles-mêmes, a l’image de ce qui s’est passé en Corée, en Chine et en Inde après la partition du pays et, dans une certaine mesure, en Indonésie.

Un tel plan permet au colonialisme de réaliser deux objectifs :

Premièrement : l’organisation, au plan spirituel ou idéologique, du champ sur lequel se déroule la lutte contre lui ;

Deuxièmement : la dislocation des forces hostiles en présence et qui sont engagées dans la bataille.

Le premier résultat s’insère dans l’ordre des choses : une bataille qui perd son caractère d’unité globale perd forcement de son moral et de son cachet sacré aux yeux des masses. Ce constat explique ce qui se passe dans certaines batailles qui se déroulent aujourd’hui sous nos yeux.

Les nations qui ont acquis une expérience dans le domaine de la lutte politique savent que leurs moments les plus propices dans l’histoire sont ceux appelés dans le jargon politique l’«union sacrée », a l’instar de l’union instituée lors de la Révolution française pour faire front commun contre l’Alliance Royale.

Les plus grands moments de l’histoire sont toujours ceux ou se constitue l’unité d’une lutte globale livrée aux milieux hostiles, qu’ils soient naturels ou humains.

Lorsqu’un combat se présente sous cette forme, il est placé et élevé au niveau sacré de façon sublime. C’est l’apogée de son niveau idéologique.

Mais des qu’il perd ce caractère global, il décline tout droit vers le précipice.

La bataille amorce son état de décadence et de déclin idéologiques des l’instant ou de petites unités de combat (idéologique) se substituent a une unité globale. Et des que cette déchéance gagne le niveau spirituel, les forces engagées dans la lutte se désagrègent et s’effacent.

C’est là le second résultat.

Au cours de l’histoire de l’Islam, nous trouvons pareille illustration de la déchéance spirituelle qui conduit inexorablement au déclin politique, autrement dit à ce deuxième résultat.

Sur ce point, la bataille de Siffin a porte un coup sévère a l’unité globale bâtie par le Prophète Mohammed selon un précepte divin. Elle a, du coup, dégradé le niveau du combat inaugure depuis la bataille de Badr. Cet affaissement idéologiques n’a pas tardé a produire des effets désastreux dans le domaine politique… conformément au verset :  » Obéissez a Dieu et a Son Messager et ne vous livrez pas a des rivalités qui vous exposeront a la défaite et a la désunion…  »

Le colonialisme applique ces données tacitement dans ses plans conçus pour contrecarrer la lutte des peuples colonises : il veut un combat idéologique au rabais dans un premier temps en essayant de saper l’unité globale, qui confère a cette lutte un caractère sacre et également, une place de haute estime morale, sachant qu’il réalise par une telle entreprise les objectifs politiques qu’il s’est fixés.

[…]

Par des procédés divers, le colonialisme peut détourner la lutte engagée entre lui et les forces de libération vers une lutte fratricide ou, du moins, vers une rivalité entre ces forces elles-mêmes. Nous avons déjà montre comment il dévie un combat qui l’oppose a un individu – qui écrit, par exemple – pour en faire un conflit entre cet individu et ses propres frères…

[…]

Le colonialisme peut, de ce fait, détruire l’unité du front qui lui est hostile dans les pays colonises et paralyser son activité intellectuelle. Quant à l’activité politique, elle fonctionnera au hasard et les idées seront privées de toute efficacité.

[…]

Comment le colonialisme procède-t-il lorsqu’il ne lui est plus possible d’acculer le combattant au silence en le disposant par la terreur ou par la tentation, grâce au concours d’une conscience corrompue, ou par la docilité d’un « nationaliste » …?
II faut tout d’abord voir comment il établit un lien entre la lutte idéologique et la question politique dans les pays colonises une question qui suppose deux thèmes importants d’après leur enchainement naturel ; premièrement : regrouper les forces de la lutte pour l’émancipation politique ; deuxièmement : orienter cette libération qui vise a aboutir a l’indépendance psychologique.
Pour la première étape, nous avons déjà montre comment le colonialisme met tout en œuvre pour empêcher l’union de ces forces sous une bannière solidement assise et comment, dans ce cas, il use différents moyens pour atteindre cet objectif.
II nous faut donc former une idée sur la seconde étape pour mieux saisir l’image d’ensemble de la lutte idéologique durant cette étape.
Le combat de I’ Inde et du Pakistan, A titre d’exemple, s’est déclenché dans les mêmes conditions et sur un même territoire. Au départ, les forces de libération unies sous le même étendard du combat pour l’indépendance politique ont réussi a atteindre cet objectif.
Nous connaissons les vicissitudes vécues par ces mêmes forces une fois l’indépendance acquise. Dans deux sens diamétralement opposes, une partie a choisi l’Inde, l’autre le Pakistan.

Nous avons été témoins, par ailleurs, de l’usage fait de l’indépendance de la Turquie, reconquise sous Atatürk, par ses successeurs a Ankara. Une indépendance orientée et mise au service du colonialisme, si bien que le pays est devenu une base avancée de l’espionnage américain. […]

Si nous gardons à l’’esprit que pour les besoins de cette haute politique il est nécessaire d’imposer un contrôle rigoureux de tout acheminement et sur toute vente d’armes dans les pays colonisés, chose au demeurant largement vérifiée lors du déclenchement de la lutte de libération, nous admettrons alors forcement que cette même politique impose aussi une surveillance stricte sur le mouvement des idées dans ces pays.

L’idée conçue sur ce dernier contrôle reste faible, voire inconcevable, dans ces pays pour les deux raisons déjà évoquées et qui sont : premièrement : l’analphabétisme, qui sévit a grande échelle dans ces pays, ce qui engendre en conséquence l’incapacité de livrer un combat idéologique. Car l’analphabétisme ignore la valeur des idées qui ne sont pas perçues par lui comme un moyen de lutte et de liberté ; ensuite, la politique émotive dans ces pays provoque une méfiance a regard des idées clairement affichée par les dirigeants politiques, qui les perçoivent comme une source de crainte et d’inquiétude. Comme le colonialisme lui-même, du reste.

Les idées, en effet, ne s’accordent généralement pas avec le composé d’individus qui représente ces dirigeants politiques. Ainsi, lorsque le rideau se lève sur un épisode de la lutte idéologique, il met en vedette sur scène cinq acteurs : une idée dont l’existence est révélée par les observatoires spécialisés dans la lutte idéologique ; un peuple qui ignore l’entrée sur scène de cette idée ; un commandement qui la méjuge ; son promoteur qui se démène pour la communiquer et la transmettre ; un colonialisme qui tente de l’étouffer.

[…]

Que fait-il lorsque ses observatoires lui signalent l’apparition d’une idée?

Comment agit-il pour creuser un fosse de démarcation entre la société et l’initiateur de l’idée qui se hasarde à la divulguer ?
C’est notre sujet ici.
II faut imaginer l’ idée comme une cible du colonialisme qui pointe sur elle son artillerie en la considérant comme un objectif dans son point de mire, détachée ou collée a son auteur.

Le but du propos n’est pas de traiter la question dans son vaste domaine de réflexion mais de l’éclairer à la lumière d’une expérience personnelle, qui démontre comment le colonialisme utilise des moyens scientifiques dans la lutte idéologique…

[…]

La méthode en elle-même se caractérise par une simplicité remarquée, si bien qu’elle se présente dans sa forme théorique comme ce que nous pouvons appeler « miroir de renoncement », c’est-à-dire le miroir dans lequel se reflète la situation de frustration ou la situation de répugnance a l’encontre de l’objet répercuté.

[Malek Bennabi va montrer à la lumière de la psychologie sociale, la mise en scène et à partir de sa propre expérience personnelle comment on va insérer l’idée « imprimée » celle qui émerge de la conscience de la libération ou qui veut imprimer la conscience de la libération et l’auteur de cette idée dans un réseau d’auteurs et d’idées qui expriment des idées « exprimées » qui n’ont pour vocation que de discourir ou faire de l’esprit sans visée de changement. Ce réseau va s’établir en plaçant le sujet et son idée non plus comme sujet mais comme objet de reflets de ce qu’il appelle les composé de « Réflexion psychique » dont le rôle volontaire ou involontaire (manipulé) va mettre dans l’ombre, éclipser ou déformer l’idée subversive contre le colonialisme et son auteur. Ce réseau va agir comme un miroir de renoncement du public vis-à-vis de l’auteur et de ses idées et comme miroir de frustration de l’auteur qui ne trouve pas de relais à ses idées ni de moyen de la libérer de l’emprise néfaste des autres et de la promouvoir sans rentrer dans un débat ou une lutte marginale qui détourne du but principal et qui risque d’ajouter dans la confusion qui entoure l’idée et son auteur]

Ainsi, les répercussions (des idées exprimées par les autres) touchent forcement l’idée. Les reflets, reproduits par le « miroir de renoncement » sur le nom, se répercutent sur l’idée elle-même. C’est la règle générale.

[..]

Le lecteur sera envahi par le vague sentiment d’être en face d’une en énigme qui le livre au doute et a l’ambigüité.

Le colonialisme a cependant déjà prévu et pris en compte tous les éléments psychologiques qui constituent cette attitude négative. Il sait que le milieu musulman est atteint d’apathie et d’abattement. Ce qui nous livre a la stupeur face a certaines énigmes que nous refusons d’élucider. En termes plus généraux, nous sommes au milieu du chemin sans tenter de parvenir au bout, ce qui s’exprime au demeurant à travers notre dérobade et notre fuite en avant face aux problèmes quand ils surgissent soudainement et qu’ils nous prennent au dépourvu.

Le problème se répète. Le colonialisme combine ses intrigues en parfaite connaissance de la psychologie musulmane. Il connait également la carence qui empêche nos cerveaux d’établir le rapport requis entre les faits à partir desquels nous tirons une conclusion générale.

[…]

Il faut s’intéresser à chaque élément du cheminement mouvementé d’une idée dès lors qu’elle constitue un épisode de la lutte idéologique.

[Malek Bennabi montre comment des revues, des ouvrages et des figures illustres peuvent être utilisés de leur vivant ou après leur mort pour constituer ce miroir de renoncement et de frustration si l’on utilise sur l’idée et sur la personne du détenteur de l’idée les impressions négatives ( sur le plan objectif) qui vont se répercuter sur son idée par sa proximité, sous un angle donné et un éclairage particulier, dans le contexte de la célébration ou de la promotion des idées et des personnages de ceux représentant non pas la conscience mais au mieux la neutralité et l’inertie du discours sans idée et sans actions et au pire son hostilité. Le colonialisme peut utiliser pour cette action ce qu’aujourd’hui on appelle la contamination d’une image par une autre image : faire de l’amalgame en recourant à des personnes de bonne foi pour donner du crédit moral et à des traitres.]

Force est de reconnaitre la précisions diabolique du colonialisme puisque non seulement il recourt aux services de quelques canailles et de certains misérables, mais il utilise en plus des gens de bonne foi, exploitant leur prestige et leur intégrité morale, ménageant en toute circonstance le principe de la nébulosité. Dans le domaine politique, il utilise plus particulièrement la vertu comme caution morale pour éloigner, grâce a cette qualité, tout soupçon que pourraient susciter certaines relations suspectes entre le « compose d’individus » et le dispositif qui dirige la lutte idéologique dans les pays colonises par des voies scientifiques. L’une des conséquences de ce principe lors de son application est qu’il procède au montage des têtes insoupçonnables sur l’appareil digestif, lequel représente la politique émotive dans ces pays.

[…]

Lorsque la bataille contre une idée commence, le nom de son promoteur ne sera utilise que dans le but de bien ajuster le tir, comme signale précédemment. Il sera de ce fait place au centre du miroir à la jonction des lumières. C’est-à-dire, au centre des insinuations qu’on veut refléter sur lui pour qu’il répercute de son cote les mêmes reflets sur l’idée ciblée.

[En analysant le parcours et les idées de figures manipulés dans la fabrication du miroir du renoncement il va montrer que le reflet frustrant qui se reproduit sur les idées a deux principales origines la première est celle des idées qui n’imprime pas sur la conscience les valeurs et la libération et qui se contente de discourir avec esprit en s’adressant à l’esprit et non à la conscience car l’objectif est de narrer et non de réveiller puis d’inviter au changement ou d’en montrer les voies. La seconde cause du reflet frustrant est la contamination davantage par le comportement personnel de l’homme ou de son passé troublant que par ses idées…]

Face aux idées, le plan du colonialisme couvre deux aspects : un aspect général qui s’occupe des affaires mondiales et un aspect particulier qui s’intéresse aux pays colonisés. Nous avons, par ailleurs, évité de nous engager dans des discussions de nature politique générale, quoique le fondement du sujet soit d’ordre politique.

L’idée n’est combattue que parce qu’elle est un élément efficace dans la vie politique. Néanmoins, nous n’avons pas voulu de nous laisser entrainer dans des réflexions d’ordre politique par souci de n’aborder le thème que sous l’angle strictement intellectuel.

Si l’on place ces considérations aux abords du miroir déjà présenté, nous arriverons a conclure comment un système monté de cette manière émet des reflets frustrants qui sont répercutés sur le nom que ce miroir reproduit.

Le lecteur musulman auquel s’adressent les idées, justement ciblées, répercute sur elles et d’une façon mécanique ce que reproduit sur lui-même le « miroir frustrant » du nom de l’auteur de ces idées. Ce nom constituera le point de rencontre où se croisent les reflets du renoncement et ceux de la frustration qu’il reçoit de ce miroir, des reflets qui répercutent sur ce même nom les insinuations négatives émanant du coefficient personnel des écrivains. Les écrivains qui ont été impliqués dans le montage du système cité.

Le système en question se déclenche d’une façon autonome, d’après des règles psychologiques déterminées que le colonialisme manie parfaitement dans le domaine de la lutte idéologique. Il sait que d’une manière générale, le lecteur musulman ne dispose pas de facultés suffisantes pour appréhender et examiner les choses a leur juste valeur, à cause du retard de son pays, au point qu’il ne fonde pas ses jugements sur les idées directement a partir de leur valeur intrinsèque et selon leur nature mais sur leur forme que reproduit un miroir quelconque. II fonde ses jugements, pour ainsi dire, sur la forme que le colonialisme vent justement bien mettre en apparence dans le miroir. II porte son opinion, dans cet ordre, d’après l’image répercutée sur la vision. II ne la saisit pas intellectuellement. Il l’appréhende suivant la lumière psychique a laquelle elle est soumise de l’extérieur, non selon ses arguments intrinsèques.

[…]

Et c’est là précisément le plus haut degré atteint par le colonialisme dans la lutte idéologique et au cours de laquelle il applique, avec une rare précisions, le principe de l’opacité, d’un cote, et le principe de l’efficacité, de l’autre…


 

Autres montages du colonialisme

Il est inutile de rappeler constamment que le colonialisme est le mal par excellence et qu’il est présent dans le concret. Notre accord sur ce point est établi et ne souffre d’aucune équivoque.

A partir de ce point justement, deux voies défilent dans l’esprit qui veut soumettre le problème pour examen. La première découle d’une question qui nous interpelle a travers un certain degré de clarté lorsque nous nous demandons : Pourquoi ce mal existe-t-il ?

La deuxième prend son point de départ a partir d’une interrogation fondamentalement différente. Sa clarté est différemment perçue lorsque nous demandons : pourquoi, nous autres musulmans, sommes-nous singulièrement soumis en victimes a ce mai ?

Si nous avions accorde au sujet un tant soit peu de méditation, nous serions arrivés a conclure que les deux chemins mènent a des situations et a des résultats diamétralement différents.

La première question nous plonge vraiment dans le monde de la métaphysique, en ce sens que le problème posé ne trouve pas de solution pratique ou, en fait, aucune solution, du moment que tous les éléments du problème sont hors de notre portée et sont soumis a (‘influence de causes et de facteurs qui nous échappent.

Pourquoi le mal existe-t-il ? Pourquoi le diable existe-t-il ? Pourquoi le colonialisme les incarne t-il ?

Ces interrogations expriment en fait une seule et même question qui épouse différentes formes.

[…]

Si nous nous engagions dans La métaphysique il se pourrait que nous arrivions a polémiquer sur le sexe, masculin ou féminin, du colonialisme.

Et quand bien même cela pourrait se produire, je demeure absolument convaincu que le colonialisme nous montrera une première fois que nous sommes face a un male et une autre fois face a une femelle, avant de nous laisser désemparés, plongés dans notre égarement. Pis encore, il se pourrait aussi que deux écoles émergent chez nous, accompagnées de deux doctrines qui s’opposeraient sur la question. Le colonialisme ferait assurément tout son possible pour attiser l’esprit polémiste entre les deux parties pour que toutes les énergies et toutes les potentialités intellectuelles dans le monde musulman soient gaspillées et dispersées dans ce débat stérile…

Lorsque la chicane culmine et aboutit a une querelle exacerbée, le colonialisme intervient pour tenter de faire admettre dans les deux camps l’idée que celui qui s’abstient de participer a ce débat et refuse de s’engager dans la controverse est un traitre. II arrivera à la limite de convaincre que celui qui ne prend pas position dans la question du sexe du colonialisme – masculin ou féminin – est un apostat ou un traitre aux yeux des deux doctrines.

Le colonialisme publiera évidemment lui-même et a son compte, l’accusation et la condamnation. II en affichera le texte sur les murs de la cite…

Laissons là le débat sur le sexe du colonialisme pour voir quels sont les effets de cette attitude sur le cycle de révolution intellectuelle et sociale dans les pays musulmans. En posant le problème à travers une approche métaphysique et en considérant ses conséquences sur le comportement de l’individu par rapport au colonialisme, nous arriverons à déduire qu’il sera forcement dans l’une des situations suivantes :

Une situation de servitude et de soumission ;
Une situation de haine et de révolte.

Nous constatons effectivement que ces deux situations sont vécues dans la société islamique depuis que celle-ci a senti le poids autoritaire du joug du colonialisme et qu’elle s’est efforcée de s’en débarrasser. Nous relevons par ailleurs qu’il y a parmi les musulmans ceux qui perçoivent le colonialisme comme un diable et lui témoignent la rancœur et l’aversion dues a un diable, et d’autres, a l’inverse, qui voient en lui une providence. Il est en conséquence glorifie parce que ses adeptes croient que la richesse est entre ses mains… du moins en ce bas monde.

II y a en fait, dans les deux cas, un résultat de l’illustration métaphysique a travers laquelle la question fondamentale est placée.

Nous ferons montre d’un certain degré d’ineptie et de vanité au cas on nous jugerions que le colonialisme ignore ces situations psychiques. Au surplus, le sérieux nous fera défaut si on considère que le colonialisme est très au fait de ces situations et qu’il ne les exploite pas à dessein dans ses plans.

Il faut savoir également comment, face a ces deux cas, le colonialisme se détermine et arrête sa position. Nous avons évoqué très brièvement son attitude quand nous avons parlé de la muleta qui met progressivement en fureur le taureau jusqu’à son exténuation totale.

Nul doute que dans son cas, le colonialisme fera indéniablement tout pour que ceux qui vouent de la haine au diable redoublent d’aversion et de rejet et que tous ceux qui lui doivent leur succès lui courbent leur échine souple et lui multiplient les témoignages de reconnaissance et de gratitude.

Quoique ces deux attitudes s’opposent du point de vue éthique, il n’en demeure pas moins qu’elles produisent le même effet sur le plan pratique puisqu’elles constituent la clef de voute dans le plan échafaudé par le colonialisme pour hypnotiser la conscience islamique et l’empêcher d’aborder les problèmes en suspens.

Des qu’il s’aperçoit que le problème est en passe d’éveiller les soupçons et de susciter des interrogations de curiosité, le colonialisme se met a agiter la muleta et a augmenter les sommes d’argent destinées à corrompre les consciences de certains dirigeants musulmans, des consciences placées dans une boite destinée a recevoir les subsides. Le problème s’enrobe de nouveau d’une chape d’obscurité.

Les pays musulmans ont acquis au moins une idée sur un tel geste destiné à les distraire et ils savent quelque chose sur cette méthode de changement de sujet, au cours de leur lutte livrée contre le colonialisme ces dernières années.

[…]

Certes, au cours de leur histoire politique moderne, tous les pays musulmans ont vécu un épisode plus au moins similaire. Dans tous les cas, autrement dit, le colonialisme tire profit des mêmes situations psychologiques lorsqu’il attise l’ire aveugle des masses et alimente, avec démesure les ambitions de leurs dirigeants.

II est clair que ce procédé demeurera invisible parce qu’il est logé au fond de nous-mêmes, il s’y insère grâce a nos prédispositions à recevoir passivement les inspirations et les insinuations susceptibles d’orienter nos comportements. Il y a en effet des laboratoires spécialisés dans la chimie politique. Une spécialisation très poussée prépare les formules de ces insinuations et en encombre notre subconscient par des voies idoines. Il suffit qu’un spécialiste effleure une touche discrète pour que notre subconscient libère une forte décharge de colère et de révolte d’une part, ou de flagornerie et de vénération d’autre part. Selon qu’il s’agit d’un sentiment délivré par les masses, un sentiment qui nous met face a une simple décharge d’émotions et de facteurs psychiques, ou de quelques sommes d’argent a mettre pour corrompre la conscience de certains dirigeants !

Nous sommes ici aux prises avec deux problèmes. La question des facteurs sociaux et des insinuations reste cependant l’élément le plus déterminant à notre avis. Les facteurs qui en découlent font bouger des millions de gens, débonnaires et généreux, alors que l’argent ne mobilise que certains individus cupides a la conscience faite de tirelires, a l’instar des consciences qui ont livre le Congres algérien en 1936… au colonialisme.

Le premier problème nous intéresse donc en raison de son rapport avec le comportement des musulmans en général. Il faut, en premier lieu, noter a ce sujet les effets trop voyants dans ce comportement. Nul besoin d’une introspection pour les méditer. Ce qui est intéressant plus particulièrement, par contre, ce sont les facteurs occultes qui sous-tendent ce comportement, ce qui commande d’aborder les choses non pas a travers une optique politique qui touche seulement a leur aspect extérieur et apparent mais de les examiner sous l’angle psychologique profond.

Il arrive trop souvent de détecter dans un problème déterminé des causes multiples. Cette diversité épouse en général les contours et les formes extérieures uniquement car elles donnent l’impression d’être nombreuses vu que leurs impacts sur notre esprit se gravent dans des conditions différentes, suivant le moment et le lien causal. Des que la forme du problème revêt, au gré des circonstances, un aspect extérieur nouveau, nous pensons indûment qu’il s’agit d’une cause nouvelle dans son fondement.

[…]

La défaillance notée dans la position de l’individu, aux prises avec ses propres problèmes, reproduit une somme de lacunes et de carences en politique.

Aussi l’examen d’une question à l’échelle de l’individu engendre-t-il les mêmes effets à l’échelle de la société, si on procède en pratique comme il se doit.

Le problème de l’homme musulman face a la lutte idéologique est que son comportement reste assujetti au reflexe conditionne tel que défini par Pavlov, si bien qu’il ne peut disposer librement de sa réflexion ni de son action a partir d’un choix qui découle du libre arbitre, selon des critères déterminés dans sa logique et suivant le jugement de sa conscience. La manœuvre poursuivie par le colonialisme repose en effet sur des objectifs a atteindre par la voie des règles issues de la théorie de Pavlov.

Chez le musulman, ce reflexe conditionné est tout naturellement entretenu, en raison d’inspirations cultivées avec l’instinct de défense et nées depuis l’offensive coloniale des débuts du XIXe siècle.

Ce reflexe se manifeste également d’une façon mécanique, a coup d’insinuations et d’incitations auxquelles les laboratoires spécialises soumettent ces sentiments de temps a autre pour attiser la tension des énergies de défense et les porter a un degré bien au-dessus du niveau requis. L’individu se trouvera ainsi dans un état de tension anormal.

Sans hésitation, il est possible d’affirmer que ce sont ces mêmes motivations qui se déchainent en état anormal. Ces insinuations négatives ont apparemment fait du musulman l’homme le plus repoussé et le plus rejeté au XXe siècle, un homme qui évolue en marge de la société mondiale contemporaine.
Ce qu’il faut noter lorsque nous observons son comportement sous d’autres cieux, aux confins des régions islamiques, régions en contact avec le monde extérieur, nous constaterons qu’il agit trop souvent, sinon toujours, en tant qu’accusé ou pourfendeur des autres. C’est le comportement d’un individu marginalisé et rebuté au sein de la société mondiale du XXe.

Cette situation pèse autoritairement sur sa destinée au moment où le devenir du monde se décide dans la concertation de l’humanité consensuelle.

II est inutile d’affirmer que le colonialisme connait parfaitement cette situation anormale de notre comportement. Et pour cause : il l’utilise a bon escient pour nous isoler de la société internationale, tout comme il isole le combattant sur le front de la lutte idéologique au sein d’une société déterminée.

[…]

C’est dans de telles conditions que les laboratoires spécialisées peuvent distraire toutes nos facultés intellectuelles et matérielles par des batailles fictives, au cours desquelles nous entendons le crépitement des armes tambour battant de la guerre mais, envoûtes, nous n’y affrontons que fantômes. Nos yeux restent obnubiles par des mains de maitres occultes.

Quand un cri de victoire retentit chez nous, c’est pour annoncer qu’un fantôme a disparu de la scène et pour donner l’impression que nous l’avons victorieusement battu.

L’histoire musulmane contemporaine n’est pas dénuée de telles batailles imaginaires dans lesquelles des spectres sont battus, a l’instar de la bataille livrée par Djamel Eddine El Afghani et Mohamed Abdou contre Ernest Renan et Gabriel Hanotaux.

[…]

Nous l’avons déjà constaté en 1948 lorsque nous avons perdu une bataille imaginaire contre une entité fantoche nommée Israël, qu’un prestidigitateur ingénieux appelé Churchill et son élève doué Truman agitaient devant des yeux hypnotises.

En un mot, nous demeurons disposes encore a gaspiller du temps, dilapider de l’argent et a cogiter inutilement.

Il faut ajouter a cet état de fait que chaque fois que nous nous mettons dan une telle situation, le colonialisme charge le spécialiste du jeu de l’ombre concevoir spécialement pour nous une bataille imaginaire qui éloigne les responsables dans les pays musulmans des vrais problèmes.
C’est notre sentiment a regard de certains projets importants, lorsque ceux qui en assurent la charge tentent de mobiliser les idées, les plumes et les fonds pour défendre l’islam contre les attaques des orientalistes.

Devant de tels projets, le colonialisme exprime sa joie des qu’il en est informé, si toutefois il n’est pas lui-même l’inspirateur indirect de l’idée puisque de tels projets mobilisent des fonds, occupent des plumes et des idées pour des questions futiles.

Nous aurons, a l’inverse, le sentiment qu’il montrera des signes d’inquiétude dans le cas où quelqu’un se soustrairait a son envoûtement pour tenter de dire que le problème n’est point dans la défense de l’islam lequel, au demeurant, puise son immunité dans sa valeur intrinsèque et dans la protection divine, mais la question, toute la question, est de savoir comment apprendre aux musulmans a assurer eux-mêmes leur défense grâce aux moyens que recèle l’islam.

L’ire du colonialisme est provoquée lorsque le problème est considéré dans cette nature. Il perd le contrôle de la situation dans ces conditions au point que les gens n’ergotent plus sur son sexe, s’il est masculin ou féminin. La question quittera le monde de la métaphysique et de l’impénétrable pour entrer dans le monde du sérieux. Elle sera abordée ainsi a la lumière conjuguée de la psychologie et de la sociologie. Les conditions qui font le lit du colonialisme et celles qui favorisent la colonisabilite seront examinées suivant les règles adéquates.

Nous sommes ainsi au cœur du chapitre.

[Malek Bennabi développe le thème de l’adaptation du colonialisme aux nouveaux défis et l’inventions de nouvelles techniques de manipulation et de diversion. Il montre à l’opposé du système colonialiste comment le monde musulman reste sans capacité d’adaption et de luttes appropriées pour se défendre du fait de son incompétence à se libérer de sa politique émotive et de son inertie qui bloque tout effort et toute perspective de changer le rapport des forces , et le rapport d’intelligence et la définition des priorités… Il montre ensuite comment on modifie le miroir de renoncement en créant un autre miroir qui va envoyer des reflets négatifs sur l’idée le cercle personnel et le cercle social de l’auteur de l’idée. Il faut corrompre l’environnement personnel et social pour corrompre l’idée ou la mettre dans un système réfléchissant la frustration et le renoncement…]

L’originalité de ce nouveau montage est dans sa capacité d’attirer l’attention d’un écrivain donné sans qu’il s’aperçoive qu’il est devenu lui-même une source d’emission d’insinuations qu’il répercute à son tour, ceci en plus des réflexes conditionnés dirigés contre ses propres idées.

[…]

Généralement, en effet, les idées sont dotées d’une immunité propre et d’un pouvoir d’autodéfense qui leur confèrent une autorité par laquelle elles imposent une censure sur tout ce qui petit nuire a leur portée significative ou qui menace de leur faire perdre leur unité : l’intrusion est immédiatement repérée et exclue.

C’est le cas des idées coraniques qui ont usé de leur propre force des siècles durant contre toute tentative d’altération ou de déformation et ont imposé leur contrôle sur toute idée étrangère qui s’attaque a leur cercle, excluant du coup toute charge d’insinuations négatives apportées par l’intrus… dans le but, en dernier ressort, de la désarmer de tout effet négatif sur la conscience musulmane.

Toutes les tentatives insidieuses employées pour dénaturer le Coran ont connu le même sort à travers l’histoire. En raison du fait que les idées coraniques tout particulièrement et les idées en tant qu’idées d’une manière générale jouent, dans le cadre de certaines conditions sociales, le rôle de filtre face aux idées indésirables ou suspectes, que des mains invisibles veulent introduire dans leur cercle.

[…]

Pourquoi cette tentative d’infiltration dans le cercle des idées coraniques a-t-elle échouée, éliminant ainsi toute pénétration insidieuse chargée de défiance et de frustration dans la conscience islamique?

La réponse est que cette conscience est elle-même préservée par une immunité spéciale contre la frustration. Elle était d’emblée immunisée par son intégrité morale qui refusait l’accès a tout microbe venant de l’extérieur à dessein de lui nuire. En clair, elle n’était pas disposée a s’avilir.

Elle est par ailleurs immunisée grâce à une qualité intellectuelle qui constitue tout particulièrement la pierre angulaire dans la lutte idéologique. C’est cette qualité qui nous permet de saisir mécaniquement la valeur des idées en tant qu’idées et de réaliser l’importance de la lutte idéologique et son danger. Cette qualité constitue un filtre qui bloque les idées fausses et les empêche de s’introduire dans le cercle des idées authentiques, afin de désagréger leur unité et de déformer leur image.

Nous arriverons à conclure ainsi qu’en réalité, la force qui garantit l’immunité d’un cercle des idées donné est une valeur éthique qui nécessite une intégrité, qu’elle impose en toutes circonstances d’une part, et une valeur intellectuelle qui permet d’établir un net discernement entre l’utile et le nuisible, d’autre part.

Au cas on ces deux conditions fondamentales feraient défaut dans une société, les idées perdraient alors leur immunité au même titre que celui qui s’engage dans la lutte sous leur bannière contre les insinuations malveillantes produites dans les laboratoires de la politique scientifique pour faire face aux besoins de la lutte idéologique dans les pays colonises.

Dans pareille situation, les idées perdent toute leur efficacité dans la société on, au demeurant, elles n’ont plus de pouvoir de contrôle, de filtrage et de rectification. C’est-à-dire là où elles n’ont pas acquis encore de telles qualités.

De ce fait, le cercle de ces idées devient vulnérable et reste exposé a toutes les formes d’insinuations malveillantes dirigées contre elles, sans qu’elles puissent répliquer à ce défi.

[…]

En fait, une société qui vit une double crise éthique et intellectuelle, a l’échelle de ses dirigeants, ne peut garantir en général les conditions d’immunité et d’efficacité aux idées. Pis encore, elles deviennent vulnérables aux pénétrations pernicieuses en raison d’un déficit éthique relevé dans leur milieu ou d’un déficit intellectuel qui les a trahies.

En examinant toutefois cette situation a la lumière des enseignements forgés dans une longue expérience, nous déduirons que c’est l’insuffisance intellectuelle qui constitue le plus déterminant des facteurs qui aident le colonialisme dans ses démarches sur le front de la lutte idéologique.

L’expérience démontre que le drame des idées, chez nous, se joue en réalité sur cet axe.

[…]

Les idées sont particulièrement soumises aux irradiations que répercutent sur elles le cercle personnel de leur auteur et son cercle social, privées de surcroît de toute protection que pourraient assurer un quelconque contrôle, filtre ou ajusteur.

[Malek Bennabi en conjuguant exemples, expérience personnelle et analyse théorique va montrer comment le colonialisme va mettre au point des mécanismes plus élaborés pour que leurs conséquences sur les idées produites par le cercle personnel de l’auteur engagé dans la lutte idéologique et son cercle social soient répercutés sur ses idées comme des miroirs de renoncement et de frustration. Si le cercle personnel de l’auteur peut être relativement maitrisé par l’auteur de l’idée, il n’en est pas de même pour son cercle social qui est difficile à maîtriser tant par son étendue que par sa complexité. Ces deux cercles vont, du fait du niveau culturel et de la conscience politique, agir négativement sur l’auteur et sur ses idées. Quand l’auteur, faute de trouver protection et refuge au sein du même front de combat, il est contraint de prémunir contre son environnement par son retrait de la vie sociale et à arriver l’isolement qui devient une pression psychologique épuisante et dramatique. Le colonialisme et ses agents vont introduire dans le cercle social de l’auteur d’idées engagé dans la lutte idéologique des perturbations artificielles et mensongères pour corrompre l’image de l’auteur ou le pousser à l’isolement pour empêcher le rayonnement, la crédibilité et la diffusion de ses idées. La bataille que se livre le colonialisme et l’auteur de l’idée va donc se jouer également dans ces cercles. Le colonialisme va tenter d’en faire des miroirs de frustrations et de renoncement. L’auteur va tenter se protéger tout seul, dans un combat moral et psychologique titanesque car lui fait défaut la protection d’un front de résistance qui le protège et qui oppose au miroir de renoncement et de frustration un autre miroir celui de la fermeté et de l’épanouissement de l’idée et de l’élargissement du cercle qui adopte et défend cette idée ainsi que son auteur. ]

[…]

Il (le colonialisme) évalue en conséquence, à la lumière de sa connaissance précise du domaine, que la poursuite de la mise en œuvre de sa stratégie une première fois, puis une deuxième laquelle est suivie d’une troisième, etc., débouchera soit sur l’établissement d’une démarcation pratique entre le combattant (de l’idée) et la cause pour laquelle il s’est engagé dans le combat, soit sur sa mise à l’écart de cette même cause, à travers une séparation morale lorsqu’il le persuade de la tentative vaine et insensée de l’atome de démolir la montagne.

C’est là l’ambition et la volonté du colonialisme. Il arrive que son destin lui échappe. Il est entre les mains de la Providence. L’atome et la montagne évoluent suivant cette volonté divine.


 

Autres conséquences de la lutte idéologique

Le problème est tel que la politique émotionnelle, qui est une expression de la pensée atomistique dans la réalité concrète devient une politique impuissante à formuler un jugement juste de cette réalité. Un jugement suppose une base vers laquelle il faut revenir et un critère auquel on se réfère. Il suppose également la formation et la coordination d’un ensemble d’idées. Je veux dire que le jugement suppose un exercice intellectuel qui ne s’accorde pas avec la pensée atomistique.

[…]

Nous avons déjà traité le thème sous un angle uniquement passif ; autrement dit, nous avons exposé des cas qui montrent comment le colonialisme nous trace la voie afin d’annihiler certaines idées ou comment il agit pour leur barrer l’accès vers la conscience des masses.

Dans le présent, il s’agit de l’aspect actif qui met en relief cette fois la manière utilisée par le colonialisme pour créer des idées qui lui sont favorables comment il les colle dans la conscience des masses et comment, enfin, il s’emploie à vanter leurs mérites au marché de la politique émotionnelle.

[…]

… Cette incapacité n’est pas une nature intrinsèque à la pensée islamique, comme le prétend l’orientaliste Gibb, mais une conséquence des évolutions historiques qui l’ont affectée depuis l’époque post-almohadienne, plus particulièrement depuis l’ère du colonialisme et de la colonisabilité. Ces évolutions l’ont privé des qualités d’une logique qui a frayé le chemin de la civilisation islamique et qui a ébauché la voie à la civilisation moderne.

Lorsque l’esprit est dénué de ces qualités et lorsqu’il perd ces critères qui l’éclairent sur la bonne voie, les catastrophes politiques s’annoncent à la porte en conséquence. Le colonialisme s’en trouve conforté dans la faculté d’atteindre ses objectifs contre les pays et les religions sous des bannières sacrées comme « Islam » ou « Patrie ».

[…]

Nous constatons à partir de là l’attention attachée par la colonialisme aux tendances hostiles au régime de l’autocritique et comment il entretient ces tendances parce qu’elles soutiennent les déviations qu’il veut introduire à travers les idées exprimées dans la politique d’un pays qui veut se débarrasser du carcan colonialiste. Il fait tout son possible, par ailleurs, pour détruire les idées imprimées. Il ne faut pas qu’elles accomplissent leur rôle régulateur et ajusteur. Il atteint ce but en suscitant les penchants incarnés par des individus ou par des « composés d’individus » qui, soi-disant, incarnent le combat contre le colonialisme sous une forme, pour soumettre le peuple colonisé aux méfaits de la politique émotionnelle, et l’empêcher ainsi d’atteindre un stade politique fondé sur ce que l’homme politique cité dans le premier chapitre a qualifié de « science qui ne se trompe pas ».

Le colonialisme applique dans ce domaine la méthode du « crever l’abcès ». Il réunit en effet toutes les forces qui lui sont hostiles sous l’emprise de l’émotion afin qu’elles ne se regroupent pas sous l’égide de l’idée imprimée. Tantôt il agite la muleta en un lieu choisi pour focaliser sur lui les forces adverses, tantôt il éclaire ce même lieu pour attirer l’attention des masses et les distraire, afin d’occulter un autre lieu où se déroule la vraie bataille.

[…]

L’examen de l’action du colonialisme dans le domaine intellectuel dans un processus intégral, c’est-à-dire dans une bataille de libération depuis son déclenchement, montre que le système de sécurité évoqué fonctionne en deux temps :

a- durant l’étape pré-révolutionnaire, le colonialisme joue le rôle de la bannière qui place au-dessus de la tête du peuple les slogans envoûtants liberté, indépendance, patrie, etc., a dessein d’occuper les attentions et de les éloigner des idées techniques, dont le but est de chercher justement les voles pratiques susceptibles de réaliser ces slogans ;

b- durant l’étape post-révolutionnaire, a l’ère de l’étape de l’organisation qui suit la libération, il s’emploie à dénaturer ces mêmes slogans afin de semer le doute dans les esprits et le remords dans les cœurs et de cultiver la nostalgie de l’époque coloniale.

C’est ainsi que la politique émotionnelle est utilisée comme un « système de sécurité » dans une première étape pour geler les énergies libératrices dans le lieu où le colonialisme agite l’étoffé rouge, puis dans une deuxième phase pour menacer les idéaux sous lesquels les combats de libération ont été menés.

Dans les deux cas, le colonialisme vise par des moyens appropries éloigner le pays colonise de certaines idées. Si elles émanent de l’intérieur, il lui sera facile d’utiliser les moyens de pression et de terreur pour dissuader ceux qui s’y engagent sous leur étendard. Si elles émanent de l’extérieur, autrement dit si leur initiateur a échappé au colonialisme directement, ce dernier sera contraint de s’adapter aux nouvelles conditions de la lutte idéologique et il usera alors des moyens scientifiques déjà cites, lorsque nous avons décrit les deux types de « miroir de frustration » dans les chapitres précédents.


L’avocat « compromettant »

Avant 1939, l’idée du Wahhâbisme s’est imposée aux yeux du colonialisme comme une lutte chargée de périls, car elle représente le centre de gravité dans la lutte livrée contre le monde arabo-musulman. Le colonialisme songeait sans relâche aux moyens de s’en débarrasser jusqu’à ce que le pétrole ait effectivement exaucé ce vœu.

L’Angleterre a utilisé les moyens de la force pour détruire Abdelaziz Ibn Séoud. Londres a tenté d’allier contre lui les adversaires de son règne, ligués autour d’Ibn Rafada et Eddarwish, afin d’affaiblir ses forces par des révoltes continues.

Londres voulait cependant, en premier lieu et avant tout, détruire l’idée elle-même sur laquelle est fondé ce règne et sur la base de laquelle le jeune état saoudien a été bâti. Elle a appliqué pour ce faire ce qu’on peut appeler plan de « l’avocat compromettant ». L’avocat qui nuit à son client en prétendant assumer sa défense.

Le porte-parole du gouvernement de Londres ne laissait passer aucune occasion pour rappeler vivement l’amitié que témoignait l’Angleterre à Ibn Séoud. L’idée Wahhabite a achevé son rôle d’idée imprimée aux environs de 1925 pour entamer son nouveau rôle d’idée exprimée depuis lors, c’est-à-dire depuis la constitution de l’Etat saoudien dans ses frontières actuelles…

Si la méthode de « l’avocat compromettant » est utilisée en premier chef dans le domaine politique, c’est-à-dire dans le domaine des idées exprimées dans les pays colonisés, elle est employée également dans le cas des idées imprimées.

[Malek Bennabi explique aussi ,comment un homme de grande valeur et très compétent peut devenir négatif, opportuniste, démissionnaire du fait que sa carrière annoncée comme brillante se trouve compromise par le veto du colonialisme et des dirigeants du pays colonisés qui ont accès à l’indépendance… Le colonialisme peut l’utiliser comme « avocat compromettant contre les siens, à son insu ou de son propre gré, moyennant quelques gratifications dans des postes qui flattent son ego et qui permettent de prouver son hors jeu positif dans la lutte idéologique contre le colonialisme et son instrumentalisation par le colonialisme dans la lutte idéologique contre les idées imprimées]

Ce sont là des réalité qui continueront à nous échapper tant que nous manquerons de critères absolus et abstraits qui déterminent directement la valeur des idées, sans qu’elles soient incarnées par une quelconque personne qui les défende soit par conviction, soit à la manière de « l’avocat compromettant »…

… dans les pays colonises, autrement dit, des pays où il faut s’accorder sur un fait : les gens ne soumettent pas les idées a travers des réflexions personnelles directes mais a travers les reflets répercutés sur eux par l’ « avocat compromettant » ou a travers l’image répercutée sur eux par le « miroir de frustration »…

[…]

Une personne qui n’évalue pas les choses a travers une réflexion personnelle directe risque de les soumettre a des jugements qui émanent des insinuations qu’elle reçoit, non selon la réalité concrète, explicite ou implicite, car elle n’essaie pas de réunir tous les éléments d’appréciation et de jugement en une seule opération mentale. Elle agit ainsi sous l’effet de sa propension prononcée pour l’atomisme.

L’ « avocat compromettant », l’« amitié compromettante » et le « miroir de frustration » sont en fait les différentes touches du clavier d’un instrument sur lequel s’exécutent des doigts habiles, doués dans la symphonie particulière de la lutte idéologique.

Nul ne peut cependant se mettre a cet instrument perfectionné s’il n’est pas arme de ce qu’on peut appeler la gymnastique ou l’algèbre des idées ou s’il n’a pas de connaissances sur les idées en tant qu’entités biologiques qui accomplissent leur rôle dans des conditions organiques déterminées. A défaut de ces conditions, ces idées ne jouent aucun rôle. Bien plus, elles meurent lorsqu’elles ne sont pas unies, elles deviennent inertes, sans vie et sans aucune utilité, dans la synchronisation des notes de la musique de la lutte idéologique dans le monde.

[…]

Une entité vivante est ce qu’elle est. En l’encombrant ou en l’amputant d’un membre, nous la métamorphosons et elle ne restera plus l’entité initiale…

Le colonialisme applique évidemment ces méthodes. Tantôt il tente de fragmenter l’idée, comme s’il cherchait à désintégrer son énergie explosive, tantôt il tente le contraire lorsqu’il lui applique une sorte de multiplication pour l’intégrer dans un ensemble d’idées secondaires, qui ajoutent au volume de l’idée originale des éléments inertes et apathiques. L’effet produit est le ramollissement de sa portée dans les idées…

Parfois, ces règles sont appliquées sous la forme de « glissement » tantôt sous la forme de «l’interchangeabilité », tantôt sous la forme de l’ « amputation ».

La méthode de « glissement » est appliquée lorsque l’objectif recherché est d’empêcher que l’étude se concentre sur une idée déterminée. Lors des débats, des idées nouvelles sont ainsi traitées successivement de façon que les discussions ne débouchent, en fin de compte, sur aucune solution pratique…

La méthode de I’ interchangeabilité est pratiquée lorsque le colonialisme estime qu’il est son intérêt, alors que les débats sont vifs autour d’une idée, de lancer dans l’arène du combat une idée nouvelle qui soit moins préjudiciable pour son intérêt.

Quant à la méthode de l’amputation, elle s’applique lorsqu’un débat sur un thème très important, anime dans un quotidien national par exemple, est en passe de parvenir à un résultat. Les rédacteurs du journal (matériellement, ils sont avec le colonialisme) tournent la page tout bonnement et ignorent le sujet. Le débat suspendu devient ainsi sans objet. L’auteur qui s’y est engage se trouve subitement désarmé comme si une main invisible lui avait retire sa plume au moment même ou la bataille entrait dans sa phase décisive.


 

Conclusion :

Les idées n’évoluent pas en vase clos, dissociées du monde des personnes comme c’est le cas dans les « idéaux de Platon ». Il n’est pas possible de dissocier l’aventure d’une idée de son initiateur, quel que soit le degré du sondage de l’abstrait ; bien au contraire, son odyssée se déroule entièrement sur terre. En résumant ces considérations, nous dirons : le colonialisme tente en premier lieu de faire d’un individu un traitre agissant contre la société au sein de laquelle il évolue. S’il échoue dans sa tentative, il s’efforcera d’inverser les rôles en poussant cette fois pour que l’individu en question soit lui-même trahi par sa société, par des individus sans scrupules, interposés.

Quoi qu’il en soit, il y a des vérités qui ne peuvent être rapportées qu’à titre posthume, par les morts, ensevelis sous terre, protégés ainsi par le trépas…

… Tout notre souhait, enfin, c’est la constitution dans nos pays d’une ligue d’intellectuels qui se chargerait de mettre à nu, d’éventer les attaques perpétrées par le colonialisme sur le font intellectuel pour que les idées n’y soient pas exposées sans secours ni voie de salut.

Malek Bennabi


Traduit de l’arabe par Nour-Eddine Khendouzi – Edition El Borhane – Algérie

1 Les animateurs de ce début de l’islahisme (réforme) qui a commence a Constantine a la fin du XlX siècle ont été disperses. La bibliothèque de cheikh Mohanna, riche et précieuse, a ete saisie et lui-même a été mute de la medersa de Constantine vers celle d’Alger. Cf. Malek Bennabi : Les Conditions de renaissance.

2. II s’agit probablement de la « doctrine Eisenhower ».

On se rappelle que le président Eisenhower, après l’affaire de Suez, avait essayé en janvier 1957 de rétablir « l’ ordre » au Moyen-Orient en proposant aux divers pays arabes une aide importante, mais (‘opinions arabe, généralement favorable a Nasser, avait poussé les gouvernements à refuser l’aide américaine, d’ou l’échec de cette doctrine. (N.d.T.)

Manipulations et diversion

Sylvain Timsit dans Manipulations nous dit :

1 La stratégie de la diversion

Elément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes.

La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique.

« Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser; de retour à la ferme avec les autres animaux. » (extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »)

2 Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple: laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore: créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

3 La stratégie du dégradé

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution si ils avaient été appliqués brutalement.

4 La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

Exemple récent: le passage à l’Euro et la perte de la souveraineté monétaire et économique ont été acceptés par les pays Européens en 1994-95 pour une application en 2001. Autre exemple: les accords multilatéraux du FTAA que les USA ont imposé en 2001 aux pays du continent américain pourtant réticents, en concédant une application différée à 2005.

5 S’adresser au public comme à des enfants en bas-age

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-age ou un handicapé mental. Exemple typique: la campagne TV française pour le passage à l’Euro (« les jours euro »). Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi?

« Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans. » (cf. « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »)

6  Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

7  Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage.

« La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être de la plus pauvre sorte, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. » (cf. « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »)

8 Encourager le public à se complaire dans la médiocrité


Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

9 Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution!…

10 Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.

Démonstration : la télévision de l’info sans infos

La nouvelle censure

Le principe de base de la censure moderne consiste à noyer les informations essentielles dans un déluge d’informations insignifiantes diffusées par une multitude de médias au contenu semblable. Cela permet à la nouvelle censure d’avoir toutes les apparences de la pluralité et de la démocratie.

Cette stratégie de la diversion s’applique en premier lieu au journal télévisé, principale source d’information du public.

De l’info sans infos…

Depuis le début des années 90, les journaux télévisés ne contiennent quasiment plus d’information. On continue d’appeler « journal télévisé » ce qui devrait en réalité être appelé un « magazine ».

Un J.T. moyen contient au maximum 2 à 3 minutes d’information. Le reste est constitué de reportages anecdotiques, de faits divers, de micro-trottoirs et de reality-shows sur la vie quotidienne.

et une censure sans censeurs

Toute la subtilité de la censure moderne réside dans l’absence de censeurs. Ceux-ci ont été efficacement remplacés par la « loi du marché » et la « loi de l’audience ». Par le simple jeu de conditions économiques habilement crées, les chaines n’ont plus les moyens de financer le travail d’enquête du vrai journalisme, alors que dans le même temps, le reality-show et les micro-trottoirs font plus d’audience avec un coût de production réduit.

Même les évènements importants sont traités sous un angle « magazine », par le petit bout de la lorgnette. Ainsi, un sommet international donnera lieu à une interview du chef-cuistot chargé du repas, à des images de limousines officielles et de salutations devant un batiment, mais aucune information ni analyse à propos des sujets débattus par les chefs d’états. De même, un attentat sera traité par des micro-trottoirs sur les lieux du drame, avec les impressions et témoignages des passants, ou une interview d’un secouriste ou d’un policier.

A ces insignifiances s’ajouteront le sport, les faits-divers, les reportages pitoresques sur les villages de la France profonde, sans oublier les pubs déguisées pour les produits culturels faisant l’objet d’une campagne de promotion (spectacles, films, livres, disques…).

Information déstructurée pour mémorisation minimale

 

Tous les psychologues et spécialistes des neurosciences savent que la mémorisation des informations par le cerveau se fait d’autant mieux que ces informations sont présentées de façon structurée et hiérarchisée.

La structuration et la hiérarchisation de l’information sont aussi des principes de base enseignés à tous les étudiants en journalisme.

Or depuis 10 ans, les journaux télévisés font exactement le contraire, en enchainant dans le désordre des sujets hétéroclites et d’importance inégale (un fait divers, un peu de politique, du sport, un sujet social, un autre fait divers, puis à nouveau de la politique, etc) , comme si le but recherché était d’obtenir la plus mauvaise mémorisation possible des informations par le public. Une population amnésique est en effet beaucoup plus facile à manipuler…

CAS PRATIQUE 1 : J.T. 20h – TF1 – Janvier 1997

37 minutes sur 40 d’insignifiances…

20h00 Le froid, les accidents sur les routes.

20h04 La naissance du petit Joseph, dans le Gers couvert par la neige.

20h05 La récolte des brocholis, chez Albert en Bretagne, est menacée par le gel.

20h06 La récolte des poireaux se fait au marteau. Augmentation inévitable du prix des légumes.

20h08 Compteurs d’eau et canalisations gelées chez les habitants d’une ville de province.

20h09 Début des soldes à Paris.

20h11 Reportage sur la fabrication artisanale du pain.

20h13 Viol d’une petite fille.

20h14 Jugement en Belgique d’un membre présumé islamiste du « Gang de Roubaix ».

20h15 En Israël, présentation devant le juge d’un jeune soldat qui avait tenté de mitrailler des Palestiniens.

20h16 Jugement en Angletterre des époux West, assassins en série de jeunes filles.

20h18 Départ à la retraite de Miguel Indurain. Rappel de sa carrière de champion cycliste.

20h22 Rétablissement d’un malade cardiaque greffé aux Etats-Unis.

20h23 Les hommes consomment de plus en plus de soins et de produits de beauté. Reportage.

20h26 Prison pour Bernard Tapie, suite à l’affaire des comptes de l’OM.

20h28 Reportage sur la « poupée qui mange », conçue pour manger des frites, mais qui « mangeait » aussi les cheveux des enfants, voire la peau du doigt. Il est suggéré que la poupée soit équipée d’un « bouton d’arret d’urgence ».

20h30 Stages-nature en montagne pour les enfants en Savoie.

20h32 Présentation du téléfilm de la soirée, consacré à Dalila, femme du héros biblique Samsom. Reportage sur le tournage du téléfilm.

20h34 Fin du J.T. Générique.

CAS PRATIQUE 2 : J.T. 20h – France 2 – 4 Septembre 2002

37 minutes sur 40 d’insignifiances…

20h01 Orages violents et inondations en Provence.

20h04 Orages violents et inondations en Ardèche. Mort d’un touriste après que sa voiture ait été emportée par les flots.

20h05 Les orages sont-ils de plus en plus violents? Interview rassurante d’un spécialiste de Météo France.

20h08 Progrès dans l’enquête sur les meurtres en série de jeunes filles dans la Somme.

20h10 Procès d’un pédophile à Melun.

20h11 Remise en liberté refusée pour Maurice Papon.

20h12 Condamnation d’un hopital pour avoir transfusé un malade contre son gré et contre ses convictions religieuses.

20h15 Interview de Bernard Kouchner. L’ancien ministre de la santé rappelle que l’éthique médicale interdit au médecin d’imposer un traitement contre la volonté du patient.

20h18 Nomination par le gouvernement d’un nouveau PDG à La Poste.

20h19 Annonce par le gouvernement d’une diminution du nombre de fonctionnaires, et d’une diminution des budgets de la plupart des ministères, à l’exception des budgets de la justice (+7%), de la police (+6,5%) et des Affaires Etrangères (+14%).

Remarque: l’une des rares « vraies » infos de ce JT est traitée en 1 minute, contre 7 minutes pour les orages. Par ailleurs, aucune raison n’est donnée pour justifier la très forte augmentation obtenue par Dominique de Villepin, le ministre des affaires étrangères.

20h20 Reportage sur un stage de conduite spécialisé pour échapper à une éventuelle embuscade. Interview d’un chauffeur de ministre qui participe au stage.

20h22 Revendications des médecins pour l’augmentation de leurs honoraires.

20h23 Reportage sur les vaccinations des bébés dans les maternités.

20h24 George W. Bush s’entretient avec Tony Blair à propos d’une nouvelle intervention militaire contre l’Irak.

Cette autre info importante est elle aussi traitée en une minute.

20h25 A Jerusalem, le Mur du Temple menace de s’écrouler à cause d’un chantier souterrain.

20h26 A Moscou, succès d’un groupe de chanteuses avec une chanson « glamour » sur Vladimir Poutine.

20h28 A Johannesburg, le Sommet de la Terre s’achève sans être parvenu à fixer un calendrier et des engagement précis de la part des états. Les Etats-Unis continuent de refuser tout effort en matière d’environnement et de réduction des gaz responsables des modifications climatiques.

La troisième et dernière info importante est présentée en une minute et en fin de journal, alors que ses implications auraient justifié une place en ouverture du journal.

20h29 Mise en service d’une éolienne géante dans la Marne.

20h31 A Grenoble, des bergers manifestent contre les loups.

20h32 A Paris, le Maire Bertrand Delannoe souhaite réglementer la présence anarchique des émetteurs de téléphonie mobile.

20h34 Dans les Hauts de Seine, les habitants manifestent contre les coupures d’eau chaude causées par l’insécurité d’une centrale thermique.

20h36 Après la rentrée des classes, la rentrée dans les crèches. Reportage.

20h38 Début de la nouvelle tournée mondiale des Rolling Stones.

20h40 Retour de Johny Halliday au cinéma, avec un rôle dans le film de Patrice Leconte, « L’homme du train ».

20h42 Résultats de l’US Open de tennis.

20h43 Fin du J.T. Générique.

source : http://www.syti.net/Manipulations.html